La Grande Maison : un livre coup de flingue
J’ai demandé à Lucien Vuille, ancien inspecteur de la police judiciaire, si tout ce qu’il relate dans son livre est vrai. « Tout ce que j’écris je l’ai vu mais à l’inverse je n’écris pas tout ce que j’ai vu ». Certes, ce qu’il décrit dans « La Grande Maison » – éditions BSN Press -, a déjà été mâché et remâché dans les films et les séries. Mais une fois sortis du cinéma, ou Netflix éteint, on se dit que ce sont des fredaines de scénaristes. Au pire, que si c’est inspiré d’une certaine réalité, cela se passe ailleurs quelque part à New-York ou à Marseille. Pourtant, cette « Grande Maison » comme les policiers eux-mêmes dénomment la police, est située à Genève. Or, ce témoignage est une assourdissante détonation. Un coup de Glock 9 mm tiré en l’air mais dont la déflagration nous laisse tétanisés.
Lucien Vuille : policier par hasard
Avant d’entrer à l’école de police, Lucien Vuille était enseignant dans un quartier difficile de Lausanne. Dans le cadre de ce travail, il rencontrait des enquêteurs de la brigade des mineurs qui cherchaient parfois des renseignements sur des adolescents fugueurs ou qu’ils devaient présenter devant le juge. Leurs récits de la vie de flic le passionnaient. C’est ainsi que l’un des policiers lui suggéra de tenter sa chance. L’idée fit son chemin.
Dans son livre, Lucien Vuille nous raconte toutes les étapes franchies avant de devenir inspecteur. Le début semble fastidieux. Pourtant, très vite, l’on se fait happer par les incohérences, les injustices et le favoritisme relevés au sein même de la police. Une fois le lecteur hameçonné, malgré le procédé d’écriture qui ressemble quasiment à la rédaction d’un procès-verbal, on ne lâche plus ce texte qui, peu à peu, nous mène au bord de l’étouffement.
La Grande Maison : des faits rien que des faits
Entre le racisme banalisé, le jargon professionnel issus des bouchers parisiens, celui-là même autrefois utilisé par les truands de Paname – le louchebém, ça vous dit ? – qui nous donne parfois l’impression que la police genevoise se croit dans une aventure de San-Antonio ou dans un film de Michel Audiard, les délinquants à la dérive parfois très stupides, les gaffes policières qui nous font nous éclater de rire, et la terrifiante détresse de quelques marginaux écrasés par l’existence, on s’immerge totalement dans la vie d’un flic. Un travail qui comporte ses moments fastidieux, ses subites montées d’adrénaline, ses confrontations à l’horreur de la drogue ou de la pédophilie, le tout saupoudré de violence ordinaire. Un livre qui nous apprend que pour être sauvé d’une femme maltraitante, il vaut mieux être son chien plutôt que son enfant.
Lorsqu’on lit les épreuves physiques et psychologiques auxquelles sont soumises les forces de l’ordre, l’on ne s’étonne guère que ce soit un métier avec un risque de suicide particulièrement élevé. Alors oubliez les stars françaises de la rentrée littéraire et leurs livres trop convenus, et lisez La Grande Maison de Lucien Vuille. Vous y apprendrez deux ou trois choses sur ce qui se passe dans nos jolies villes suisses, dans nos quartiers ou peut-être chez vos voisins. Vous y rencontrerez de vrais flics, de vrais dealers, de vrais indics, de vraies prostituées et de vrais paumés. Ces personnes que l’on s’acharne à ignorer et qui pourtant sont là, qu’on les aime ou non, qu’elles nous intriguent, nous peinent où nous révulsent.
Demain, ici même, vous lirez une grande interview de Lucien Vuille. Il abordera son vécu au sein des polices genevoises et neuchâteloises, et ce qu’il en a appris avant de retourner à l’enseignement.
Mais auparavant je vous laisse découvrir sa biographie, telle qu’il me l’a livrée avec beaucoup d’humour, une chose à laquelle l’on ne s’attend pas forcément après avoir lu son ouvrage.
Lucien Vuille : sa biographie
« Je suis né à la Brévine, au cœur d’une vallée entourée de sapins dont on ne voit que le commencement, Sibérie de la Suisse au climat subarctique. J’y ai grandi, dans une ferme située dans un hameau nommé « Le Cachot », ça ne s’invente pas. Une fois mon bac empoché à La Chaux-de-Fonds, j’ai fait un bachelor en français et en histoire à l’université de Neuchâtel, puis un autre en sciences de l’éducation à la HEP. Je suis parti enseigner à Lausanne, dans le quartier haut en couleurs de la Blécherette, avant de partir travailler à la police judiciaire genevoise. Après avoir écumé les artères ténébreuses de la cité de Calvin, j’ai accepté la proposition de l’ancien chef de la police judiciaire neuchâteloise de revenir sur mes terres d’origines pour y rejoindre le bras armé de la justice locale. J’ai passé trois ans à la brigade des mœurs de la Chaux-de-Fonds, puis j’ai décidé de tourner définitivement la page de la vie policière et je suis retourné à l’enseignement. Tout en arrêtant des suspects et rédigeant des rapports de police, j’ai eu des enfants, des lapins et je me suis établi au Landeron, dernière frontière du monde neuchâtelois. Tranquillement installé à l’orée des bois, j’écris des livres, j’enseigne et je fais pousser des enfants, pas forcément dans cet ordre ».
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Sources :
- Illustration d’introduction à l’article : détail de l’illustration de Ken Ilias Auadi
- “La Grande Maison”, Lucien Vuille, éditions BSN Press
- Lucien Vuille, ex-inspecteur de l’identité judiciaire et écrivain
Qu’on me donne l’envie chantait Johnny, c’est réussi avec ta présentation du livre et de l’auteur ! Merci Dunia
Merci Nina.
Je ne sais pas ce que vaut ce livre en tant que témoignage sur la police. Mais ce qui me frappe le plus, c’est que ce Vuille est un écrivain né. J’espère qu’il écrira aussi des oeuvres de fiction.
S’il me lit, j’aimerais savoir s’il est un Vuille-dit-Bille, comme Corina, son père Edmond, et d’autres artistes ou militaires fameux, de cette famille qui existe aussi en version allemande:
Wille.
Concernant cette intéressante famille, je me rappelle que quand j’étais jeune, il y avait un personnage intéressant qui s’appelait Vuille et qui avait réussi à être propriétaire de tous les cinémas de Lausanne. Il y avait même eu un groupe de gauchistes qui avaient créé un CAC, Comité Action Cinéma, pour faire des manidfs contre lui en lui reprochant je ne sais plus quoi, peut-être de que les places coûtaient trop cher dans ses cinémas, ou le Vuille était un peu facho. Dans les années 70 c’était la mode d’être gauchiste et d’emmerder les types valables comme ce Vuille. Ledit Vuille avait d’ailleurs fini par faire faillite et on n’entend plus parler de lui. Mais ce n’était pas à cause des gauchistes du CAC, c’était parce qu’il était devenu mégalo et avait financé lui-même un film à gros budget, en espérant devenir un moghul à Holywood. Je me rappelle même encore le titre du film: Ashanti. Ca avait été un flop total et c’est pourquoi Vuille a été ruiné et son empire du cinéma lausannois a disparu. Ce qui est triste.
Je me suis demandé si ce Georges-Alain Vuille était aussi un Vuille-dit-Bille, comme les autres originaux.
J’ai posé vos questions à Lucien Vuille.
Voici ce qu’il m’a répondu :
“Il existe plusieurs familles de Vuille, effectivement mais je ne suis pas un Vuille-dit-Bille, mais un Vuille. Par contre, le général Wille c’est bien la même famille mais en suisse allemande le V+u c’est devenu W. La légende dit que l’origine des Vuille c’est des juifs du nom de Lévy. Persécutés il auraient fui dans les montagnes neuchâteloises et auraient changé leur nom pour s’acclimater (Lévy devient Vy-Lé puis Vuille). En tout cas, tous les Vuille viennent de la vallée de La Sagne.”
Ca alors, les Vuille de la Sagne seraient des Juifs…?
Je n’en reviens pas. C’est possible au fond, mais est-ce que le commandant de corps Ulrich Wille, fils du général, le savait? Lui qui était très sympathisant de ….. Ca me paraît incroyable.