L’entreprise libérée, une forme moderne d’esclavagisme librement consenti

En co-écriture avec Lucas Piccirilli étudiant à l’IMSG.

L’entreprise libérée est un système d’organisation qui laisse les collaborateurs prendre des initiatives plutôt que de leur donner des directives. Le but est d’accroître leur productivité tout en favorisant leur bien-être et donc leur implication au travail. Cette spirale positive est séduisante.

Vers un nouvel esclavagisme

Mais derrière ces entreprises libérées se cache sournoisement un esclavagisme économique des temps modernes. L’exemple d’Apple est pathétique. Bien que l’entreprise reste encore du type hiérarchique, elle n’hésite pas à vendre aux jeunes talents du monde entier le “bon vivre” qui règne dans l’organisation : salles de jeux, terrains de sport, restaurants et distributeurs gratuits… Plus intéressant, le mode de recrutement laisse entendre aux postulants qu’ils font partie de l’élite. Résultat, ces méthodes galvanisent le présentéisme des collaborateurs : les employés deviennent addicts à leur travail au détriment de leur vie privée.

Si vous voulez en avoir une vision apocalyptique cliquez sur la vidéo ci-dessous.

Avec cette nouvelle forme d’organisation, on trouve une forme de soumission volontaire, asservie par un discours managérial parfaitement élaborée. Heureusement, deux logiques viennent perturber les bienfaits de cette nouvelle forme de coopération.

  1. La logique de l’entreprise libérée prône l’auto contrôle. Mais celle-ci peut bien vite glisser vers le contrôle de tout le monde par tout le monde, chacun des membres d’une équipe étant en permanence sous le contrôle de l’ensemble de ses membres.
  2. La logique de l’exclusion de l’encadrement laisse penser qu’une intelligence collective spontanée puisse supprimer tous les problèmes d’une entreprise hiérarchisée. Cela relève d’une véritable méconnaissance du fonctionnement des entreprises. Effet, qui coordonne les activités complexes et surtout qui décide face aux risques du marché ?

En bref

L’entreprise libérée est vendue comme un mode humain, fait de respect et de confiance qui permettent l’épanouissement et le bonheur au travail. Toutefois, au-delà des avantages qu’elle présente sur le papier, elle constitue des limites rapidement identifiables : nouvelle forme de servitude, mauvaise gestion des risques habituellement gérés par des hiérarchies de professionnels, jeux politiques internes renforcés, perte d’expertise et incapacité à faire face aux crises sont autant d’éléments qui nous font dire que l’entreprise libérée n’est pas l’entreprise de demain.

Bernard Radon

Certains considèrent les organisations publiques et privées comme un lieu de tragédie face à un management peu enclin à la compassion. D’autres sans doute plus cyniques, y voient surtout une représentation d’opérette où se pâment les galons dorés, dans l'imbroglio de relations humaines. C’est autour de ces visions différentes que le combat des acteurs pour leur survie se cristallise dans un univers intentionnel, égoïste et myope. Ce blog veut décrypter ces liens humains qui relient toutes les relations complexes où le terme stratégie rime avec tragédie pour donner quelques pistes à ceux (petits et grands) qui les vivent au quotidien. Bernard Radon N°1 du coaching de managers en Suisse romande.

18 réponses à “L’entreprise libérée, une forme moderne d’esclavagisme librement consenti

  1. Excellente article, c’est de même pour les nouveaux startups comme Uber. En effet, vu que les couts des opérations retombent sur les entrepreneurs conducteurs, leur marge de profit et salaire sont nettement plus bas qu’en grande entreprise. De plus, la compagnie enregistre des pertes depuis le début de son existence, ce n’est donc pas une option envisageable pour les autos-preneuses que ne veulent pas se réduire à l’auto-esclavagisme dans la monte des charges prédictible dans le futur.

  2. Excellent article à faire impérativement lire à tous les managers qui ne sont pas prêts à se remettre en question. Très certainement que si sur notre planète, tous les managers ou ne serait-ce que la majorité d’entre eux, étaient des leaders inspirants, le mouvement des entreprises libérées n’aurait jamais vu le jour. Mais nous ne sommes pas sur cette planète. Combien de managers sont-ils des leaders? Vu le manque d’engagement des collaborateurs mis en avant par Isaac Getz, certainement trop peu. D’autre part pour éviter la confusion entre les entreprises libérées et le paternalisme ‘googlien’ je vous conseille vivement le libre le Frédéric Laloux ‘Reinventing Organization’ qui décrit bien ces différences. Enfin, le mouvement des entreprises libérées n’est pas vendu et il n’est pas à vendre. Il émerge et est le reflet d’un besoin de sens dont la collaborateur a besoin pour s’engager. Sens qui a souvent disparu au profit de la recherche des bénéfices courts termes.

    1. Je vous rejoins sur la totalité de vos commentaires, sauf le dernier point “l’entreprise libérée n’est pas à vendre”. Au contraire, cet axiome de l’entreprise libéré est à vendre et les vendeurs de phantasmes crient “Présent !”.

  3. Bonjour, Le concept d’entreprise libérée ne peut se concevoir que si TOUTES les parties prenantes de l’entreprise sont profondément lucides de la convergences des intérêts réciproques de chacun à partager les bénéfices autant que les efforts. La lucidité c’est comprendre les activités du moi dans ses rapports avec les gens, les idées, les choses. C’est le processus continu d’éveil par lequel nous mettons en lumière ce que nous sommes. (Carfantan, 1992). Mais La lucidité ne se décrète pas…
    ne s’apprend pas ! Et donc ne s’enseigne pas ! Mais elle se développe selon la théorie socio-cognitive d’Albert Bandura dans des Groupes d’Appuis et de Progrès. G.A.P. Élu en 2002, par ses pairs Nord-Américains comme « le psychologue vivant le plus émérite ». [email protected]

    1. Je comprends parfaitement votre point de vue. Cependant, les institutions qu’elles soient publiques ou privées se situent dans un contexte de ressources limitées. Dès que vous accédez à un certain niveau de responsabilité, la survie de votre groupe dépend des budgets que vous avez pu négocier… avec des jeux de pouvoir dignes des plus mauvais polars de série B. Malheureusement.

  4. J’ai lu avec attention votre texte et comme vous le nommez à juste titre c’est une critique. Une critique peut-être prise tant négativement que positivement.
    Je pense que l’entreprise libérée s’inscrit également dans un mouvement historique de notre histoire des civilisations.
    Sommes-nous déjà prêt à assumer cette mutation?
    C’est toute la question peut-être , comment allons-nous accompagner une transition vers une nouvelle société où justement il existera plus de co-responsabilité de part et d’autre mais sans que l’une et l’autre partie soit le dindon de la farce.
    En conclusion, n’évaluons-nous pas cette perspective avec des critères d’évaluations ou des grilles de lecture de pensées anciennes au lieu de nous projeter dans l’avenir et connaissons les risques de nous dire comment pouvons faire pour éviter cela?

    1. J’aimerais être d’accord avec vous, mais une pratique de plus de 20 ans dans les organisations m’a prouvé que cela est impossible, à moins d’une révolution. Je ne suis pas un révolutionnaire, je veux juste aider ceux qui sont confrontés à un monde économique sans concession. Et j’estime que cela n’est déjà pas si mal. Alors pourquoi leur mentir ?

      1. Là je vous rejoins, voilà 20 ans qu’il existe résistance. Comment appelle-t-on encore ce phénomène en systémique? Lorsqu’un système cherche à maintenir son équilibre contre l’évidence du besoin de changement.

        1. Bonjour Michel, je ne parle que de ce que je connais de l’intérieur. Je n’arrive pas à me laisser ébouriffer par des discours dont je ne peux pas en vérifier l’exactitude.
          Sans doute existe-t-il des entreprises qui fonctionnent selon ce modèle, comme il existe des couples exemplaires, mais je n’en n’ai pas encore rencontrés.

  5. Bonjour,
    Je souhaite par ces quelques lignes témoigner d’un purgatoire/enfer/”entreprise libérée” dans lequel je me trouve être salariée.
    Nous sommes une petite structure, et donc nous ne pouvons nous permettre de receler des profiteurs, parasites, micromanagers dans l’âme. Or, devinez quoi ? C’est exactement le genre de plaie que l’on subit. Lesdits profiteurs ne respectent pas les horaires, bâclent le travail, commettent boulette après boulette (pour rester polie) envers les clients (le genre de faute qui aurait justifié un licenciement immédiat pour faute grave dans toute autre structure), se permettent de tyranniser les collègues moins “grandes gueules” (donc moins aptes à se défendre contre leurs agressions); bref abusent à fond sans que personne ne puisse leur dire quoi que ce soit.
    Pas de régulation possible, pas de rôle de fusible de qui que ce soit. Et avec les manipulateurs et abuseurs on ne peut pas réellement instaurer un dialogue de confiance.
    Selon moi, je vois deux conclusions : la première, à savoir que l’humain étant un animal social, les structures hiérarchisantes sont dans sa nature au même titre que les structures d’autres animaux sociaux. Les rôles sont présents de manière naturelle et/ou formelle, mais toujours forcément de manière naturelle. Or lorsque certains veulent occuper la place de tyran, ils en appellent tous les jours aux mots magiques “entreprise libérée” comme prétexte pour que l’on ne remette jamais en cause leur comportement irresponsable et profondément égoïste. Lorsque les rôles ne sont pas clairement statués et légitimés, on silencie et écrase les personnes qui voudraient se montrer assertives et mettre au jours les dysfonctionnements structurels et comportementaux des “grandes gueules”.
    Deuxième conclusion, je comprends bien que cette fameuse “entreprise libérée” est une conséquence (et non une solution) d’un réel mal-être dû au management taylorien tellement 1.0 (et qui a généré tant de souffrances, et là aussi je sais de quoi je parle…); mais j’y vois une fuite en avant : au lieu de s’attaquer au taylorisme micromanagérial tyrannique qui sévit depuis trop longtemps, on efface le management purement et simplement… pour moi c’est un peu comme d’avoir en face une personne souffrant de migraine, et au lieu de chercher la cause du mal et de s’y attaquer, on lui détache la tête du corps, promettant à ce dernier qu’il ne souffrira plus de migraine… c’est juste absurde en somme.

    1. Bonjour, je trouve votre expérience très intéressante. Étant actuellement en train de préparer mon mémoire de fin d’étude sur ce sujet, je suis à la recherche des salariés comme vous pour comprendre un peu plus leur regard sur cette nouvelle forme d’organisation, et non pas me fier seulement aux discours des sociétés Favi ou encore chronoflex qui abordent cette question avec une vision d’excellence.
      Je souhaiterais si possible entrer en contact avec vous, je vous en serai reconnaissante. Merci.

      1. Volontiers. Mais dites vous que le management suisse est bien différent de la France. Vous pouvez me contacter via ma messagerie professionnelle ou sur Linkedin.Bonne journée.

  6. Bonjour,
    Tout d’abord je souhaitais vous remercier pour cet article présentant les limites que peuvent être l’entreprise libérée.
    Toutefois, je ne saisis toujours pas un point. Est-ce qu’il y a toujours une organisation formelle et hiérarchique dans l’entreprise libérée ou bien on parle davantage de structure horizontale ?
    Et de fait, quelle est la différence avec l’holacratie ?
    En vous remerciant.

    1. Il ne faut pas rêver, il existe toujours une hiérarchie. L’idée de ces modèles est que cette hiérarchie est horizontalisée. Mais cela ne change rien, à un moment il faut que quelqu’un décide. Prenez l’holacratie, il existe des règles qu’il faut appliquer, sinon vous vous trouvez devant une organisation anarchique. Quant à la différence entre l’entreprise libérée je vous laisse le soin de faire un doctorat sur le sujet.

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