Au début de cet été qui vient de se terminer, un cheval apeuré a semé la panique dans l’une des rues principales de Palerme, blessant au passage un vendeur de rue. Un touriste éméché s’était attaqué au cheval alors en pause de son travail consistant à tirer une charrette de touristes dans le centre-ville. Ce banal incident déclenché par une incivilité constitue l’une des conséquences du surtourisme. Le surtourisme désigne les effets négatifs du tourisme sur les résident.e.s du lieu concerné ou sur les touristes eux-mêmes. Il a fait son grand retour cet été en ces temps de « fin de pandémie ». Des réponses assez variées à ce phénomène existent, mais elles prennent rarement en compte le problème de fond, celui de la dépossession subie par les habitant.e.s. Or, c’est à elle qu’il faut répondre prioritairement.
Le surtourisme dans les villes
Le tourisme augmente de façon exponentielle. En 1950 on comptait dans le monde 25 millions d’arrivées touristiques. En 2017, 1.3 milliards. L’Organisation Mondiale du Tourisme estime ces arrivées à 1.8 milliards en 2030. Dans les villes les plus attractives du point de vue touristique, cela produit des rentrées économiques importantes pour les acteurs du secteur, mais conduit aussi à une congestion de villes entières pendant des périodes de plus en plus longues, à une pression sur les infrastructures et à une augmentation des loyers. Des mesures variées ont été prises ces dernières années comme la limitation des flux touristiques dans l’ensemble de la ville (l’interdiction des grands navires de croisière à Venise depuis 2021), ou dans le centre-ville (interdiction des cars de tourisme au centre de Paris), la limitation des logements en location de courte durée (Barcelone, Berlin, par exemple), l’arrêt de la promotion touristique (Amsterdam), ou des interdictions localisées, comme par exemple le fait de ne pas pouvoir s’assoir sur les escaliers de la Piazza di Spagna à Rome.
Sur un plan plus général, l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) a émis en 2018 une série de recommandations pour répondre au surtourisme: notamment la distribution – au cours de l’année et dans l’espace de la ville – des flux touristiques, afin de lisser les pics de fréquentation. Toutefois, les mesures prises par les villes les plus touristifiées et ces recommandations des Nations Unies ne répondent pas suffisamment à un enjeu plus général: celui de la dépossession des habitante.s.
Bienvenue à Spritzland!
Les villes italiennes illustrent de façon malheureusement spectaculaire cette dépossession. Dans une ville comme Rome, le phénomène est ancien. Le centre historique, excepté quelques poches, n’est plus un lieu de résidence pour les Romains sauf s’ils appartiennent à l’élite économique et politique. On assiste là à une gentrification touristique, qui dépasse le modèle du remplacement des résidents existants par des résidents plus aisés. C’est l’espace de vie (des rues, des places, des zones entières de la ville) qui change de logique d’usage, pour servir presqu’exclusivement la clientèle touristique.
Plus au Sud en Italie, ce phénomène est généralement plus récent. À Palerme, le centre historique a été piétonnisé en 2020. Cela a contribué à l’explosion touristique du tourisme depuis la fin de la pandémie (visible pour les acteurs du secteur, mais pas encore chiffrée par la Commune). On peut donc y observer le surtourisme en train de se faire. L’administration du maire sortant Leoluca Orlando, arrivé en fin de mandat et remplacé cet été, a visé ces dernières années une croissance du tourisme dans une ville en grande difficulté économique, comptant l’un des taux de chômage les plus élevés d’Europe. Cette politique est logique dans une ville où le potentiel touristique paraît encore sous-exploité et où la création d’emplois est nécessaire. Canaliser, organiser la « mise en tourisme » en évitant le surtourisme constitue cependant un art difficile: le point de bascule est vite atteint. À Palerme, ce point de bascule est déjà dépassé dans la zone piétonne, transformée en Spritzland, avec sa suite sans fin de bars à cocktails (dominés par la fameuse boisson orange) et ce que mon collègue géographe de l’Université de Palerme, Vincenzo Guarrasi, appelle « une movida sauvage ». La fête touristique est ici sans limites, ni d’heures, ni de bruit. Pour certains palermitains, le centre-ville est devenu invivable au quotidien. Ils en ont été dépossédés. Le même phénomène peut être observé évidemment dans de nombreuses autres villes, en Italie ou ailleurs. Pour y répondre, il faut, certes, comme le recommande l’OMT un lissage des pics, mais il s’agit aussi de mettre en place des dispositions contre la gentrification, réguler Airbnb et favoriser des agences qui, comme Wonderful Italy à Palerme, ont mis en place d’autres modèles touristiques (visant des séjours de longue durée et le recours à de petites entreprises sociales pour irriguer l’économie locale). La période post-pandémique, avec son retour au voyage, nous a ainsi rappelé cet été ce qui devrait être fait pour éviter le couplage entre tourisme et dépossession.