Faut-il vraiment parquer l’innovation?

L’arrêté fédéral concernant le parc national de l’innovation (PNI) vient d’être accepté par le Parlement. Le PNI vise à attirer des entreprises multinationales et à les mettre en réseau avec les laboratoires des Hautes Ecoles pour stimuler l’innovation. Il se distingue des technoparcs qui sont des incubateurs de start-ups, grâce à la mise à disposition de bâtiments – souvent à proximité eux aussi des Hautes Ecoles – et de conseils aux entrepreneurs. Dans les deux cas, l’idée de base c’est que la proximité géographique d’entrepreneurs et de chercheurs sera source d’innovation et de création d’entreprises.

On peut se demander cependant si cette recette n’est pas trop dominante et trop simple. Les innovations et les innovateurs sont divers: ce qui fonctionne pour une technologie médicale ne fonctionne pas forcément pour une nouvelle plate-forme de réseau social. Ne faudrait-il pas, plutôt que de reproduire un peu partout le modèle du parc de l’innovation, promouvoir des lieux d’innovation diversifiés, adaptés à différents types d’innovation? Ne faudrait-il pas en particulier mieux prendre en compte le fait que la ville en soi est un milieu favorisant l’innovation et que beaucoup d’innovateurs seraient dans un milieu favorable si elles/ils étaient au cœur des villes?

Marseille: un centre-ville très diversifié
Marseille: un centre-ville très diversifié

Les villes comme milieux innovateurs

Plus on concentre dans un même espace des personnes diverses du point de vue de leurs professions et de leurs connaissances, plus les contacts possibles entre des mondes différents, générateurs d’innovation, sont multipliés. C’est sur la base de ce constat simple que des spécialistes des villes pensent par exemple que les villes ont historiquement inventé l’agriculture plutôt que l’inverse*. Le plaisir et la stimulation de la diversité est ce qui fait des villes des milieux attractifs. À Londres, de nombreuses start-ups recherchent ainsi les quartiers les plus vivants et les plus divers du point de vue de leur population pour s’implanter, plutôt que des zones qui sont des parcs officiels ou officieux d’innovation. Ces derniers sont en effet souvent des lieux “lisses” de l’entre-soi.

Or, pour innover, il faut être en contact avec des chercheurs et d’autres entrepreneurs, mais aussi avec des usagers multiples. Il faut pouvoir observer des modes de vie différents et imaginer ce qui correspond à des besoins ou des désirs nouveaux. La politique publique de l’innovation gagnerait donc à être à l’écoute des besoins différents des petites entreprises et des start-ups pour leur offrir plus fréquemment des possibilités d’implantation dans les friches ou autres “dents creuses” des villes. L’écosystème de l’innovation est plus complexe que la politique des parcs et les innovateurs ne se laissent pas tous facilement garer dans une place préétablie.

* Référence: Taylor, P. J.2012. “Extraordinary Cities: Early ‘City‐ness’ and the Origins of Agriculture and States”. International Journal of Urban and Regional Research, 36(3), 415-447.

 

Les réfugiés et le pouvoir des villes

Ada Colau, la récemment élue maire Podemos de Barcelone, a fait le 4 septembre un discours remarqué sur l’accueil des réfugiés. Elle s’est adressée aux réfugiés en leur disant “vous êtes les bienvenus: notre maison est votre maison”. En cela, elle exprime la politique de son parti en faveur des plus démunis. Mais, elle a aussi dit autre chose qui a été moins remarqué: “Pendant que les Etats cherchent des excuses, nous les villes, nous nous sommes organisées. En quelques jours, nous avons mis en place un réseau auquel viennent se joindre des centaines de villes”.

Autrement dit, la politique internationale n’est pas seulement l’affaire de l’Etat, espagnol en l’occurrence, mais aussi des villes. Seules et en réseau, les villes sont une force politique. Cette affirmation d’autonomie et de force à l’égard du gouvernement central témoigne de la montée en puissance des villes. Ce phénomène n’est pas toujours perçu, tant nous avons été habitués à penser la politique – et à plus forte raison la politique internationale – comme une affaire d’Etats. Angela s’entend ou pas avec François, David avec Barack…

Le progressisme des villes

Or, les villes sont des lieux clés aujourd’hui. Elles rassemblent des centres de décision économiques et politiques. Ceci n’est pas nouveau. Ce qui l’est d’avantage, c’est la réaffirmation de leur pouvoir politique et de leur autonomie. Il s’agit d’une ré-affirmation puisqu’avant le 17e siècle et la formation des Etats-Nation, les réseaux de villes – pensez à la Ligue hanséatique – étaient puissants. La prise de parole d’Ada Colau rend visible une autre face de ce pouvoir, qui est le pouvoir de solidarité. Il existe en effet aujourd’hui de nombreux réseaux de villes qui ne sont pas orientés uniquement vers la croissance économique, mais vers d’autres fins: la qualité environnementale, le commerce équitable ou l’accueil des réfugiés. Non seulement les villes sont une force politique plus affirmée, mais souvent plus progressiste aussi.

Rares sont les études sur ce sujet, mais on peut penser que cela est dû à la plus grande proximité avec les citoyens et le fait que les problèmes sont abordés de façon souvent plus concrète à l’échelle d’une ville. Ainsi, Ada Colau a lu lors de son intervention des lettres d’habitants – reçues en nombre à l’Hôtel de Ville-, qui offraient du temps et des chambres pour accueillir des réfugiés. Quand la maire de Barcelone évoque le pouvoir des villes, elle ne fait donc pas un simple effet de manche. Elle montre qu’il faut considérer les lieux du pouvoir politique aujourd’hui comme plus nombreux et plus diversifiés que nous les voyons à travers nos vieilles oeillères étatistes.