Un livre des questions : “Les indiennes” de François Berger illustré par Isabelle Breguet

Mots simples en robe dorée

La poésie de François Berger rappelle la douceur des étangs reflétant l’onctuosité des nuages et les saules lascifs. Sous l’apparente sérénité de leurs eaux, s’agite un monde obscur, qu’on devine sans jamais le voir et dont les plantes, superbes à la surface, s’enracinent dans la vase. Avocat fort connu en pays de Neuchâtel, romancier publié aux Éditions l’Âge d’Homme, François Berger dont la carrière dans la littérature émane avant tout de la poésie, est un habitué des prix littéraires puisqu’il a obtenu le Prix Louise-Labé pour Mémoire d’anges, une Distinction de la Fondation Schiller pour Gestes du Veilleur, puis le Prix Auguste-Bachelin. Pour Le Voyage de l’ange, il a reçu le prix du roman poétique de la Société de poètes et d’écrivains d’expression française. La première parution du recueil Les indiennes remonte à 1988 aux Éditions Eliane Vernay, à Genève. Epuisée depuis des années, elle vient d’être rééditée aux éditions Soleil d’Encre embellie par les tableaux de l’artiste Isabelle Breguet. Un livre au parfum de fruits, de baisers matinaux et de billets d’amour, alors que la toile des indiennes se souvient encore d’un homme jeune défilant sous les drapeaux.

François Berger est également membre de la Société européenne de la culture. Plusieurs de ses ouvrages ont été traduits en italien, roumain, macédonien, grec et arabe.

Interview : cinq questions à François Berger

Qu’est-ce qui a motivé la republication de votre recueil de poésie Les indiennes ?

Des amis, connaissances et critiques littéraires m’avaient encouragé à le rééditer.

La rencontre avec l’œuvre picturale d’Isabelle Breguet, artiste peintre neuchâteloise, laquelle a magnifiquement illustré ce livre, aura été déterminante.

Vous sentez-vous davantage poète, romancier, éditeur ou avocat ?

Depuis que j’ai fermé mon Étude d’avocat, en 2019, à Neuchâtel, et ce après quarante ans d’exercice du barreau, je puis évidemment consacrer plus de temps à l’écriture romanesque.

Est-ce à dire que je suis davantage romancier que poète, avocat ou éditeur ? Le poète, l’avocat, demeurent présents dans ma vie et à travers un gros roman que je suis en train de terminer, lequel n’est cependant point une autobiographie mais pure fiction, si tant est que celle-ci puisse être pure. J’ai également des projets éditoriaux.

Je répondrai donc que je me sens à la fois romancier, poète, avocat et éditeur, même si l’activité de romancier m’occupe plus qu’avant. Le temps investi dans un travail n’est pas le seul critère pour juger de son importance. Cependant je dois admettre être davantage romancier depuis la fermeture de mon Étude.

Les poèmes de ce recueil sont-ils un hommage à l’industrie textile qui fit les beaux jours de Neuchâtel entre le XVIIIe et le XIX siècle ?

Si hommage il y a, il est alors discret ! Mes premières sources d’inspiration menant à l’écriture des Indiennes furent certes les toiles d’indiennes neuchâteloises. Toutefois nous nous trouvons, ici, en présence d’un récit en prose poétique, librement écrit et nullement documentaire même si certains termes sont directement empruntés à l’industrie textile de l’époque.

Que publie Soleil d’Encre, votre maison d’édition ?

Soleil d’Encre a principalement pour but la réédition de grands textes littéraires (romans, poésie), mais aussi philosophiques. Il s’agit surtout d’écrits insuffisamment connus ou quelque peu oubliés et méritant d’être découverts ou redécouverts. Ont notamment été réédités les excellents Aphorismes du psychiatre et humaniste vaudois Oscar-Louis Forel, des textes connus et moins connus de Paul Valéry, réunis sous le titre de l’un d’eux : La Crise de l’esprit.

A été republié Imago, roman du seul Prix Nobel Suisse de littérature (1919) le Bâlois Carl Spitteler, à l’occasion des cent ans de la remise du Prix. J’ai été le seul, en 2019, en Suisse romande, à rééditer un roman de Spitteler, traduit en français.

Fin 2021, ma maison d’éditions a relancé un essai philosophique de l’écrivain et essayiste Claude Frochaux, L’Ordre humain, et ce avec l’aimable autorisation des éditions Gallimard.

Tout récemment a été republié Les indiennes vu que l’ouvrage était épuisé et qu’il est le résultat d’un travail commun entre l’auteur-éditeur et l’artiste peintre neuchâteloise Isabelle Breguet qui l’a illustré.

Dans quel personnage littéraire aimeriez-vous être incarné ?

Je répondrai : Le narrateur d’A la recherche du temps perdu de Proust, qui est un personnage littéraire à part entière. Ses intérêts sont multiples, entre autres la peinture, l’architecture, la musique, la nature. Il a dépeint, avec une puissance artistique et analytique jamais égalée depuis, en littérature française, les mœurs de son temps, l’amour, la jalousie, la passion, l’hypocrisie et la perversité de l’âme humaine. Aussi est-il un personnage universel.

Interview : cinq questions à Isabelle Breguet

Par quoi votre peinture est-elle inspirée ?

Intéressée par l’ambiance des cabinets de curiosités depuis mon enfance et passionnée par l’art en général, les pierres, la nature, les végétaux, les mousses et les lichens, c’est naturellement que mon travail s’en inspire. Si je dois décrire quel est le style de mon art, je dirais plutôt du surréalisme, mixant abstrait, vanités et de “points de peinture” ou Aborigen dot painting, des petits points de peinture posés sur la toile avec la pointe d’un petit bois, à la manière des aborigènes d’Australie. Mes thèmes de prédilection : l’œuf, l’amour et la vie !

Acteur principal sur une grande majorité de mes toiles, l’œuf est un symbole métaphorique du germe, mystère embryonnaire d’une vie en devenir. Sa ou plutôt devrait-on dire, ses formes si nombreuses, selon l’identité et la nature de son contenu, en font la source intarissable de mon inspiration. Sans jamais faire de projets au préalable, cet « acteur » va s’inviter de lui-même sur la toile, une fois qu’un fond de décor aura vu mes premières nuances en définir les limites de la scène.

L’œil se laisse alors entrainer dans des strates et des failles profondes, animées par une vie grouillante et bouillonnante de cellules de toutes tailles. Une multitude de petits points, avec ou sans virgule, baignant dans un liquide intercellulaire, y trouvent naturellement leur aisance, dans l’eau de la peinture acrylique.

Quels liens entretenez-vous avec la poésie ?

Amatrice des mots depuis toujours, j’écris également des petits textes à mes heures. En fait, je peins comme j’écris et inversement.

Peindre, c’est écrire de la poésie avec des couleurs ; ensuite, le spectateur est libre d’en interpréter l’histoire, le rayonnement des émotions ou la noirceur de l’esprit.

Comment avez-vous choisi les tableaux qui illustrent le livre Les indiennes ?

Avec François Berger, nous avons au préalable, sélectionné un certain nombre de toiles vibrantes et vivantes qui lui plaisaient particulièrement, puis nous avons fait un choix en fonction du texte et des résonances avec mes toiles.

Particulièrement présent dans vos tableaux, quel est le rôle pictural du doré dans votre œuvre ?

L’or qui représente fécondité, préciosité de la vie, richesse et rareté de l’instant de bonheur, est très présent dans mes toiles ; il est volontairement patiné, oxydé par le désir de donner l’idée d’une évolution, d’une maturation de la matière et l’impression que le temps a fait son œuvre !

Je ne peux pas mentionner l’or sans l’associer aux noir et au blanc, mais également par analogie, aux nuances de gris en fonction des lumières de l’instant choisi ! Le rouge et la rouille apportent le feu et l’énergie.
Mystères et chimères se cachent dans des parois fissurées ou lézardées, au gré des toiles, dans un univers à la matière patinée d’une vie passée et présente, face au destin d’une existence qui ne demande qu’à raconter sa propre histoire.

Spirales, cercles, enluminures, le mouvement y est permanent dans un silence apparent.

Mais tout cela ne serait rien, sans la véritable source d’inspiration personnelle de l’âme, au travers du pinceau. Un dialogue intérieur permanent avec son être profond et une gratitude sincère du quotidien qui nous montrent qu’il faut savoir profiter du bonheur de l’instant présent sans oublier de s’aimer !
En guise de fil rouge ou d’estampille, un point rouge. Il est le nez de clown, posé dans chaque toile comme un point de mire pour nous faire sourire !

Si vous deviez être le personnage d’un tableau, qui souhaiteriez-vous être ?

Emilie Flöge , la compagne de Gustav Klimt dans la peinture Le Baiser ! Cette toile emblématique de Klimt représente à elle seule, la puissance de l’amour et de l’instant présent d’un baiser où, tout le reste du monde n’existe plus et n’a plus aucune importance !

 

 

Altruisme en Ô Troubles, 2011. Acrylique sur Toile. Œuvre d’Isabelle Breguet.

 

Dunia Miralles

Dunia Miralles est l'auteure de SWISS TRASH, roman culte sur les milieux de la drogue à la fin des années 1980, et d'INERTIE qui a été nominé pour le Prix de l'Académie Romande, le Prix du Roman des Romands et qui a reçu le Prix Bibliomedia 2015. Autres livres: MICH-EL-LE une femme d'un autre genre, et FILLE FACILE. FOLMAGORIES est un recueil de nouvelles fantastiques en hommage à Edgar Allan Poe, Andersen, Baudelaire ou Stephen King. ALICANTE, qui surprend par sa poésie en prose mise en musique par Monojoseph, est paru en librairie en avril 2018. LE BAISER D'ANUBIA est une suite de fragments et d'aphorismes. Des mots qui emmènent le lecteur dans l'esprit d'une personne atteinte du trouble de la personnalité limite (borderline).