Pourquoi le télétravail va finir dans le décor ?

Dès l’obligation du confinement, les dirigeants ont été hostiles au télétravail et ont rapidement annoncé une perte de productivité de l’ordre de 30 %. Il faut dire que rien ne plaidait en sa faveur. On peut citer : la faiblesse des systèmes IT, la désorganisation liée à la dispersion soudaine des collaborateurs, mais plus surprenant, la panique d’un certain nombre de managers clef, certains n’hésitant pas à arguer qu’ils “ne voulaient pas mourir pour l’entreprise”.

Dans un second temps, l’effroi est retombé pour laisser la place à une analyse plus rationnelle de la situation. Trois types de population ont été identifiés.

  • Les laissés-pour-compte sont ceux qui n’ont pas été affectés à un travail particulier pendant cette crise parce que leurs qualifications n’étaient pas suffisamment spécifiques compte tenu des priorités du moment. Pour ceux-là, il faudra bien communiquer sur l’importance de leur job lorsque la reprise sera à nouveau au rendez-vous.
  • Les hyperimpliqués ont été sur tous les fronts pendant cette période de crise. Ils n’ont ni compté leurs heures, ni tenu compte de leur impact sur leur santé. “Ceux-là, il faudra les chérir” comme dit Machiavel et il ajoute “sauf s’ils deviennent trop cupides”. Malheureusement, certaines professions choisissent la revendication, les hausses de salaires et une large participation du patronat aux frais d’installation à domicile.
  • Les vacanciers intérimaires sont ceux qui ont répondu sur Skype, Team ou WhatsApp sur leur terrasse, mal rasé, mal coiffé ou semblant sortir d’une sieste bien méritée. Aïe pour eux, leur engagement vis-à-vis de l’organisation peut grandement être remis en question. Les traces seront indélébiles.

Si on analyse ces trois populations, on peut comprendre que l’engouement des patrons et des dirigeants ne convergent pas vers une libéralisation du télétravail. L’écart de perception entre les uns et les autres reste trop important. Un peu plus de discrétion et moins de revendications de la part des salariés auraient été nécessaires pour prendre ce grand virage sociétal pour le bien de tous.

Bernard Radon

Certains considèrent les organisations publiques et privées comme un lieu de tragédie face à un management peu enclin à la compassion. D’autres sans doute plus cyniques, y voient surtout une représentation d’opérette où se pâment les galons dorés, dans l'imbroglio de relations humaines. C’est autour de ces visions différentes que le combat des acteurs pour leur survie se cristallise dans un univers intentionnel, égoïste et myope. Ce blog veut décrypter ces liens humains qui relient toutes les relations complexes où le terme stratégie rime avec tragédie pour donner quelques pistes à ceux (petits et grands) qui les vivent au quotidien. Bernard Radon N°1 du coaching de managers en Suisse romande.

18 réponses à “Pourquoi le télétravail va finir dans le décor ?

  1. Vous oubliez l’essentiel: sans un téléphone qui sonne tous les quart d’heure et au moins une réunion par jour, certains cadres risquent de révéler leur peu d’utilité.

    1. Je ne suis pas certain de l’inutilité des cadres dans les prochaines années. Il est toujours nécessaire d’avoir des relais qui soient capables de coordonner des activités, de les contrôler et de mettre en oeuvre des stratégies venues d’en haut. Il me semble aussi que les différents niveaux hiérarchiques ont été largement aplatis et que peu de gain de productivité sont à attendre de ce côté. Le danger ne viendra pas de là, mais plutôt d’une mise en réseau d’experts recrutés en ligne dans le monde entier, à moindre coûts.

      1. Les vacanciers intérimaires….
        Ce qui compte, c’est donc être bien rasé et bien habillé. Qu’importe qu’on aie bossé comme un dingue de chez soi, même en T-shirt, pendant le confinement, l’implication dans l’entreprise se mesure donc à la marque de rasoir et à l’étiquette du costume.
        Raccourci désolant qui témoigne de ce qu’on attend de l’autre dans l’entreprise. Le chemin à parcourir est encore immense.

        1. @Rollmops. Effectivement, dans mon dernier livre le sous-titre est l’attitude plus que l’aptitude. Vous êtes jugé à la fois sur votre expertise et sur votre comportement. C’est un fait que vous ne pouvez que regretter.

    2. Je rejoins tout à fait votre point de vue.

      A ce propos, deux types de parasitage économique ont été décrits par Robert Sutton, professeur de management à la Stanford Engineering School, et David Graeber, anthropologue et professeur à la London School of Economics.

      Robert Sutton a écrit un ouvrage très intéressant : « Objectif zéro sale con (Petit guide de survie pour faire face aux connards, despotes, enflures, harceleurs, trous du cul et autres personnes nuisibles qui sévissent au travail » (https://www.payot.ch/Detail/objectif_zero_sale_con-robert_sutton-9782266225755) dans lequel il décrit la nuisance de tous les petits hitleraillons de bureaux et autres arrivistes qui donnent l’illusion de servir les intérêts de l’entreprise mais qui , au final, coûtent beaucoup plus qu’ils ne rapportent.
      Une page Wikipedia (malheureusement seulement en anglais) est consacrée au concept : https://en.wikipedia.org/wiki/The_No_Asshole_Rule

      David Greaber a défini le concept des « jobs à la con » (« Bullshit jobs » en version originale) dont une bonne synthèse est également disponible sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bullshit_jobs

      Il est clair que tous les individus épinglés par ces deux auteurs n’ont aucun intérêt au développement du télétravail qui les prive de leur terrain de jeu favori.

  2. Je suis d’accord avec le premier commentaire: je prédis la disparition de nombreux cadres dans les prochaines années. De plus, votre analyse sur le télétravail semble relever d’une pensée désuète. Le télétravail permet notamment une meilleure conciliation vie privée / vie professionnelle, le désengorgèrent progressif des transports publics et des axes routiers, l’augmentation de la productivité, la diminution de certaines charges pour l’employeur (loyers, frais généraux). Après évidemment que le télétravail a certains méfaits mais que l’on peut réduire (perte de liens sociaux, absence de droit à la déconnexion générant une anxiété supplémentaire).

  3. Pour l’avoir testé déjà il y bien des années alors que c’était encore (très) peu usité (je suis maintenant à la retraite depuis 9 ans), je peux vous assurer que le télétravail, outre les économies de temps, de consommation de ressources et de pollution (en raison des trajets journaliers évités), permet un net GAIN de productivité: moins dérangé, organisation du travail sans interruptions intempestives, plus de “liberté de mouvement”.
    Bien sûr, ce n’est à l’évidence pas envisageable pour tous les métiers, et d’autre part il n’est pas question de ne faire QUE du télétravail, il faut aussi garder un contact physique avec ses collègues et ses supérieurs, disons un ou deux jours par semaine au moins, mais quand cela est possible, les avantages l’emportent nettement sur les inconvénients.

    1. @Pierre-André. Nous sommes d’accord que le télétravail est une belle avancée à la fois sociétale et technologique.Il faut poursuivre le mouvement en prenant soin des difficultés organisationnelles et juridiques.

  4. Mon fils travail dabs l’analyse financière à Londres et pratique le télétravail depuis février. Son entreprise avait décidé cette option avant l’irruption de cette pandémie. L’équipe a une réunion quotidienne Le Matin et peut s’appeler la journée au besoin. Toute l’équipe semble satisfaite de cette décision et souhaite continuer dans cette voie. Vu de Suisse, retraité, il me semble que c’est une option intelligente si l’activité le permet et si les réseaux de communication sont adaptés.

  5. Si vous voyez passer de petits mandats freelance de conseil dans la com (supervision d’identité visuelle, aide stratégique, idées créatives ou de positionnement), suis volontiers à votre disposition depuis ma ferme d’Uruguay.
    D’avance je vous en remercie, cher Bernard 🙂

  6. le télétravail a commencé bien avant cette pandémie et ne va que s’intensifier grâce aux technologies.
    La vision des vieilles structures hiérarchiques va disparaitre et laisser la place à une organisation axée sur la responsabilité des collaborateurs .

    1. Je connais ce courant de la pensée dominante qui veut que les structures hiérarchiques disparaissent. Elles tiennent plus de la méthode Coué que de la réalité. Malheureusement.

  7. Le télétravail c’est bien joli mais il ne faut pas oublier l’absence de la communication non verbale, la disparition des problèmes qui se résolvent au café matinal et un esprit d’équipe affaiblit. Donc une proportion de télétravail c’est bien mais il faut quand même un pourcentage de travail en équipe. Il faut aussi des managers capable de diriger une équipe au télétravail ce qui est bien différent qu’au bureau.

    1. Personne n’a jamais prétendu qu’il ne fallait faire QUE du télétravail (voir mon commentaire plus haut). Mais deux ou trois jours par semaine de travail à la maison sont tout-à-fait raisonnables et productifs, pour les métiers qui s’y prêtent bien sûr.

  8. “Les vacanciers intérimaires sont ceux qui ont répondu sur Skype, Team ou WhatsApp sur leur terrasse, mal rasé, mal coiffé ou semblant sortir d’une sieste bien méritée. Aïe pour eux, leur engagement vis-à-vis de l’organisation peut grandement être remis en question. Les traces seront indélébiles.”

    Comme traducteur indépendant, je ne sais pas ce que j’aurais fait pendant le confinement sans le télétravail, que je pratique depuis plus de dix ans. Mes commandes n’ont même jamais été aussi nombreuses que pendant cette période où, paraît-il, la moitié de l’économie mondiale est à genoux et le quart de la population dite active pointe au chômage. Sans lui, n’y -t-il pas de bonnes raisons de croire qu’elles le seraient à cent pour cent?

    Je n’utilise pourtant ni Skype, ni Team, ni WhatsApp, ni d’ailleurs aucun logiciel commercial, et ne travaille pas en état de semi-somnolence sur ma terrasse, pour la simple raison que je n’en ai pas. Il m’arrive même parfois de me raser et de me coiffer (mes clients ne l’exigent pourtant pas). Enfin, étant mon propre employeur, je n’ai de comptes à rendre à aucune organisation. D’ailleurs, le seul à pouvoir me licencier, c’est moi (pour cette même raison, je n’ai pas à craindre de “lockdowns”, ni de grèves, encore moins les brimades de petits kapos frustrés et complexés).

    Bien sûr, tout métier ne se prête pas au télétravail. Mon plombier ne va pas déboucher mes conduites d’eau, ni mon électricien changer mes prises, mon médecin ne va pas me faire faire ma prochaine prise de sang (je passe sur ses autres prélèvements) ni mon dentiste soigner ma rage de dents par Internet. Il n’en reste pas moins que la pandémie a confirmé ce que tous les usagers du télétravail savaient déjà: celui-ci peut être une aide irremplaçable dans certaines situations critiques. Sans lui, journalistes – demandez-le à ceux du “Temps” -, enseignants et chercheurs, sans parler des innombrables entreprises, services et administrations qui ont pu assurer un semblant de continuité dans leurs activités, seraient au chômage ou à l’aide sociale. Je rejoins donc tout à fait les propos d’autres commentateurs à cet égard.

    C’est vrai, le télétravail ne va pas de soi et n’est pas le remède à tous les maux. Comme l’informatique dont il dépend, Il ne devrait pas moins être accessible à tous. Encore faut-il vouloir s’y adapter, ne pensez-vous pas?

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