J’ai fait la connaissance d’Umberto Eco, l’écrivain, en lisant le livre « L’île du jour d’avant ». J’avais seize ans et il ne m’était jamais encore arrivé de lire un livre en riant de la première à la dernière page, avec des pauses pipi, pour ne pas souiller la chaise de laquelle j’avais du mal à me détacher, de peur de rater une seule ligne de ce roman qui enseignait l’histoire, la géographie et la littérature, en soulignant à chaque tournant de phrase l’ironie et l’hilarité de la folie humaine.
Depuis, Umberto Eco m’est apparu comme une de ces figures qui ancrent leur époque, une sorte de parrain intellectuel qui assure le truchement indispensable entre l’esprit d’un monde en passe de disparition et un autre qui émerge. Pas besoin de les connaître personnellement. On compte sur leur existence pour nous rassurer. Plus tard, j’ai compris que la sémiotique et son apparence bienveillante y étaient pour quelque chose : il racontait l’histoire du sens des mots et leur place dans ce monde et avait l’air d’un grand-père qui guide les jeunes à s’y retrouver.
Le changement de génération dont ces dernières années on sent les secousses, passe nécessairement par la disparition de nombre de grands noms et figures culturelles. Avec le trépas d’Umberto Eco j’ai l’impression, pourtant, que l’édifice culturel dont nous sommes héritiers se déboulonne encore un peu plus, se retrouvant encore plus vite à la dérive. Heureusement, « L’île du jour d’avant » est aussi une évocation littéraire de la découverte de la longitude, la ligne qui sépare l’hier de l’aujourd’hui ; de quoi être bien équipé pour naviguer les mers troubles qui nous attendent.