La guerre en Syrie fait toujours rage, le sort des Rohingyas reste maudit, les enfants Yeménis souffrent toujours d’inanition, Facebook – le colosse aux pieds d’argile – est peut être en train de s’effondrer ; en Europe, le Brexit continue d’être une comédie des erreurs – sans calembours intelligents, seulement des quolibets – et l’UE chavire ; en Russie et en Chine on ne tient plus les momies au mausolée, mais direct au pouvoir. On comprendra donc, que ce qui se passe en Roumanie reste à peu près le dernier souci des journaux et des lecteurs dans le monde, à part, bien sûr, ceux directement concernés.
Je vous propose une lecture
De par sa culture et emplacement géopolitique la Roumanie a toujours été une scène où les excès de l’orient despotique ET l’arrogance de l’occident progressiste apparaissent dans leur gloire dérisoire et éphémère, personne n’y croyant vraiment. C’est pourquoi ce qui s’y passe actuellement ne peut pas vraiment être lu dans une autre clef que celle du cas roumain, un cas de civilisation sui-generis. C’est pourquoi ce n’est pas « comme la Pologne », ni « comme la Hongrie » , même s’il y a des points communs et, surtout, des stratégies similaires qui sont utilisées pour l’accaparation complète du pouvoir par divers intérêts économiques et politiques qui n’ont pas le bien public à coeur, mais seulement le leur.
La situation en bref
Actuellement, le parti au pouvoir, PSD, qui détient une majorité au Parlement (au travers d’une alliance qui, idéologiquement, pourrait sembler « contre nature », car le PSD se dit de gauche et ALDE se dit libéral et conservateur) est en train de modifier les lois de la justice pour faire en sorte que des condamnés dans des cas de corruption, ou des suspects, puissent détenir des fonctions publiques, même à très haute responsabilité (du type Président du pays). Il a essayé de décriminaliser l’acte de corruption (abus de pouvoir, abus en service, abus d’influence et la réception de pots de vin) – et partiellement réussi, ce qui a fait sortir dans la rue des centaines de milliers des roumains en février 2017. En ce moment, il y a un paquet de lois qui passe dans le Parlement comme une lettre à la poste (en tout cas du côté de la Chambre des députés) qui, en gros, est en train de démanteler les équilibres d’un état démocratique, en annihilant, par exemple, le rôle du Président dans le choix des dirigeants de la haute Cour de Cassation et Justice. Ceci se passe avec des graves entorses aux procédures parlementaires, permises par la majorité sus-mentionnée. Le reste des changements proposés sont, globalement, des efforts pour changer la situation juridique actuelle de certains politiciens haut-placés (par exemple en dépénalisant certains abus d’influence) – qui ont des procès en cours ou des enquêtes qui démontrent leur culpabilité – et d’empêcher que d’autres, qui n’ont pas encore été découverts avec des actes de corruption ou d’autre abus, ne soient mis sous enquête, jugés ou condamnés. Par exemple, en rendant possible l’accusation de « grave négligence » ou « malveillance » envers un magistrat qui instrumente ou donne une sentence dans un dossier, sans critères ou une définition claire de ce que ces deux cas de figures présupposeraient. Ceci ouvre la possibilité d’intimidation exercée dans le système par des individus qui ont beaucoup d’argent et d’influence.
Différences avec d’autres pays
En quoi est-ce différent de la Pologne? Eh bien, déjà, parce que le système judiciaire roumain, aussi incroyable que cela puisse paraître, est passé par des réformes importantes – les derniers 10 ans de fonctionnement à peu prés démocratique, étant le fruit d’un travail ardu de décommunisation et de « nettoyage » faits à certains niveaux ; en tout cas, si besoin de réforme il y a, ce n’est pas dans les domaines qui sont visés actuellement. En plus, beaucoup de Roumains contestent ces changements et on ne peut pas dire qu’une majorité d’entre eux les appellent de leurs voeux. Une différence notable à retenir comparé à la Pologne est que les modifications proposées arrivent juste en dessous du radar juridique de la Commission de Venise, ce qui veut dire qu’elles se retrouvent dans la zone grise (sans beaucoup de détails spécifiques) des doctrines prononcées et détaillées par cette dernière. Ceci n’empêche pas la possibilité que la Commission note l’impact négatif de tels changements sur le politique. Le Groupe d’ Etats contre la Corruption auprès du Conseil de l’Europe vient de le faire. Pour l’instant, la Commission ne s’est pas prononcé.
Mais peut-être la plus grande différence avec la Pologne et la Hongrie est que, dans ces deux cas, les changements proposés, contestables et sujets au débats qu’il soient, ils font partie et sont présentés dans le cadre de ce qu’on appellerait un « projet de pays », une perspective d’avenir. Certes, ce sont des projets conservateurs, avec des accents que certains considèrent xénophobes, discriminatoires et contraires aux valeurs de l’Union Européenne, sous-tendus à certains endroits également par la corruption.
En Roumanie on est en passe d’élever explicitement le vol, la corruption et l’abus d’influence au rang d’un tel projet.
Dans la deuxième partie de ce post, quelques éléments de culture politique et de stratégies de captation de pouvoir dans ce qu’on appelle « l’éternellement fascinante Roumanie».