Climat : l’argument des « émissions historiques » ou la même Jeanette autrement coiffée

La COP21 aura tenu les unes des journaux pendant trois semaines, et aura disparu des premières pages aussi vite qu’on puisse dire « réchauffement climatique », remplacée, comme il se doit, par les régionales en France, les réfugiés et autres dérapages outre Atlantique, en bref, par le business as usual…

Si, comme moi, vous avez du mal à répondre avec précision sur quoi on s’est finalement mis d’accord, cet article se penche sur une des questions qui, de mon point de vue, reste ouverte dans le débat. Une sorte de béance dans la réflexion, qui risque de produire bien de nuisances à l’avenir si on ne s’y penche pas véritablement.

Sous le syntagme « climate justice », « justice climatique », il y a plusieurs types d’arguments et logiques qui se croisent. Parmi eux, le plus surprenant est celui selon lequel les pays « en voie de développement », qui ont fait très peu pour causer les problèmes climatiques actuels, auraient plus de droits à continuer à polluer la planète, ou, de façon plus euphémique, d’ « émettre des gaz à effet de serre » parce qu’ils sont nécessaires au développement de ces états, alors que les états avancés devraient s’en abstenir plus et soutenir les autres avec leur développement. On lisait dans The Guardian du jeudi 9 décembre la phrase conclusive de l’article sur les six grands obstacles à un accord à Paris : « Historic emissions are responsible », une citation du ministre de l’environnement indien (opinion soutenue par les chinois), qui est devenu un mantra depuis bien des années dans la bouche et dans la tête de bien d’individus.

Ces émissions « historiques » sont responsables de quoi exactement ?

Du fait que le climat réchauffe plus vite que prévu ? OUI.

Du fait qu’aucun état dans le monde ne peut véritablement continuer comme si de rien n’était avec des logiques anciennes de croissance ? OUI.

Du fait qu’il n’y a pas de volonté apparente du côté des soi-disant pays en voie de développement de changer les schémas économiques qui produisent des effets néfastes ? Eh bien, cette fois-ci, la réponse est NON .

Où sont les propositions de réforme?

Car c’est bien là où le bât blesse : personne ne nie la responsabilité que 400 ans de système économique global basé sur le pillage des ressources et principalement monopolisé par les pays occidentaux, engendre, mais très peu et trop inaudibles, sont ceux qui pointent que les pays  qui se disent victimisés  (et qui le sont) n’essayent même pas de proposer d’autres manières de faire pour devenir prospères, aujourd’hui. Se complaisant dans un discours officiel et un statut de victimes d’injustices historiques, ils ne font que renforcer le modèle d’exploitation qui mène l’humanité à sa perte.

Des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et la Russie, les fameux BRICs, et bien d’autres, sont en train de rater le rendez-vous avec l’histoire : à présent qu’ils ont atteint un niveau économique et d’instruction de leur populations assez élevé pour pouvoir amener des véritables propositions de réforme au niveau global qui pourraient présenter un autre choix que celui “occidental”, leurs élites demandent simplement un chèque en blanc pour piller à leur tour la terre et polluer l’environnement, parce que d’autres l’ont déjà fait avant eux.  En plus, sans que les profits obtenus se fassent vraiment sentir pour le reste de la population de ces pays.

Sinon, pourquoi l’Etat Indien permet aux grandes corporations de tuer ses paysans qui cultivent et produisent des sémences bio, pourquoi la Chine est si lente à mettre en place des normes de travail respectant le droits des travailleurs, pourquoi le Brésil laisse des désastres tels que la rupture du barrage minier de Minas Gerais advenir ? Pour la même raison qu’on le fait ici chez nous, en Occident : on trouve trop dur de re-structurer le système économique actuel et on préfère le nourrir, tout en jetant le blâme dans la cour des suspects habituels, au lieu de les aider à se réformer.

Une question de définition

En acceptant que le développement continue à être défini comme capacité à consommer à l’infini, comme industrialisation nécessairement polluante et globalisation de-contextualisante, les élites des pays qui crient le plus fort au loup ne font que perpétrer un système qu’ils prétendent contester ; tout en criant au néo-colonialisme, ils acceptent le plus grand colonialisme de tous, celui de l’esprit qui se joint à la majorité, parce que résister serait trop dur. Et c’est comme ça que des citoyens de ces pays qui militent véritablement pour des alternatives se retrouvent pourchassés, en prison, ou réduits au silence. Au fait, les arguments apparemment patriotiques et nationalistes clamant le droit de développement ne sont, très souvent, que des alibis pour permettre à ceux au pouvoir d’y consolider leur assise.

Ruxandra Stoicescu

Ruxandra Stoicescu est analyste et productrice média indépendante. Depuis quatre ans elle tient le blog audio Tales of the World et enseigne les relations internationales dans divers centres universitaires en Suisse romande. Formée à l'étude des relations internationales à la lumière de l'Histoire, elle propose un blog où les questions politiques et sociales contemporaines sont examinées sous l'angle de la longue durée.