Quo Vadis Roumanie

J’hésitais pour le titre de cet article entre plusieurs références (pop)culturelles : une citation de Marx, selon lequel l’histoire se répète deux fois – la première fois comme tragédie et la deuxième, comme farce ; Roumanie – retour vers le futur ; ou encore, Roumanie – apocalypse now. J’ai choisi la référence au roman de Sienkiewicz pour la complexité qu’elle évoque des tourments de l’Empire Romain en crise, dirigé par un empereur fou disposé à mettre feu à la ville de Rome pour autant qu’il en sorte triomphant de ses ennemis imaginaires et réels.

Ceci est le sentiment que j’ai en tant que témoin de la Montagne russe de la politique roumaine des dernières deux années : un petit groupe au pouvoir est en train de mettre feu à l’économie, au système judiciaire, à l’infrastructure essentielle – routes, hôpitaux et écoles – afin de garder ses libertés et privilèges indus. N’allez pas croire, d’ailleurs, que la Montagne russe est un syntagme choisi par hasard dans ces lignes…il y a de plus en plus d’indices d’immixtion et ficelles tirées par le « grand voisin bienveillant à l’Est » sur la scène politique roumaine.

Je vous propose d’en faire un tour sous le sceau de chacune des citations proposées dans l’introduction de cet article.

Marx : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ».

Et quelle farce nous offrent les autorités roumaines, notamment dans le carnaval des horreurs que la « réforme de la Justice » (entamée en 2017) est devenue ! Non contents de légaliser la corruption et l’abus de pouvoir (de faire revoir des décisions définitives de la Court Suprême (d’il y a cinq ans et plus) dans des cas de corruption et d’exploser les complets de juges pour les transformer dans des jurys « sur mesure » à la tête du client, les dirigeants (avec la longue main du Ministre de la Justice, Tudorel Toader) ont également crée une Section d’Investigation des Magistrats afin de harceler tout magistrat qui ne se conforme pas aux mots d’ordre du politique.

Retour au futur

A ce point, intervient la référence du retour de la Roumanie au futur, car ces mesures se ressemblent à s’y méprendre à celles prises dans les années 1945 – 46 pour purger les tribunaux et la police, qui étaient à l’époque encore peuplés d’ « éléments bourgeois réactionnaires ». Notamment, la création d’un espèce d’état dans l’état, constitué de départements nichés au sein d’institutions, dont la seule mission est de surveiller et punir, sans aucune autorité administrative pour les tempérer.

Apocalypse now

De ce pas, on voit le contour du « apocalypse now ». Sous forme de farce, bien sûr, car en plus de s’en prendre à Mme. Kovesi, l’ancienne procureur en chef du parquet anti-corruption et d’essayer de saboter sa candidature au Parquet Européen contre la Corruption, la Section des Magistrats a décidé de traduire en justice Frans Timmermans, premier Vice-Président de la Commission Européenne, pour… abus de pouvoir !!!!! Et pourquoi ? Parce que, à Bucarest, on trouve que le Mécanisme de Coopération et Vérification établi à la demande des autorités roumaines en 2007 (l’année d’accès à l’UE) n’est pas « juste » envers les récentes réformes du système judiciaire qui dynamitent toute logique de justice, même celle du régime communiste.

Si tout ceci ne se jouait pas sur la peau de roumains – qui meurent dans les hôpitaux à cause des infections nosocomiales qui souvent émergent dans un contexte de corruption concernant les acquisitions des matériaux hospitaliers ; dont les enfants se font « éduquer » par des enseignants qui pensent les dictatures et la peine de mort acceptables ; qui sont suffoqués par des déchets et se font tabasser quand ils essaient de défendre leurs forêts contre le défrichage illégal (et j’en passe) – on pourrait en rire et en trouver l’absurdité géniale. Après tout, Eugène Ionesco était à moitié un « escu »…

Encore Marx…

La triste vérité est que nous devrions connaître et méditer aussi le reste de la citation de Marx dans son « 18 Brumaire » : « Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu’ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l’histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté. »*

On comprendra pourquoi les gestes de l’actuel pouvoir en Roumanie semblent calqués sur des tactiques bolchéviques russes, la préférée étant d’utiliser les mots et les idées de l’adversaire en les vidant de leurs sens et en les remplissant du sens contraire. Pour ceux qui ne le savent pas, les communistes roumains ont été parmi ceux qui se sont le plus reposé sur leurs maîtres en Russie pour s’organiser et accaparer le pouvoir après la guerre. Ces réflexes n’ont pas disparu, d’autant plus que l’actuelle classe dirigeante est encore infusée des héritiers idéologiques de ces derniers. Le cas du ministre Tudorel Toader, vaillant apparatchik du système n’est qu’un parmi des milliers.

Quo Vadis

Et pour essayer de répondre à la question dans le titre de l’article…Quo Vadis Roumanie ? A l’heure actuelle je trouve que, plus que jamais, ce pays représente un cas de civilisation. En essayant de l’analyser, on fait le tour de l’histoire des idées politiques de l’Europe : de l’ « état de nature » de Hobbes, où les hommes se lâchent à tous les excès du pouvoir « parce qu’ils peuvent » et parce que la langue commune pour gouverner a été pulvérisée, au communisme déchu de Lénine, au « surveiller et punir » de Foucault, et jusqu’à à la décadence de la démocratie, happée elle-même par l’économie et les nombres comme mode de gouvernance, favorisé par le système capitaliste.

La Roumanie a ce triste mérite de montrer à l’Europe son propre visage hideux, une sorte de portrait de Dorian Grey (voilà une référence à laquelle je n’avais pas pensé, mais me semble juste), du prix à payer pour que son visage reste en apparence lisse.

Mais nous, les roumains, nous avons aussi une chance, amère et douloureuse, de résister à ces attaques et de, finalement, nous frayer notre propre chemin politique et social, construit pas à pas, avec moins d’ « acquis communautaire » et plus de construction authentique.

*il y a dans ce contexte à se demander comment l’auteur de cette si juste analyse a pu si amèrement se tromper dans ses autres intuitions, au point d’être le père intellectuel d’un désastre qui continue à se produire, mais pour un procès intellectuel en bonne et due forme je vous dirige vers l’article de Yannis Varoufakis

Ruxandra Stoicescu

Ruxandra Stoicescu est analyste et productrice média indépendante. Depuis quatre ans elle tient le blog audio Tales of the World et enseigne les relations internationales dans divers centres universitaires en Suisse romande. Formée à l'étude des relations internationales à la lumière de l'Histoire, elle propose un blog où les questions politiques et sociales contemporaines sont examinées sous l'angle de la longue durée.

2 réponses à “Quo Vadis Roumanie

  1. C’est dommage pour la Roumanie, que l’on peut encore excuser, au vu de son histoire.
    Mais quelle honte pour l’Europe…!
    J’y inclus aussi la Suisse avec son “milliard de cohésion”, dispersé au gré de la corruption euro

  2. Fiable l’article même si le problème est réal et triste, en Roumanie la corruption a commencé en 1400 approx. et jamais a terminé, lecture obligatoire Alexandru Lapusneanu

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