Six leçons apprises pendant la crise, l’exemple de Bobst

En coécriture avec Julien Laran, Head of Business Service Unit.

Bobst SA, 5’500 employés, est le leader mondial des machines à emballer, de la boîte pliante, au carton ondulé. La division Service représente 30 % de ces effectifs avec 1900 personnes dont 850 techniciens et ingénieurs de maintenance sur le terrain, auxquels s’ajoutent des équipes en support technique, vente et marketing, supply chain réparties sur 29 sites dans 22 pays. La division Service est en croissance ininterrompue depuis 2009. Voilà pour le contexte, quand tout va bien. Soudain la crise, avec son lot de panique, de stress, de problèmes de rapatriement sanitaire d’équipes dispersées dans des pays à risque, alors que les moyens de transport sont cloués au sol. Depuis, six mois ont passé ; il est temps de se poser la question de son management et des leçons apprises.

Impératif n° 1 protéger la santé des équipes sur le terrain

C’est un impératif humain absolu pour sécuriser l’ensemble de l’organisation, bien au-delà des considérations économiques. Lorsque ce premier principe est défini, il fait partie des valeurs du management. Il permet de mettre en œuvre toute l’intelligence collective de l’organisation pour une cause humaine et de mobiliser les moyens nécessaires au rapatriement des collaborateurs en difficulté, le tout en quelques jours.

Supporter au mieux les clients

Principe d’inclusion, les clients ne doivent être laissés pour compte. Trois actions sont mises en place : communication transparente et régulière sur la situation et les possibilités de support, compréhension de leurs besoins à court terme et l’exploitation des meilleurs moyens à mettre à leur disposition. En accentuant l’esprit de solidarité et de support, ils se souviendront des efforts entrepris pour les dépanner au mieux des conditions présentes dans un contexte très difficile pour eux. Il faut aussi garder constamment à l’esprit que certains clients sont reconnus comme “industrie stratégique” par les gouvernements et donc soumis à une très forte pression et à un niveau d’exigence élevé. C’est le cas des fabricants d’emballages pour l’industrie alimentaire et pharmaceutique.

Accepter qu’une décision prise un jour puisse être remise en cause le lendemain

Plus facile à dire qu’à mettre en œuvre, lorsqu’il faut s’adapter d’heure en heure, tout en conservant une motivation sans faille dans un contexte de morosité et de coups de théâtre. Une phrase résume cet état d’esprit “Dans la tempête le capitaine et les marins doivent être agiles dans leurs réflexions et leurs actions pour tenir le cap”.

Donner un élan positif

Quel que soit l’état d’esprit du leader dans un contexte morose, son attitude ne doit rien laisser transparaître. Cet élan positif constant se remarque dans tous les moyens de communication moderne mis à sa disposition pour garder un contact régulier avec les équipes et les clients dispersés à travers le monde : chats, vidéos et téléconférences.

Une informatique solide

Basculer rapidement d’un environnement local à un home office, avec toutes les connexions que cela suppose, demande une informatique d’excellent niveau, des outils modernes et un support sans faille.

Se gérer soi-même

Sur le long terme, l’épuisement guette le leader, rien ne sert d’effectuer des horaires interminables. L’équilibre est nécessaire, sans doute encore plus que d’habitude. Le sport ou d’autres activités doivent permettre d’évacuer le stress et la pression endurés pendant la journée. Les leaders doivent se gérer davantage durant une crise.

 

Au-delà de ces six apprentissages managériaux, force est de constater que cette crise a été une chance inespérée de travailler sur une cause commune, de recombiner les moyens à disposition et d’éloigner durablement les querelles dues à la force des habitudes et parfois au manque de collaboration entre les grandes fonctions de l’entreprise. Une telle crise permet de recentrer naturellement les équipes sur les objectifs communs d’une entreprise : satisfaire et supporter ses clients, protéger ses employés et leur assurer un environnement de travail épanouissant, mais aussi maintenir un bon résultat financier et préparer le futur avec agilité.

“Savoir dire non” sous l’angle des luttes de pouvoir

Dans les revues et journaux, le “savoir dire non” est traité sous l’angle psychologique. L’individu collaborateur est décrit comme un tout émotionnel incapable de résister à son patron – forcément tyrannique – ou à ses collègues auxquels il ne faut pas déplaire sans risquer l’exclusion. Dans son article paru dans Le Temps du 4 septembre, Julie Eigenmann, nous donne l’exemple d’un journaliste pigiste incapable de dire non quand on lui demande un travail supplémentaire, non rémunéré. Il est facile de dire “ce garçon, manque cruellement de leadership”. Je dirais le contraire, ce pigiste a raison, il n’a pas le pouvoir – réel ou supposé – de refuser.

Dire non est un pouvoir

Pour centrer le débat, je vais dire qu’une personne dans une organisation a du pouvoir lorsqu’elle détient des connaissances, des formations spécifiques ou une notoriété difficile à acquérir. Par exemple, le journaliste, qui a reçu un prix international, a un pouvoir certain sur son rédacteur en chef. Il peut facilement lui refuser des demandes irraisonnables ou un travail inintéressant.

Le pouvoir n’est réel pas, il est supposé

Curieusement, et cela est contre intuitif, plus vous montez dans la hiérarchie moins vous avez de pouvoir, pour une raison très simple : “Que faire face à un refus ?”. Licencier le rebelle ? Chouette ! Vous êtes parti pour douze mois de recherche d’un nouveau collaborateur avec tout ce que cela suppose d’interviews, de pressions diverses et de frais de chasseur de têtes. Conséquence pour le patron, son intérêt est d’utiliser son influence, un jeu habile entre la crainte et l’espoir de récompense.

Alors que faire ?

Il y a deux choses à faire. Premièrement, il s’agit de bien comprendre le contexte dans lequel on évolue et se poser la question : “Ai-je cette parcelle de pouvoir obtenue par mes connaissances ou ma notoriété ?” Si la réponse est non, retournez-vous vers l’exemple du pigiste et changez de métier ou d’entreprise. La seconde solution est élémentaire, elle est inscrite dans tous les livres de développement personnel : pensez d’abord à vous, soyez égoïste. Vous deviendrez alors la dernière personne à qui l’on viendra demander de faire des heures supplémentaires.

Enfin, les choses à ne pas faire

Votre patron arrive devant vous, stressé et pathétique, prêt à vous offrir des fleurs ou des chocolats. Il vous demande si, exceptionnellement, vous ne pourriez pas l’aider à finir son rapport demandé par la direction générale, en toute urgence. Ne lui répondez surtout pas : “Impossible, je dois repasser mes chaussettes”. Quelques fois, il ne faut pas laisser passer sa chance d’être bien vu.