Rien ne passe après tout si ce n‘est le passant

Cet article est le dernier publié par Jacqueline Jencquel, 78 ans, qui défendait la fin de vie choisie, et s’est donnée la mort comme elle l’avait souhaitée en fin de semaine dernière. L’information a été confirmée par son fils à Nathalie Rouiller, journaliste de Libération. «Le Temps», 2 avril 2022.

C‘est une chose au fond que je ne puis comprendre, cette peur de mourir que les gens ont en eux. Comme si ce n‘était pas assez merveilleux que le ciel nous ait paru un moment si tendre (Aragon).

Et pourtant , au moment de passer à l’acte, j’ai peur. Je ne peux pas écrire un texte, que je voudrais militant, alors qu’en réalité je ne suis qu’une vieille égoïste qui ne se résigne pas à changer son style de vie dont elle n’a plus les moyens. Je regarde autour de moi, je vois bien la souffrance de la majorité de la population mondiale  Quelle importance a ma vie ou ma mort? C’est un privilège de pouvoir écrire et d’être publié, même si on n’écrit que des conneries. Je ne suis un exemple pour personne. Une hédoniste qui peut choisir le moment de sa mort. Quel luxe! J’ai vécu la vie que j’ai voulu vivre. J’ai fait du mieux que j’ai pu et maintenant je suis au bout du rouleau. Et alors? Je ne cherche pas la compassion car je ne suis pas une victime.

J’aurais aimé pouvoir mettre mes talents au service de la communauté mais je ne sais pas comment m’y prendre ni à qui m’adresser.

Je réfléchis sans trouver de réponse ni de solution, alors je suis résignée et en même temps, je n’aime pas ce mot car -au risque de me répéter – je ne suis pas une victime.

Je veux mourir chez moi, entourée de mes livres de mes photos et de mes objets familiers. Personne ne pourra m‘accompagner. Pourquoi pas? Car il y a  une loi idiote: non- assistance à personne en danger. En danger de quoi? De mourir? Mais j‘ai l‘âge de mourir. Le danger est de vieillir encore plus. La dépendance et la décrépitude me font bien plus peur que la mort. Je ne veux pas devenir plus vieille. C‘est mon choix. Mon droit aussi. Il est inscrit dans la Constitution, ce droit. Et pourtant , on ne me permet pas de festoyer, entourée de mes proches. Et pire encore, si je n‘avais pas le pentobarbital, interdit pour les humains , mais autorisé pour les chiens – il faudrait que je me jette sous un train, traumatisant ainsi le conducteur et les passagers. Ou bien que je fasse comme mon voisin , Romain Gary, me tirer une balle dans la bouche, offrant le spectacle de ma cervelle éclatée pendant que je baignerais dans une mare de sang. Est-ce plus légitime que de prendre le bon barbiturique pour m‘endormir tranquillement?

Par contre, on fait de la pub  pour des cercueils, des tombes, des couronnes mortuaires. Et ces pubs vous affirment qu‘il faut préparer sa mort. Ce n‘est pas préparer sa mort que se soucier de son cercueil, puisqu‘une fois dedans, on sera déjà mort. Je ne veux ni de cercueil ni de tombe. Je veux être incinérée et me transformer en plante dans le jardin de mon fils à Bali. Si ce n‘est pas possible, ce n‘est pas grave.

Rien n‘est grave, sauf le locked- in syndrome  (Frédéric Beigbeder).

Je n‘ai pas eu envie de m‘exiler pour mourir et j‘ai la chance de pouvoir choisir car j‘ai le bon produit. Pourquoi? J‘y ai pensé en amont. C‘est tout.

Législateurs français, quand allez-vous comprendre que cette liberté n‘enlève rien à personne? Et que cette interdiction me prive, moi, de ceux que j‘aime lorsque le moment est venu pour moi de mourir? Ce moment est très important et je veux le vivre en pleine conscience. J‘ai 78 ans , pas 48, ni 58 ni même 68. C‘est assez, non?

Je ne veux pas assister à ma propre déchéance. Je ne veux pas être déjà mourante pour avoir le droit de mourir. Je suis vieille mais encore lucide et capable de discernement.

Le monde ne me plaît plus. Il n‘y a plus de sages ni de philosophes qui le dirigent. Plus que des idéologues fanatiques et des imbéciles qui les suivent. Paris est sale. La Seine est devenue une poubelle, tout comme les lacs et les océans de toute la planète.

Et maintenant, la guerre! On s’y attendait et on ne s’y est pas préparé. Et pourtant, c’était tellement prévisible.

Je suis trop vieille pour protéger mes enfants. Autant ne pas être une charge additionnelle. Le moment est venu.

Je me suis battue pour des libertés encore fragiles, même si elles semblent acquises: les vrais droits des femmes: droit de vote et de planifier nos familles en utilisant la contraception et- dans le pire des cas – l‘ IVG.

Aujourd‘hui je revendique mon droit à l‘ IVV (interruption volontaire de vieillesse).

Je regrette de ne pas pouvoir être entourée de ceux que j‘aime.

Je n‘ai pas envie de mourir dans un autre lit que le mien.

Je ne veux être à la charge de personne et je ne peux pas attendre de mon mari – qui ne m‘aime plus – de continuer éternellement à m‘entretenir. J‘ai accompli ma tâche: lui donner une belle descendance dont je me suis bien occupée et à laquelle j‘ai transmis mon amour des mots, de la réflexion et de la beauté. Grâce à lui, j‘ai pu passer mes dernières années dans de beaux endroits, accompagnée de personnes que j‘ai eu envie de voir et sans obligations autres que celles que je me suis imposées à moi-même.

En fait , je pars au bon moment. Un peu triste de ne pas pouvoir le partager, ce moment. En même temps, pourquoi obliger les enfants à voyager en cette époque de Covid et de guerre?

Ils  ont assez de soucis et voir sa mère mourir n’est probablement pas tellement marrant. Alors festoyer? Je n’en ai même plus envie. Le malheur des autres est omniprésent. Je veux juste m’endormir, ne plus avoir mal à la tête, mal au bide, tous ces maux qui accompagnent la vieillesse et dont on n’a pas envie de parler car cela n’intéresse personne.

Difficile à réaliser, ce planning d’une mort choisie et organisée, comme un mariage ou un baptême. J’aurais pu le faire il y a deux ans, comme prévu. Mais la naissance de mon petit-fils le jour de mon anniversaire a été comme un moment volé au destin.

On ne refuse pas ces moments- là. Et puis , la vie a repris son cours malgré le Covid et tout le reste. Je n’ osais plus fixer de dates et en même temps , je savais qu’il fallait y aller car je ne rajeunissais pas. Maintenant , je prends cette décision seule et en pleine conscience. Personne ne me pousse à la prendre. Pourtant, j’aurais aimé revoir mes enfants et leurs petits, passer du temps sur une île avec eux ou en haut d’ une montagne, n’ importe où … mais j’ai la tête qui explose et je ne peux plus attendre.

J‘ espère que la loi va changer et que d‘autres, après moi, auront la possibilité de partir, entourés de leurs proches, lorsqu‘ils l‘auront décidé et qu‘ils auront atteint l‘hiver de leurs vies.

Devoir se cacher pour mourir, voilà ce à quoi nous sommes réduits si nous refusons de vieillir au-delà du seuil qui nous paraît acceptable. Et si nous sommes malades, il faut s‘exiler si nous ne voulons pas finir dans une chambre d‘hôpital, perfusés et ventilés. Infantilisés dans le meilleur des cas et maltraités dans le pire. On l‘a bien vu pendant le premier confinement: il fallait nous protéger sous prétexte que nous étions vulnérables, donc nous enfermer sans plus revoir personne, puis mourir étouffés.

Est-ce que quelqu‘un nous a demandé notre avis? Peut-être que certains d‘entre nous auraient préféré être écoutés et respectés plutôt que protégés.

Tellement absurde d‘interdire un passage doux de la vie à la mort. Tellement absurde de criminaliser les médecins qui accompagnent leurs patients jusqu‘au bout lorsque les patients le leur demandent. Absurde d‘utiliser des verbes comme tuer dans ce contexte. Le verbe euthanasier ne veut rien dire non plus. L‘euthanasie (en grec la bonne mort) ne se conjugue pas. On aide, on accompagne, on embrasse, on sourit en pleurant. C‘est la fin de la vie. A la fois triste et normal.

Je meurs seule. C‘est vrai. Mais je suis chez moi. Je regarderai intensément le visage de mes enfants avant de fermer les yeux pour toujours. Je penserai à tout l‘amour qu‘ils m‘ont donné et que je leur ai bien rendu.

Il ne me reste qu‘à remercier Le Temps pour avoir hébergé mon blog, ainsi que ma fidèle amie, le docteur Erika Preisig, qui n‘aurait pas hésité à m‘aider si j‘étais allée à Bâle pour mourir.

Merci à mes lecteurs, avec lesquels j‘ai aimé débattre et aux militants de l‘ADMD – France, qui m‘ont accordé leur confiance pendant tellement d‘années. Je vous souhaite à tous de bien profiter des moments, en sachant que si des problèmes se présentent, vous saurez les surmonter. Et que s‘ils deviennent insurmontables et que votre vie n‘ est plus la Vie, que vous puissiez descendre du train au moment de votre choix, sans devoir vous cacher comme des criminels.

Un vieillard qui meurt , c’est dans l’ordre des choses, tout comme un bébé qui naît. Pourtant, personne ne nous serre dans ses bras pour nous dire au-revoir. Pas le droit. C’est illégal en France. Un pays qui  est fier de fabriquer et d’exporter des armes qui servent à tuer, mais ne laisse pas les vieux mourir accompagnés, s’ ils en font le choix lucide et éclairé! Le pays de Voltaire et de Montesquieu nous interdit un droit garanti par notre Constitution.

Celui de disposer de nos corps. Le suicide n’est pas un crime et ne peut donc pas être puni. Mais quid de l’accompagnement? Non assistance à personne en danger? Vous rendez- vous compte de l’absurdité de cette phrase dans le contexte d’un suicide voulu et consenti  d’une personne arrivée au terme de sa vie? Plutôt que  de vouloir me protéger écoutez-moi et respectez-moi, au lieu de m’obliger à me cacher et à me taire.

La loi du plus fort est toujours la meilleure ( Jean de La Fontaine )

Nous sommes en guerre et notre adversaire est armé jusqu‘aux dents . C‘est un dictateur qui dirige la Russie et en voyant les images tragiques de l‘ Ukraine , je pense que les libertés individuelles passent au second plan . Il s‘agit maintenant de sauver la liberté tout court . J‘espère pour les générations futures qu‘elles survivront et sauront s‘adapter à ce changement d‘époque Je n‘ai plus envie de parler de moi car que valent les atermoiements d‘une vieille bourge privilégiée par rapport aux femmes et aux enfants obligés de fuir leur pays ? La mort est là , elle est palpable . Vais – je parler du scandale des Ehpads en France qui ne fait toujours pas réfléchir notre gouvernement sur nos conditions de fin de vie ? J‘ aurais bien des choses à dire sur la manière dont on traite les vieux en France . Mais ce n‘est pas le moment . Je suis trop triste pour les Ukrainiens et pour le peuple russe , qui. n‘en veut pas de cette guerre . ! Je voulais juste vous faire part de ce que je ressens en ce moment .

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Me too !

Je suis coupable d’avoir commis une agression sexuelle sur un jeune homme dans une piscine il y a huit ans ! Où faut- il que j’aille faire mon mea culpa ? Je ne savais pas que faire un bisou était une aggression sexuelle et passible de diffamation publique . En fait , j’ai commis ce crime plusieurs fois dans ma vie . Pas tous les hommes que j’ai embrassés ne s’y attendaient . Certains s’en sont réjouis . D’autres , moins . Mais aucun d’entre eux ne m’a dénoncée pour harcèlement . Est- donc un privilège réservé aux hommes ? Quelle mauvaise surprise pour Jean- Jacques Bourdin ! Lui justement , qui a la chance d’avoir pour épouse une femme aussi belle que brillante , aurait eu l’ impertinence d’embrasser sa secrétaire dans une piscine . Il nageait . C’est ce qu’ on fait normalement dans une piscine . Surtout lui , qui est sportif . Je l’ai vu s’entraîner dans la salle de gym . Donc , il y a huit ans , par une belle journée ensoleillée , il profite de ces quelques jours de repos pour nager et voilà qu’il rencontre sa secrétaire et qu’il lui fait un bisou . « Ah non , me répondront les accusatrices de notre époque puritaine et hargneuse «  il a voulu lui rouler une pelle «  et quand bien même ? Je n’y crois pas car ce n’est pas crédible . Mais quand bien même ? Je ne les compte pas , les fois dans ma vie où j’ai roulé des pelles à des mecs qui ne s’y attendaient pas , les fois où j’ai caressé des museaux ou des fesses qui ne m’appartenaient pas . Personne ne m’a dénoncée pour ces graves actes de harcèlement dont je n’étais pas consciente . Maintenant que je suis vieille , je regrette l’époque où les mecs me regardaient dans les yeux ou me prenaient par la taille . J’aimais qu’on me désire même si je ne désirais pas et je désirais les beaux mecs même si je ne leur plaisais pas . Et alors ? On ne parle pas de viol ni de pédophilie , qui sont des actes criminels . Mais un baiser de Jean- Jacques Bourdin ?? Il y a pire quand même .Cette histoire n’est pas une histoire , car elle n’est pas crédible . Il faut arrêter d’ emmerder les Français ( pour employer les mots de notre président )

L‘évènement

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C‘est un film d‘Audrey Diwan, basé sur le roman autobiographique éponyme d‘Annie Ernaux .

Je l‘ai vu avec beaucoup d‘émotion , car je me suis revue à cette époque- la mienne .On employait des mots comme fille-mère pour celles d‘entre nous qui avaient des enfants en-dehors du mariage et nos familles nous rejetaient . On ne donnait la pilule qu‘aux femmes mariées . Avoir envie de sexe n‘était qu‘une prérogative masculine . Nous , on donnait notre „ fleur“ à celui qui nous épousait . S‘il baisait mal , tant pis pour nous . On n‘était pas sur terre pour avoir du plaisir , mais pour procréer en étant des femmes au foyer . 

J‘avais 18 ans quand j‘ai quitté la maison de mes parents et j‘ai fait la nounou tout en faisant des études de lettres . J‘aurais aimé faire autre chose , genre médecine ou archi . Mais il aurait fallu rester chez mes parents et rester chaste . J‘avais trop envie de liberté . Les études étaient gratuites et je lisais beaucoup , donc j‘ai réussi à la fois une licence d‘anglais et une d‘allemand . Mes parents me payaient des cours de sténo et de dactylo dans l‘espoir que je deviendrais secrétaire et que j‘épouserais le patron . Je gardais l‘argent pour manger et m‘acheter des clopes . J‘étais libre mais bohême et désordonnée . La première fois que je suis tombée enceinte , je n‘ai pas eu envie de me marier . Premier avortement . Sans anesthésie pour me punir . Mais c‘était un médecin . Il fallait avoir les moyens . Sinon c‘était les faiseuses d‘anges dans des ruelles , des sondes qui marchaient parfois en vous laissant un utérus abîmé dans le meilleur des cas et vous tuaient , dans le pire . Je vous épargnerai le reste de mes expériences , toujours douloureuses , toujours voulues . Je refusais d‘avoir honte . J‘ en parlais autour de moi . Et puis voilà : à la fin de ma vie , je clame haut et fort que je veux choisir le jour de ma mort ainsi que la manière et on me traite de tous les noms car je retarde l‘échéance . Croyez- vous qu’on a envie de mourir ? Croyez- vous qu‘on avortait de gaîté de coeur ? C‘était un déchirement chaque fois , sauf qu‘on n‘avait pas le temps de changer d‘avis . Trois mois au grand maximum . Et je n‘aurais jamais pu avorter avec un foetus de trois mois dans mon ventre . J‘ai mis trois garçons au monde . Je les ai voulus tous les trois et j‘ai enduré les nausées du début et les douleurs de la fin de la grossesse avec joie et amour pour les bébés à venir .A trois mois de grossesse , je les aimais déjà . Choisir la date de sa mort est plus difficile que je m‘y attendais , car la vieillesse ne fait pas vraiment souffrir si on n‘a pas de pathologie grave et irréversible . Pourtant , je suis convaincue qu‘il faut partir avant de se choper une maladie horrible , sauf si on veut vivre à tout prix , ce que je comprends aussi . Mais enfin , quel principe extérieur à nous doit décider pour nous du moment où nous voulons quitter la vie ? Je ne parle pas des suicides émotionnels qu‘on peut prévenir si on sait écouter . Mais une personne adulte , éclairée , capable de discernement ne devrait plus être empêchée de partir avec une aide médicale . Aucun médecin n‘ est obligé de pratiquer une IVG , si cela va à l‘encontre de ses croyances . On n‘oblige aucun médecin belge à pratiquer une euthanasie . Cependant , on ne punit pas ceux qui aident une femme à ne pas subir sa grossesse , si telle est sa décision . Pourquoi punit- on encore un médecin en France qui aide son patient à mourir ? Au nom de quoi oblige-t- on les patients français – qui en ont les moyens – à aller mourir en Belgique ou en Suisse ? Tout comme dans ma jeunesse , celles de nous qui en avions les moyens nous partions en Angleterre , en Suisse ou en Hollande pour nous faire avorter ? Quand admettrons- nous enfin que si c‘est un dieu qui nous a créés , il nous a créés sexués et mortels ?  Si c’est ainsi que nous sommes faits ,pourquoi est- que le sexe et la mort restent des sujets tabous ? En France nous sommes dans notre grande majorité au courant de la Science et de l‘Evolution . Nous sommes darwiniens mais nous laissons dicter nos lois par des idéologues . Réfléchissons enfin et voyons la réalité . Les criminels ne sont pas les jeunes femmes qui voulaient être libres à l‘époque ni les vieux qui revendiquent la même liberté aujourd‘hui : celle de disposer de leurs corps . Ce sont ceux qui nous empêchent de vivre quand nous sommes jeunes et de mourir quand nous sommes vieux .

«  Si Pierre Beck avait été acquitté , il aurait fallu changer la loi en Suisse

De quelle loi parlons- nous ? De la loi suisse sur l’assistance au suicide . Et qui a affirmé qu’il aurait fallu la changer si Pierre Beck avait été acquitté ? Le co- président d’Exit Suisse Romande , Jean- Jacques Bise . Comme il est juriste , je me sens obligée de réfléchir à cette phrase qu’ il a prononcée devant un journaliste de La Tribune après la sentence du TF qui renvoie Pierre Beck au tribunal cantonal de Genève tout en l’acquittant de l’accusation la plus grave , celle d’homicide . Rappelons- nous les faits : de quel crime est accusé le docteur Pierre Beck , qui était aussi vice- président de Exit ? Il a aidé un couple d’ octogénaires à mourir ensemble . Le mari a une maladie grave et incurable . La femme souffre de polypathologies liées à son âge – 86 ans . Elle n’en fait pas état , car sa motivation principale est d’accompagner son mari dans la mort . Ils sont mariés depuis 60 ans et elle ne se voit pas lui survivre . Le docteur Beck leur prescrit le médicament à tous les deux – ce que j’aurais fait aussi à sa place ( je ne suis pas médecin , donc je n’aurais pas pu le faire ) mais qui sommes-nous pour juger ? Et en quoi ce médecin courageux et humaniste aurait- il enfreint la loi suisse ? Il ne l’a pas fait pour des motifs égoïstes et la dame était lucide et capable de discernement . C’ est tout ce que demande la loi . Alors ? Exit a décidé d’inventer ses propres règles : il faut prouver qu’on est atteint d’une maladie incurable avec des souffrances intolérables pour avoir droit à un suicide assisté , même quand on est vieux . L’âge moyen en bonne santé est 63 ans , même en Suisse . Cette dame en avait 86 . Comment imaginer et oser dire et écrire qu’elle était en parfaite santé ? Juste parce qu’on ne se plaint pas de l’arthrite , de l’arthrose , de l’ ostéoporose ou même de l’anhédonisme qui accompagnent le grand âge , cela ne signifie pas qu’on n’en souffre pas . Je suis bien placée pour le savoir avec mes 78 ans accomplis . On s’accroche à la vie – même nous , les vieux – et il faut avoir du courage et de bonnes raisons qui nous sont propres à chacun de nous pour vouloir la quitter , la vie . Le médecin a agi avec humanisme et empathie . Lorsque je suis arrivée du Vénézuéla en 2006 et que j’ai assisté à ma première AG d’ exit Suisse Alémanique , j’y ai rencontré des personnes de la qualité d’ un Werner Kriesi , d’un Hans Wehrli , d’ une Elke Baezner , d’ un docteur en droit de St Gall , Petermann , si je me souviens , qui avait écrit tout un livre sur le Natrium de Pentobarbital . Plus tard , j’ai fait la connaissance d’ un Jérôme Sobel à Lausanne . Tous des battants . Tous se battaient pour l’ autodétermination des patients à la fin de leurs vies . J’ étais impressionnée et admirative et j’espérais que la France et que l’Allemagne allaient emboîter le pas aux Suisses . Eh bien , force est de constater que c’est l’Allemagne qui a fait le choix de légiférer en février 2020 à Karlsruhe et que la France reste immobile . Les associations suisses ? Mais que font- elles ? Elles ne veulent plus se battre et ne sont pas solidaires d’un des leurs , le docteur Pierre Beck , dernier vestige d’une époque révolue ? Avons- nous vraiment changé d’époque ? Simone de Beauvoir avait prévenu les femmes : «  soyez toujours sur vos gardes , car vos libertés ne seront jamais acquises « 

En va-t- il ainsi du droit à l’autodétermination de personnes âgées qui ne veulent pas prolonger leur vieillesse ? Allons- nous condamner et / ou intimider les médecins humanistes et bienveillants , qui sont prêts à nous aider ? Réveillons- nous avant qu’il ne soit trop tard .

La vie est sacrée

C‘est la raison donnée par ceux qui s‘opposent à l‘aide médicalisée au suicide. Je suppose que certaines vies sont donc plus sacrées que d‘autres. Aujourd‘hui la France se réjouit d‘avoir vendu des Rafales à l‘Arabie Saoudite. Toutes les chaînes de télé en parlent avec orgueil et complaisance. Et pourtant , ce sont des avions de guerre. A- t- on déjà fabriqué des armes pour ne pas faire de guerre? Et que se passe-t-il lorsque des civils sont tués avec les armes que nous fabriquons et que nous vendons? Leurs vies n‘ont l‘air de préoccuper aucune des grandes hiérarchies religieuses.

Par contre, lorsqu‘un vieillard ou une personne atteinte de la maladie de Charcot ou d‘un cancer métastasé demande à ce qu‘on l‘aide à abréger sa vie, on ne peut rien faire. La vie est sacrée et c‘est Dieu qui la donne et qui la reprend. Est-ce aussi Dieu qui supervise la fabrication et la vente des Rafales? Pourquoi est-ce que personne ne se pose de questions à ce sujet  Deux poids, deux mesures? Ou simplement du business dans les deux cas? C‘est sûr qu‘un patient vivant rapporte plus qu‘un patient mort. Au fond, tous ces débats idéologiques ne recouvrent que des intérêts financiers. Il faudrait avoir l‘honnêteté de l‘admettre.

Le livre de la vie

“Ce livre suprême qu‘on ne peut ni ouvrir ni fermer à son choix . On voudrait retourner à la page où l‘on aime , mais la page où l‘on meurt est déjà sous nos doigts “(  Lamartine ) Eh oui , on le sait quand on est arrivé à la dernière page du dernier chapitre et pourtant , on hésite à la tourner ,cette page . Je vois bien que nous vieillissons tous – même ceux d’entre nous qui avons une porte de sortie – et nous ne sortons pas , à moins d‘être en grande souffrance . Cependant , lorsque nous savons que nous l’avons,cette porte de sortie , c‘est simplement rassurant . Au nom de quoi nous la refuse-t-on ? Est-ce plus légitime d‘avoir recours à un suicide violent au lieu de pouvoir simplement s‘endormir avec le bon barbiturique pour ne plus se réveiller ? Plus nous avançons en âge et moins nous avons de plaisir à vivre . Pourtant nous nous accrochons et chaque sourire , chaque mot gentil qui nous est adressé nous touche profondément , car cela ne va plus de soi . Le petit garçon qui souriait à sa maman est devenu un homme qui sourit à ses enfants .. Les amis d‘autrefois sont souvent morts ou mourants . Les nouveaux amis ? On n‘a pas de souvenirs à partager avec eux . Et pourtant , on invente des raisons pour ne pas sauter du plongeoir .

Alors je me demande comment font tous ceux qui souffrent sans issue . Pourquoi les oblige-t- on à continuer de souffrir s‘ils demandent de l‘aide pour pouvoir quitter la vie dignement ? Pourquoi ne pas respecter le droit à l‘autodétermination , qui est pourtant garanti dans toutes les constitutions européennes ? Par peur de dérives ? Mais il n‘y en a jamais eu , ni en Suisse ni dans les pays du Bénélux . Et moi qui clamais haut et fort que j‘allais mourir en 2020 , je ne suis même pas sûre d‘y arriver en 2021 . L‘année se termine et je suis encore là . Sans raison objective . Plus personne n‘a besoin de moi . Pourtant , je sens encore de l‘amour pour mes enfants et leurs petits . J‘aime encore marcher dans Paris . Lire . Relire mes poèmes préférés . J‘accepte de ne plus être qui j‘ai été .J‘accepte de reconnaître que je me suis trompée en déclarant avec tellement d’assurance que je fermerais le livre de ma vie en 2020 . Je sais que la dernière page se lit et se relit et que tout en sachant que le dernier chapitre tire à sa fin , on veut encore lire et relire la dernière ligne .lJe sais que j‘ai une porte de sortie et je voudrais tant que nous l‘ayons tous , cette porte de sortie . Ce serait un si beau cadeau de Noël pour ceux qui souffrent sans raison et aussi pour ceux et celles qui – comme moi – aiment la vie mais sont angoissés par la perspective d’une agonie sans fin , d’une vieillesse mal vécue , dans la solitude et l’abandon . Il ne faut plus accuser de “
non assistance à personne en danger “ un médecin ou un proche qui aiderait l’un ou l’une d’entre nous à partir si et quand il ou elle le souhaite . Cette loi est inutile et cruelle . Personne ne veut mourir , mais s’il le faut , acceptons la mort comme la fin naturelle de la vie . Est- ce si difficile à admettre et à comprendre ? J’admets que je me suis trompée en pensant qu’il était facile de mourir . Vous , les idéologues et les procureurs , admettez que vous vous trompez en interdisant l’accès à une mort douce à ceux d’entre nous qui vous implorons de nous accorder la clé des champs au moment qui nous paraît juste à nous et pas à vous .

Mythomane

Est-cela que je suis? Je me suis fait reprocher de ne pas être morte lorsque j’avais prévu de mourir et de ne pas avoir quitté mon appartement après avoir annoncé que j‘allais le faire. Du coup, je me sens coupable et honteuse. Pourtant, je ne mens pas. Je suis toujours sincère.

Je sais qu‘il faut se décider de mourir avant de ne plus être en mesure de le faire . Je sais aussi que je dois quitter cet appartement et je vais le faire.

Je vais aussi bientôt sauter du plongeoir sur lequel je grelotte de trouille – car oui , je suis trouillarde . Mais faut-il se focaliser sur une vieille bourge privilégiée? Je parle de moi mais je pense à tous les autres.

Ceux qui croupissent dans des mouroirs, ceux dont on prolonge la vie avec des traitements inutiles? Tous ceux qui se laissent faire car ils ne peuvent pas se défendre.

Les proches angoissés ne sachant pas tenir tête aux équipes médicales, qui sont souvent désolées de ne pas pouvoir accomplir leur devoir selon leur âme et conscience. Je parle pour la France avec sa loi Léonetti qui emprisonne les médecins et ne respecte pas les patients .

Je me rends bien compte que ce n‘ est pas facile de mourir, même en sachant qu‘on a la clé des champs. Pourquoi imaginer alors qu’une loi de liberté, une loi qui respecterait simplement l’autodétermination que garantit notre constitution sans l’appliquer, pourquoi imaginer donc que cette loi inciterait tout le monde à mourir? Très peu de gens le font dans les pays du Bénélux et en Suisse.

Pourtant les médecins peuvent y agir selon leur âme et conscience. L‘ instinct de survie est plus fort que tout et nous essayons tous de vivre le plus longtemps possible. Mais le moment vient inéluctablement, celui de devoir se détacher et de partir. Pour des raisons qui nous sont propres et diffèrent les unes des autres. Savoir expliquer sa situation à un médecin humaniste qui nous aidera le moment voulu, c’est très réconfortant. Ce n‘est pas à une équipe médicale ni à mes proches de décider quand le moment sera le juste et le bon pour moi. Chacun de nous est différent et peut – dans une démocratie – être librement qui il est. Pourquoi est- ce impossible de rester qui nous sommes au moment où nous allons mourir? Quelle force extérieure à nous doit prendre cette décision pour nous? Au nom de qui et au nom de quoi?

Je ne prétends pas détenir la vérité ni la sagesse. J‘essaie simplement de ne pas nuire à autrui en prenant des décisions qui ne concernent que moi. Et bien sûr que je m‘accroche aux fleurs sur mon passage jusqu‘au moment où la terre sera devenue tellement aride que je ne saurai plus où m‘ accrocher .

Le mois de septembre

Le voilà arrivé plus tôt que je n’ imaginais . C’ est comme la décision de mourir . Je n’ arrive ni à quitter mon appartement ni la vie . Je me rends compte qu’il faut souffrir pour prendre ce genre de décision . Il ne suffit pas de l’ imaginer et de le vouloir . C’ est une leçon de vie . Je pense néanmoins qu’il est important d’ avoir la clé des champs lorsque la vie ne ressemble plus à la Vie . C’ est sûr : la vieillesse nous oblige à nous repenser , à renoncer à la séduction , à faire un pacte honorable avec la solitude ( citation de Garcia Marquez ) à réduire considérablement ses dépenses , à ne plus trop faire la fête . Mais on peut encore militer . J’ ai la chance de parler et d’ écrire en plusieurs langues . Insister pour que cette liberté pour laquelle je me suis battue soit accessible aux autres , à ceux qui souffrent en silence et ne savent pas s’ exprimer . La loi est en train de changer en Italie . Presque tous les pays européens sont en faveur de laisser les patients faire leurs propres choix à la fin de leurs vies . Je suis le meilleur exemple qu’il n’ y a pas de dérives . L’ être humain s’ accroche à la vie aussi longtemps qu’il le peut , même quand il a accès à une mort douce . C’ est partout la même chose . Je m’ étonnais de voir tellement de vieux militer pour le suicide de bilan en Suisse . Eh bien , voilà , l’ expérience me le fait comprendre : aucun mortel ne se résigne de gaîté de coeur à mourir , pas plus qu’une femme ne se résigne de gaîté de coeur à pratiquer une IVG .

Peut- être que je déciderai de prendre mon baluchon et que je partirai quand je n’ aurai plus goût à rien et que mon corps ne m’ obéira plus . En attendant , je me balade en regardant les feuilles jaunissantes sur les gazons épars ( citation de Lamartine )

Pourquoi faut- il une loi ?

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Je suis le meilleur exemple qu’une loi humaniste ne précipite personne à se suicider . Au contraire : on accepte de vieillir – peut- être aussi de souffrir- quand on sait qu’on a une porte de sortie . Même si l’ être lucide et rationnel sait que le moment est venu de partir – si on veut partir dignement , l’ animal en nous veut continuer à vivre . L’ instinct de survie est très fort et – si on ne souffre pas le martyre – on cherche des raisons pour continuer à vivre . David Niven a fêté ses 80 ans à Château d’ Oex en Suisse . Un journaliste lui a demandé : what does it feel like to be 80 ? Et il a répondu en souriant : what is the alternative ?

Quelqu’un m’ a reproché sur le blog de retarder l’ échéance . Eh oui , en faisant des déclarations publiques , je “ m’ engageais “ à mourir à la date annoncée . Je prenais une décision rationnelle et éclairée . Et puis la vie m’ a fait un cadeau : un petit- fils qui naît le jour de mon anniversaire . Et puis soudain le Covid .On voit la manière dont sont traités les vieux . Ils meurent seuls , parfois en étouffant . C’ est inhumain . Du coup j’ ai envie de continuer à me battre pour que la loi change en France . On pourrait éviter ces morts abominables si on donnait la possibilité d’ une mort douce à ceux qui en font la demande . Les lois sont encadrées en Suisse , en Belgique et en Hollande . Il n’ y a aucune dérive nulle part . Ceux qui se sont indignés parce qu’étant en bonne santé , je voulais me donner une date pour mourir sont les mêmes qui se sont indignés parce que je ne suis pas morte . Ce qu’ils ne voient pas , c’ est que je suis libre de choisir et que tant que je le pourrai , je choisirai la vie . Au premier signe d’ une maladie incurable , je sais que je pourrai mourir . Un luxe ? Un privilège ? Non , il faut que cela devienne un droit pour tout le monde .