Colombie : Glencore et les géants miniers contestent les réglementations environnementales

Photo: mural à El Rocio, la Guajira © Isolda Agazzi

La Cour constitutionnelle a suspendu l’expansion de la mine de charbon de Cerrejon, propriété de Glencore, et mis à la porte la canadienne Eco Oro. Les deux multinationales ont porté plainte contre la Colombie, qui a décidé de renégocier ses accords de protection des investissements, à commencer par celui avec la Suisse. Reportage

« Je n’en reviens pas que Glencore demande de l’agent à la Colombie pour un dommage qu’ils ont fait à notre territoire. Nous, on ne leur a rien fait… Je ne me lasserai jamais de défendre notre droit à l’eau !», s’exclame Aura devant une mission internationale dont fait partie Alliance Sud, venue en Colombie demander au gouvernement de résilier les accords de protection de investissements (API). Ceux-ci confèrent presque exclusivement des droits aux investisseurs étrangers et des obligations aux Etats d’accueil. De surcroît, ils sont assortis d’un mécanisme de règlement des différends unique en droit international, qui permet à une entreprise étrangère de porter plainte contre l’Etat d’accueil si elle s’estime lésée sur la base du traité en vigueur entre l’Etat d’origine et l’Etat d’accueil (ISDS). Mais pas l’inverse.

Nous rencontrons cette femme Wayuu à El Rocio, minuscule communauté autochtone située aux abords de Carbones de Cerrejon, la plus grande mine à ciel ouvert de charbon d’Amérique latine et propriété exclusive de Glencore.

Elle fait référence à une plainte déposée par la multinationale suisse devant le CIRDI, un tribunal arbitral de la Banque mondiale, sur la base de l’API entre la Suisse et la Colombie, et dont le montant du dédommagement demandé n’est pas public. La raison du courroux du géant suisse des matières premières ? La décision de la Cour constitutionnelle de suspendre l’extension de la mine par suite de la déviation de l’Arrojo Bruno (un affluent du fleuve Rancheria) pour exploiter le puits de charbon La Puente. La Cour a demandé à Cerrejon de mener une étude d’impact environnemental en sept points, la déviation étant susceptible d’affecter le climat de toute la région, et de consulter 21 communautés Wayuus.

La mine de Cerrejon © Isolda Agazzi

14 sentences de la Cour constitutionnelle, aucune appliquée

« Ils ont déjà dévié 18 affluents du fleuve Rancheria, le seul qui passe en territoire wayuu, et tous se sont asséchés. Le Rio Rancheria lui-même est en danger », se désole Misael Socarras, l’un des auteurs de l’action en justice devant la Cour constitutionnelle, placé sous escorte par suite des menaces reçues et d’un essai récent d’attentat. Il nous montre le cours dévié de l’affluent, aux abords d’une immense décharge de la mine. « Autour des affluents déviés ce ne sont pas les mêmes arbres qui ont poussé, qui font de l’ombre et sont sacrés pour les Wayuus, mais des espèces intrusives.  L’eau est contaminée, dans les limites permises par la législation nationale, certes, mais pas par l’OMS et alors même que l’eau fait partie de la cosmogonie wayuu. Nous demandons que l’Arrojo Bruno retrouve son cours naturel », martèle-t-il.

5’000 enfants Wayuus seraient morts au cours de la dernière décennie à cause du manque d’eau dans la Guajira, un département semi-aride, le plus pauvre de Colombie. « La Cour constitutionnelle colombienne est très progressiste, elle a émis 14 sentences en faveur des droits humains, mais aucune n’a été réalisée car les institutions ont peur des possibles plaintes de Glencore », souligne Luisa Rodriguez, de la Fondation Heinrich Böll.

Décharge et lagune de déversement des eaux usées de Cerrejon © Isolda Agazzi

Eco Oro a gagné une plainte dans le paramo de Santurban

Glencore n’en est pas à son premier essai. Elle a été la première multinationale à porter plainte contre la Colombie en 2016, empochant 19 millions USD de dédommagement, et en a déposé deux autres par la suite: celle relative à Cerrejon et une pour laquelle elle réclame 60 millions USD. D’autres pourraient suivre. De surcroît, elle a menacé de porter plainte trois fois pour des affaires dont on ne sait rien. A ce jour, la Colombie a dû faire face à 21 plaintes connues de multinationales étrangères, pour un total de 2,8 milliards USD au moins, la plupart liées à l’extraction minière et contestant l’introduction de nouvelles réglementations environnementales.

A ce jour elle en a perdu deux (la plupart sont en cours) : la première contre Glencore et une contre Eco Oro, dont le montant de l’indemnisation n’a pas encore été fixé, mais pour laquelle la compagnie minière canadienne réclame 698 millions USD. Comme pour Glencore, la plainte d’Eco Oro fait suite à une décision de la Cour constitutionnelle de fermer ses activités par suite d’une action en justice du Comité pour la défense de l’eau et du paramo de Santurban, une montagne culminant à plus de 4’000 m d’altitude au-dessus de la ville de Bucaramanga. Le Comité est une plateforme sociale et environnementale née il y a 14 ans, avec une large assise dans la population et qui affirme avoir réussi à faire descendre dans la rue 150’000 personnes pour la défense du paramo et de l’eau.

Mine artisanale dans le paramo de Santurban © Isolda Agazzi

Mineurs artisanaux ancestraux

« La Cour constitutionnelle a déclaré qu’il ne peut pas y avoir de mine dans le paramo et a fixé la limite de celui-ci à 2’800 mètres d’altitude. Mais elle a aussi déclaré qu’il ne peut y avoir d’agriculture, ni d’élevage, ce qui crée un problème de subsistance pour les habitants et pour les deux villages de mineurs artisanaux qui s’y trouvent. Ceci a généré des malentendus malheureux entre les défenseurs de l’environnement et les habitants du paramo », regrette Juan Camilo Sarmiento Lobo, un avocat membre du Comité, alors que notre bus monte cahin caha sur des routes vertigineuses et passe devant la mine artisanale de El Volcan.

Le problème est complexe : les mines artisanales font partie du paysage de la montagne depuis le 16ème siècle, lorsque les conquistadores espagnols y ont trouvé de l’or et ont fondé Veta, étonnante petite ville coloniale aux typiques maisons blanches plantée à 3’000 d’altitude. « Certes, les mines artisanales créent des problèmes environnementaux, mais les gens en vivent et ont quitté l’agriculture pour s’adonner à cette activité. Nous promouvons l’éco-tourisme et l’agroécologie pour essayer de créer des sources alternatives de revenu, mais ce n’est pas facile », nous explique Judith, elle-même descendante d’une famille de mineurs artisanaux et convertie au tourisme durable et communautaire, nous faisant visiter une lagune perchée à 3’600 mètres d’altitude.

Train qui amène le charbon de Cerrejon à Puerto Bolivar © Isolda Agazzi

La mobilisation citoyenne paie, mais les avancées sont fragiles

« La mobilisation citoyenne paie, comme le montre le cas de Eco Oro, mais la multinationale est partie sans fermer la mine et des mineurs informels sont en train de creuser avec des explosifs et du mercure, probablement avec la complicité de l’armée. A deux reprises on a trouvé une quantité trop élevée de mercure dans l’eau de Bucaramanga », souligne un ingénieur environnemental membre du Comité, relevant au passage qu’il est dangereux de défendre l’environnement en Colombie car les mines sont gardées par l’armée et les paramilitaires.

Les militants écologistes soulignent que les avancées sont fragiles : l’entreprise émiratie Minesa a obtenu une concession en-dessous de 2’800 mètres d’altitude (la délimitation du paramo) et elle est en train d’explorer ailleurs. Ils regrettent aussi que le gouvernement ne sache même pas combien d’or est extrait par les entreprises et que celles-ci paient des royalties insignifiantes, de l’ordre de 3,2%.

Audition au Parlement le 30 mai © Isolda Agazzi

La Colombie va renégocier ses API

Face à ces plaintes de multinationales étrangères, ou aux menaces qui freinent la mise en place de règles de protection de l’environnement, le gouvernement de Gustavo Petro – le premier de gauche de l’histoire de la Colombie – a annoncé qu’il allait renégocier tous les accords de protection des investissements. « Nous allons commencer par ceux avec les Etats-Unis et avec la Suisse, a déclaré Maria Paula Arenas Quijanos, directrice des investissements étrangers au ministère du Commerce, lors d’une audience publique organisée par la mission internationale au Parlement le 30 mai. Notre intention est de renégocier certaines clauses pour rendre ces accords plus équilibrés. »

Tout comme les autres membres de la mission internationale, Alliance Sud préférerait que la Colombie dénonce ses accords sans en renégocier de nouveaux, comme l’ont fait l’Equateur et la Bolivie. Si de nouveaux sont négociés, notamment avec la Suisse, elle demande d’exclure au moins le mécanisme de règlement des différends investisseurs – Etats (ISDS) et de le remplacer par l’obligation de saisir les tribunaux internes, ou par un mécanisme de règlement des différends d’Etat à Etat, précédé par une procédure de conciliation et de médiation.

Ce d’autant plus qu’un nouveau code minier est en cours d’élaboration, pour la première fois avec la participation des communautés affectées, qui prévoit l’introduction de nouvelles réglementations environnementales.

 

 

 

 

 

 

Le mystère de la fille aux yeux cernés de khôl

Photo: filles d’une tribu d’Afrique du Nord © Lehnert & Landrock

Dans sa librairie du Caire, Edouard Lambelet a sauvé de l’oubli les photos prises par Lehnert & Landrock il y a un siècle en Afrique du Nord et conservées aujourd’hui au musée de l’Elysée à Lausanne. Elles en disent autant sur cette région du monde que sur la fascination qu’elle exerce sur les Occidentaux. Rencontre avec un Suisse qui a eu du flair

Elle me dévisage de ses grands yeux noirs cernés de khôl, un tatouage berbère au milieu du front et la tête ceinte d’une lourde parure en or. Qui est la jeune femme de cette photo en noir et blanc, achetée il y a plus de vingt ans chez Lehnert & Landrock, mythique librairie du Caire ? Et cette autre qui sourit à la vie, assise à même le sol avec son compagnon vêtu de la tunique blanche traditionnelle, dans une complicité assumée ? Je savais vaguement que ces photos avaient été prises au début du 20ème siècle en Afrique du Nord … alors quand Edouard Lambelet, l’ancien propriétaire de la librairie, est venu donner une conférence à Genève, à l’invitation de l’Association culturelle égypto-suisse, j’ai voulu en savoir plus.

Vieilles photos dans une malle en bois

Club Mohamed el-Moayyad © Lehnert & Landrock

En 1978 cet Helvète ayant « un pied au Caire et un à Nyon » décide de reprendre la librairie ouverte par son père, Kurt Lambelet, au début des années 1920. On y vendait des livres en anglais, en allemand et en français et des photos et cartes postales, avec un prix pour les Egyptiens et un pour les étrangers. « En 1982, j’ai trouvé une grande caisse en bois dans un entrepôt, contenant des plaques en verre recouvertes de poussière. Mon père m’a dit : « ce sont de vieilles photos prises au début du siècle en Tunisie, elles n’ont aucune valeur, tu peux les jeter » raconte, amusé, cet élégant octogénaire. Je n’arrivais pas à savoir d’où elles venaient…. Un jour, un Français m’a dit que c’étaient des portraits pris dans son pays d’origine, chez une tribu d’Algérie de l’est où les femmes se laissaient photographier en échange d’argent et choisissaient elles-mêmes leur mari. Les autres représentaient clairement l’Egypte. » Un cousin enseignant à Genève lui parle alors d’un nouveau musée où l’on exposait des photos en noir et blanc. Le directeur connaissait la période tunisienne de Lehnert & Landrock, mais pas la période égyptienne. Les photos ont pu être authentifiées et, avec l’aide de Pro Helvetia, 300 kg de plaques en verre transportées au musée de l’Elysée à Lausanne, où elles se trouvent toujours. Au milieu des années 1980, un jeune photographe canadien les a reproduites et elles ont connu un succès considérable.

La Suisse, point de départ d’un voyage dans le temps

Pyramides de Guizeh pendan la crue annuelle du Nil © Lehnert & Landrock

Elles relatent autant l’histoire du Proche-Orient du début du siècle dernier que le regard porté par l’Occident. Un regard qui part de Suisse : Rudolf Lehnert, photographe autrichien, et Ernst Landrock, homme d’affaires allemand, se rencontrent au bord du Léman en 1904. Attirés par l’Orient, ils décident de s’installer à Tunis et Lehnert parcourt l’Afrique du Nord pour photographier les gens, les déserts et les paysages. Il s’inscrivait dans la tradition orientaliste, un courant artistique renvoyant une image sublimée et fantasmée de l’Orient. Séparés par la première guerre mondiale, les deux associés se retrouvent à nouveau sur les rives du Léman, où ils épousent des Suissesses – pour Ernst Landrock, ce sera la grand-mère d’Edouard Lambelet.Les clichés en noir et blanc sont un extraordinaire voyage dans le temps : elles montrent la Vallée des rois pendant l’excavation de la tombe de Toutankhamon en 1926, des femmes allant chercher l’eau à la rivière, des jardins au nord du Caire, où les gens allaient passer le week-end – absorbés depuis lors par la métropole -, différentes méthodes d’irrigation et des champs de coton dans le delta du Nil.

Vendeuse de goyaves © Lehnert & Landrock

D’étonnantes photos montrent les pyramides de Gizeh pendant la crue annuelle du Nil, qui charriait le limon nécessaire aux cultures et cessa en 1971 avec la construction du barrage d’Assouan. On découvre le développement du Caire, ses premiers habitants chrétiens, le culte des morts « resté dans l’âme des Egyptiens », le premier drapeau de l’Egypte indépendante en 1923 avec les symboles musulman, chrétien et juif, « notre photo de la mosquée Quait Bey, reprise telle quelle sur le billet de 10 livres égyptienne de 1913 », et des personnages pittoresques, comme le bouquiniste accroupi devant sa librairie, le vendeur d’eau et une paysanne vendant des goyaves « qui semble irradier de de bonheur ». Il y a aussi la synagogue de la Porte du Ciel, restaurée par la communauté juive sépharade de Genève, le Groppi, un restaurant suisse bien connu, où un dîner complet avec danses coûtait 25 piastres et l’aérostat Graf Zeppelin survolant la mosquée Mohamed Ali en 1931.

Mosquée Al-Muayyad, © Lehnert & Landrock

En 2016, souhaitant prendre sa retraite, Edouard Lambelet décide de fermer la librairie. Deux anciens employés la reprennent et gardent deux magasins. Si elle a survécu à la pandémie et aux crises, c’est surtout grâce aux photos. « Rudolf Lehnert avait une vision ethnographique, esthétique, il aimait le contact avec les gens. Mais Ernst Landrock voulait quelque chose de rapide à vendre aux touristes. Mécontent, le photographe a rompu le contrat et est rentré en Tunisie en 1936. Il est enterré à Carthage », conclut le petit-fils de l’homme d’affaires. Qui aura réussi, avec son père que la nationalité suisse a aidé à surmonter les vicissitudes de la deuxième guerre mondiale, à préserver un patrimoine inestimable.


Une version de cette chronique a été publiée dans l’Echo Magazine

 

 

 

Le Fonds afghan n’a pas encore rendu un centime à l’Afghanistan

Photo: rendre quelques millions par mois à la Banque centrale d’Afghanistan aiderait à limiter l’inflation © UN Photo/Eric Kanalstein

Créée en septembre pour gérer 3,5 milliards de la Banque centrale d’Afghanistan, cette fondation sise à Genève n’a pas encore agi, visant une sécurité maximale. La Suisse semble s’aligner sur la position américaine. Mais certaines voix indépendantes commencent à s’impatienter

 Le 14 septembre, à la surprise générale, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) annonçait la création, à Genève, d’une fondation « Fund for Afghan People », avec le soutien des Etats-Unis et de la Suisse. Si le nom porte quelque peu à confusion, il s’agit bien d’une fondation de droit suisse (et non d’un fonds) censée gérer le 3,5 milliards USD de la Banque centrale d’Afghanistan (BCA) gelés aux Etats-Unis. Lors de la reprise de Kaboul par les talibans, en août 2021, Washington a bloqué les 7 milliards USD de ladite banque déposés sur son territoire, en vertu d’une loi adoptée par le Congrès qui permet de geler les fonds d’Etats soutenant le terrorisme. La moitié a été réclamée par les familles des victimes du 11 septembre et si, à ce jour, il n’est pas sûr qu’elles pourront l’utiliser car le lien avec les talibans n’est pas prouvé, cet argent est indisponible.

Restent donc les 3,5 milliards qui, à long terme, doivent être rendus à la BCA. Pour l’heure, ils dorment sur un compte de la Banque des règlements internationaux, sise à Bâle. La fondation, plus connue comme « Fonds afghan » a l’intention de les rendre au compte-gouttes. Leur but n’est pas de financer une quelconque aide humanitaire, mais de contribuer à la stabilité macroéconomique de l’Afghanistan, à réimprimer des billets de banque et à payer les arriérés lui permettant de conserver son siège dans les institutions financières internationales pour recevoir de l’aide humanitaire, voire de payer l’importation d’électricité.

Véto américain possible

Le Conseil de fondation est composé de quatre personnes : côté suisse, l’ambassadrice Alexandra Baumann, cheffe de la Division Prospérité et durabilité du DFAE ; côté afghan, deux économistes, Anwar-ul-Haq Ahady, ancien directeur de la BCA et ancien ministre des Finances et Shah Merhabi, professeur au Montgomery College ; côté américain, un représentant du Trésor, Andrew Baukol. Les décisions se prennent à l’unanimité, ce qui veut dire que si l’un des quatre membres s’oppose, rien ne se fait.

Car le temps passe et l’Afghanistan n’a toujours pas vu un centime. Le conseil de fondation a tenu la première réunion le 21 novembre à Genève, où il a décidé de recruter un cabinet d’audit externe et d’engager un secrétaire exécutif, mais aucune décision de déboursement n’a été prise, ni ne va probablement l’être de sitôt. Une deuxième réunion a eu lieu virtuellement le 16 février, où aucune décision de déboursement n’a été prise. Le fonds a décidé de chercher des financements externes pour couvrir les coûts opérationnels, ce qui nous semble être la moindre des choses.

Le Dr. Merhabi, le professeur d’économie, commence à s’impatienter. Il a déclaré au journal en ligne « In These Times » qu’au vu de la situation catastrophique en Afghanistan, il faut débourser urgemment au moins une centaine de millions USD par mois, afin de limiter l’inflation, stabiliser le taux de change et payer les importations. Mais les Etats-Unis demandent des garanties très strictes: que la BCA prouve son indépendance par rapport aux instances politiques ; qu’elle ait mis en place des contrôles adéquats contre le blanchiment d’argent et la lutte contre le terrorisme et qu’il y ait un contrôle extérieur.

Suisse alignée sur les Etats-Unis

Qu’en pense la Suisse ? Lors d’une réunion avec Alliance Sud en septembre, le DFAE nous avait assuré que la fondation serait gérée de manière totalement transparente. Contactée récemment, Alexandra Baumann nous assure qu’il est prévu de publier les procès-verbaux des séances et qu’un site Internet est en construction.

Quant à la question de savoir si le Fonds ne devrait pas commencer à rendre l’argent, l’ambassadrice s’aligne entièrement sur la position officielle du Fonds – et donc des Etats-Unis, nous semble-t-il. « Le conseil de fondation travaille selon l’objectif de la fondation, qui est de reprendre une partie des fonds de la BCA actuellement bloqués aux États-Unis, de les protéger, de les préserver pour l’avenir et de les dépenser en partie. L’objectif à long terme est de transférer les fonds non utilisés à la BCA », nous déclare-t-elle. Ajoutant que cela ne sera le cas que si celle-ci peut démontrer de manière crédible qu’elle est indépendante et a mis en place des contrôles adéquats. « La fondation et son conseil de fondation agissent de manière indépendante conformément au droit suisse. Je peux confirmer que je m’engage en faveur des objectifs susmentionnés », conclut Alexandra Baumann.

Saisie « immorale »

Pourtant le sujet commence à agiter la société civile. « Il est très préoccupant que le Fonds afghan ne soit pas très actif, ni semble-t-il, intéressé à recapitaliser la BCA, nous déclare Norah Niland, présidente de l’Afghanistan Task Team de United Against Inhumanity (UAI), un mouvement international de personnalités qui luttent contre les atrocités de la guerre. La BCA doit être en mesure de fonctionner pour résoudre les problèmes de liquidités et aider à ressusciter l’économie et le système bancaire qui se sont effondrés. Nous sommes d’accord avec le Dr Mehrabi pour dire qu’un montant mensuel relativement faible, tel que 150 millions USD, devrait être débloqué de manière contrôlée, car la Banque est en mesure de répondre aux préoccupations en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. »

Cette humanitaire expérimentée, qui a travaillé en Afghanistan, ajoute que l’action humanitaire, aussi efficace soit-elle, ne peut pas se substituer à une économie qui fonctionne. Et que « l’immoralité » de la saisie des réserves extérieures afghanes ignore la punition collective qu’elle impose aux Afghanes et aux Afghans qui ne sont pas responsables du retour des talibans à Kaboul. « L’UAI est très préoccupé par la pauvreté croissante, l’endettement, la perte des moyens de subsistance, la faim et l’hiver très rigoureux qui ajoutent à la misère du peuple afghan et le poussent vers des mécanismes d’adaptation qui vont à l’encontre de son bien-être ».

La Suisse doit s’engager pour commencer à restituer les fonds

Cette déclaration rejoint Unfreeze Afghanistan, une campagne internationale de femmes qui appellent le président Joe Biden à dégeler les fonds afghans détenus aux Etats-Unis.

Pour Alliance Sud, essayer de mettre au moins une partie des fonds « en sécurité » est une bonne chose, mais seulement s’ils peuvent être utilisés dans l’intérêt de la population afghane. Or, comme les conditions de restitution sont presque impossibles à réaliser – la BCA n’a jamais été indépendante du pouvoir, même avant les talibans -, il faut de la flexibilité dans les négociations avec le gouvernement afghan. Nous demandons à la Suisse de s’engager pour commencer à rendre, avec les précautions nécessaires, suffisamment d’argent à l’Afghanistan pour que l’économie puisse redémarrer dans l’intérêt de la population.


Cet article a été publié dans Global, le magazine d’Alliance Sud

«L’Afghanistan ne s’en sortira pas par la seule aide humanitaire»

Scène de rue en Afghanistan © Steve Evans, Citizen of the World

Erhard Bauer s’est rendu en Afghanistan a plusieurs reprises pendant 14 ans, dont de 1996 à 2004, sous le premier gouvernement taliban. Aujourd’hui il représente la Fondation Terre des hommes sur place. Celle-ci continue à employer des femmes dans la santé et l’éducation et fait de son mieux pour réintégrer l’ensemble de son personnel féminin. Interview

Comment a évolué la situation depuis le changement de régime en août 2021 ?

Le régime s’était déjà effondré avant que les Etats-Unis quittent le pays. En 2001 ils étaient partis du mauvais pied car ils avaient exclu de larges parties de la société afghane, une erreur qui n’a jamais été corrigée et qui, même aujourd’hui, est à peine admise ouvertement. En regardant la situation catastrophique actuelle, il faut trouver un coupable et il est très facile de pointer du doigt un mouvement islamiste qui a pris le pouvoir. Mais la plupart des choses allaient déjà mal avant août 2021. Ensuite, les sanctions occidentales et l’arrêt du versement des fonds étrangers au gouvernement ont causé l’effondrement du système financier et d’une grande partie des services gouvernementaux. Nous-mêmes, organisations humanitaires, n’étions plus en mesure de transférer de l’argent car l’Afghanistan a été déconnecté du système Swift. Nous faisons donc entrer les fonds par un système bancaire “non officiel” qui sert à transférer de l’argent d’un pays à l’autre.

Le soutien de l’Occident à l’Afghanistan a pourtant été important…

Avant le départ des Etats-Unis, les talibans contrôlaient déjà plus de la moitié du territoire. Le « succès » de l’Afghanistan, la création de la société civile, ne se sont produits que dans une partie du pays. Aujourd’hui, avec l’effondrement de l’économie, des villes comme Kaboul et Herat se retrouvent dans la même situation qu’une grande partie de la population au cours des vingt dernières années. Tous les progrès réalisés pour la population urbaine et les membres de la classe moyenne ont été réduits à néant.

Comment améliorer la situation ?

Les besoins sont tellement immenses que même si l’aide humanitaire était augmentée, nous ne pourrions répondre qu’aux besoins les plus urgents d’une partie de la population. L’Afghanistan ne sortira pas de cette crise économique majeure uniquement par l’aide humanitaire. Il a besoin d’un processus dans lequel toutes les forces politiques travaillent ensemble. Que nous aimions ou non ce gouvernement, que nous le reconnaissions ou non en tant qu’État, il doit y avoir une forme de dialogue pour sortir de cette situation, dans l’intérêt de la population.

Les sanctions jouent-elles un rôle ?

Ce qui a permis à ce pays de fonctionner, c’est qu’il y a encore un secteur privé, une agriculture, une petite production, des importations et des exportations. Lorsque vous coupez le système bancaire, cela n’affecte pas seulement les talibans, mais toute la population. Les sanctions ont créé aussi une inflation importante. Beaucoup de choses seraient plus faciles si elles n’étaient pas en place.

Après le départ des Etats-Unis, beaucoup de gens ont quitté le pays. Les talibans n’ont pas une grande expertise en matière d’administration et de gestion et cette fuite des cerveaux renforce l’effondrement de certaines structures. Lors du premier gouvernement taliban (1996 – 2001), beaucoup de choses fonctionnaient car l’administration s’est davantage appuyée sur les fonctionnaires qui étaient encore disponibles.


Cette interview a été publiée dans Global, le magazine d’Alliance Sud

Mort en terre d’Islam

Chronique subjective d’un enterrement en Tunisie, où la veillée du défunt à la maison, un rituel long et bien rôdé et l’entourage d’une communauté très soudée aident énormément à faire le deuil

Le cadavre est posé à même le sol, sur une fine natte en paille, recouvert d’un tissu vert aux couleurs de l’Islam. Pour la non- musulmane, c’est le choc. Il a été lavé et enroulé dans un linceul cousu sur mesure et a été veillé toute la nuit par les membres de la famille, au son des psalmodies des sourates du Coran. « Tu peux voir son visage si tu veux, mais ne le touche pas, il est pur maintenant », nous glisse-t ’on. On refuse poliment, pas le courage de regarder le mort, la mort en face.

Le décès est survenu le soir d’avant, mais dans ce pays du Maghreb où les morgues n’existent pas, l’enterrement a lieu le lendemain, voire le jour même en été. La famille élargie et les amis déjà informés se retrouvent à la maison, habillés en noir, en larmes. Des hommes s’assoient autour du corps. Dirigés par un notable en tenue traditionnelle qui connaît le Coran, ils récitent longuement des litanies dont la répétitivité et le côté incantatoire ont un effet indéniablement apaisant.

Vers 14 :30 les hommes hissent le corps dans une fourgonnette et le cortège funèbre s’ébranle, les phares clignotants, en direction de la mosquée. Les femmes n’assistent pas à l’enterrement – elles iront au cimetière le lendemain –, mais dès que le mort quitte la maison, elles éprouvent un sentiment de soulagement.

A la mosquée, le corps est mis dans un cercueil en bois, recouvert du même tissu vert et déposé devant l’entrée. Les hommes qui sortent de la prière de 15h s’arrêtent pour prier même s’ils ne connaissaient pas le défunt, au nom de la « oumma », la communauté des croyants. Le ciel est sombre, bas, l’atmosphère très pesante.

Les hommes issent le cercueil sur leurs épaules et l’amènent au cimetière, en face. Une foule masculine impressionnante s’est rassemblée pour accompagner le défunt jusqu’au tombeau. Le cadavre est sorti du cercueil et inhumé directement dans le linceul, après qu’on lui a découvert la tête pour la tourner vers La Mecque. Seul le mugissement de la mer qui se mêle aux prières amène un peu d’apaisement. Une fois le rituel accompli, les présents serrent la main des hommes de la famille proche, alignés à l’entrée du cimetière.

Un vent tempétueux agite les nuages noirs, un rayon de soleil arrive à se frayer un passage, l’arc-en-ciel apparaît sur la mer – le défunt est au ciel.

Pendant trois jours, la famille proche ne cuisine pas – elle n’a pas le droit d’allumer le gaz –, mais est nourrie par les parents et amis. Dès le lendemain de l’enterrement, l’atmosphère à la maison change complètement, elle est presque joyeuse. Au troisième jour, les parents et amis qui n’ont pas assisté aux obsèques viennent présenter un dernier hommage. Les proches ne sont jamais laissés seuls, la solidarité de la famille, des amis et de la communauté est bouleversante.

Pas de fleurs sur la tombe, mais quelques personnes bienveillantes iront jeter des graines de sésame pour que les oiseaux qui viennent picorer aident l’âme du défunt à l’envoler. Cette façon d’affronter la mort sans détour, dans un entourage chaleureux empreint d’une profonde spiritualité, est une thérapie de choc qui se révèle étonnamment efficace pour faire le deuil.


Une version de cette chronique a été publiée dans l’Echo Magazine 

 

Le Soudan du Sud condamné à payer un milliard à une entreprise libanaise

Photo: bergers au Soudan du Sud © Sonia Shah

Un tribunal arbitral a condamné Juba à payer 1 milliard USD à Vivacell, une compagnie de téléphonie mobile libanaise dont il avait suspendu la licence d’exploitation pour non-paiement d’une redevance de 66 millions. Le siège juridique de l’arbitrage serait en Suisse et le gouvernement veut faire appel devant un tribunal suisse

Alors que le Soudan du Sud suscite l’intérêt des médias à cause de la visite du pape François, qui commence aujourd’hui, une autre actualité, toute aussi cruciale pour le pays le plus jeune et l’un des plus pauvres du monde, est en train de passer largement inaperçue. Fin janvier, Juba a été condamnée par la Cour internationale d’arbitrage à verser 1 milliard USD à Vivacell, une entreprise de téléphonie mobile appartenant au groupe libanais Al Fattouch. En cause : la suspension de sa licence d’exploitation en 2018, par suite de son refus de s’acquitter d’une redevance et de taxes s’élevant à 66 millions USD.

Un milliard USD, c’est une somme exorbitante, surtout en comparaison du PNB de ce pays d’Afrique, estimé par la Banque mondiale à moins de 12 milliards USD en 2015 (mais qui pourrait être beaucoup plus bas aujourd’hui en raison du covid) et dont le PNB par habitant de 791 USD est l’avant-dernier du monde.

Comment en est-on arrivés là ? Le ministre de l’Information et des services postaux, Michael Makuei Lueth, a expliqué à la presse locale que Vivacell avait obtenu sa licence en 2008 de New Sudan, une entité créée par le Sudan People’s Libération Movement (SPLM) de John Garang pendant la guerre civile. Selon les termes de la licence, d’une durée de dix ans, Vivacell était exemptée du paiement de toute taxe et redevance. Mais les choses ont changé en 2011, lorsque le Soudan du Sud est devenu un Etat indépendant. En 2018, le ministre affirme avoir demandé à l’entreprise libanaise de renégocier la licence et de s’acquitter de la redevance, ce qu’elle a refusé de faire.

Même si le contrat avait été conclu entre une entité non souveraine et le prestataire du service avant l’indépendance du Soudan du Sud, Vivacell veut continuer à opérer dans les conditions que lui avaient accordées New Sudan.

Appel en Suisse

« Nous sommes en train de faire appel devant un tribunal suisse, qui est le centre d’arbitrage», a déclaré Makuei à la presse locale, ajoutant que le gouvernement avait débloqué 4,5 millions USD pour payer les frais de justice et engager des avocats, suisses et internationaux. Le délai était le 16 janvier, mais le gouvernement aurait demandé une prolongation.

Le jugement n’étant pas publié par la Cour internationale d’arbitrage et la Mission du Soudan du Sud à Genève n’ayant pas répondu à nos questions, il est difficile d’en savoir plus. Rambod Behboodi, un spécialiste de l’arbitrage international basé à Genève, a accepté de nous donner son avis, à condition de spécifier qu’il se base uniquement sur les articles de presse.

« Bien que la Cour internationale d’arbitrage soit basée à Paris, les parties d’un contrat peuvent définir un siège juridique différent pour une dispute, comme cela semble être la Suisse dans ce cas, explique l’avocat. Cependant lorsqu’une sentence arbitrale est rendue en Suisse, l’appel auprès du Tribunal fédéral est très limité : ce dernier ne peut pas s’exprimer sur le fond de l’affaire, mais seulement sur le non-respect de la procédure ou l’excès de juridiction. »

Si le Soudan du Sud perd en appel, que se passe-t-il s’il ne paie pas le milliard ? « Vivacell peut essayer de faire exécuter la sentence arbitrale par les tribunaux suisses si le Soudan du Sud a des actifs dans ce pays, nous répond-il. Elle peut aussi essayer de la faire exécuter dans tout autre pays où Juba a des actifs. Mais elle doit faire face à des problèmes d’immunité souveraine en dehors du Soudan du Sud : vous ne pouvez pas faire exécuter une action privée contre un État souverain dans un pays tiers, sauf dans des circonstances spécifiques. »

Bien qu’on ne connaisse pas les détails de cette affaire en raison de l’opacité qui caractérise l’arbitrage international, pour Alliance Sud elle montre toute l’absurdité de cette forme de justice privée. Un arbitre a le pouvoir de condamner l’un des pays les plus pauvres du monde à verser l’équivalent d’un dixième ou plus de sa richesse nationale à un investisseur étranger qui refusait de s’acquitter d’une redevance de quelques dizaines de millions.

« C’est le cas typique où les deux parties auraient tout intérêt à avoir recours à une procédure de médiation et conciliation, plutôt que de s’écharper devant les tribunaux », conclut Rambod Behboodi, qui est en train de mettre sur pied une telle instance à Genève.

 

La lettre du pape

Sergio Ferrari, ancien prisonnier politique argentin réfugié en Suisse, a reçu une lettre du pape François à qui il avait envoyé le livre « Ni fous ni morts ». La reconnaissance, selon lui, du travail de mémoire collective de l’association El Periscopio et qui s’inscrit dans la droite ligne de l’engagement social du pontife

Cela n’arrive pas tous les jours de recevoir une lettre du pape en personne. C’est pourtant arrivé à Sergio Ferrari le 27 décembre – pile le jour où, il y a 44 ans, il a été expulsé de l’Argentine vers la Suisse, où il avait obtenu l’asile. « Faut-il y voir un signe ? » se demande, amusé, le journaliste, installé depuis lors à Berne. La missive papale était adressée à El Periscopio, l’association des anciens détenus politiques de la prison de Coronda où lui-même a été incarcéré pendant trois ans, et qui a publié « Ni fous ni morts ». Cet ouvrage collectif narre l’enfer de la vie en prison sous la dictature, mais aussi la façon dont les auteurs, alors âgés d’une vingtaine d’années, ont rivalisé d’astuces pour survivre et ne pas devenir fous.

« Œuvrer avec audace pour une société juste et fraternelle »

Sorti en Argentine en 2003 (et déjà à sa troisième édition), le livre est paru en français en 2020. Lors de sa publication en italien, en septembre 2022, l’association a demandé à Italo Cherubini, un ami théologien qui devait se rendre au Vatican, de le remettre au pape argentin. « La lettre de François est courte, mais à notre avis elle n’est pas seulement une formalité, nous confie Sergio Ferrari. Car il y a ce passage qui dit : « je vous encourage à continuer à œuvrer avec audace pour la construction d’une société juste et fraternelle ». Sans vouloir surinterpréter, je crois qu’elle exprime la reconnaissance du pape pour notre travail de mémoire collective en faveur de la recherche de la vérité et de la justice, en vue de la construction d’une société fraternelle. »

Il ajoute que depuis le début de son pontificat, le pape argentin soutient la société civile de son pays d’origine qui se mobilise autour de la question des droits humains. Il a écrit aux mères et aux grand-mères de la Plaza de Mayo [qui recherchent les disparus de la dictature], au prix Nobel de la Paix Adolfo Perez Esquivel et, visiblement, il est capable de montrer aussi son soutien à des initiatives plus petites, mais pas banales, comme celle d’anciens prisonniers politiques. « On pense que notre témoignage collectif est le meilleur antidote pour éviter la répétition des barbaries », souffle-t-il.

Soutient du pape aux mouvements sociaux

Selon le journaliste, c’est d’autant plus important que la majorité de la hiérarchie catholique était complice de la dictature (1976 – 1983) – on parle de dictature militaire – civile – ecclésiastique. « Il y a eu une complicité active de certains secteurs de l’Eglise et un silence complice d’autres. Mais aussi une partie de l’Eglise – évêques, prêtres, sœurs – qui s’y sont opposés, détaille-t-il. A Coronda, des prêtres de la région de Rosario et Santa Fe étaient emprisonnés avec nous, et des centaines de prêtres, de religieux et de religieuses ont été portés disparus ». Jorge Bergoglio, quant à lui, était responsable des Jésuites d’Argentine.

Si Sergio Ferrari ne s’attendait pas à recevoir cette missive, il estime qu’elle est cohérente avec l’ouverture du pape envers les droits humains et la société civile. Pour preuve, François a invité plusieurs fois au Vatican les représentants des grands mouvements sociaux du monde entier, et d’Amérique latine en particulier, en tant qu’acteurs clés de la construction d’une planète différente, comme La Via Campesina, un mouvement de petits paysans. Il a aussi organisé une réunion sur l’Amazonie, où il a souligné la valeur de la terre et de sa distribution équitable.

De son côté, l’association Periscopio s’est constituée partie civile dans un procès qui, en 2018, a vu la condamnation de deux anciens directeurs de Coronda à 22 et 17 ans de détention pour crimes contre l’humanité. C’était le premier procès en Argentine contre des directeurs de prison sous la dictature et il a été instruit par la justice ordinaire, et non par la justice d’exception, qui a reconnu que le régime d’extrême sécurité, appliqué dans cette geôle et dans les autres, constituait un crime contre l’humanité – « c’est très important pour nous ! »

« Dans sa missive, le pape a ajouté une prière pour les réfugiés, ce qui reflète sa sensibilité. Dans notre association, nous nous demandons s’il y a une différence entre être torturé en prison ou mourir dans la Méditerranée en essayant de gagner l’Europe », conclut Sergio Ferrari.


Une version de cette chronique a été publiée dans l’Echo Magazine

Godland, une terre trop humaine

Godland, projeté au Festival Black Movie de Genève, narre le périple d’un prêtre danois, envoyé à la fin du 19ème siècle en Islande pour construire une église. Un voyage qui va le confronter aux aspérités de la nature et de sa condition humaine

Il pleut sur la Mer du Nord comme dans une chanson de Jacques Brel. Lucas, jeune prêtre plein de ferveur, vogue sur les flots tumultueux qui séparent le Danemark, puissance coloniale en cette fin du 19ème siècle, de l’Islande, où il est envoyé bâtir une église avant l’arrivée de l’hiver. Sur la frêle embarcation, son guide et interprète lui apprend les innombrables mots qui désignent la pluie en islandais. « Tu dois t’adapter aux gens et au pays », lui avait conseillé son supérieur, lui assurant que la mission serait difficile mais que, envoyé comme les apôtres, « aucune tâche n’est impossible ».

C’est dans cette ambiance austère que commence Godland, un film de Hlynur Palmason projeté au festival Black Movie de Genève et qui s’inspire de sept photos mouillées trouvées dans une boîte en bois en Islande. Prises par un prêtre, ce sont les toutes premières images de la côte sud-est de ce pays méconnu, redouté même par les colons danois qui étaient pourtant arrivés à y imposer la réforme protestante. Car Lucas est photographe. Il trimballe le lourd matériel photographique de l’époque pour immortaliser les habitants, quand il en croise, et les paysages abrupts. Les images du film sont comme des photos anciennes, qui en disent souvent plus long que les dialogues et se succèdent pour signifier le passage des saisons.

Si l’action est limitée, les angoisses du jeune prêtre sont bien visibles, dans cette île où la nature se déchaîne et ses accompagnateurs se montrent peu accueillants. Entre landes désolées, falaises abruptes et éruptions volcaniques qui suggèrent l’enfer, Lucas se ressource dans la force de la nature, tandis que sa nature, humaine, est mise à rude épreuve par les difficultés du voyage. Résolu à avancer, il perd des compagnons. Malade, il croit qu’il va mourir et s’en remet à Dieu.

Finalement, après avoir traversé toute l’île à cheval, c’est un homme plus mort que vif qui arrive au hameau où il doit accomplir sa mission. Un homme changé aussi, qui va devoir affronter cette fois les difficultés des relations humaines, révélant son côté aussi sombre que le ciel. « C’est terriblement beau ici », confie-t-il dans un moment de bonheur.

« Comment puis-je devenir un homme de Dieu ? », lui demande Ragnar, un Islandais avec qui il entretient des relations de plus en plus tendues « Tu dois te donner à Dieu, l’écouter. C’est plus un feeling ». La vie au village est marquée par la rencontre avec Carl et ses deux filles et par le premier mariage célébré dans l’église non encore terminée. Lorsqu’elle le sera enfin, le film s’accélère brusquement pour céder la place à des drames ourdis dans la noirceur de la nature.

Ce film profond fait parfois preuve d’une lenteur pesante. Mais la beauté terrifiante des paysages et la qualité de la photo laissent le temps de plonger dans une ambiance mystique qui invite à l’introspection. Renvoyant dos à dos la nature végétale et la nature humaine, elle sonde les failles de la géologie autant que celles de l’âme.

Face à un monde qui s’accélère et dont on peine parfois à trouver le sens, la quête de ce prêtre idéaliste nous rappelle le dépassement de soi cher à Sylvain Tesson. Dans Blanc, cet auteur à succès s’est lancé dans la traversée des Alpes à ski de randonnée, dans la neige et le froid, bravant des conditions extrêmes. La preuve peut-être que, quelle que soit l’époque, l’être humain a besoin de s’élever.


Festival Black Movie du 20 au 29 janvier à Genève. Godland projeté le 20, 25 et 28 janvier

Maroc : les « hommes libres » relèvent la tête

Photo: vie de village à la Vallée des Roses © Isolda Agazzi

Aujourd’hui 13 janvier, les Berbères fêtent le Nouvel An. La vie de ceux de l’Atlas s’améliore lentement : reconnaissance de leur langue dans la nouvelle constitution marocaine, construction de routes et électrification des villages. La Suisse soutient ce processus par un projet de tourisme durable. Celui-ci s’inscrit dans la nouvelle volonté politique du Maroc de décentraliser et valoriser la diversité de sa culture

L’ascension du M’Goun, qui culmine à 4’071 m, commence à 5h. On part du refuge Tarkddite après un bref sommeil interrompu par le hurlement des chacals. Très vite, on éteint les lampes frontales pour laisser la lune et les étoiles guider nos pas dans la nuit majestueuse qui touche à sa fin. Après avoir gravi 1’000 mètres et parcouru une longue crête battue par les vents, on arrive enfin au sommet de cette imposante montagne de l’Atlas marocain (la deuxième la plus élevée d’Afrique du Nord, après le Toubkal), déjà coiffée par la neige en cette mi-octobre.

Lessive à la Vallée des Roses © Isolda Agazzi

 Les Berbères, « hommes libres » enracinés dans la terre, la tête tournée vers le ciel

En redescendant, les derniers randonneurs de la saison croisent les derniers bergers qui amènent les moutons dans la vallée – ou effectuent une semi-transhumance vers le sud – après avoir passé l’été dans les bergeries d’altitude, dans le dénuement le plus total. Un vent froid balaie les cimes. Quelques montagnards furtifs referment prestement les portes des maisons. Sur les murs, des symboles nous rappellent qu’on est sur la terre des Berbères, « les hommes libres » : enracinés dans le sol, la tête tournée vers le ciel. D’autres habitants, emmitouflés dans d’épaisses djellabas à la capuche rabattue sur la tête, arpentent à dos de mulet des sentiers où le rouge de l’argile alterne à des striures de vert et à d’étonnantes sculptures rocheuses façonnées par l’érosion. On suit Hussein, le doyen des muletiers, « un GPS vivant qui connaît le Haut Atlas mieux que vos appareils !», qui nous propose de monter sur sa mule avec quelques mots d’encouragement en tamazight, la langue parlée par les habitants de la région.

La route et l’électricité sont arrivées au village

En longeant la rivière qui prend sa source au pied du M’Goun, on arrive aux ruines d’une maison fortifiée en argile gardant jalousement l’entrée de la vallée. Et là, la vie reprend ses droits : les villages se succèdent, avec les typiques maisons rouges aux toits plats et les cours intérieures où sèche le maïs et s’entassent les moutons. Dans les champs, les hommes sont affairés à cueillir les pommes et les femmes courbées à cultiver pommes de terre et carottes. A la rivière, elles lavent le linge et l’orge pour le couscous du soir. De l’école nous parvient la litanie des enfants reprenant en chœur les paroles du maître. Sur le chemin, ils nous demandent des stylos, des bonbons ou quelques dirhams (la monnaie locale) en arabe, langue qu’ils apprennent à l’école car à la maison ils parlent berbère.

La vie est simple, mais paisible dans cette vallée d’Ouzighimt. « Il y a quelques années, les habitants ont manifesté pour revendiquer leurs droits. Et ils ont eu gain de cause : ils ont obtenu l’électricité et une route goudronnée, nous déclare fièrement Hassan Radi, qui a été élu à trois reprises vice-président de l’association de son village. La situation des Berbères s’est beaucoup améliorée ces dernières années. Maintenant dans chaque village il y a des associations très efficaces qui gèrent les canalisation, l’installation d’eau potable et de panneaux solaires. Et le berbère est reconnu comme langue officielle dans la nouvelle constitution marocaine de 2011. »

Et quand la route cède par suite du débordement de la rivière, c’est toute la solidarité villageoise qui se mobilise pour installer des planches de fortune sous les roues des véhicules car « les habitants arrivent toujours avant l’Etat !», nous assure-t-on.

Entrée d’un village berbère © Isolda Agazzi

Les Berbères du désert bloqués par la fermeture des frontières

Si tout le monde salue la construction de la route, les vieilles habitudes ont la vie dure. Pour passer de la vallée d’Ouzighimt à celle d’Aît Mraou, les gorges d’Achabou restent la voie de communication la plus rapide. Il faut cinq bonnes heures pour les parcourir à pied, dans une eau qui ne dépasse pas les dix degrés ; un peu moins à dos de mulet. Des parois d’argile à la majesté de cathédrales semblent étreindre un canyon qui devient de plus en plus étroit, dans une symphonie de rose et de rouge, le murmure de la rivière en bruit de fond et, à l’approche des villages, l’appel à la prière du muezzin emportée par le vent.

En continuant à longer la rivière M’Goun, on arrive à la Vallée des Roses et à ses kasbahs, d’anciennes maisons fortifiées sur plusieurs étages avec une cour intérieure, qui appartenaient à des gens riches et puissants. Beaucoup de ceux-ci sont devenus des « yeux de l’Etat » (moqaddem), une péculiarité marocaine, à savoir des fonctionnaires chargés de la sécurité et du contrôle des citoyens et à qui les habitants s’adressent en premier en cas de problème.

Au Ksar (ensemble de kasbahs) de Ait Ben Haddou, on tombe sur Rachid Chalala, un Tamashek (Berbère du désert) en train de vendre des souvenirs aux touristes. « Dans les années 1970 – 1980, je traversais le Sahara avec les caravanes pour amener du sel au Mali et au Niger et ramener des céréales. Mais maintenant les frontières sont fermées », regrette-t-il. Tombouctou, 52 jours, indique pourtant un panneau mythique à Zagora, ville du sud et porte d’entrée du désert. C’était une autre époque : aujourd’hui les « hommes libres » du sud marocain sont prisonniers des aléas de la géopolitique.


 

Dans les gorges d’Achabou © Isolda Agazzi

La Coopération suisse soutient le tourisme durable dans le Géoparc M’Goun

Du 14 au 17 octobre s’est déroulé, dans la vallée contigüe de Ait Bouguemez, le marathon de l’Atlas. Il était co-sponsorisé par le SECO (le Secrétariat d’Etat à l’économie de la Suisse) dans le cadre du projet de tourisme durable Suisse-Maroc, mis en œuvre par la fondation suisse Swisscontact. « C’était la première édition, elle a attiré une centaine de coureurs et 200 visiteurs. A l’avenir, on voudrait en faire un événement plus important pour promouvoir le tourisme durable Suisse – Maroc », nous indique Didier Krumm, le responsable de Swisscontact au Maroc et du projet mandaté par le SECO. Ce projet promeut le tourisme durable dans la région de Béni Mellal-Khenifra y compris dans le Géoparc M’Goun, à commencer par la rénovation des gîtes.

Ces activités s’inscrivent dans la meilleure reconnaissance, dans la constitution et la politique marocaine, de la berbérité du royaume. Celui-ci, affirme l’expert, a fait beaucoup d’efforts pour développer les zones rurales, qui sont désormais couvertes à 98% par les routes et les infrastructures. « L’année dernière ils ont lancé les Assises nationales du développement humain, avec le souci de mieux reconnaître la diversité de la culture marocaine, en incluant les Berbères et les Juifs marocains, continue-t ’il. Il y a aussi un gros effort de régionalisation et décentralisation des services de l’Etat : les conseils régionaux et la société civile montent en puissance pour développer le territoire, l’économie et les infrastructures et un fonds spécifique a été créé pour financer les petites associations. Nous-mêmes travaillons avec le conseil régional chargé de développer le tourisme et accompagnons la décentralisation en renforçant les capacités au niveau local J’aime beaucoup la mentalité des Berbères, ils sont très accueillants, collaboratifs et motivés à faire bouger les choses. !»

Les Berbères sont les habitants autochtones d’Afrique du Nord. C’est au Maroc qu’ils sont le plus nombreux : ils représentent quelque 60% de la population et 27% – 40% des 35 millions de Marocains sont berbérophones.


Ce reportage a été publié dans l’Echo Magazine

La Suisse doit résilier la Charte de l’énergie

De plus en plus de pays se retirent du Traité sur la Charte de l’Energie, qui protège les investissements dans les énergies, mêmes fossiles, et retarde la transition énergétique. La Suisse n’a aucune intention de résilier le traité, mais pour Alliance Sud elle devrait le faire

 En 2019, le Nord Stream 2 a porté plainte contre l’Union européenne (UE), lui reprochant sa décision d’amender une nouvelle directive sur le gaz afin d’imposer les mêmes standards aux pipelines opérant à l’intérieur de son territoire qu’à ceux qui y entrent. L’entreprise affirme que ces dispositions violent, entre autres, les clauses du traitement juste et équitable, de la nation la plus favorisée et de l’expropriation indirecte contenues dans le Traité sur la Charte de l’Energie (TCE). En vigueur depuis 1998, celui-ci protège les investissements étrangers dans l’énergie, dont les énergies fossiles. Il compte 53 Etats parties, pour la plupart des pays industrialisés, dont la Suisse et l’UE, mais pas seulement : l’Afghanistan, le Yémen, la Mongolie et les pays d’Asie centrale y ont adhéré aussi.

Or Nord Stream 2, censé transporter du gaz naturel de la Russie à l’Allemagne, était – elle a fait faillite au début de l’année – une entreprise suisse : bien qu’appartenant à la compagnie d’Etat russe Gazprom, son siège était à Zoug. Ce pipeline controversé n’est cependant jamais entré en fonction car l’Allemagne a bloqué le projet le 22 février, suite à l’invasion russe de l’Ukraine.

Six plaintes d’investisseurs suisses sur la base de la Charte de l’Energie

Sur les 43 plaintes connues d’investisseurs suisses devant des tribunaux arbitraux, six reposent sur la Charte de l’Energie : trois contre l’Espagne (deux sont encore en cours et une a été remportée par l’investisseur, Operafund) ; une contre la Roumanie (par Alpiq, qui a perdu) ; et une contre la Pologne (perdue par l’investisseur suisse, Festorino).

L’Espagne doit faire face à un record de cinquante plaintes au bas mot, la plupart du temps pour avoir coupé les subventions aux énergies renouvelables. Selon les calculs du Transnational Institute, les dédommagements réclamés par les investisseurs étrangers dépasseraient les 7 milliards d’euros au moins. Dès lors, ce n’est pas étonnant que Madrid ait décidé de résilier le traité, tout comme la France, la Pologne, les Pays-Bas et l’Allemagne. La Belgique et d’autres pays européens sont en train d’y réfléchir. « Je regarde avec inquiétude revenir les hydrocarbures et les énergies fossiles les plus polluantes, a déclaré Emmanuel Macron, cité par « Le Monde ». La guerre sur le sol européen ne doit pas nous faire oublier nos exigences climatiques et notre impératif de réduction des émissions de CO2. Le fait de nous retirer de ce traité est un élément de cette stratégie. »

Selon les derniers chiffres publiés par le secrétariat de la Charte, 142 plaintes ont été déposées, mais elles pourraient être beaucoup plus nombreuses car les Etats n’ont pas l’obligation de les notifier. C’est de loin le traité qui a donné lieu au plus grand nombre de plaintes.  L’Allemagne elle-même a été attaquée à deux reprises pour sa décision de sortir du nucléaire : dans le cas Vattenfall vs Germany I, le montant de la compensation versée par Berlin à l’entreprise suédoise n’est pas connu ; dans Vattenfall vs. Germany II, la compagnie suédoise a obtenu 1’721 milliards USD de dédommagement.

La Suisse, jamais attaquée, n’a pas l’intention de sortir

La Suisse, quant à elle, n’a jamais fait l’objet d’aucune plainte sur la base du TCE – elle a fait l’objet d’une seule plainte en tout et pour tout, de la part d’un investisseur des Seychelles, encore en cours.

Dès lors, va-t-elle quitter le traité ? « Non », nous répond Jean-Christophe Füeg, chef des affaires internationales à l’Office fédéral de l’énergie, s’empressant d’ajouter que « les critiques de ce traité ignorent que celui-ci s’applique uniquement aux investissements étrangers. En d’autres termes, les investissements domestiques ou provenant de pays non-parties (Etats-Unis, Norvège, Chine, pays du Golfe, Australie, Canada…) ne sont pas couverts. »

Selon lui, la version modernisée de cette Charte, approuvée par le Conseil fédéral le 9 novembre,  devrait permettre de réduire drastiquement les plaintes et limiter la portée du traité : « L’UE comptera désormais comme une seule partie, ce qui veut dire que des plaintes d’investisseurs à l’intérieur de l’UE seront désormais exclues, ajoute-t-il. Cela réduit le TCE à un traité entre l’UE, la Grande-Bretagne, le Japon, la Turquie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Suisse, les autres parties n’ayant quasiment pas d’investisseurs. Or, plus de 95% des investissements fossiles au sein de l’UE sont soit intra-UE, soit de non-parties. Ceci permet p.ex. à certains Etats membres de l’UE de poursuivre gaiement l’exploration d’hydrocarbures (p.ex. Chypre, la Roumanie, la Grèce et même les Pays-Bas). Il est donc difficile d’adhérer à l’argument selon lequel il est vital pour le climat de viser moins de 5% des investissements fossiles par un retrait, tout en épargnant les 95% restants »

Il ajoute que la Charte de l’énergie est importante pour protéger les intérêts des investisseurs étrangers en Suisse et vice versa ; et que les investisseurs suisses ayant des investissements dans l’UE apprécient la protection juridique qu’elle leur confère : « une sortie de la Suisse irait à l’encontre de leurs intérêts », conclue-t-il.

Pour Alliance Sud, la Suisse doit sortir

Mais la version modernisée de la Charte, pourtant insuffisante pour lutter contre le changement climatique, n’est pas près d’entrer en vigueur. Alors qu’elle devait être adoptée le 22 novembre à Oulan Bator, elle a été retirée de l’agenda après que les Etats membres de l’UE ne sont pas arrivés à s’entendre. Pour l’instant, on ne sait pas si et quand elle sera remise à l’ordre du jour.

Pour Alliance Sud, la Suisse doit se joindre aux autres pays européens qui ont déjà franchi le pas et quitter ce traité. Car celui-ci permet à un investisseur étranger de porter plainte contre un Etat hôte pour tout changement réglementaire – fermeture d’une centrale à charbon, sortie du nucléaire, changement de réglementation dans les énergies renouvelables, etc. –, ce qui freine la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique. Il n’est pas acceptable que les investisseurs étrangers dans les énergies fossiles soient au-dessus des lois nationales et qu’ils aient recours à une justice privée qui leur accorde trop souvent des millions, voire des milliards de dédommagements.


Cet article a été publié dans Global, le magazine d’Alliance Sud