Pendant ce temps en Roumanie… (II) – un pays en quête d’authenticité

Dans la deuxième partie de cet article, je présente une lecture de quelques éléments de culture politique et de stratégies de captation de pouvoir dans ce qu’on appelle « l’éternellement fascinante Roumanie».

Mais d’abord, une brève mise au point : à l’heure où je débute cet article, le président de la Roumanie a décidé de refuser la proposition faite par l’actuel ministre de justice, à savoir, de mettre à la porte le procureur général de la Direction Nationale Anti-corruption. En ce moment, ce geste a surtout une valeur symbolique, de résistance à ce qui se ressent comme une avancée inexorable de l’impunité et de la corruption vers les sommets du pouvoir et partout dans le pays. L’efficacité de cette agence est désormais sévèrement entravée par des changements de lois qui dépénalisent certains actes de corruption et abus et par l’élimination des instruments institutionnels qui, jusque là, participaient pleinement à son activité et ses opérations. La Cour Constitutionnelle, par de décisions discutables du point de vue légal et politique, a oeuvré en faveur de ce démantèlement de la lutte anti-corruption.

Sur le terrain de la justice en Roumanie s’affrontent dans une guerre civile froide deux mentalités. J’insiste sur le mot mentalité et non groupes d’individus, car il n’est pas rare de trouver ces deux mentalités dans un seul individu, ou dans un groupe défini par des valeurs communes.

L’une, on l’appellera une mentalité féodale, ancrée dans des siècles d’exploitation basée sur l’abus de pouvoir exercée par un qui « coupe et pend » (traduction directe du roumain), incarnée de nos jours dans les « barons locaux » qui se comportent comme s’ils avaient le droit de vie et de mort sur les habitants de nombreux départements du pays ; ils contrôlent les moyens de financement des projets publics, des réseaux d’emploi et d’éducation et parfois maintiennent des villages et régions entiers à l’assistance sociale, sans mettre en oeuvre des politiques qui pourraient aider les gens à devenir indépendants et autonomes. Ils peuvent faire abstraction des lois et des mécanismes de la Justice et ont un grand pouvoir dans la vie politique. Le résultat de telles stratégies est un défaitisme généralisé et une croyance que rien ne peut être fait, que la seule chose qui reste est d’espérer qu’après le saccage des ressources, quelque chose, des miettes, restera aux autres, pour survivre.

L’autre mentalité est le produit d’environ 150 ans de lutte et d’efforts de la part des élites de mener le « projet de modernisation » roumain à bon port ; on l’appellera « moderne et démocratique », bien que les termes peuvent être débattus. C’est une mentalité qui s’est consolidée surtout pendant les derniers 30 ans, et elle doit beaucoup au fait que de grands nombres de citoyens roumains ont pu voyager, se former et travailler dans des pays européens, voyant ce qui peut être réalisé par le respect des normes, des droits et par un exercice modéré et respectueux du pouvoir. On parle d’ « idéal européen ».

Rappelons-nous, pourtant : la Roumanie se vit et se voit souvent comme l’arrière scène de ce combat symbolique et stérile entre l’Est et l’Ouest, entre le « despotisme oriental » qui ne réussit pas à tout annihiler du sursaut démocratique et l’idée occidentale de progrès linéaire, qui déçoit à chaque fois que l’Europe semble se retourner contre les valeurs qui la guident… Ceci fait que, en utilisant les mécanismes et le discours de la démocratie, des « barons » autoritaires arrivent au pouvoir (et continuent à l’exercer en utilisant le populisme et autres appanages), mais aussi, que, ceux animés par des aspirations plus démocratiques (comme par exemples ceux qui ont poussé la réforme de l’Etat et l’indépendance de la justice) se trouvent parfois à utiliser des moyens despotiques et abusifs pour les mettre en oeuvre, mettant ainsi en péril les acquis de la justice. La réalité du terrain est plus que complexe, car elle soulève une question qui persiste au sein de toute société démocratique : quels moyens utiliser face à la corruption endémique, pour favoriser son éradication rapide – justement pour consolider un système démocratique, qui, autrement, se voit démantelé à chaque alternance politique?

Pris dans l’étau géographique et politique des empires concurrents, les roumains ont perdu trop de temps (des siècles) en essayant de répondre à une question binaire, « sommes nous plutôt comme eux ou comme les autres »? et en essayant de les imiter ou de les rejeter. Ceci les empêche de trouver un réponse spécifique à la question de la corruption, et, au-delà, aux questions cruciales que notre époque pose. Oui, il y a des réflexes qu’on peut associer plutôt aux excès orientaux, mais il y a aussi des véritables aspirations vers la liberté, la démocratie et l’humanisme, qui, même oubliés en Occident, animent l’esprit et le sens civique des citoyens roumains.

A l’heure où je conclus cet article, Ion Iliescu, le premier président post « révolutionnaire » roumain se trouve mis en enquête pénale pour avoir instrumenté le coup d’état de 1989, qui a causé des nombreux décès « pour rien », comme disent ceux déçus par les derniers 30 ans. On parle de crime contre l’humanité. Pour quelqu’un qui a vécu la longue période lors de laquelle cette personne, ainsi que le système dont il était le sommet, restaient intouchables, ceci représente une énorme chance pour arriver à assumer notre histoire et à amener des propositions authentiques pour l’avenir. Au lieu de la démocratie « originale » qu’il proposait jadis (et vers laquelle le pays oscille tous les cinq-six ans), on pourra construire une démocratie originaire, faite des ombres, des lumières et surtout du corps à corps quotidien avec les défis globaux de notre monde, que chaque roumain serait à même d’engager, si seulement, en tant que société, on s’en donnait les moyens.

Ruxandra Stoicescu

Ruxandra Stoicescu est analyste et productrice média indépendante. Depuis quatre ans elle tient le blog audio Tales of the World et enseigne les relations internationales dans divers centres universitaires en Suisse romande. Formée à l'étude des relations internationales à la lumière de l'Histoire, elle propose un blog où les questions politiques et sociales contemporaines sont examinées sous l'angle de la longue durée.

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