Migration/réfugiés: la place de l’Université dans la Cité

Cherès Lectrices/Chers Lecteurs, cette semaine, un article par des auteurs invités, qui se trouvent chacun(e) à sa manière au coeur de la question des migrations et des réfugiés. Bonne lecture, Ruxandra Stoicescu

Les thèmes de l’in/sécurité et de la migration au cœur de l’UNIL : réflexions sur la construction de la solidarité

Rahel Kunz, enseignante à l’Université de Lausanne et Karin Mathys, membre du Collectif R

Du lundi 23 au jeudi 26 novembre, le Collectif R, composé de migrant.e.s menacé.e.s de renvoi dits « Dublin » et des personnes qui les soutiennent, a occupé la salle 1612 de l’Université de Lausanne (UNIL). Durant ces quatre jours, les étudiant.e.s et enseignant.e.s de l’UNIL ont eu l’occasion de participer à des séminaires, des ateliers et des conférences. Par cette présence symbolique et pacifique, le Collectif R a interpellé la communauté académique en sensibilisant ses membres aux drames humains qu’engendrent les politiques migratoires répressives de l’Union européenne et de la Suisse, en particulier par l’application sans limite des accords de Dublin.

Aucun cours n’a été annulé, ni perturbé. Certain.e.s professeur.e.s ont d’ailleurs tenu à poursuivre leur programme dans la salle occupée pour témoigner de leur solidarité avec les revendications du Collectif et ouvrir le débat sur les accords de Dublin. C’est notamment le cas de Mme Rahel Kunz, enseignante à la Faculté des sciences sociales et politiques, qui a donné un cours sur la sécurité internationale pour interrompre le quotidien afin de créer un espace pour accueillir et échanger avec les réfugié.e.s et le Collectif R, écouter, se laisser toucher par leurs récits, construire des solidarités, et déconstruire l’image d’une académie enfermée dans sa tour d’ivoire. Ainsi, un échange riche en expériences a eu lieu entre les réfugié.e.s, les étudiant.e.s, le Collectif R, l’enseignante et le public présent sur les liens entre l’in/sécurité, les migrations et leurs enjeux, et cela, avec l’aide précieuse de la traductrice, Mme Feven Afeworki.

Enjeux d’une vision sécuritaire de la migration

La séance s’est penchée sur les enjeux d’une vision sécuritaire de la migration. Il est en effet inquiétant de constater qu’en Europe, depuis plusieurs années, la migration est essentiellement abordée sous un angle sécuritaire par les autorités, certains partis politiques, ainsi que par les médias. De nombreux messages, diabolisant les réfugié.e.s en tant que groupe, sont notamment diffusés sur la toile et à travers d’autres canaux. Cette optique est dangereuse car elle contribue à augmenter la xénophobie et à entretenir un climat de peur. Elle trace des frontières et érige des murs entre les citoyen.ne.s européen.ne.s et les personnes en quête de protection, qui n’ont pas d’autre choix que de fuir la persécution et les conflits. Le cours visait à mettre en lumière la construction et la mise en œuvre de ce discours sécuritaire, à apprendre à le déconstruire et à imaginer des alternatives afin d’aborder le thème de la migration sous différents angles. La présence du Collectif R et des réfugié.e.s a permis d’approcher la migration dans une perspective humaniste et solidaire, d’approfondir la compréhension de l’insécurité vécue par les migrant.e.s menacé.e.s de renvoi et de porter sur le devant de la scène une réalité cachée, en donnant la parole aux personnes directement concernées.

In/sécurité pour qui ?

La séance a permis de s’interroger sur la notion d’in/sécurité. Dans le cadre d’un travail de groupe en cours, les étudiant.e.s se sont penché.e.s sur les enjeux de l’opération militaire qui s’est déroulée en septembre 2015 et dont l’objectif était de se préparer à protéger la population civile de menaces telles que les organisations criminelles, le commerce illégal et l’afflux de réfugié.e.s. À cette occasion, le Commandant divisionnaire Bölsterli soulignait : « la sécurité, ça rassemble ». Or, il convient de se demander : de quelle in/sécurité est-il question ? Qui est protégé et « rassemblé » ?  Dans ce contexte, la sécurité vise principalement à construire une unité fictive, un « nous national »  exclusif, face à ceux qui se trouvent en dehors de cette unité. Dès lors, on peut comprendre comment cette optique sécuritaire sur la migration transforme les réfugié.e.s en une « menace ». Par ailleurs, en changeant de référent et en donnant la parole aux personnes en quête de protection,  on s’aperçoit que les autorités suisses sont aussi perçues comme une menace : « On ne se sent pas en sécurité avec les autorités et elles ne se sentent pas en sécurité avec nous. C’est étrange », relève Abraham, réfugié à St-Laurent, pointant ainsi l’absurdité de la situation.

Les migrant.e.s menacé.e.s de renvoi dit « Dublin » vivent ainsi dans une insécurité constante et dans la peur d’être renvoyé.e.s vers des pays dans lesquels les conditions d’accueil ne sont pas conformes aux droits humains. Le témoignage d’Abraham traduit ce sentiment d’insécurité : « Depuis que je suis arrivé en Suisse, je ne me sens pas en sécurité. Cela fait maintenant neuf mois que je suis au refuge St-Laurent et c’est là que je me sens en sécurité ; avec les avocat.e.s, les accompagnatrices/teurs, les permanent.e.s. Les permanent.e.s doivent veiller à notre sécurité, ce qui veut aussi dire supporter notre humeur, notre caractère ». « Nous, on aimerait que la procédure d’asile commence et non que les autorités suisses aient peur de nous. On demande un refuge, qu’elles nous aident, afin d’éviter cette peur de l’insécurité », explique un réfugié du foyer collectif. Car, comme le rappelle pertinemment Michael, réfugié à St-Laurent : « Nous [les réfugiés de St-Laurent] ne sommes pas les seuls dans cette situation d’insécurité. Il y en a beaucoup d’autres en Suisse ». Dans le canton de Vaud, près de 300 personnes sont menacées de renvoi en vertu des accords de Dublin.

La construction d’un « nous solidaire »

En fin de compte, plutôt que de rassembler, l’angle sécuritaire sur la migration divise et exclut. Ce « nous national » se construit en opposition à un « nous solidaire » avec des personnes en quête de protection. La réflexion du cours se poursuit sur la base de ce questionnement : comment pouvons-nous construire un « nous solidaire » ? Abraham, réfugié menacé de renvoi Dublin, souligne l’un des principaux obstacles : « Nous ne sommes pas égaux car nous n’avons pas les mêmes droits que vous ». Une autre personne menacée de renvoi ajoute : « On se sent un peu discriminé des autres populations. On se sent différent. Comment voulez-vous qu’on dise qu’on fait partie de quelque chose ? » Ces témoignages conduisent à se demander si le « nous solidaire » ne serait qu’une illusion trompeuse et fallacieuse. Est-ce que les inégalités structurelles du monde, les « nous nationaux » et l’accès différencié aux droits divisent au point de nous empêcher de reconnaître tout ce qui nous lie et de construire des liens de solidarité ? Une étudiante soulève le défi : « Est-ce que vous arrivons à dépasser cette relation d’aide qui crée un nous et un vous et aller vers autre chose ? » Les réfugiés de St-Laurent répondent qu’il est possible de jeter les bases d’une unité entre des personnes que tant de choses semblent séparer : « Avec le Collectif R, je me sens en unité, on fonctionne comme une famille », soulève Abraham, avant que Michael poursuive : « J’aimerais remercier le Collectif R. Grâce à eux, on commence à avoir un peu de sécurité, un peu d’épaule ». Ces témoignages démontrent qu’il existe des moments et des espaces de solidarité. Ils rappellent néanmoins aussi qu’il est important de veiller à ne pas construire un « nous solidaire » étouffant les différences, les divisions, les inégalités et les accès différenciés aux droits. Ce n’est pas un « nous » homogène et acquis, mais un « nous solidaire » pluriel ; un « nous » qui se re-construit sans cesse ; un « nous » plein d’espoir, de connections et d’imagination.  

S’engager avec les personnes réfugiées

Toute solidarité commence par l’écoute et l’ouverture. Par leur présence dans la salle occupée, les enseignant.e.s et étudiant.e.s ont fait preuve d’engagement et de solidarité avec le Collectif R et les migrant.e.s menacé.e.s de renvoi. « J’ai beaucoup apprécié l’idée que l’université devienne un espace de dialogue, au-delà des débats courants qui ont lieu dans l’enceinte académique. On a donné une place à des problématiques que l’on observe habituellement de loin et je trouve important que l’on reconnecte avec le terrain et la réalité de tous ces enjeux que l’on cherche à analyser », soulève Romane, étudiante à l’UNIL. Les étudiant.e.s qui ont participé à l’expérience ont en effet été profondément touché.e.s par la rencontre avec les réfugié.e.s. Romane racconte : « Les propos qui ont été tenus m’ont beaucoup interpellée car je ne m’imaginais pas du tout que les migrant.e.s menacé.e.s de renvoi que nous avons rencontrés pouvaient ressentir un tel sentiment de peur face à l’extérieur. En effet, on entend souvent des témoignages d’insécurité du côté des ‘citoyens du pays’ face à l’immigration mais très peu par les personnes concernées. Si on ne leur donne aucune visibilité, on passe à côté de leur perception de la situation et donc d’une possible compréhension de ce qu’ils vivent ». Plusieurs étudiant.e.s ont d’ailleurs manifesté leur intérêt à se rendre au refuge afin d’échanger avec ses habitants et partager des moments conviviaux. C’est ainsi qu’une semaine après la présence du Collectif R à l’UNIL, une dizaine d’entre elles/eux se retrouvaient dans la salle paroissiale de St-Laurent. « En mettant un pied au refuge, j’ai tout de suite senti une atmosphère accueillante. L’envie de s’impliquer davantage apparaît assez vite », affirme Romane. Une autre étudiante résume son expérience : « Autant durant le cours que lorsque je me suis rendue au refuge, j’ai été énormément touchée par l’amour qu’on pouvait ressentir et observer dans les paroles, les gestes, les actes entre les membres du Collectif R et les habitants du refuge. On peut voir qu’ils ont construit des relations fortes, soudées et surtout des relations de partage mutuel ».

*Le Collectif R est composé de 180 membres qui se relaient 24h sur 24 au refuge St-Laurent pour garantir la sécurité de ses habitant.e.s. En hébergeant les personnes menacées de renvoi dit « Dublin » au refuge St-Laurent ou chez des personnalités romandes sous forme de parrainages, le Collectif R se soustrait à la règle systématique de ce type de renvois. Une fois que le délai de renvoi Dublin est dépassé, le renvoi vers le premier pays de transit ne peut plus être exécuté et la Confédération doit se pencher sur la demande d’asile. Le Collectif R organise également des actions de mobilisation, des soirées de soutien, des activités culturelles et sportives et assure une permanence Dublin à toutes les personnes menacées de renvoi.

Ruxandra Stoicescu

Ruxandra Stoicescu est analyste et productrice média indépendante. Depuis quatre ans elle tient le blog audio Tales of the World et enseigne les relations internationales dans divers centres universitaires en Suisse romande. Formée à l'étude des relations internationales à la lumière de l'Histoire, elle propose un blog où les questions politiques et sociales contemporaines sont examinées sous l'angle de la longue durée.