No Billag: la défaite d’étape des néo-thatchériens suisses

Il a beaucoup été question pendant la campagne sur No Billag du rapport entre service public et démocratie ou de la place faite aux médias privés en Suisse. On a moins commenté l’avènement d’une nouvelle génération de politiciens pour qui la société n’existe pas: n’existe que l’individu et ses choix (de consommateur). Pour cette génération, la campagne n’est sans doute qu’une défaite d’étape. Il est plus que probable qu’à l’avenir d’autres questions soient abordées avec les mêmes arguments. Et les états-majors de l’UDC et du PLR doivent se réjouir, plus ou moins secrètement suivant les cas, de l’éclosion à l’occasion de cette votation de futurs ténors de leurs partis respectifs.

Margaret Thatcher, que ces jeunes politiciens n’ont connu que dans leurs livres d’histoire, est devenue célèbre notamment pour sa formule datant de 1987: « la société n’existe pas » (‘there’s no such thing as society’). Il y a débat sur ce qu’elle entendait vraiment par là. Mais sa politique de dématèlement de l’Etat providence et du service public britanniques a fait de cette formule le condensé d’une vision individualiste radicale de la société. Cette vision s’opposait à une conception solidariste qui s’était développée après la deuxième guerre mondiale et qui trouve son origine au XIXe siècle. Contre l’idée que la société forme un organisme dont les parties sont solidaires et qu’il s’agit de créer des mécanismes assurant le partage des risques et des richesses, le thatchérisme faisait l’éloge de l’individu et défaisait les mécanismes de solidarité mis en place par l’Etat.

Lorsque les initiants de No Billag ont inlassablement répété: « il faut laisser le consommateur choisir. Il faut payer ce qu’on consomme », ils ont bégayé du Margaret Thatcher. Le clip des opposants à l’initiative, où l’on voyait un enseignant renvoyer un enfant à la maison parce qu’il ne lui donnait pas dans la main l’argent lui permettant d’accéder à la classe, pointait efficacement sur le fond du discours des initiants. Après les médias publics, fera-t-on la même chose pour l’école? Chacun paiera-t-il pour ce qu’il consomme. Pas de cours de math pour les plus démunis? Trop cher?

C’est à cette logique et pas seulement au démantèlement de la SSR que beaucoup de Suisses ont dit non. La mobilisation des milieux culturels et sportifs contre l’initiative témoigne en effet la volonté de s’y opposer. Mais ce n’est certainement pas fini. Les néo-thatchériens sont jeunes, leur message bibliquement simple peut s’appliquer selon eux à pratiquement toutes les tâches de l’Etat, en dehors de ses fonctions régaliennes. Ils ont pris le goût de l’exposition médiatique et très vite appris l’art du débat (« je ne vous ai pas coupé la parole », etc.). On peut parier qu’ils remettront le couvert…