La drogue en anecdotes et chiffres réels
Quatre villes suisses, parmi les plus riches au monde, Zurich, St-Gall, Genève et Bâle, des métropoles connues pour leurs places financières, les multinationales qui s’y sont implantées et leur importance politique, se partagent le discutable honneur de figurer dans le Top 10 des villes européennes avec le plus fort taux de consommation de cocaïne et d’ecstasy. La onzième c’est Berne. Par ailleurs, Stephen King prétend avoir écrit des livres entiers, en quelques jours seulement, sous l’emprise de la cocaïne, et l’écrivaine Virginie Despentes dit avoir rédigé en moins d’une semaine, dopée à la coke, Les jolies choses, roman qui a reçu deux prix et dont on a tiré un film.
Success Story: une fiction totalement loufoque
Des exemples dont on pourrait déduire que, pour devenir riche et célèbre, il faut consommer des produits que la sagesse et la morale réprouvent. Un pas que les troublions de la littérature hexagonale Romain Ternaux, Johann Zarca – Prix de Flore 2017 – et les Éditions de La Goutte d’Or – Steak Machine, On ne naît pas grosse, Surdose, L’Amour sous algorithme – n’ont pas hésité à franchir dans une allégresse à défoncer toutes les bienpensances. Success Story est un feel-good irresponsable -selon le bandeau qui l’accompagne- où les drogues et l’alcool se sniffent et s’avalent à chaque page. Une énorme bouffonnerie déjantée à découvrir après avoir enfilé notre plus bel habit d’humour. Avantage de ce roman au parfum de beuh à lire sans parachute: il nous démonte les muscles zygomatiques et nous démet les méninges en nous épargnant l’hémorragie massive et la flétrissure des parois nasales.
Success Story: le fil conducteur du roman
Anna Jocelin déprime. Jeune professeure de français dans un collège de banlieue, elle déteste son travail, ses élèves et ses collègues. Son rêve de devenir écrivaine s’étiole alors qu’elle ne connaît ni l’amour, ni l’amitié, ni même le sexe. Elle est doucement en train de se noyer dans l’aigreur de sa solitude, quand sa route croise celle d’une ancienne camarade de lycée qui l’entraîne sur des chemins qu’à première vue l’on pourrait définir comme ceux de la perdition… mais…
La phrase extraite du livre :
« En plus de me découvrir une âme de dragouilleuse, je me surprends transformée en baratineuse prête à raconter n’importe quelle salade pour parvenir à ses fins».
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Success Story : interview de Romain Ternaux
Romain Ternaux dont le prochain livre, I Am Vampire, sort le 4 octobre aux éditions Aux Forges de Vulcain, a accepté de répondre à mes 5 questions. Son acolyte Johann Zarca, immergé dans la promo de Braquo sauce samouraï , son dernier roman, paru en septembre chez Fleuve Noir, n’a pas pu participer à cette interview mais… ce n’est que partie remise (j’espère).
Les rêves d’Anna Jocelin se réalisent lorsqu’elle commence à prendre des substances dopantes : alcool, MDMA, cocaïne – entre autres. Le bonheur et la réussite sociale se trouvent-ils dans les drogues ?
C’est en effet la thèse défendue dans le roman. Mais c’est un roman, justement, autrement dit une fiction. Pas une étude scientifique, ni un essai sociologique et encore moins un tract politique. Ni Johann Zarca ni moi ne faisons de « littérature engagée ». À titre personnel, je ne me soucie pas de morale quand j’écris. La morale est l’ennemie de la fiction, elle est déjà bien assez présente dans la vie quotidienne pour qu’un écrivain ait à s’en soucier au moment où il crée un monde qui n’existe même pas. La littérature ne doit pas devenir le faire-valoir d’idéologies qui ont pignon sur rue dans la réalité. Selon moi, les meilleurs romans ne sont pas là pour éduquer, mais pour immerger le lecteur dans ce qu’il ne connaît pas. Dans le meilleur des cas, ils sont un « défouloir » qui permet la catharsis : c’est en parlant des sujets sensibles qu’on parviendra à mieux cerner la réalité. En d’autres termes, si on estime que la prise outrancière de drogues et d’alcool relève du tabou, il faut absolument lire Success Story.
Vous figurez parmi les auteurs de Bizarro Fiction. Pourtant, dans Success Story l’on trouve de véritables informations. Ce mélange des genres ne risque-t-il pas de nuire au roman qui pourrait-être considéré comme une apologie de la drogue ?
D’emblée, le but de Success Story était de reprendre les codes du roman feel-good. À la rigueur, Johann Zarca et moi-même étions les derniers auteurs à pouvoir incarner ce genre de littérature, lui comme moi écrivant habituellement des romans plutôt burlesques ou cyniques. Mais nous avons joué le jeu jusqu’au bout et au final, même si la drogue y est omniprésente, Success Story est conçu comme un authentique feel-good : tous les personnages vont connaître une ascension fulgurante et trouver le bonheur, y compris les personnes âgées qui tiennent une place centrale dans l’histoire. Leur cas est rarement traité en fiction, aussi l’écriture de ce roman était-il une bonne occasion d’aborder le sujet. Nous avons injecté de nombreux éléments de réalisme, comme les conditions de vie en EHPAD ou les effets des différentes drogues, afin de renforcer la crédibilité générale du roman, mais ils ne peuvent en aucun cas constituer une quelconque apologie : Success Story s’avère au final bien trop excessif sur le fond pour être pris au pied de la lettre. C’est une fiction consciemment élaborée, comme une bonne blague racontée avec beaucoup de sérieux.
Romain Ternaux, vous vous êtes enfermé durant 3 ans afin de pouvoir écrire. Vous êtes sorti de cette “ascèse” avec une quinzaine de manuscrits. Quelques-uns sont déjà publiés – Spartacus, Le looser devenu gourou, éd. Aux Forges de Vulcain- les autres suivront. N’est-ce pas schizophrénisant de vivre cloitré avec pour seule compagnie les personnages de fiction que l’on a dans la tête ?
J’ai écrit mon premier roman Croisade apocalyptique quand j’avais 22 ans, il y a donc dix ans. Je finissais alors des études de Lettres Modernes et j’habitais dans une vieille maison en périphérie de Reims, sans prises électriques aux normes, ni Internet. Mon seul but au départ était de m’amuser, mais je me suis alors rendu compte que l’écriture pouvait constituer un palliatif à l’isolement. Quand je suis arrivé à Paris l’année suivante, j’ai exercé des petits boulots pour différentes maisons d’édition, notamment lecteur ou correcteur. Mais ce n’était pas suffisant pour gagner ma vie. J’ai donc décidé de continuer dans la voie de l’écriture : quitte à avoir peu d’argent, autant se focaliser sur ses propres romans plutôt que de travailler sur ceux des autres. Hormis mes périodes d’études ou de salariat, je me suis donc enfermé plusieurs années pour écrire un maximum, ce qui m’a amené à produire beaucoup. Même en n’écrivant qu’une seule page A4 par jour, on devient prolifique car, si on s’y tient vraiment, cela représente le premier jet d’environ quatre romans par an. Évidemment, il s’agit d’un style de vie monacal qui peut faire peur, mais ce n’est qu’une question de tempérament, et aussi le prix à payer quand on veut concrétiser le flux d’idées qui arrivent en permanence à force d’alimenter l’écriture. Finalement, je trouve plutôt sain de se confronter à soi-même sur une longue durée pour voir ce qu’il en ressort sur le papier. On peut voir ça comme une forme d’auto-analyse, sauf qu’on n’a pas à payer de psy.
D’un point de vue strictement technique, comment avez-vous écrit ce livre à quatre mains ?
Avec Johann, nous nous sommes rencontrés dans une chambre d’hôpital, lui pour un problème au genou, et moi à la hanche suite à une chute en Vélib’. L’une de ses amies lui avait apporté le best-seller Les gens heureux lisent et boivent du café pour blaguer, Johann n’étant absolument pas friand de ce genre de littérature. Cloués sur nos lits respectifs, nous nous sommes alors mis à imaginer notre propre roman feel-good pour tuer le temps. Nous avons élaboré ensemble le synopsis, les personnages principaux et l’orientation générale de l’histoire. Quelques mois plus tard, nous avons décidé de concrétiser le projet et Johann a écrit une première mouture lacunaire, qu’il m’a remise afin que je la complète à ma manière. Ensuite, c’est moi qui lui ai remis ma propre version pour qu’il la retravaille, et ainsi de suite. C’est une technique qui nous est venue naturellement et qui fonctionne bien, car l’ensemble se trouve ainsi uniformisé à chaque fois. Je l’ai appelée la « technique de la lasagne » : il s’agit de superposer plusieurs couches sur une base commune. Mais peut-être faut-il être sur la même longueur d’ondes pour que cela fonctionne aussi bien, du moins en ce qui concerne la littérature.
La question que je pose à tous les auteurs : à quel personnage littéraire vous identifiez-vous?
Arturo Bandini, l’alter ego de John Fante dans Bandini, La Route de Los Angeles, Demande à la poussière et Rêves de Bunker Hill. J’aime son hystérie drôlatique, sa folie et sa persévérance.
Interview réalisée par Dunia Miralles
Les écrivains Romain Ternaux – à gauche – et Johann Zarca. Crédit photo: Teresa Suarez.
Biographies des auteurs de Success Story
Romain Ternaux
Romain Ternaux est né en 1987. Après des études de littérature à Reims, il monte à Paris et y rencontre l’écrivain américain Dan Fante à l’hôtel Odéon, grâce auquel il devient lecteur pour sa maison d’édition française. Puis il s’enferme plusieurs années chez lui pour écrire des romans : Croisade apocalyptique, L’histoire du loser devenu gourou, Spartacus, Success Story co-écrit avec Johann Zarca et I Am Vampire, à venir en octobre 2019.
Johann Zarca
Repéré par les éditions Don Quichotte grâce à son blog « Le Mec de l’Underground », à présent disparu, Johann Zarca a publié son premier roman, Le Boss de Boulogne, en 2013 (éditions Don Quichotte), suivi, en 2015, de Phi Prob (éditions Don Quichotte).
En février 2017 paraît P’tit Monstre (éditions La Tengo).
Paname Underground paraît en octobre 2017 aux Éditions Goutte d’Or. La même année il reçoit le prix de Flore, ex aequo avec L’Invention des corps de Pierre Ducrozet.
En 2019 paraissent Success Story, co-écrit avec Romain Ternaux, et Braquo sauce samouraï.
Au sein des Éditions Goutte d’Or, Johann Zarca dirige la collection fiction.