Six mois après le tremblement de terre qui a chamboulé son paysage naturel et humain et presque soixante-dix ans après le début de sa quête républicaine, le Népal s’est finalement doté d’une constitution ce mois de septembre 2015. Annoncée comme une réussite majeure d’un pays trop long pris dans les filets des désaccords de ses castes et de ses dirigeants, cette nouvelle est passée largement inaperçue par le reste du monde. (Tout comme passent les efforts de reconstruction du pays après le tremblement d’avril 2015) Pourtant, l’histoire et le devenir de cette constitution représentent un exemple des tours et des détours de la construction, destruction et consolidation d’un état. Et aussi du fait qu’on n’arrête jamais de l’édifier.
Un état à la recherche d’une Constitution
A entendre mon collègue et ami Lekh Nath Paudel parler de l’Assemblée Constituante de son pays, je me disais souvent que la quête d’une constitution était l’histoire sans fin du Népal : débutée dans les années 1950, avec les réformes à la fois extorquées et payées cher au régime monarchique, son chemin fut parsemé et entravé par des tremblements et refontes incomplètes du système politique et surtout par une longue guerre civile suivie d’une décennie de processus de paix.
Quels que furent les progrès en termes de développement et droits civils et sociaux acquis durant cette longue période (pendant laquelle il y a eu six autres Constitutions, changeant chaque fois avec le régime), principalement en lien avec les demandes des Maoïstes népalais, il y avait un sentiment constant de précarité et instabilité, car tout cela survenait dans un pays sans fondations formelles qui seraient données par l’existence d’une constitution.
Du fait qu’elle fut pour si longtemps si difficile à atteindre, la Constitution s’est transformée en un enjeu majeur, car seule capable d’enchâsser et garantir les acquis des batailles livrées pendant plus d’un demi-siècle. A noter aussi, qu’au moins deux, voire trois, générations de népalais ont grandi et fonctionné au service de cette quête, ce qui explique, en partie, le taux élevé d’intérêt que les gens ont pour le processus constitutionnel.
De nos jours, malgré des lacunes importantes encore à travailler – certaines discriminations concernant la possibilité d’acquérir la citoyenneté népalaise à travers la mère, la prédominance de structures administratives territoriales sur les besoins de populations qui en débordent, et des provisions électorales concernant le seuil pour entrer au parlement – la Constitution est considérée comme une victoire et un document progressiste incluant les mécanismes nécessaires pour son amendement. C’est d’ailleurs ce qu’une majorité des dirigeants népalais considèrent comme le motif d’un blocus officieux de la part de l’Inde qui, apparemment, serait mécontente des accomplissements de son voisin.
Et l’Inde dans tout ça?
En effet, depuis l’adoption officielle du document le 20 septembre 2015, l’Inde semble avoir imposé un blocus économique de facto à la frontière avec le Népal, tout en soutenant les demandes des certaines populations ignorées (Madhesi) par les provisions de la nouvelle Constitution. La réaction au Népal est celle de surprise et frustration et celle de l’Inde d’un déni officiel et une attitude de « grand-frère » envers un voisin qui a encore des choses à apprendre de la « plus grande démocratie du monde ».
Au-delà des accusations qui fusent d’une part et d’autre, ce qui est intéressant dans ce moment est le symbolique de la Constitution : la stabilité, la maturation, l’indépendance. Car on pourrait bien soupçonner l’Inde de vouloir transmettre un message au Népal : ce n’est pas parce que vous avez mis votre maison en ordre qu’il faut oublier votre position dans le monde – petite et dépendante de vos grands voisins qui ont toujours un mot à dire sur vos affaires.
L’avenir nous dira comment le Népal et les népalais vont se débrouiller dans ce contexte trouble.
Pour le moment, une dernière note est importante afin de souligner que l’accord sur la Constitution permet aux énergies des dirigeants de se concentrer pleinement sur la reconstruction du pays, qui, comme on s’attendait quelque peu, est chaotique et partielle. Une constitution, même imparfaite, donne plus de stabilité au pays et encourage des acteurs étrangers à investir dans un pays où, on espère, on ne prendra plus les principes fondamentaux de son existence pour prétexte de s’entredéchirer aux moyens d’une corruption rampante.
On n’en aura jamais la certitude, mais les tremblements de terre et leurs centaines de répliques et secousses peuvent s’avérer autant artisans d’un état que les femmes et les hommes qui y aspirent.
Ecouter des extraits de l’entretien audio (en anglais) enregistré par Skype avec Lekh Nath Paudel, expert népalais en relations internationales.