Au milieu de la pandémie, le « solutionnisme » bat son plein. Les chercheuses et chercheurs, les politiques, les médias proposent ainsi différentes voies de sortie de crise sanitaire à plus ou moins long terme. La solution biologique par les traitements et le vaccin est celle dans laquelle les espoirs sont prioritairement investis. Cela se comprend aisément, puisqu’une telle solution pourrait freiner très significativement la pandémie et éviter qu’elle ne rebondisse par vagues successives. Cependant, ces espoirs masquent le fait que, dans le moment présent, cette pandémie, qui est un phénomène biopolitique, requiert davantage qu’un solutionnisme biologique. Jamais sans doute n’avons-nous eu autant besoin d’une expertise véritablement interdisciplinaire et d’un plan d’action qui en découle.
Toutes et tous épidémiologues
Depuis quelques semaines nous sommes toutes et tous devenus (croyons nous) épidémiologues. Nous pensons comprendre chaque jour davantage les mécanismes de diffusion et d’évolution de la pandémie. Il est heureux dans ce domaine de constater que les scientifico-sceptiques, si actifs sur la question du climat, sont en retrait sur le coronavirus. Le mot d’ordre des militants du climat – « écoutons la science » – semble en effet être entendu en cette période de crise sanitaire. Des connaissances épidémiologiques sont largement communiquées et avec la pandémie se diffuse également une culture scientifique biomédicale. C’est évidemment très positif: une bonne vulgarisation scientifique – encore trop rare à vrai dire sur la pandémie – est indispensable pour la gestion efficace de la crise.
Ecouter la science est cependant plus complexe qu’il n’y paraît car LA science n’existe pas. Les épidémiologues et infectiologues sont parfois en désaccord, sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine par exemple. Cependant un tel désaccord peut se résoudre par des moyens traditionnels: des études cliniques, actuellement en cours, vont donner lieu à des résultats et publications évaluées par des pairs et confirmer ou non les études méthodologiquement friables mais très méditiasées du Dr Raoult sur la question.
Ce qui est surtout complexe c’est de parvenir à écouter LES sciences, c’est-à-dire à entendre les expertises et les recherches dans les domaines très variés concernés par la gestion de la crise. Cela va des recherches sur les big data pour analyser la diffusion et la transmission du virus, aux sciences des médias sur la communication des mesures à prendre, en psychologie et en sociologie sur le confinement et la distance sociale de longue durée, en économie sur le financement des salaires et des indépendants ou en géographie sur la surveillance des frontières. Ces expertises ne seront en effet audibles et mobilisables que si elles sont articulées.
La pandémie comme acid test de l’interdisciplinarité
La Suisse vient de se doter d’une commission scientifique fédérale sur le coronavirus. D’autres pays, comme la France et la Suède, l’ont instaurée plus tôt. Leur tâche est aussi importante que difficile. Les débats simplistes sur l’alternative entre une priorité donnée à l’économie ou à la santé dans la gestion de la crise montre en effet à la fois la nécessité et la difficulté de la mobilisation de ces différentes expertises scientifiques. La simple juxtaposition multidisciplinaire de ces expertises nous laisse finalement devant des choix qui deviennent purement éthiques. Quelle valeur privilégier? La bourse ou la vie? Sur quelle base?
Le défi scientifique auquel nous sommes confrontés n’est donc pas seulement celui de la découverte d’un traitement ou d’un vaccin. Il s’agit de parvenir à articuler des expertises au sein de recherches communes. Que se passe-t-il, par exemple, du point de vue psychologique, sociologique, économique si le confinement, nécessaire d’un point de vue sanitaire, dure 5 ou 6 mois? Comment simuler des évolutions avec ces variables multiples? Comment développer une expertise biopolitique au-delà du solutionnisme biologique? Voilà ce qui me semble constituer le défi crucial – mais peu perçu – auquel nous sommes confrontés actuellement.
C’est très bien Ola. Il faut aussi que les humanités au sens large du terme se fassent mieux entendre pour la suite et éviter que tout ce que l’on dit sur les fraternités retrouvées, les solidarités improvisées, etc ne se perdent pas dans les flonflons de l’après virus… au profit des calculs économiques et des rentabilités … retrouvées…