J’ai commencé ce blog en 2018. La passion qu’il a éveillé en moi m’a permis de découvrir des poètes, d’entretenir de magnifiques échanges avec des auteurs, des écrivaines, des libraires, des bibliothécaires et de nombreuses personnes qui s’investissent dans le monde de l’édition. A cet espace je me suis donnée corps et âme. A ma grande et heureuse surprise, le nombre de mes abonnés a constamment augmenté. Une superbe récompense.
Sans la littérature, sans les personnes qui la font, sans vous qui suivez ces lignes, cet endroit n’aurait pas pu exister. Alors merci, merci à tous, à toutes, d’avoir posé vos yeux sur mes mots. Merci de m’avoir confié vos livres et vos phrases, vos émotions, vos concepts et vos pensées. Merci !
Cependant, les flammes de la passion demandent de la constance et du temps. Ce blog m’en réclamait avidement et je les lui ai offerts sans compter.
Avant d’être invitée par le quotidien Le Temps, j’ai écrit pendant une quinzaine d’années pour le blog du journal Le Monde avant qu’il ne disparaisse presque subitement. Je m’y étais investie autant qu’en ce lieu qui ferme aussi ses portes. Je reçois cette deuxième rupture comme un signe : je dois me consacrer entièrement à mes futurs livres. Le moment est venu de totalement plonger dans mes écrits, de mettre en forme les projets, les idées, les sentiments, les sensations qui ne demandent qu’à égoïstement posséder sans partage ma peau et mon esprit. J’ai donc décidé de mettre un terme à mes aventures avec les blogs. D’enfin devenir fidèle à celle qui me réclame, pour elle seule, depuis longtemps : mon écriture littéraire. Or, tout à coup, je m’aperçois qu’il faudra me presser pour tout accomplir.
J’ai choisi d’imager ces impressions avec quelques mots d’Anne Sylvestre. Des mots qui me ressemblent, qui sont également miens depuis que j’écris et qui, au fur et à mesure que le temps passe, s’apparentent de plus en plus à ma réalité. Je me réfère à sa chanson Écrire pour ne pas mourir dont je vous laisse un extrait ci-dessous. Vous pouvez facilement la retrouver dans son entier sur la toile.
Les parutions de mes trois prochains livres – très différents les uns des autres – sont agendées. Si aucun imprévu ne vient contrarier ce timing, ils paraîtront successivement cet automne 2023, au printemps 2024 et au cours du premier semestre 2025.
Je vous invite à régulièrement suivre mon actualité sur mon site officiel : dunia-miralles.info
D’une manière plus ludique, je figure aussi sur Facebook et Instagram. J’utilise également ces voies pour annoncer les nouvelles publications à mon lectorat.
Au plaisir de vous retrouver bientôt.
Dunia Miralles, le 28 juin 2023
Dunia Miralles : livres parus entre mars 2000 et juin 2023 :
L’image qui illustre l’article est un détail de la couverture du recueil collectif Les Affolés et du bandeau qui l’accompagnait. Ce livre est à présent épuisé.
Penchée sur l’ordinateur, je sens mon œil glisser sur le calendrier qui se trouve en haut, à droite, à côté de l’horloge. Chaque jour s’égrainent des dates qui me paraissent changer de plus en plus vite. Je retourne au document Word. Obsessionnelle, je ne vois rien du printemps. Une seule chose m’occupe : le tapuscrit que je dois rendre fin mai à mon éditeur. Un récit à paraître en octobre, très différent des sujets que j’aborde habituellement. Un livre qui demande de la constance et beaucoup de concentration.
Mes yeux picotent. Le pollen n’est pas en cause. Ils se croisent fatigués de regarder un texte, noir sur blanc, se construire. J’ai envie de soleil et d’air frais, mais je reste assise, accaparée par l’écran, immobile. Quand je me lève de la chaise, mes genoux peinent à se déplier.
Je voudrais ouvrir les fenêtres et le balcon en grand pour, au moins, profiter du chant des oiseaux et de l’air si agréable en cette saison. Mais le bruit qui vient de l’extérieur me fracasse le cerveau. Me déconnecte les synapses. Et soudainement, je me souviens que les printemps se suivent et se ressemblent. Que pour les citadins, depuis longtemps, ils n’ont plus rien de bucolique.
Dans Le baiser d’Anubia, l’ouvrage paru en début d’année, figure un petit poème sur le sujet.
Je décide de sortir me promener afin d’échapper un instant au bruit environnant. Au bas des escaliers, une série de pages A4, collées près des boîtes aux lettres, attirent mon attention. Elles sont signées par la gérance et plusieurs entrepreneurs. De grands travaux vont commencer ces prochains jours dans mon immeuble. Il nous faut immédiatement vider les caves et les galetas. Entreposer dans nos appartements le matériel dormant qui s’y trouve. Au bruit “printanier” du quartier s’ajouteront les décibels du chantier, que l’on entendra courir sur tous les murs, et la constante et encombrante présence d’objets poussiéreux que l’on ne garde que pour des usages occasionnels. Durant les cinq mois que dureront les transformations de la maison, raquettes, bouteilles de vin et produits de lessive me rappelleront qu’il ne neige plus en hiver, que je n’ai jamais rien à fêter et qu’aucun détergeant ne lave la sottise humaine.
Mon cœur s’accélère et ma respiration devient difficile. J’ai envie de fuir, fuir, fuir… très loin. Dans un lieu où aucun bruit produit par un Être Humain ne puisse me rattraper.
En survolant son histoire, l’on pourrait croire que les bonnes fées s’étaient penchées sur le berceau de Marie Gaulis. Fille d’Henriette de Foras, artiste peintre française, et de l’écrivain, dramaturge et comédien suisse Louis Gaulis, elle naît dans un milieu privilégié à Thonon-les-Bains, en 1965, dans un monde de beauté et d’érudition. Enfant de voyageurs, sa jeunesse est marquée par les Alpes, les populations de La Méditerranée, ou les rues de New-York et Paris.
Son père, collaborateur pour la Croix-Rouge Internationale, est tué au Liban alors qu’elle n’a que 12 ans. Un deuil qui ne l’empêchera pas de poursuivre de brillantes études de grec moderne et de s’intéresser aux écrivaines australiennes d’origine grecque. En parallèle, elle écrit une œuvre poétique dont le premier ouvrage, Le fil d’Ariane, paraît en 1993. Sur la quatrième de couverture de ce recueil, elle écrit :
« Ces textes sont des fragments de temps remontés à la surface de la mémoire. J’ai retrouvé des moments de bonheur fugitif et dense, et aussi les chagrins qui ont marqué le passage de l’enfance à l’âge adulte. J’ai senti à nouveau des goûts, des parfums anciens que je croyais perdus.
Je pense qu’écrire, c’est s’interdire d’oublier. C’est découvrir, par un cheminement sans logique, par des associations d’odeurs, de lieux, de saisons, tout un monde de souvenirs qu’on tient en soi. »
Deux poèmes contenus dans Le fil d’Ariane :
Traductrice, essayiste, poétesse et romancière, Marie Gaulis construit, livre après livre, une œuvre puissante et sensible où le passé se mêle au présent, et où l’empreinte de son père laisse une trace d’encre sur les pages, notamment dans Lauriers amers.
Elle est encore jeune quand la maladie se présente à elle. Le cancer l’emporte, alors qu’elle n’a que 53 ans, à La Chaux-de-Fonds où elle avait élu domicile et où elle a passé les dernières années de sa vie à écrire.
Mon livre, celui de la photographie, est une première édition qui a bien vécu, mais d’après mes informations on le trouve encore en librairie.
Six ans après le mouvement #MeToo et les dénonciations des sévices endurés par le corps des femmes, il est intéressant de lire – ou de relire – Menstrues de Linda Speer. Paru en mars 2016, soit 18 mois avant les manifestations du mouvement qui dénoncent les violences – notamment gynécologiques – faites au genre féminin, Menstrues a, en arrière-fond, une musicalité qui présage les événements à venir. Entre autres, le combat pour que les serviettes hygiéniques et les tampons ne soient plus taxés comme des produits de luxe, mais comme des biens de première nécessité.
Publié par les Éditions des Sables, dans la collection Rose des Sables, Menstrues ce sont vingt-huit poèmes qui racontent l’expérience d’une femme, et sans doute de beaucoup d’entre nous. Le recueil, découpé en trois parties – Menstrues, Retard ma saison préférée, Dry Day – évoque sans vulgarité, et souvent avec des métaphores, l’un des tabous de notre société.
Dans ses poèmes, Linda Speer nous laisse entrevoir la difficulté d’être une personne de sexe féminin face au regard de l’homme, de l’amant, de la mère ou de la société.
Autres particularités de ce livre : le dessin de sa couverture a été peint avec du sang menstruel par l’artiste sud-africaine Zanele Muholi.
Certains poèmes, écrits en néerlandais ou en anglais, sont traduits en français et en miroir sur la page de droite.
Linda Speer est née à Lugano en 1985. Elle grandit en Suisse et commence à écrire à la suite de ses premières menstruations. Sa famille étant originaire des Pays-Bas elle écrit à la fois en néerlandais et en français. Cette activité reste intime et confidentielle. C’est après avoir fréquenté l’université, où elle touche à la sociologie, aux études sur le genre, et brièvement à l’histoire des religions, qu’elle développe une vision plus consciente des rapports sociaux et culturels entre femmes et hommes. Elle décide alors de publier son travail, dans lequel l’écriture explore la féminité en tant qu’expérience de vie et source de création.
Fondées par la journaliste, écrivaine et poétesse féministe Huguette Junod, les Éditions des Sables ont vu le jour à Genève en 1987. Riches de sept collections – poésie, œuvre de fiction, récit, essai, jeunesse, ouvrages pédagogiques et polars – elle compte des auteurs et autrices de tout horizons.
Sources :
– Menstrues, Linda Speer, Éditions des Sables, mars 2016
Pour la découvrir : 3 livres hors du tapage Netflix
Ai-je vu le film Blonde ? Non. Je fais partie des extraterrestres qui n’ont pas Netflix. Ai-je envie de le voir ? Non. Le film est tiré du roman éponyme de l’immense écrivaine Joyce Carol Oates qui précise au début de son ouvrage : « Blonde est une œuvre de fiction. Si la plupart des personnages de mon livre présentent quelques ressemblances avec les proches et les contemporains de Marilyn, leur description et les événements rapportés sont entièrement le fruit de l’imagination de l’auteur. Il faut donc lire Blonde comme un roman et non comme une biographie de Marilyn Monroe. »
Pour cette raison, il m’a paru important de donner la parole à Marilyn elle-même que l’on laissait si rarement parler, ou à son meilleur ami, l’écrivain et poète Norman Rosten.
Hollywood la broyeuse
Que Marilyn ait été broyée par Hollywood me semble évident. Qu’elle n’ait été qu’un piètre objet dans la machine hollywoodienne me paraît, en revanche, discutable. Jayne Mansfield, formatée pour la remplacer, n’eut que des rôles de vulgaire et ravissante idiote. Elle était pourtant pianiste et violoniste classique, parlait cinq langues et avait un QI de 163. Avant de mourir dans un effroyable accident de voiture, Hollywood la transforma en une actrice déchue et pathétique, alcoolique, et bourrée de psychotropes. Quant à la brillante Hedy Lamarr, star de la MGM dans les années 1930-1940 et inventrice peu considérée de notre incontournable Wifi, elle finit enfermée chez elle, terrifiée par le vieillissement et ravagée par les successives chirurgies esthétiques. Hollywood a également détruit quelques hommes. Je me contenterai de n’en citer qu’un seul : River Phoenix, dont on parle beaucoup ces jours. La mâchoire de l’industrie du film américain a déchiqueté bon nombre de personnes. Nul besoin d’être femme ou imbécile pour se laisser happer par elle.
Un corps et un cerveau
L’essayiste et poétesse britannique Edith Sitwell, avec qui Marilyn Monroe parlait de poésie, écrivit à son propos « Elle était très calme et avait une sorte d’immense dignité naturelle et elle était extrêmement intelligente. Elle était aussi d’une sensibilité maladive… Au repos son visage était par moments étrangement tragique et prophétique, comme le visage d’un beau fantôme ».
Contrairement à Jayne Mansfield ou à Hedy Lamarr, issues de milieux cultivés et privilégiés, qui auraient peut-être pu échapper au chant des sirènes hollywoodiennes, Marilyn Monroe ne connut, durant son enfance, que les orphelinats et les familles d’accueil qui la traitaient en servante. Consciente de manquer de culture, pour échapper à son destin elle ne possédait que son corps. Un corps que son esprit affuté sut savamment utiliser pour fuir l’ignorance et la pauvreté, même si effleurer les étoiles et laisser son empreinte sur le plus célèbre boulevard de Los Angeles lui coûta cher. Mais rien ne nous indique que sa vie aurait été plus heureuse si elle s’était contentée de rester « à sa place » de « pauvre fille» désargentée fruit d’institutions.
Marilyn Monroe : Fragments
Marilyn Monroe aimait la littérature et la poésie. En 2010, les éditions du Seuil, grâce à l’éditeur et écrivain suisse -jurassien- Bernard Comment, publiait les notes et poèmes inédits que l’actrice avait légués à son professeur de théâtre Lee Strasberg. A travers ces écrits pour la première fois dévoilés au public, on découvrait une personne sensible, avide de culture et d’amitiés sincères. Exigeante envers elle-même et travailleuse, les uniques motivations de Norma Jeane Mortenson (son vrai nom) furent de toujours améliorer son jeu de comédienne, de se cultiver et de trouver un équilibre grâce à la psychanalyse. A n’en point douter, elle était une personne très éloignée des rôles d’idiote manipulatrice, vénale et dévoreuse d’hommes qu’on lui prêtait dans les films.
La forme poétique, ou plus largement celle du fragment, lui permit probablement d’exprimer des fulgurances et des sensations ponctuelles. Mais qui voulait vraiment entendre et comprendre cette voix ? Après sa mort, Arthur Miller dira : « Pour survivre, il aurait fallu qu’elle soit plus cynique ou du moins plus proche de la réalité. Au lieu de cela, elle était un poète au coin de la rue essayant de réciter ses vers à une foule qui lui arrache ses vêtements. »
Marilyn Monroe : Confession inachevée
En 1954, l’agent de Marilyn demande au célèbre scénariste Ben Hecht d’aider l’actrice à écrire ses mémoires. A 28 ans, elle compte une vingtaine de films à son actif, et elle est déjà plus que lasse des inventions et des potins que les journaux à scandales colportent à son sujet. Elle dicte ses mots, d’une grande liberté et maturité, au dramaturge qui les retranscrit sur le papier. Pour des raisons personnelles, elle ne terminera pas cette autobiographie qui s’achève comme s’achèvera sa vie : abruptement, au moment où elle se rend en Corée, par un froid polaire, pour chanter devant les soldats américains. Toutefois, l’on y apprend le calvaire que fut son enfance, les problèmes psychiatriques de sa mère, le viol subit alors qu’elle n’a que 8 ans, et comment à 12 ans, alors qu’elle n’est encore qu’une fillette innocente, elle s’aperçoit de la puissance évocatrice de son corps. Sans tabous Marilyn dévoile également ses états d’âme; les dessous cauchemardesques de l’usine à rêves; sa volonté acharnée à devenir une actrice contre vents et marées; comment ce fut une femme qui, la première, commença à la transformer physiquement; sa lutte continuelle pour être considérée en tant que talentueuse actrice et non comme un tapageur objet sexuel décérébré.
Ces textes intimes, bouleversants et féministes, ont été publiés pour la première fois aux États-Unis et dans les pays francophones en 1974.
Norman Rosten : Marilyn ombre et lumière
De 1955 et jusqu’au jour de sa mort, le poète et écrivain Norman Rosten et son épouse Hedda furent les plus proches amis de Marilyn. C’est à lui qu’elle donnait à lire ses textes.
« Elle me tendait souvent un bout de papier avec quelques mots dessus et demandait :
– Penses-tu que c’est de la poésie ? Garde-le, tu me diras.
Ou bien elle m’envoyait par la poste une feuille griffonnée, demandant ce que j’en pensais. Je l’encourageais toujours.
Elle aimait la poésie. Elle comprenait, avec l’instinct d’un poète, que la poésie menait au cœur des choses. »
Avec amitié et tendresse, Norman Rosten raconte la Marilyn qu’il connut. Ses hauts, ses bas, ses déconvenues avec le psychiatre qui la suivait, et son plongeon final. Il ne se remettra jamais vraiment de la brutale disparition de son amie. De n’avoir pas compris son appel à l’aide, alors qu’elle et lui, que les tendances suicidaires habitaient aussi, s’étaient promis de s’aider mutuellement si l’un d’eux se sentait sur le point de passer à l’acte.
Les trois livres contiennent de nombreuses photographies de la star.
Sources :
– Fragments, Marilyn Monroe, Points, 2012.
– Confession inachevée, Marilyn Monroe, Pavillon Poche, Robert Laffont, 2022.
– Marilyn ombre et lumière, Norman Rosten, Éditions Seghers, 2022. La couverture du livre illustre cet article. Il s’agit du détail d’une photographie réalisée par Sam Shaw en 1957.
– Blonde, Joyce Carol Oates, Stock, Le Livre de Poche, 2000.
Trouble de la personnalité borderline : témoignage
Une fois n’est pas coutume, c’est dans mon univers que j’emmène aujourd’hui les lecteurs de cet espace. Mon dernier livre, des fragments autobiographiques sur le trouble de la personnalité limite (borderline) vient de paraître. Comme il est difficile, pour un-e auteur-e de parler de soi et de son propre ouvrage, j’ai choisi de publier l’article de l’écrivaine et critique littéraire Bernadette Richard, paru le 28 janvier 2023 dans l’hebdomadaire Le Ô.
Dunia Miralles : une œuvre bousculante
Le dessous des cartes, les arrière-cours de notre société malade, la dope, les petits secrets inavouables, la transidentité, les paumés en tout genre – selon le regard moraliste des citoyens dits raisonnables –, autant de sujets que Dunia Miralles traite dans ses romans.
Au début du millénaire, il avait fallu une *Espagnole pour dénuder dans « Swiss trash », son premier livre, une certaine face cachée de la Suisse, celle de la drogue. Entre les lecteurs qui avaient adoré, ceux qui s’étaient enfin reconnus et les heureux normés qui peinaient à croire que notre patrie propre en ordre abritait de tels cas sociaux, l’ouvrage est devenu culte.
Vaille que vaille, Miralles a poursuivi sa route dans le labyrinthe des mots – souvent des maux pour elle. S’ensuivirent « Fille facile », « Inertie », autres explorations d’univers peu conventionnels, puis le très décalé « Alicante », bilingue français-espagnol, une suite de pensées, de regards, agrémentée d’un CD.
Arrivèrent ensuite « Mich-el-le, une femme d’un autre genre », qui donna lieu à un spectacle émouvant, et « Folmagories », des nouvelles qui sont comme des hommages à Edgar Poe, Oscar Wilde ou encore Stephen King, inscrites (sauf deux) dans le décor des Montagnes neuchâteloises.
Le Baiser d’Anubia : une entrée pour les montagnes russes du TPL
Et voici « Le Baiser d’Anubia », un livre qui pourrait déranger, des pages qui ne laisseront aucun lecteur indifférent : une plongée dans la tête de l’auteure. Audace ? Exhibitionnisme ? Règlement de compte avec cette salope de vie qui ne ménage pas les borderline(s) ? Un peu de tout, principalement sous forme de phrases courtes, entre des perceptions, des souvenirs jetés dans l’urgence sur le papier, et des illuminations esthétiques, historiques, journalistiques, échappées d’une angoisse sous-jacente, celle qui ne permet pas à l’écrivaine de vivre selon les codes sociaux en vigueur.
Une deuxième partie fait office de reportage concernant ce fameux trouble de la personnalité limite, décortiqué avec précision. Miralles évoque également ses rapports difficiles avec les psys. Et, comme un phare bienveillant dans la nuit noire d’une existence difficile, l’amour de son compagnon.
L’auteure s’est longtemps interrogée sur le fonctionnement de son psychisme. Qui suis-je, en fait ? Pourquoi son mental est-il si fluctuant, la privant d’un bonheur facile et accessible à tous ?
Elle y répond – du moins pour le lecteur – à travers cette confession qui bouscule les codes littéraires. Qui sait ? Son témoignage permettra peut-être aux esprits étroits et emplis de préjugés de revoir leurs certitudes.
Dunia Miralles : l’interview
Avec cette confession, vous ne craignez pas les commentaires désobligeants ?
Dans tous mes livres, excepté peut-être « Folmagories », je me suis mise en danger. Mais au final, je suis récompensée par la réaction de mes lectrices et lecteurs, concernés par les problématiques que j’aborde. Pour une fois, ils se sentent compris, écoutés et moins seuls. Je sais que j’écris des choses qui peuvent me valoir un retour de boomerang désagréable.
Ça ne vous gêne pas de vous mettre ainsi à nu ?
Ça fait partie de ma démarche littéraire de faire du funambulisme sur le fil d’une épée, en risquant de nuire à mon cheminement d’écrivaine, de nuire à ma réputation de femme, mais je m’en moque. Il est important pour moi de mettre au jour des choses que l’on tient généralement bien cachées.
Célébrités psychoatypiques
Dans « Le baiser d’Anubia » le lecteur peut aussi rencontrer des célébrités psychoatypiques et neuroatypiques : Jean Cocteau, Billie Eilish, Kurt Cobain, Virginia Woolf, Elon Musk, Gérard de Nerval…
Ci-dessous, une lecture du « Baiser d’Anubia » mise en images par Chingón.
La poésie de François Berger rappelle la douceur des étangs reflétant l’onctuosité des nuages et les saules lascifs. Sous l’apparente sérénité de leurs eaux, s’agite un monde obscur, qu’on devine sans jamais le voir et dont les plantes, superbes à la surface, s’enracinent dans la vase. Avocat fort connu en pays de Neuchâtel, romancier publié aux Éditions l’Âge d’Homme, François Berger dont la carrière dans la littérature émane avant tout de la poésie, est un habitué des prix littéraires puisqu’il a obtenu le Prix Louise-Labé pour Mémoire d’anges, une Distinction de la Fondation Schiller pour Gestes du Veilleur, puis le Prix Auguste-Bachelin. Pour Le Voyage de l’ange, il a reçu le prix du roman poétique de la Société de poètes et d’écrivains d’expression française. La première parution du recueil Les indiennes remonte à 1988 aux Éditions Eliane Vernay, à Genève. Epuisée depuis des années, elle vient d’être rééditée aux éditions Soleil d’Encre embellie par les tableaux de l’artiste Isabelle Breguet. Un livre au parfum de fruits, de baisers matinaux et de billets d’amour, alors que la toile des indiennes se souvient encore d’un homme jeune défilant sous les drapeaux.
François Berger est également membre de la Société européenne de la culture. Plusieurs de ses ouvrages ont été traduits en italien, roumain, macédonien, grec et arabe.
Interview : cinq questions à François Berger
Qu’est-ce qui a motivé la republication de votre recueil de poésie Les indiennes ?
Des amis, connaissances et critiques littéraires m’avaient encouragé à le rééditer.
La rencontre avec l’œuvre picturale d’Isabelle Breguet, artiste peintre neuchâteloise, laquelle a magnifiquement illustré ce livre, aura été déterminante.
Vous sentez-vous davantage poète, romancier, éditeur ou avocat ?
Depuis que j’ai fermé mon Étude d’avocat, en 2019, à Neuchâtel, et ce après quarante ans d’exercice du barreau, je puis évidemment consacrer plus de temps à l’écriture romanesque.
Est-ce à dire que je suis davantage romancier que poète, avocat ou éditeur ? Le poète, l’avocat, demeurent présents dans ma vie et à travers un gros roman que je suis en train de terminer, lequel n’est cependant point une autobiographie mais pure fiction, si tant est que celle-ci puisse être pure. J’ai également des projets éditoriaux.
Je répondrai donc que je me sens à la fois romancier, poète, avocat et éditeur, même si l’activité de romancier m’occupe plus qu’avant. Le temps investi dans un travail n’est pas le seul critère pour juger de son importance. Cependant je dois admettre être davantage romancier depuis la fermeture de mon Étude.
Les poèmes de ce recueil sont-ils un hommage à l’industrie textile qui fit les beaux jours de Neuchâtel entre le XVIIIe et le XIX siècle ?
Si hommage il y a, il est alors discret ! Mes premières sources d’inspiration menant à l’écriture des Indiennes furent certes les toiles d’indiennes neuchâteloises. Toutefois nous nous trouvons, ici, en présence d’un récit en prose poétique, librement écrit et nullement documentaire même si certains termes sont directement empruntés à l’industrie textile de l’époque.
Soleil d’Encre a principalement pour but la réédition de grands textes littéraires (romans, poésie), mais aussi philosophiques. Il s’agit surtout d’écrits insuffisamment connus ou quelque peu oubliés et méritant d’être découverts ou redécouverts. Ont notamment été réédités les excellents Aphorismes du psychiatre et humaniste vaudois Oscar-Louis Forel, des textes connus et moins connus de Paul Valéry, réunis sous le titre de l’un d’eux : La Crise de l’esprit.
A été republié Imago, roman du seul Prix Nobel Suisse de littérature (1919) le Bâlois Carl Spitteler, à l’occasion des cent ans de la remise du Prix. J’ai été le seul, en 2019, en Suisse romande, à rééditer un roman de Spitteler, traduit en français.
Fin 2021, ma maison d’éditions a relancé un essai philosophique de l’écrivain et essayiste Claude Frochaux, L’Ordre humain, et ce avec l’aimable autorisation des éditions Gallimard.
Tout récemment a été republié Les indiennes vu que l’ouvrage était épuisé et qu’il est le résultat d’un travail commun entre l’auteur-éditeur et l’artiste peintre neuchâteloise Isabelle Breguet qui l’a illustré.
Dans quel personnage littéraire aimeriez-vous être incarné ?
Je répondrai : Le narrateur d’A la recherche du temps perdu de Proust, qui est un personnage littéraire à part entière. Ses intérêts sont multiples, entre autres la peinture, l’architecture, la musique, la nature. Il a dépeint, avec une puissance artistique et analytique jamais égalée depuis, en littérature française, les mœurs de son temps, l’amour, la jalousie, la passion, l’hypocrisie et la perversité de l’âme humaine. Aussi est-il un personnage universel.
Interview : cinq questions à Isabelle Breguet
Par quoi votre peinture est-elle inspirée ?
Intéressée par l’ambiance des cabinets de curiosités depuis mon enfance et passionnée par l’art en général, les pierres, la nature, les végétaux, les mousses et les lichens, c’est naturellement que mon travail s’en inspire. Si je dois décrire quel est le style de mon art, je dirais plutôt du surréalisme, mixant abstrait, vanités et de “points de peinture” ou Aborigen dot painting, des petits points de peinture posés sur la toile avec la pointe d’un petit bois, à la manière des aborigènes d’Australie. Mes thèmes de prédilection : l’œuf, l’amour et la vie !
Acteur principal sur une grande majorité de mes toiles, l’œuf est un symbole métaphorique du germe, mystère embryonnaire d’une vie en devenir. Sa ou plutôt devrait-on dire, ses formes si nombreuses, selon l’identité et la nature de son contenu, en font la source intarissable de mon inspiration. Sans jamais faire de projets au préalable, cet « acteur » va s’inviter de lui-même sur la toile, une fois qu’un fond de décor aura vu mes premières nuances en définir les limites de la scène.
L’œil se laisse alors entrainer dans des strates et des failles profondes, animées par une vie grouillante et bouillonnante de cellules de toutes tailles. Une multitude de petits points, avec ou sans virgule, baignant dans un liquide intercellulaire, y trouvent naturellement leur aisance, dans l’eau de la peinture acrylique.
Quels liens entretenez-vous avec la poésie ?
Amatrice des mots depuis toujours, j’écris également des petits textes à mes heures. En fait, je peins comme j’écris et inversement.
Peindre, c’est écrire de la poésie avec des couleurs ; ensuite, le spectateur est libre d’en interpréter l’histoire, le rayonnement des émotions ou la noirceur de l’esprit.
Comment avez-vous choisi les tableaux qui illustrent le livre Les indiennes ?
Avec François Berger, nous avons au préalable, sélectionné un certain nombre de toiles vibrantes et vivantes qui lui plaisaient particulièrement, puis nous avons fait un choix en fonction du texte et des résonances avec mes toiles.
Particulièrement présent dans vos tableaux, quel est le rôle pictural du doré dans votre œuvre ?
L’or qui représente fécondité, préciosité de la vie, richesse et rareté de l’instant de bonheur, est très présent dans mes toiles ; il est volontairement patiné, oxydé par le désir de donner l’idée d’une évolution, d’une maturation de la matière et l’impression que le temps a fait son œuvre !
Je ne peux pas mentionner l’or sans l’associer aux noir et au blanc, mais également par analogie, aux nuances de gris en fonction des lumières de l’instant choisi ! Le rouge et la rouille apportent le feu et l’énergie.
Mystères et chimères se cachent dans des parois fissurées ou lézardées, au gré des toiles, dans un univers à la matière patinée d’une vie passée et présente, face au destin d’une existence qui ne demande qu’à raconter sa propre histoire.
Spirales, cercles, enluminures, le mouvement y est permanent dans un silence apparent.
Mais tout cela ne serait rien, sans la véritable source d’inspiration personnelle de l’âme, au travers du pinceau. Un dialogue intérieur permanent avec son être profond et une gratitude sincère du quotidien qui nous montrent qu’il faut savoir profiter du bonheur de l’instant présent sans oublier de s’aimer !
En guise de fil rouge ou d’estampille, un point rouge. Il est le nez de clown, posé dans chaque toile comme un point de mire pour nous faire sourire !
Si vous deviez être le personnage d’un tableau, qui souhaiteriez-vous être ?
Emilie Flöge , la compagne de Gustav Klimt dans la peinture Le Baiser ! Cette toile emblématique de Klimt représente à elle seule, la puissance de l’amour et de l’instant présent d’un baiser où, tout le reste du monde n’existe plus et n’a plus aucune importance !
Matthieu Corpataux, dont nous avons fait la connaissance hier, n’est pas que poète. C’est l’une des têtes pensantes de la littérature suisse actuelle. Aujourd’hui nous découvrons L’Épître, la revue de la relève littéraire qu’il a imaginée et mise en place, à l’instar des éditions Presses littéraires de Fribourg qu’il a créées avec Lucas Giossi l’actuel directeur d’EPFL Press. Voici des exemples et des extraits de ces publications.
Quelques livres parus aux éditions PLF
La Faille Ethics, roman policier de Laurent Jayr
Le résumé : Ethics, c’est le nom du logiciel de trading intelligent et autonome conçu par Antoine Dargaud pour une jeune société d’investissement genevoise. Le logiciel est performant – trop – et rapidement, il attire l’attention de la presse, des banques, puis de tout Wall Street. La Faille Ethics est un polar saisissant de réalisme sur le monde de la finance et sur le trading où le logiciel, monstre de Frankenstein moderne, se révèle étonnamment humain.
L’extrait : “Sa main glisse sur la surface du serveur. Il ressent une vibration, une sorte de grondement, se propager à travers sa paume. Au-dessus du boîtier métallique, un moniteur clignote faiblement, diffusant une lueur verdâtre tandis qu’un condensateur sifflote en se déchargeant. Des câbles de fibres optiques mal alignés sortent de la face arrière des lames du serveur pour disparaître dans le faux plafond. Antoine Dargaud s’apprête à donner vie à Ethics, le robot de trading qui va assainir la finance.”
Résumé : Alegría ! est l’histoire d’Ola, jeune femme courageuse et insatiable, mais écrouée dans le quotidien gris de Paris. Après avoir échappé par hasard aux attentats du Bataclan, elle fuit le deuil de son père et les amours ratées. En Espagne, lors d’un séjour Erasmus, elle renoue avec le désir et l’allégresse. Ce roman, écrit avec précision et douceur, raconte l’intime et la soif de liberté : c’est surtout le portrait de toute une génération.
L’extrait : “Elle s’amusait des taxis débordants de passagers, des enfants assis sur les genoux de leur père à mobylette, sandales aux pieds, casques sur la tête, mais sangles au vent. Et surtout, elle avait décidé de ne pas voir le linceul recouvrant le Café de France. La dépouille de cette grande bâtisse dominant la place Jemaa el-Fna, au-delà de la mort. Ola balaie d’une phrase la comparaison que Grégoire énonce entre les attaques d’ici et celles qui ont frappé les locaux de Charlie Hebdo en janvier. « C’est différent. »”
Résumé : Écrire depuis ici est la première publication en Suisse de l’écrivain Jean-François Haas, lauréat des Prix Schiller, Dentan ou encore Bibliomedia. Cette réflexion sur l’écriture et sur le parcours d’écrivain est inestimable. L’écrivain retrace les paysages de son enfance, les fêtes, l’éducation parfois rude souvent bienveillante à Fribourg puis à Saint-Maurice, l’Université mais aussi ses découvertes de Moby Dick ou de Philipe Roth. L’écrivain suisse se dévoile sans impudeur mais avec beaucoup d’humanité.
L’extrait : “« Et, à part ça, est-ce que vous taquinez toujours la Muse ? » [Cette question] dit quelque chose d’une certaine difficulté à traiter ici de cette activité étrange, par nature solitaire et donc, au moins en apparence, marginale, qui fait de l’écrivain un être un peu à part, un peu bizarre, pas foncièrement dangereux ni malsain, mais dont on n’est pas très sûr de la bonne santé mentale et/ou du bon comportement social, et de surcroît enclin à s’abandonner à la distraction de taquiner la Muse plutôt qu’à s’adonner à une activité sérieuse.”
Résumé : L’Abécédérangé est un recueil de poésie inspiré des expérimentations poétiques médiévales : l’approche de Simon Lanctôt est sensible, même sensuelle. Il s’empare des mots, les hume, les goûte, les déguste, même les dévore. […] C’est tout un Oulipo médiéval qui surgit, vivifié dans la jouissance de l’anachronie, qui nous renvoie l’écho des Grands Rhétoriqueurs, ces virtuoses de l’acrobatie lettriste que Georges Pérec qualifiait de plagiaires par anticipation.
L’Épître est la revue de la relève littéraire suisse francophone. Créée en 2013 par Matthieu Corpataux, elle agit en ligne et sur papier pour promouvoir l’écriture : à la fois laboratoire et tremplin, elle a révélé de nombreux talents romands ces dernières années. En 2018, la revue se professionnalise et bénéficie depuis du soutien de Pro Helvetia et de la Fondation Michalski ; et organise un riche programme d’événements.
Extrait : Quand je suis redevenue d’Isabelle Paquet
“Tu me parles et aussi parfois tu te tais. Alors je t’articule quelques mots de mon cru. Ce soir se mitonner un raboliot en civet ? Je ne peux pas te dire que souvent je suis au beau milieu d’un étang plat comme l’horizon, épais et verdâtre, en sèche Sologne, que je fais la planche sans maillot, mon corps en x parfait, paupières closes, rempart à l’eau et au soleil de brûler mes rétines. Non plus que je nage avec les canards. Ni que je laisse mon corps sécher sur la rive. Là, tu me rejoins.”
Autre extrait : Les gens d’ici de Philippe Rebetez
L’homme qui défend la relève de la littérature suisse
Jeune adolescent, Matthieu Corpataux rencontre Emmanuel Carrère sur l’étal d’un supermarché français. Un livre de l’auteur plus exactement. Une révélation. Dès cet instant, il sait que sa vie sera consacrée à la littérature où il est entré il y a une dizaine d’années pour y devenir un incontournable.
A vingt ans, en 2013, il crée L’Epître, une revue de relève littéraire en ligne et sur papier, et à vingt-et-un ans la maison d’édition des Presses littéraires de Fribourg avec Lucas Giossi l’actuel directeur d’EPFL Press. A présent, il est le directeur du Salon du livre romand réorganisé et renommé Textures – Rencontres littéraires ces exemples n’étant qu’un aperçu de ce qu’il organise dans le milieu littéraire romand. Des journées bien remplies où il trouve encore le temps de s’adonner à la poésie. Matthieu Corpataux n’a pas trente ans mais semble avoir plus de trente bras et autant de têtes.
Matthieu Corpataux : poésies acidulées
Son premier recueil, Sucres, nous emmène avec légèreté dans ses souvenirs d’enfance, d’adolescence et de jeune homme. En quarante-deux poèmes, parfois aussi brefs que des haïkus mais pas uniquement, on entre tout en douceur dans sa poésie, au cœur de ses constats et réflexions. Un univers, constitué de grains de sucre, qui ne s’avère jamais écœurant. La poix du lyrisme outrancier Matthieu l’abandonne à d’autres. Des douceurs qui crissent parfois sous les dents et dont l’acidité s’attaque insidieusement aux racines. Des poèmes aux couleurs des bonbons langue, et au goût de reviens-y, que nous dégustions autrefois.
Demain, Des avenues et des fleurs présentera la revue L’Epître et quelques publications des éditions Presses littéraires de Fribourg (PLF).
Matthieu Corpataux : l’interview
Quelle influence a eu Emmanuel Carrère dans votre vie ou votre cursus ?
C’est une belle question, merci. A vrai dire, il y a deux choses : premièrement, D’autres vies que la mienne fut un choc esthétique – cette sorte de franchise dans le récit et cette tentative de réconciliation entre la fiction et la réalité m’ont marqué. Bien sûr, à l’époque, je n’avais pas le bagage pour caractériser ça. Et puis, c’est une influence indirecte. Dans ce même roman, le narrateur évoque longuement Mars de l’écrivain zurichois Fritz Zorn. Et c’était là mon deuxième choc. Aujourd’hui, je lis Carrère avec plaisir mais je ne lui voue aucun culte particulier.
Quel rôle la poésie joue-t-elle dans votre vie ?
Très tôt, j’ai voulu écrire. Mais j’ai mis un peu de temps à trouver que je m’épanouissais dans la forme courte. D’abord par la nouvelle, puis des récits fragmentaires. Naturellement, je suis parvenu à la poésie qui possède cette densité, cette profondeur qui m’ont accroché. J’aimais l’idée – et j’aime toujours – de dire le plus avec le moins.
Qu’est-ce qui vous pousse à si pleinement vous engager pour la littérature ?
J’ai lancé L’Épître par frustration. J’avais 17-18 ans et je voulais écrire mais je savais que je n’étais pas prêt à publier mes textes. J’ai cherché des espaces pour progresser, pour recevoir des commentaires sur mes écrits afin de m’améliorer. Il n’existait pas vraiment de plateforme de ce type. Les concours, les maisons d’édition ou les revues ne font pas un retour critique systématique (c’est explicable, cela demande un tel investissement de temps et d’énergie que ces structures préfèrent les accorder aux textes retenus). Alors, j’ai pris le contre-pied. Je me suis dit que j’allais, justement, créer une plateforme où chacune et chacun recevrait un regard critique sur ses textes. Manifestement, il y avait un besoin car L’Épître reçoit chaque année des centaines et des centaines de demandes. Bien sûr, cette revue, qui s’est aussi développée en publication papier et en de très nombreux événements (performances, expositions, résidences, lectures, ateliers, médiations scolaires…), je n’ai pas pu et ne pourrais pas la porter seul. J’ai une équipe de 12 personnes avec moi aujourd’hui. Et puis plusieurs personnes m’ont apporté des soutiens décisifs. Lucas Giossi en effet, mais aussi Jean-François Haas, Frédéric Wandelère, Olivier Pitteloud, Thomas Hunkeler et puis encore tant que ce serait laborieux de toutes et tous les mentionner.
C’est vrai que ce qui me porte, depuis toujours, c’est cette volonté de défendre l’écriture, coûte que coûte. Je me bats pour que les écrivaines et les écrivains soient rémunérés correctement. Je me bats pour que des espaces de visibilité soient offerts à la relève littéraire. Je me bats pour que l’on comprenne que l’écriture doit imprégner nos vies, tout le temps, tout le monde – un peu comme le fait la musique. Je ne crains absolument pas la surproduction littéraire que certains dénoncent. Le problème, c’est la « surpublication » et la précipitation à sortir un livre qui mériterait d’être retravaillé.
En matière de littérature ou de poésie, qu’est-ce qui retient votre attention ?
C’est difficile de verbaliser spécifiquement les choses qui m’accrochent. J’arrive mieux à dire ce qui m’ennuie : la surinformation, la « surpoétisation », la « surmétaphorisation ». Ce quelque chose de trop, qui déborde, qui mousse au-delà du texte. J’ai l’habitude de dire que j’aime les récits secs, qui sont efficaces et qui évitent l’artifice, qu’ils soient vrais, crédibles, et non surfaits. Je suis nourri de littérature américaine et ai tendance à fuir l’épanchement lyrique. Et puis ça m’agace quand l’auteur ou l’autrice infantilisent son lectorat. Enfin, ce qui est absolument nécessaire, c’est de la nouveauté. Si j’ai le sentiment d’avoir déjà lu telle expression, tel rapprochement lexical ou telle image poétique, si j’ai l’impression de saisir trop vite la mécanique de l’écriture, ça va m’ennuyer. On le comprend, je m’intéresse beaucoup plus au style, à la manière, à la singularité de la machinerie textuelle, qu’à l’histoire.
Quel est le personnage littéraire auquel vous pourriez vous identifier ?
Je n’y avais jamais réfléchi mais peut-être qu’une partie de moi est très Philinte du Misanthrope. On le définit souvent comme le personnage ami de tout le monde, au mieux bienveillant, au pire hypocrite. Je trouve que c’est le juger bien sévèrement dans ce second cas. A mon sens, Philinte cherche simplement une position raisonnable que je comprends comme rationnelle. C’est un analyste de sang-froid de la société humaine qui ne se laisse pas emporter par ses émotions – et puis, il me semble, que c’est un personnage qui est très altruiste. Il cherche la conciliation, le consensus, il est profondément démocrate sans le savoir. Il ne faut pas oublier qu’il reste, sans défaillir, auprès de son ami Alceste alors que celui-ci l’envoie balader. Il ne se dérobe pas. Certes, il y a cette scène où il cherche à ne pas blesser Oronte qui déclame un mauvais poème. C’est peut-être là notre différence : quand on me demande un avis sur un texte ou sur un projet, comme Philinte, je chercherai à ne pas blesser, à ne pas détruire ; mais comme Alceste, je tâcherai d’être aussi sincère que possible. D’ailleurs, Alceste, lui non plus n’aime pas les artifices et l’épanchement lyrique.
« Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité ;
Ce n’est que jeu de mots, qu’affectation pure,
Et ce n’est point ainsi que parle la nature. »
Je pense qu’Alceste aurait fait un très bon éditeur.
Merci pour l’invitation !
Matthieu Corpataux : la biographie
Assistant diplômé en littérature française à l’Université de Fribourg, il prépare une thèse sur la typographie dans la poésie et enseigne au niveau Bachelor. En 2013 il crée la revue de relève littéraire L’Épître puis, en 2015, la maison d’édition des PLF qu’il dirige depuis 2017. Impliqué dans de nombreux projets culturels en Suisse, il est également écrivain. En 2020, il publie Sucres aux éditions de l’Aire et participe à de nombreux projets collectifs.
En 2021, il remporte la bourse d’écriture de l’État de Fribourg.
Avec pudeur, la femme de lettres a raconté les viols d’une petite fille par une femme. C’était à Genève, dans les années quarante. Des jeux d’adultes restés longtemps enfouis, occultés par l’esprit de l’enfant, la jeune fille, la femme… Chez ces gens-là, « On ne causait pas ». Puis un jour, elle s’est souvenue, par bribes, de son enfance. Alors « pour le dire » elle a écrit les fragments de ses souvenirs.
Dans sa deuxième partie de Tabou, la petite fille devenue adulte part à la recherche du Père absent. C’est dans la ville jardin de Singapour qu’elle le trouve sous la forme d’un arbre auquel elle rend visite régulièrement.
Paru en 2013 aux Éditions Samizdat, Tabou peut encore être acheté sur le site de l’éditeur.
Béatrice Corti-Dalphin : biographie
Béatrice Corti-Dalphin est née dans le quartier de Carouge, à Genève, en 1936. Son père était expert-comptable et sa mère institutrice.
Élève de « l’école supérieure des jeunes filles » de la rue Voltaire à Genève, Béatrice confiait à son journal intime – Le carnet en similicuir vert – sa solitude, le désastre du huis clos familial. Dévoreuse de livres et bonne élève, elle a commencé à écrire tôt.
Fascinée depuis toujours par l’Orient, ses séjours en Asie ont commencé en 1964.
Elle a exercé pendant plus de trente ans la profession de psychothérapeute indépendante.
Béatrice Corti-Dalphin a reçu de nombreux prix :
Société des poètes et artistes de France, Prix de poésie libérée, 1989
Prix de poésie libérée, 1992
Prix Anaïs Jacquet, 1993
Prix Laurent Desvignes pour « Samsara » 1995
Prix pour « Miettes de Bonheur », 2002
Grand prix de la nouvelle pour « Le thé chez Mariage », 2002