Les robots ne nous auront pas!

Une fable futuriste

Chers lectrices et lecteurs, nous sommes dans la Suisse de l’année 2029, un pays prospère et pacifié, qui a su bien naviguer les eaux troubles de l’économie mondiale, s’est reconverti avec succès en un « hub » de transparence financière et est en bonne voie de résoudre les défis lancés par les vagues de réfugiés venant du monde entier en payant une certaine somme à chacun d’entre eux pour aller s’établir où bon leur semble en dehors des frontières helvétiques. C’est une manière comme une autre de partager la bonne fortune des suisses. Mais, l’innovation sociale et, disons-le, biologique de la Suisse, celle qui étonne le monde entier et confirme le génie du pays en termes d’ingénierie, est l’avènement de l’ « homme nouveau » helvétique.

Vous rappelez-vous des articles alarmistes des années 2015-2016, qui paraissaient dans la presse internationale à propos de l’avancée des robots dans la vie de tous les jours et comment ils allaient nous enlever nos jobs et nos gagne-pains ? Eh bien, en Suisse, on a trouvé un antidote à tout cela et donc, on peut dire que l’humanité toute entière a été sauvée.

Si vous voulez savoir comment ce succès a été atteint, lisez le bref entretien avec Dr. Bettinetta Fritzli Croisson, généticienne aux laboratoires Avenir Lumineux.

Dr. Fritzli Croisson, tout d’abord, de quoi parle-t-on quand on mentionne cet antidote miraculeux à l’invasion des robots dans nos vies ?

B.F.C. Eh bien, on parle tout simplement de l’avènement de robots à base humaine, une toute nouvelle espèce d’hominidés, qui exhibe la précision, détermination et résistance typique des machines, tout en gardant l’apparence et un fonctionnement globalement humains.

Et comment est-on arrivés à cette merveilleuse évolution ?

B.F.C. Comme souvent avec les grandes découvertes de l’humanité, il s’agit d’une heureuse coïncidence à laquelle personne n’avait pensé, mais qui est apparue comme fruit de certaines synergies entre le secteur tertiaire de l’économie, les services, l’industrie et la poussée constante de l’économie moderne vers une marge profit aussi grande que possible. Les évolutions génétique ne sont intervenues que dans un deuxième temps, et sans beaucoup d’intervention de notre part.

Vous avez des exemples ?

B.F.C. Typiquement, les premiers représentants de cette espèce sont apparus dans les laboratoires des services clients des grandes banques et services de téléphonie mobile au tournant du siècle. Poussés à l’innovation par une compétition acerbe, ces derniers ont du trouver des moyens pour minimiser leurs coûts tout en gardant un niveau de qualité constant de leurs services. Le premier pas à faire était de casser la chaine de responsabilité pour le service au client. Diverses manières ont été testées pour ce faire, mais la plus rentable s’est avérée le fait de limiter les paroles et les phrases que les interlocuteurs pouvaient prononcer quand les clients appelaient. Le vocabulaire limité, incluant quelques formules de politesse et des strictes consignes de décharge de responsabilité ont eu des effets bénéfiques immédiats auprès des clients, mais surtout auprès des employés.

Et comment se déroule se processus ?

B.F.C. Je vous explique : en quelques années le fait de communiquer moins et plus efficacement grâce aux formules fournies, a libéré beaucoup de ressources chez les individus, leur permettant de raccourcir les pauses au travail, avoir moins de pensées critiques et donc dédier plus de temps à répondre au téléphone de façon lapidaire et tout à fait neutre. Cette stratégie a eu comme résultat direct la diminution du nombre des appelants, ce qui a encore augmenté le chiffre d’affaires des entreprises. Le secret réside dans la limitation de paroles et pensées autorisées. Avec ceci en tête, les progrès se sont vite répandus aux autres secteurs de l’économie et la société, dans les services d’éducation, santé publique et information. Aujourd’hui nous sommes fiers de pouvoir dire que deux tiers de la population suisse et bientôt dans le monde suit ces évolutions très encourageantes, en rendant le besoin de robots obsolète.

Mais ceci ne soulève pas la critique selon laquelle la créativité de l’individu est diminuée, voir anéantie ?

B.F.C. La créativité est un attribut dépassé de nos jours. C’était en effet un élément nécessaire, voire crucial, jusqu’au siècle passé, voir même le début de celui-ci, pour arriver là où nous en sommes, mais désormais, la société doit faire son deuil de cette notion et comprendre que, vivant dans un contexte optimisé comme le nôtre, la créativité est plutôt un frein qu’un atout, car elle a un grand potentiel déstabilisateur.

Quel serait, d’après vous, l’avantage principal de l’émergence de cette nouvelle espèce d’hominidés ?

B.F.C. Vous connaissez l’argument et le risque, somme toute, réel, selon lequel l’intelligence artificielle pourrait devenir dangereuse pour l’humanité, car elle pourrait évoluer au-delà de sa programmation et de ses connexions ? Eh bien, avec l’espèce des humains-robots, contents avec les règles qu’on leur a données et limités aux émotions de base, les règles élémentaires de la politesse et sans aucune responsabilité, ce risque est absolument nul !!!

En voilà, chers lecteurs, une bonne nouvelle pour la prochaine décennie.

Ruxandra Stoicescu

Ruxandra Stoicescu est analyste et productrice média indépendante. Depuis quatre ans elle tient le blog audio Tales of the World et enseigne les relations internationales dans divers centres universitaires en Suisse romande. Formée à l'étude des relations internationales à la lumière de l'Histoire, elle propose un blog où les questions politiques et sociales contemporaines sont examinées sous l'angle de la longue durée.