Bilan incertain d’une crise imprévue

 

Le site Coronavirus Update (Live) fournit jour après jour des statistiques détaillées par pays. Il est tributaire de ce que fournissent les autorités nationales, dont on découvre maintenant qu’elles ont tendance à sous-estimer la réalité. Ainsi au départ la France et la Grande-Bretagne se contentaient piteusement de n’annoncer que les morts dans les hôpitaux, pour finir par avouer que les EMS étaient aussi devenus des mouroirs accélérés. Quant aux morts à domicile, souvent le virus n’est pas identifié.

Donc la mortalité est largement supérieure à ce qui est publié et personne n’est en mesure de la connaître et d’agir en conséquence. Or, il suffit de comparer les annonces de décès 2019 et 2020 par l’état civil pour en avoir une meilleure estimation. Ainsi en Suisse selon la RTS, la première semaine d’avril la mortalité des seniors a été de 1700 contre 1400 d’ordinaire, ce qui met en doute le chiffre total de 1 716 décès de virus depuis le début. Ne parlons même pas des Etats menteurs comme la Russie, la Chine ou l’Iran. Pour ce dernier pays, on estime 15 000 morts réels au lieu des 6 000 annoncés.

Il faut donc prendre avec réserve ce qui est publié sur le site mentionné. L’indicateur le plus révélateur est le taux de mortalité par million d’habitants : la Belgique est toujours triste championne apparente avec un taux de 677 alors que la France annonce 279. Les autorités belges se défendent en prétendant qu’elles annoncent tous les décès. Ce serait intéressant de savoir vraiment ce qu’il en est. En d’autres mots de calculer un taux de mensonge.

Néanmoins pour se cantonner aux pays sérieux, il existe tout de même des disparités significatives : pour l’Allemagne, c’est 81, la Suisse 204, l’Autriche 66. Cela signifie que deux pays voisins étaient mieux préparés. Les plus frappants sont les pays asiatiques et océaniens : Japon 4 ; Singapour 3 ; Australie 4 ; Malaisie 3 ; Thaïlande 0.8 ; Nouvelle Zélande 4 ; Hong Kong 0.5 ; Taïwan 0.3 ; Cambodge 0 ; Polynésie Française 0 ; Laos 0. Soit une disparité de 1 à 100 entre eux et les pays développés européens. Chez eux, il n’y a pas de crise sanitaire et donc pas de crise économique. Même en admettant autant de mensonges qu’en Europe, ils se tirent mieux d’affaire tout simplement parce qu’ils sont coutumiers des épidémies et équipés en conséquence, matériellement et politiquement.

Les statistiques faussées, les annonces biaisées, les recommandations mensongères ne sont pas admissibles en période de crise aussi grave. Les gouvernements ne parviennent pas à agir avec pertinence au plus près de la réalité puisqu’ils se la dissimulent à eux-mêmes ; les populations perdent confiance dans les autorités dont ils découvrent la duplicité. On ne peut pas à un mois de distance prétendre que les masques ne servent à rien, voire sont contreproductifs, parce que l’on a été imprévoyant, et puis les recommander ou les rendre obligatoires quand on en dispose. Le prix à payer de l’impréparation a été le confinement, mesure improvisée et mortelle pour l’économie, dont notre survie dépend aussi. A Genève des gens ont tout simplement faim, parce qu’ils n’ont plus de travail.

Dès maintenant il faut créer une instance composée uniquement de gens compétents dans le domaine et indépendants, dotée des moyens nécessaires, pour essayer enfin d’établir les faits et, à partir de ceux-ci, de recommander une organisation, prête à faire face aux prochaines épidémies, dans toutes les dimensions : moyens matériels et humains ; mécanisme de décision ; information de la population.

Plus largement et plus tard, de prévoir les dangers auxquels nous sommes vraiment exposés et ceux qui sont moins probables. L’invasion du pays par des colonnes de chars est moins vraisemblable que l’incursion par un virus, la pénurie alimentaire par sécheresse planétaire, une intrusion dans les systèmes informatiques vitaux, un acte de terrorisme majeur, l’explosion d’une centrale nucléaire, etc. Il faut donc choisir entre des avions ou des drones et des missiles sol-air en fonction des menaces réelles et des moyens efficaces et non en faveur de l’industrie locale ou d’une idéologie. Sinon nous deviendrons à terme un protectorat de la Chine comme nous l’avons été des Etats-Unis pendant un demi-siècle.

Il faut aussi construire une autarcie pour les produits essentiels, soit au niveau du pays, soit au niveau du continent. Le fédéralisme est un des piliers de la Suisse mais on ne peut laisser subsister des lacunes de pouvoir et de responsabilité entre confédération et cantons. Il faut désigner des instances vraiment responsables et connues de tous. Il faut un Parlement professionnel, pas à temps partiel, et un gouvernement convenablement dimensionné, pas à sept. Nos institutions ont bien réagi dans l’improvisation, mais ce n’est pas une méthode fiable. Il y a mieux à faire. On aurait pu faire mieux. On aurait pu épargner des morts, des faillites, des chômeurs. Comme à Taïwan, pays inexistant que nous ne reconnaissons même pas, car notre pays protecteur nous l’interdit.

Comment la Suisse a échappé à la pandémie de 2020

 

Une fiction.

La gestion de la pandémie de coronavirus par la Suisse en 2020 a été considérée par les historiens de XXIe siècle comme un cas d’école reflétant la conjonction d’une excellence scientifique et d’un pouvoir politique prévoyant. Il faut dire que le pays s’était préparé de longue date, alerté qu’il l’avait été par l’épidémie de SRAS de 2002.

Le groupe de travail chargé de mettre sur pied le premier plan suisse de lutte contre les pandémies avait notamment insisté sur les questions matérielles en 1990. Il prévoyait en effet la constitution obligatoire de stocks de masques et de combinaisons de protection. En juin 2017, l’Office fédéral de l’approvisionnement économique (OFAE) constata que le stock de masques n’est fourni qu’à 70% de la norme prévue. Il y eut un moment de flottement, certains cercles de l’administration penchant pour confier la charge aux cantons et aux hôpitaux. Le Conseil fédéral est intervenu et a confirmé que c’était bien à l’OFAE d’en être responsable.

En 2018, une expertise du Pr Thomas Zeltner, ancien directeur de l’Office fédéral de la santé publique, montrait que le Service sanitaire coordonné était mal organisé. La répartition des compétences entre la Confédération et les Cantons n’était pas du tout claire mais elle fut précisée à cette occasion. En 2018 encore, après plusieurs années de travaux, un plan de lutte contre une pandémie de grippe en Suisse a été publié et mis en œuvre. Tout cela était dispersé à l’époque, réparti entre l’Office fédéral de la santé publique, l’Office fédéral de l’approvisionnement économique du pays, les directeurs cantonaux de la santé, la pharmacie de l’armée, le Service médical coordonné, les hôpitaux. Tout le monde avait une certaine responsabilité, mais personne n’était responsable de l’ensemble. Le Conseil fédéral remis de l’ordre et précisa les responsables des diverses fonction.

Pour les 12 premières semaines d’une vague pandémique, on estima qu’il faudrait 745 000 masques de protection dans les établissements stationnaires pour protéger le personnel ayant des contacts avec les patients. Comme le personnel médical, notamment dans les hôpitaux, aura des contacts étroits avec les malades contagieux, il lui faudra des masques de protection FFP2 ou FFP3.
Comme la Suisse ne produisait plus ces masques à l’époque qui étaient surtout produits dans l’espace asiatique, il fallait s’attendre, lors d’une crise, à ce que l’on ne puisse guère en importer plus. Dès lors, toujours à l’initiative du Conseil fédéral, les mesures furent prises pour relancer la production en Suisse. Il en fut de même pour tout le matériel de protection et pour les médicaments nécessaires dans un cas d’urgence.

La filière taïwanaise

Sachant que l’origine de ces épidémies se situe surtout en Chine, le Conseil fédéral avait pris une précaution supplémentaire en chargeant le Bureau de Représentation de Suisse à Taipei, Taïwan, d’une fonction très spéciale de monitoring de la situation sanitaire de la région. Rappelons que la Suisse fut la première à reconnaître le gouvernement communiste de la Chine le 17 janvier 1950. Comme ce gouvernement a revendiqué depuis Taïwan comme une province chinoise, il n’est pas possible d’avoir des relations diplomatiques avec les deux pays de fait. Néanmoins la Suisse a établi sous le nom de bureau de Représentation ce qui est en réalité une ambassade disposant des moyens les plus adéquats pour recueillir toute information pertinente sur la Chine continentale, car il ne fallait pas compter sur la transmission interne dans une dictature.

Ces renseignements, comme il est d’usage en diplomatie, se recueillent par le biais de relations personnelles. L’attaché médial suisse à Taïwan avait entretenu des relations étroites avec le docteur Gao Fu, directeur du centre chinois (continental) de contrôle des maladies infectieuses. Le 30 décembre 2019, celui-ci fut alerté par des médecins de Wuhan de l’apparition d’un virus ressemblant dans ses effets au SRAS.

La représentation suisse eut donc le privilège d’être la première informée en même temps que le gouvernement taïwanais. L’alerte fut transmis à Berne dès le lendemain et le Conseil fédéral se mit en ordre de bataille. Ignazio Cassis, seul médecin du CF, ancien médecin cantonal du Tessin, fut chargé de coordonner l’action. Lorsque le 31 janvier les premiers cas apparaissent en Lombardie, le CF, préparé à cette occurrence ferma la frontière même aux frontaliers, hormis ceux travaillant dans le secteur médical, qui furent hébergés dans des hôtels régionaux. Il en fut de même avec la France le 25 février après les premiers cas en Alsace.

Entretemps, la Suisse avait calqué ses mesures sur la stratégie de Taïwan. Dès le début de janvier les relations aériennes avec la Chine sont totalement interrompues. Une distribution de masques à la population est entreprise. Les hôpitaux prévoient des lits supplémentaires dans les services de soins intensif. Les manifestations rassemblant de nombreux participants sont interdites : cinémas, théâtres, concerts, opéras, stades. Églises interrompent provisoirement leurs activités. En revanche les entreprise et les commerces continuent à fonctionner et le chômage n’augmente pas. Les entreprises qui fabriquent des masques augmentent leur production pour faire face à la demande.

Une centaine d’autres mesures dans les domaines de la santé, de l’économie et de la communication furent prises. Le dépistage par drive s’installe et plusieurs centaines de milliers de tests sont réalisés par semaine. Les cas détectés sont mis en quarantaine ainsi que les personnes qui ont été en contact. Le port du masque devint la règle dans l’espace public, d’abord par suite d’un mouvement spontané, pour être finalement rendu obligatoire. Les amendes pour infraction vis-à-vis des règles de quarantaine sont également annoncées, ainsi que celles pénalisant les commerces augmentant le prix des matériels médicaux de protection. Grâce à ces mesures le confinement est limité aux personnes qui ne sont pas nécessaires dans le monde du travail.

Le résultat au rendez-vous

Le bilan fin avril 2020 s’est établi à 120 cas et 2 morts, en ligne avec les résultats de Taïwan, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Jamais l’activité économique ne s’est ralentie et la Suisse a même gagné des marchés dans les pays les plus affectés comme la France, l’Espagne et l’Italie, totalement paralysé. Historiquement, la Suisse n’aurait pas survécu si elle n’avait pas été organisée selon un modèle fédéral. Mais dans les situations de crise, un leadership central temporaire était indispensable. Lors de la crise bancaire de 2008, trois ou quatre personnes avaient géré les choses très vite, au départ sans l’ensemble du Conseil fédéral et sans le parlement. Notre société du risque exige une structure de gestion nationale claire face à la mondialisation, à la fois temporaire et rapide. Telle fut la leçon que la Suisse fédérale avait apprise dès 2008 et qu’elle appliqua de façon exemplaire en 2020.

La réalité

Le texte qui précède est ce que l’on appelle une uchronie, un genre qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à partir de la modification du passé. Par exemple que serait l’Europe si la bataille de Waterloo avait été gagnée par Napoléon, ce qui a failli se produire si le maréchal Grouchy n’avait pas commis une erreur fatale. Le but est de découvrir la ou les causes d’un échec historique lourd.

La gestion de crise du Conseil fédéral a été bonne, mais en amont, la préparation à une éventuelle pandémie et à la crise en découlant a été négligée de façon irresponsable. En prétendant pendant deux mois que les masques ne servaient à rien pour la population, Alain Berset et Daniel Koch ont dissimulé ce manque de préparation.

A la date d’aujourd’hui le bilan réel est de 29 407 cas et 1716 morts, soit mille fois plus que dans l’uchronie. Et une dette publique qui a enflé au-delà de toute proportion, et de nombreuses faillites de petites entreprises. Et des années pour réparer les dégâts.

En mode survie

 

Il faudra au moins une année pour que des vaccins puissent être proposés et, même ainsi, ce sera grâce à un tour de force des laboratoires. Il faudra donc s’accoutumer à vivre avec le virus, comme jadis nos ancêtres ont bien du supporter la peste et le choléra au prix d’une hécatombe récurrente et de crises économiques et politiques majeures. Nous allons aussi nous appauvrir, ce qui signifie toujours une augmentation de l’inégalité sociale. Nous allons donc nous disputer. Une peste engendre souvent et la famine et la guerre. Ce n’est pas un hasard.

A l’expansion vigoureuse du XIIIe siècle en Europe, aussi bien économique que démographique, succède un siècle de catastrophes. La famine éclate en 1315, la Guerre de Cent Ans débute en 1337 et la Peste Noire apparaît en 1347. La conjonction de ces trois phénomènes n’est pas une coïncidence, car leur effet commun est de réduire la population. On peut considérer que ce sont les mécanismes naturels de contrôle démographique qui sont entrés en jeu, faute pour la population médiévale de pratiquer une forme de contraception, qui dépassait manifestement son entendement.

Trois siècles d’expansion avaient fait doubler la population européenne. La France atteignit en 1300 une population de 20 millions d’habitants, soit déjà la moitié de sa population en 1914. Par ailleurs, la forêt avait été exploitée sans ménagement et le bois commençait à manquer, car il s’agit d’une ressource en énergie solaire, lentement renouvelable. Au XIVe siècle, la forêt occupait en France une superficie inférieure à ce qu’elle est maintenant. On avait en effet défriché toutes les terres cultivables avec les moyens rudimentaires de l’époque. Néanmoins, les terres fertiles étaient saturées par une population paysanne qui ne parvenait pas à nourrir les villes naissantes. En un mot, la population avait crû tandis que les ressources décroissaient selon une loi implacable de l’économie. Dans nos paysages, la trace de cette crise est l’interruption de la construction des cathédrales gothiques, magnifiques restes d’une période de prospérité qui s’est effondrée par le seul effet d’un bacille.

La Peste est venue comme la cerise sur le gâteau de la famine et a suscité la guerre. Le bacille était à l’état endémique en Chine (déjà) dont il se répandit par la route de la soie (déjà). Le taux de mortalité moyen, d’environ trente pour cent de la population totale et de soixante à cent pour cent de la population infectée, est tel que les plus faibles périssent et que la crise ne dure généralement que six à neuf mois. Pour réapparaitre lorsque les conditions sont réunies. La dernière épidémie européenne date de 1813 en Roumanie.

Telle est la donnée. Désagréable mais réelle. Comment vivre tout de même ? Ne serait-ce que pendant un an. Nous avons accepté le confinement, qui n’est rien d’autre que l’assignation à domicile, forme atténuée de privation de liberté. Pour la première fois la population, coupable d’exister, fut mise en prison pour expier les erreurs du pouvoir. Dès lors l’épidémie fut bloquée et n’engendra pas l’immunité prévue par la Nature. S’il n’ avait pas eu le confinement, avec une mortalité finale estimée de l’ordre du pourcent, cela aurait signifié pour la Suisse 80 000 morts en un an. Insupportable. Contraire à l’obsession du politiquement correct, selon lequel la mort d’un patient serait un échec de la médecine et non un phénomène biologique normal.

On ne peut bien évidemment pas continuer d’entraver l’activité économique. Il faudra donc trouver les moyens de reprendre, sinon les habitudes anciennes, du moins quelqu’astuce qui soit vivable. Nous sommes amenés à un changement de civilisation. Ce n’est pas la première fois, ni la dernière.

Par exemple : port systématique du masque hors du logement, comme en Asie ; contrôle des grands rassemblements sportifs, culturels, formateurs, religieux ; disparition des bars dont la convivialité et la promiscuité fait l’attrait principal ; réduction des déplacements en moyens publics ; aménagement drastique des écoles ; instauration d’une véritable autorité sanitaire de surveillance, d’expertise et de prescription ; modification de la loi pour permettre le traçage efficace de tout porteur ; quarantaine obligatoire de tout porteur de virus ; adaptation de la fiscalité à la situation réelle des citoyens et des entreprises ; limitation des dépenses somptuaires tels que les transports aériens ; sauvetage des institutions culturelles, orchestres, opéras, théâtres, cinémas ; promotion de nouvelles activités économiques pour éviter tout chômage.

Beaucoup de ces mesures seront impopulaires. Il faudra cependant les imposer pour éviter le surgissement d’une nouvelle épidémie massive qui imposerait un nouveau confinement et aggraverait la crise économique. La question pendante est celle de l’adéquation des institutions suisses à cette gestion de survie. On pourra se reporter à ce qui fut la règle pendant les deux dernières guerres. Peut-être découvrir par extraordinaire une personnalité charismatique comme le général Guisan.

Mais il faudra d’abord que le système politique admette que nous sommes en mode survie pour de longs mois, voire plusieurs années au pire. Nous ne commencerons jamais trop tôt cet effort de réflexion. Il devra s’appuyer sur une connaissance réaliste de ce qui s’est passé, des erreurs commises de longue date et aussi des initiatives prises dans l’urgence par la solidarité spontanée des citoyens. Il faudra identifier non des coupables mais les responsables des erreurs, moins pour les stigmatiser que pour les mettre hors de possibilité de nuire. Or, ils sont essentiellement organisés pour assurer leur survie professionnelle. Ce ne sera donc pas facile, mais indispensable.

Car après l’épidémie viendra la transition climatique qui n’engendre pas d’immunisation et qui ne s’éteindra pas d’elle-même.

La bourse ou la vie?

La bourse ou la vie ? Ce slogan résume au mieux le dilemme du déconfinement. Ou bien on déconfine à tout va pour sauver l’économie et on risque un rebond de l’épidémie avec d’inévitables morts. Ou bien on retarde le déconfinement en aggravant la crise financière tout en minimisant le nombre de morts.

Dans les discours vertueux des exécutifs la santé a prétendument la priorité. Mais, dans la situation actuelle, ce n’est déjà pas le cas. Des travailleurs ont continué à assurer les fonctions essentielles ( caissières de supermarché, policiers, personnel soignant, éboueurs ) parfois et même souvent sans la protection élémentaire d’un masque. Ces catégories sociales ont payé, pour le bien commun, le prix fort de vies risquées avec des pertes invisibles.

Le dilemme est là. Comme la crise sanitaire engendre une crise financière, plus on lutte contre la première, plus on aggrave la seconde. Celle-ci est loin d’être anodine puisque la Confédération va s’endetter de l’ordre de 70 milliards, c’est-à-dire l’équivalent d’un budget annuel. D’une part il n’est pas possible d’augmenter les impôts et d’autre part leur assiette est en train de diminuer faute d’activité économique. Il ne reste qu’à emprunter. On sauve des vies en vivant à crédit pendant plusieurs semaines. Il y a bien en réserve le pactole de la BNS, mais on ne peut y toucher sans violer son indépendance.

Pire encore que la dette, il y a la destruction irréversible de l’emploi. De petites entreprises, privées d’activité pendant plusieurs semaines, doivent licencier des travailleurs qu’elles ne peuvent payer ou même tombent en faillite. En particulier la restauration, l’hôtellerie, la culture, le tourisme, les librairies, ce secteur qui organisait le loisir et le plaisir. Les consommateurs sont bien forcés de s’en passer, mais les entreprises souvent fragiles n’y survivront pas longtemps. Certes les pouvoirs publics pourront les soutenir vaguement en cautionnant des prêts, mais le chiffre d’affaires évanoui ne se reconstituera pas.

Si le déconfinement tarde pour ne pas relancer une crise sanitaire, il aggravera donc la crise financière. Celle-ci n’est pas abstraite. Moins d’emplois et plus de dettes, tel sera l’héritage laissé aux jeunes. Par un paradoxe sournois, ils sont cependant moins concernés par la crise sanitaire, ils peuvent courir un plus grand risque, ils résistent mieux à l’épidémie, ils ne constituent pas le plus grand contingent de morts qui sont plutôt des gens âgés, forcément en moins bonne santé générale.

En termes cyniques le dilemme devient : pour ne pas précipiter le décès de la classe des seniors, peut-on reporter la charge sur les jeunes, maintenant par la pénurie d’emplois, plus tard par le remboursement de la dette ? Sauver la vie biologique des uns, ne va-t-il pas compromettre la vie professionnelle des autres ?

Dans sa plus grande part, l’agent public est consacré à des besoins sociaux : chômage, pension, santé, éducation. S’il vient à se raréfier, le filet de la sécurité sociale se trouera. Dans la génération à venir certains en pâtiront, jusque dans leur santé et dans leur espérance de vie. Dès lors le dilemme devient : pour prolonger de quelques années l’espérance de vie de la génération présente, peut-on prétériter celle de la génération suivante ?

Le Conseil fédéral est donc placé dans une situation délicate résumée par le slogan d’Alain Berset : « Agir aussi vite que possible mais aussi lentement que nécessaire ». Belle formule rhétorique qui ne dit pas encore quelles mesures détaillées prendre. Ouvrir les jardineries, les librairies, les coiffeurs. Pas les restaurants. Pas les bars. Pas les cinémas. Pas les théâtres. Tout est discutable. On navigue à vue. On improvise. On n’était pas préparé. On n’avait pas de stock de matériel médical suffisant. On se sentait intouchable. On va payer très cher cette imprévoyance.

Quelques pays asiatiques se tirent remarquablement d’affaire avec peu de cas, voire même pas de mort du tout comme au Vietnam. Par million d’habitants, l’Allemagne et l’Autriche ont déploré trois fois moins de morts que la Suisse, qui en a eu trois fois moins que la France et l’Italie. Nous sommes donc dans la moyenne, ni plus, ni moins. Ni le pire, ni le meilleur.

C’est au déconfinement que l’on jugera finalement de notre système. Puisqu’il a confiné trop tard, il risque de déconfiner en retard. Comme on ne sait pas qui prend les décisions, personne ne sera responsable de quoi que ce soit. On se gardera bien de trop investiguer.

Vaut-il mieux survivre en s’appauvrissant ou expirer dans la prospérité ? Telle est la question. Personne n’a la réponse, parce que la mort, comme le soleil, ne peut se regarder en face.

Un triste palmarès

Quel que soit le point de vue, tous les pays sont égaux en droit, mais en fait certains sont plus égaux que d’autres : ils ont par exemple accès à l’arme nucléaire qu’ils interdisent aux petits. Car tous ne sont pas aussi riches, bien gouvernés, et surtout dans les circonstances actuelles convenablement soignés.

On a commencé à publier le sinistre palmarès de l’épidémie. Il n’est encore que provisoire. On fera les comptes définitifs à la fin, mais on peut déjà discerner certaines tendances. Face à une menace planétaire, comment réagissent les institutions qui ne sont pas toutes identiques ? Comment se sont-elles prémunies contre une pandémie ? Comment le système médical a-t-il pu gérer le défi ? Certaines réussissent mieux que d’autres à protéger leurs citoyens, ce qui est après tout leur devoir le plus élémentaire. Car que vaut un pays qui laisse mourir ses habitants par incompétence et imprévoyance ?

Si l’on se cantonne aux cas de coronavirus en nombre absolu, les Etats-Unis l’emportent haut la main avec 728 293 cas, largement devant l’Espagne (191 726), l’Italie (175 925), puis la France, l’Allemagne, l’Angleterre. Bien entendu cette comparaison est faussée, car certains pays sont plus peuplés que d’autres. Il faut plutôt considérer le taux, c’est-à-dire le nombre de cas par million d’habitants et là c’est le Luxembourg qui est en tête avec 5 650, puis l’Islande avec 5 158, l’Espagne ne suit qu’avec 4 101. La Suisse a été très touchée avec un taux de 3 116, alors que la moyenne mondiale est de 297.

Cette dernière comparaison mesure en fin de compte l’ampleur du défi lancé à chaque pays. Il dépend d’une part de circonstances indépendantes de tout contrôle, le nombre de voyageurs infectés, la quantité de contacts, d’autre part de la rapidité avec laquelle la fermeture des frontières a été décidée par le pouvoir. Il y a aussi l’exhaustivité des contrôles. L’Islande a fait le plus de tests et a découvert plus de cas que l’Espagne, qui en ignore sans doute beaucoup.

Confronté à un afflux de cas, la qualité du système de soins dépend d’abord de l’investissement budgétaire, bien avant le dévouement et la compétence du personnel qui est universel. Sans masques, respirateurs, blouses, la médecine est démunie Le critère plus global est le nombre de morts par million d’habitants. La Belgique avec 471 morts par million d’habitants est championne de ce décompte douloureux, bien plus que l’Italie (384) et l’Espagne (429). La Suisse a un rang apparemment honorable en comparaison avec 158 morts, mais qui se situe tout de même bien au-dessus de la moyenne de tous les pays qui n’est qu’à 20. Pour nos voisins, l’Allemagne est à 53 et l’Autriche est à 49. Pourquoi avons-nous moins bien réussi que ceux-ci ? Cela vaudra la peine de le découvrir. Pour ne pas parler du Japon avec un taux de 2, de la Corée du Sud avec 5. Et aussi de Taïwan avec 6 morts et à peine 398 cas.

Le taux de mortalité du Covid-19 est plus élevé en Suisse romande et au Tessin qu’en Suisse alémanique. Au Tessin il est le plus élevé, dû à la proximité avec la Lombardie et au libre passage des travailleurs frontaliers. En Suisse romande il est quatre fois plus élevé qu’outre-Sarine. Le facteur temps a joué un rôle majeur dans cette évolution. Au Tessin et en Suisse romande, l’épidémie a commencé plus tôt. La Suisse alémanique a donc bénéficié d’un avantage. Les mesures de lutte contre l’épidémie appliquée avant le pic des contagions ont permis d’y éviter des dommages plus importants.
Dans cette comparaison, on a négligé la Chine et quelques autres dictatures qui ont sans doute triché dans la communication de leurs statistiques selon cette bien mauvaise habitude qui a fait de Wuhan le foyer initial de l’épidémie. Il est frappant de constater que les pays de l’hémisphère Sud annoncent bien moins de cas et de morts que l’Europe et les Etats-Unis qui sont devenus le foyer principal de l’épidémie. Il y a peut-être un facteur saisonnier avantageant les pays qui sont actuellement en été.

Ces statistiques froides et insensibles ne consoleront pas les familles des défunts, mais elles enseignent les bonnes pratiques en comparant des situations radicalement différentes. Le modèle à suivre est celui de Taïwan, pays maudit par la communauté internationale puisqu’il est exclu de l’ONU et que la Suisse ne le reconnait pas. Il souffre en cela de la vindicte de la Chine devant laquelle les autres pays s’inclinent, en fonction du seul intérêt économique. En dépit de sa situation géographique proche de la Chine, Taïwan a réussi à contenir l’épidémie de Covid-19. Dès le 31 décembre 2019, Taïpei alerte l’OMS sur la possibilité d’une transmission interhumaine du nouveau coronavirus. Et ce n’est qu’en février, que l’Organisation mondiale de la santé s’est finalement décidée à employer le terme de « pandémie ». Six semaines de retard qui vont peser lourd dans les pays qui s’y fient.

Instruites par l’épidémie de SRAS en 2003, les autorités taïwanaises ont pris tout de suite la menace au sérieux. Dès le premier cas le 23 janvier, Taïwan impose des restrictions à l’exportation de masques et un contrôle douanier pour les personnes ayant séjourné en Chine. Alerte aux voyageurs, traçage des personnes en contact avec des malades, confinement durant l’incubation, distribution de masques et de gel hydro alcoolique. La production de masques a été multipliée par quatre en un mois. Et le confinement strict n’a pas été imposé, car il déclenche une crise économique après la crise sanitaire. En un mot en Asie de l’Est (Japon 2 morts, Corée du Sud 5, Singapour 11 ), il n’y a pas de crise sanitaire du tout.

Si la Suisse qui se veut le prototype de pays démocratique et indépendant avait reconnu Taïwan plutôt que la dictature chinoise, il y aurait eu une ambassade à Taïpei qui aurait prévenu le Conseil fédéral dès la fin décembre 2019. Si on continue à rêver, le Conseil fédéral, averti et lucide, aurait alors adopté les mêmes mesures et la Suisse aurait forcément obtenu le même résultat. Compte tenu de notre population, trois fois plus faible qu’à Taïwan, cela aurait fait deux morts au lieu de 1368.

Puisque les épidémies vont revenir, cela vaudrait la peine d’étudier ces mesures prises par un pays qui n’existe prétendument pas et de les préparer. Après avoir reconnu ce pays et exigé qu’il soit admis à l’OMS.

L’instant de vérité

Chaque être humain, chaque institution, chaque pays rencontre des instants de vérité, où la réussite et l’échec ont de pareilles chances d’advenir : il suffit d’une parole, d’un geste, d’une décision pour que le futur bascule d’un côté ou de l’autre, selon que cette action se conforme ou non à la réalité, à la vérité du moment. Si la personne ne la connait pas, ne la comprend pas ou ne l’admet pas, elle se trompe, elle échoue, elle perd sa place dans le monde.

Le 18 juin 1940, Charles de Gaulle prononça un appel sur les ondes de la BBC qui créa la Résistance et rendit à la France son honneur. Le 25 juillet, le général Guisan tint sur la prairie du Grütli un rapport d’armée qui souda la Suisse dans la résistance à la menace nazie. C’est l’instant où le matador plonge l’épée dans la nuque du taureau : s’il flanche, il est mort. A une autre échelle, cela est aussi vrai pour un chirurgien, un commerçant, un paysan, un comédien, un magistrat, un père ou une mère. Tout dépend d’une perception aigüe de la réalité dans toutes ses dimensions, matérielle et spirituelle, du rapport avec les êtres, de la connaissance de la vérité.

Dans ces circonstances, la moindre des choses est de se préoccuper de la vérité elle-même, dans la mesure où on peut y accéder. Tout tient dans la question prêtée à Pilate lors de l’interrogatoire de Jésus : « Qu’est-ce que la vérité ? ». Pour un fonctionnaire impérial sceptique, qui a lu tous les philosophes et rencontré toutes les religions, cette question est légitime. Quelle aurait pu être la source d’une vérité certaine ? A l’époque il n’y avait rien qui puisse être considéré comme une science. Tout n’était que mythes, racontars et discours. Au fond personne ne savait rien de certain.

Depuis il y a eu l’émergence de la Science. L’histoire des sciences n’est pas seulement le récit d’une série de découvertes. C’est aussi celui de l’évolution d’une pensée et d’institutions qui offrent à cette pensée les moyens d’influencer l’histoire. L’Emergence de la Science fut l’œuvre de la Renaissance qui débuta avec Copernic, Kepler, Galilée et Newton, en établissant le premier modèle mécanique de la circulation des planètes. Elle changea notre vision du monde : la pandémie qui se passe maintenant n’est pas une punition divine pour nos péchés, mais la multiplication d’un virus dans les cellules infectées. Elle ne peut avoir que le sens que nous lui donnerons.
La Science disposerait ainsi d’une vraisemblance qui dépasse celle des croyances. Pourquoi ? Alors que tous les dogmes religieux ou idéologiques demeurent douteux et controversés, pourquoi certains énoncés seraient-ils indiscutables ? La différence est dans la nature de l’énoncé : la Science n’émet pas des dogmes, mais une prudente approche de la vérité, toujours modifiable.
En Science, un modèle mathématique est significatif au point de vue scientifique dans la mesure où il est falsifiable, c’est-à-dire que l’on peut imaginer une expérience qui contredirait le modèle, qui ne vérifierait pas l’équation. En revanche, un énoncé dont on ne peut prouver la fausseté n’est ni vrai, ni faux : c’est une conjecture, ce n’est pas un résultat scientifique. Quoique les sciences naturelles n’émettent pas de dogmes à un moment donné, c’est la moins mauvaise approximation de la vérité, c’est le meilleur fondement disponible pour une politique réaliste et véridique.
Pour l’opinion publique, cette distinction n’est pas claire. Les mensonges de Trump, à la cadence de deux par heure, relèvent de cette ignorance implantée : toutes les paroles sont bonnes à dire, elles ont le même rapport à la réalité, aucune n’est plus sûre qu’une autre, sinon que le Président a toujours un peu plus raison, car il a été élu par le peuple. Il profère les mensonges que les ignorants espéraient. Cela explique que les avis des experts, dûment mandatés par le pouvoir politique, ne soient pas suivis d’effet en temps voulu, seulement à la longue quand la réalité saute au visage.
Exemple : on sait enfin ce qui s’est passé lors d’un instant de vérité décisif en Suisse. En juin 2017, l’Office fédéral de l’approvisionnement économique (OFAE) constate que le stock de masques n’est fourni qu’à 70% de la norme prévue. Sa réaction est typique : au lieu de corriger lui-même il annonce aux cantons et aux hôpitaux que c’est à eux de s’en occuper désormais, sans vérification, ni sanction. A la même époque, ce fut exactement même réaction du pouvoir en France : c’est aux entreprises de prévoir un stock pour leurs employés, plus à l’Etat. Si bien qu’en janvier 2020 les masques manquent. Depuis six semaines, l’honnête Daniel Koch, sous la férule d’Alain Berset, couvrit cette fausse décision en prétendant face à la télévision que les masques ne servent à rien pour la population, en mentant alors qu’il connaissait la vérité.
Dans les deux pays, les recommandations des experts, dûment notifiées, ont été négligées par l’Etat pour des raisons budgétaires : cela coûte moins cher d’en charger d’autres. Ce qui est vrai pour les masques, l’est pour tout le reste : respirateurs, désinfectants, anesthésiques, matériel de test, déclenchement du confinement. Résultat :  la France compte à ce jour 14393 morts, la Suisse 1000 et l’Allemagne 2799. L’impéritie de l’administration et du pouvoir politique ont coûté des milliers de morts supplémentaires, victimes d’un déni de réalité.
Il en fut de même en août 2003 : la canicule a tué 15000 personnes en France et 1000 en Suisse : pour la raison simple que, dans le premier pays, les infirmières libérales indispensables pour hydrater les personnes âgées et isolées étaient limitées dans leurs heures de travail par la loi et devaient laisser mourir les patients en détresse plutôt que de violer le Code du Travail, sous peine de sanctions.
A Taïwan, la pandémie a fait six morts et 388 cas, parce que la vérité était connue dès le 31 décembre et les mesures conformes prises aussitôt. Or, le 14 janvier, l’OMS soutenait encore la thèse chinoise selon laquelle il n’y a pas de contamination entre humains, en manquant à son devoir élémentaire d’avertissement de l’Europe et des Etats-Unis.
Le déconfinement s’échelonnera selon le degré de préparation et de gestion des différents pays. Cela conditionnera la reprise économique qui sera – par hasard ! – avancée dans certains pays au détriment des autres. Avec les séquelles de l’endettement, du chômage, des faillites, de l’appauvrissement des moins favorisés. Avec l’accroissement de l’inégalité sociale par la fermeture des écoles.

Six conclusions provisoires.
Tout d’abord, il n’est pas indifférent que le ministre de la Santé soit un médecin plutôt qu’un économiste.
Il existe des coupables pour les mauvaises décisions. Sans agiter le spectre d’une vengeance, il faut au minimum les mettre hors d’état de nuire : ils ne peuvent plus remplir une fonction dont ils ont été indignes.
Une catastrophe est le moment de vérité : il faut comprendre, puis apprendre, puis prévoir la prochaine pandémie. Les carences ne seront plus excusables dans l’avenir par l’incompétence des décideurs, mais pourront être sanctionnées au pénal.
Les experts à notre époque savent vraiment ce que la plupart ignorent : décider en ignorant leur avis est un moyen sûr de déclencher des catastrophes. C’est ce qui fut fait.
La Suisse doit impérativement former tout le personnel médical nécessaire dans les pires circonstances au lieu de le siphonner dans les pays voisins, parce qu’ainsi cela ne nous coûte rien pour le former. Et mieux payer les infirmières.
La revendication la plus lourde est la nécessaire autarcie : il ne suffit pas de soutenir le paysannat pour garantir l’approvisionnement alimentaire du pays. Il faut le même degré d’autonomie pour tout ce qui est vital, des médicaments à la production d’énergie. Irréalisable pour un pays de huit millions d’habitants, mais réalisable dans un continent de 500 millions. Vérité déplaisante, mais vérité tout de même.

Une tâche ultérieure :
Depuis cinquante ans, les experts répètent que la croissance indéfinie n’est pas un modèle économique viable. Nous finirons par manquer d’une ressource non renouvelable, en l’occurrence une planète habitable. Nous devons cesser de brûler du pétrole. C’est le conseil d’experts. Au pouvoir politique d’en trouver les moyens. Et cesser de prétendre que, puisque c’est difficile, ce n’est pas vrai. Si la sécheresse nous prive d’une récolte, la panique sera bien plus grave.

Le mensonge d’Etat

 

Ce qui vient de se passer devrait au moins apprendre à l’opinion publique qu’elle est régulièrement trompée par le pouvoir en place, politique, économique, culturel et religieux. Beaucoup et adroitement en dictature, moins et maladroitement en démocratie.

Comme tout spectacle de magie, la politique recourt à l’illusion. Pour défendre une cause injustifiable, elle détourne l’attention des citoyens de la réalité présente et remplace celle-ci par une utopie située dans un futur commode. C’est l’objectif de la langue de bois ou encore du mentir-vrai : le discours politicien s’organise autour de faits fictifs auxquels est appliqué une logique fantaisiste. Le présent est caché par une utopie à venir, qui permet un instant de rêver et de s’évader de la dure réalité.

L’épidémie s’est étendue au-delà de son foyer initial Wuhan, parce que le régime communiste chinois est fondé comme toute dictature sur la dissimulation de la vérité à tous les échelons. Ici c’est un pouvoir local, profondément ignorant et incompétent, qui a tâché de bâillonner les médecins faisant strictement leur métier. Lors que le virus a débarqué aux Etats-Unis, le plus grand menteur de tous les temps, l’homme le plus puissant du monde, Donald Trump a prétendu le 29 février que le virus disparaitrait « par miracle », le 2 mars que le vaccin sera disponible « bientôt », le 15 mars que la situation était « sous contrôle ». Depuis son investiture on a décompté méticuleusement 16 241 mensonges, soit en moyenne une quinzaine par jour.

Face à cette performance, les Européens sont de médiocres amateurs. Ils se sont rejoints dans une mystification de bas niveau, affirmant que le port du masque ne servait à rien, pour dissimuler l’absence de stocks. Or Taïwan, dans sa lutte contre le Covid-19, est l’un des territoires les moins frappés par la pandémie, avec une centaine de cas confirmés et un seul mort. Dès le 31 décembre, soit trois semaines avant que les autorités chinoises et l’OMS ne donnent l’alerte d’une transmission humaine d’un coronavirus, Taïwan est le premier Etat à passer à l’action : tout le monde y porte le masque.

Dans le même registre, dès que l’hydroxychloroquine a été utilisé avec quelque succès à Marseille, la propagande officielle française a dépeint avec complaisance ses effets secondaires dramatiques alors que c’est un antipaludéen employé couramment sans que l’on parle de ses inconvénients.

Autre petite entorse hypocrite : comptabiliser les seuls morts à l’hôpital en prétendant ne pas savoir combien sont décédés dans les EMS. Révélateur de l’inconscient politqiue : ceux-là ne comptent pas vraiment puisqu’ils consomment sans produire.

S’ils n’avaient pas entrainé des morts, comme seraient attendrissants ces petits mensonges européens, tout comme le retard à la seule mesure restante, le confinement tardif au grand dam de l’économie. Lorsque ce blog énonce cette vérité élémentaire, il se trouve des commentateurs pour affirmer que c’est une basse attaque contre le fédéralisme, d’autres que c’est un complot pour instaurer une dictature mondiale, d’autres encore que l’on ne puisse mettre en cause la Conseil fédéral sans offenser la démocratie. Il est très difficile de demeurer au niveau d’un débat d’idées sans tomber dans l’invective, l’insulte ou le pugilat. Le mensonge crée des victimes consentantes qui deviennent des complices. Victimes d’une tromperie, ils en sont vexés au point de la défendre.

Autant le chercheur ou l’enseignant visent à clarifier leur pensée, à l’asservir à la réalité, à l’exprimer, par écrit ou oralement, de façon à être le plus clair possible, dans le but d’être compris, autant l’homme politique ne peut se permettre un tel luxe. Il tranche une foule de questions auxquelles il n’entend rien et sur lesquelles il ne peut agir, mais qu’il doit feindre de maîtriser : par métier, c’est un prometteur de beaux jours.

La langue de bois est l’outil de cette non-communication, qui permet de dissimuler les contradictions. Le politicien énonce rarement le véritable mobile de son attitude, parce qu’il est peu avouable. Il utilise donc une foule de mauvaises raisons auxquelles il ne croît qu’à moitié : statistiques tronquées, citations faussées, références inventées, raisonnements approximatifs, évocation rituelle des grands idéaux, recherche d’un bouc émissaire, omniprésence dans les médias, isolationnisme, court-termisme, éviction des voix discordantes. Plus l’orateur est éloquent, moins il est transparent. Plus il hausse la voix, plus il cherche à étouffer celle de sa conscience. A force de ne pouvoir dire ce qu’il pense, le politicien finit par ne plus savoir ce qu’il pense, s’il pense quelque chose ou même s’il est possible de penser.

Si un dictateur souhaite réussir, il doit combiner les deux méthodes :d’une part, la police, la torture et le camp de concentration ; d’autre part la censure, la propagande et les meetings de masse. Même si les citoyens opprimés soupirent à cause des pénuries ou de la répression policière, il faut qu’ils soient d’une certaine façon convaincus que le pouvoir possède une légitimité et qu’en dehors du pouvoir en place (Poutine, Orban, Xi Jinping) pour le meilleur et le pire, il n’y a que l’aventure.

Tous les régimes totalitaires y ont recours. Cela signifie que la force a besoin de la persuasion comme complément obligé et comme alibi. Le crime cesse d’en être un, s’il est nié avec effronterie, s’il est excusé par une idéologie ou une religion. Persuasion et dissuasion se renforcent par la complicité de l’intellectuel et de la brute. Goebbels a fait au moins autant de mal que Himmler, Marx autant que Staline tout en se donnant les allures d’intellectuels. Comme par hasard les deux régimes s’en sont pris aux scientifiques : Einstein a été expulsé parce que juif et donc l’auteur d’une fausse science ; Sakharov parce que défenseur des droits de l’homme dans le système soviétique ; Assange persécuté par les Etats-Unis dont il a dévoilé des secrets trop embarrassants.

« La raison est austère et la superstition séduisante. La science n’épuise pas le réel tandis que l’ignorance ne l’effleure pas. »

Bilan d’un exercice impromptu

Il semble bien que le pire ait été évité, du moins provisoirement. Le nombre de malades hospitalisés en Vaud est largement inférieurs à ce qu’il était le 25 mars. C’est dû d’abord à la qualité du système médical, qui a si souvent été critiqué pour son coût. C’est pareil avec les assurances : on n’en admet le prix qu’en cas d’accident. Il n’y a donc pas trop de médecins en Suisse, il y en a trop peu en cas d’urgence. Le quart a été formé à l’étranger. Il est temps de supprimer le numerus clausus de nos facultés de Médecine. Si, comme elle en avait le droit, la France avait mobilisé tout son personnel médical, y compris les frontaliers travaillant dans les hôpitaux suisses, comment aurait-on accueilli les patients dans les cantons de Vaud et de Genève ? Nous avons évité cette catastrophe, en accueillant à titre de réciprocité européenne, les malades que les hôpitaux alsaciens ne pouvaient plus traiter. Comme le Luxembourg et l’Allemagne. Parce que la solidarité prime l’isolement. Parce que c’était l’évidence : Bâle est plus proche de Colmar que de Lugano.

Néanmoins, certains se permettent de critiquer le Conseil fédéral pour son inaction face à l’épidémie. Ce procès est injuste. Un véritable gouvernement aurait anticipé de longue date la survenue d’une épidémie, préparé des stocks de masques, de respirateurs, de lits de réserve ; il aurait confiné tout le monde dès la première attaque fin janvier et pas deux mois plus tard ; il aurait dirigé, non pas coordonné, l’action des cantons vaquant en ordre dispersé.

Oui, si le Conseil fédéral avait été un véritable gouvernement. Non, puisqu’il ne l’est pas, puisque que le peuple n’en veut pas. Il n’a pas de chef, pas d’équipe homogène, pas de programme et pas de majorité de soutien au parlement. On ne peut pas demander à sept personnes, élues au hasard des scrutins une par une, en fonction de critères divers et parfois contradictoires, sans compétences particulières, de constituer un gouvernement fort face à l’adversité. Ignazio Cassis ancien médecin cantonal tessinois a été tenu à l’écart des conférences de presses de quatre conseillers fédéraux, appelés seuls à prendre la parole, précisément parce qu’ils étaient incompétents en la matière. Il s’agit donc bien d’une modeste délégation parlementaire, représentant tous les partis, choisie parmi les plus consensuels. C’est idéal pour expédier les affaires courantes en ne faisant de peine à personne. Ce choix, fait voici 170 ans, a bien réussi jusqu’à présent à préserver l’unité du pays des quatre nations.

Mais notre présent n’est plus le passé. Nous vivons dans un monde dangereux dominé par trois grandes puissances, engagées dans un bras de fer, n’hésitant pas à recourir à une guerre économique sans pitié. Toujours au risque de dégénérer en conflits armés, soigneusement limités dans l’espace, en choisissant comme arènes de pauvres pays sous-développés qui ne peuvent pas se défendre. Ces puissances ont installé le règne du non-droit, agissent avec brutalité à l’égard des pays faibles, se moquent bien des Droits de l’homme. La Chine a réussi à faire oublier qu’elle est responsable de la gabegie actuelle en exhibant des transports de matériels médical, vendus au-dessus de leur prix à de petites puissances qui ont eu la faiblesse de lui confier l’essentiel de leur approvisionnement vital.

Dans ce monde de brutes, on ne doit pas attendre grand-chose d’un exécutif suisse, qui n’en est pas un, car démuni de pouvoir puisque toute loi est susceptible d’être annulée en votation populaire. La Suisse n’est pas une démocratie directe, mais une acratie, une absence de pouvoir. Celui-ci est dissous en de minuscules parcelles au point qu’en cas de malheur – et nous y sommes- il est impossible de trouver le responsable. Il n’y en a point car il faudrait trouver la personne qui a pris la mauvaise décision. Comme une personne seule ne prend jamais une décision, c’est impossible.

Quand la poussière sera retombée, on mettra certainement en activité un comité quelconque, chargé de faire toute la lumière. Il fera un acte de contrition comme la Commission Bergier, en exagérant même la responsabilité collective, sans désigner quelque responsable que ce soit. Personne n’a fait d’erreur parce que personne n’est en position d’en faire.

Dès lors, s’il faut tirer quelques leçons du malheur qui nous accable, la première serait celle-ci : dans certaines circonstances graves, il faut prendre des décisions lourdes, impopulaires et rapides. En principe, selon l’article 185 Cst., le Conseil fédéral a tous pouvoirs en cas d’urgence. En pratique, les personnes qui le composent n’ont pas été choisies pour ce cas de figure. Représentant tous les partis, elles n’ont pas les mêmes réactions face aux menaces. Il n’y pas de chef, tous sont égaux, la décision est collégiale. Des oppositions sur le fond peuvent mener, sinon à la paralysie, du moins à de funestes retards.

Ce qui vient de se passer ne mènera pas à une révision déchirante de nos institutions. Comment l’orienter du reste ? Comment se mettre d’accord puisque le dernier des citoyens aura son mot à dire ? Il n’y a pas de majorité pour soutenir fut-ce un seul article du programme nécessaire.

A savoir dans l’immédiat : la constitution de stocks sous la responsabilité clairement définie d’une instance connue, la fin du numerus clausus en Médecine, un meilleur statut pour les infirmières ; un entrainement réel de l’armée et de la protection civile pour ce genre de catastrophe plutôt qu’un improbable combat de chars ou une bataille aérienne ; plus de recherche fondamentale pour rendre la mise au point d’un vaccin plus rapide.

A plus long terme pour gérer la transition climatique qui est la vraie menace : la fin complète de l’extraction des combustibles fossiles, charbon, pétrole, gaz ; la relocalisation des productions essentielles ; un pouvoir d’achat réorienté vers la production locale non seulement d’énergie, de biens mais aussi de services ; plus d’éducation, de culture et de soins de santé ; moins de tourisme de masse, moins de résidences secondaires, moins de vacances sur les plages ou dans la montagne ; peu ou pas de publicité ; des médias orientés vers l’information, la formation, l’éducation, la culture, plutôt que le divertissement inculte ; une gérance rationnelle de la démographie nationale et une gestion humanitaire des migrations.

Plus de solidarité internationale et moins de repli. Et donc pour couronner le tout : nous mettre sous l’égide de la seule grande puissance à savoir l’UE, qui puisse tenir tête aux trois pays-voyous dominant la scène. Travailler, à titre de membre de plein droit, à transformer cette alliance informe en une grande puissance. La concevoir comme un espace économique capable de subsister en autarcie.

Personne n’en veut pour l’instant. Il faudra encore quelques épidémies, l’explosion d’une centrale nucléaire, un épisode de sécheresse, le franchissement de la frontière par des hordes de réfugiés. Les grands malheurs sont source de sagesse.

Pardon d’insister

Dès le début, plusieurs de mes blogs ont insisté sur le fait que le masque, s’il est porté par tout le monde, protège tout le monde. Ils se heurtent au déni des autorités de la Confédération.

Un correspondant m’a adressé une note technique, citée ci-dessous :

« Si quelqu’un projette en éternuant ou en toussant, ou même simplement en respirant, des gouttelettes contenant des virus sur une personne qui lui fait face, ce dernier, s’il porte un tel masque, n’est pas protégé, pour deux raisons : 1) les gouttelettes l’atteignent aux yeux, que le masque n’abrite pas, et 2) les gouttelettes rencontrent son masque qui se comporte comme un papier buvard, elles mouillent le tissu, s’étalent, s’évaporent, et déposent les virus qu’elles ont transportés sur le masque.

En revanche, si la personne qui émet les gouttelettes porte ce masque devant sa bouche, l’effet buvard se fait sur son propre masque, les virus restent sur son masque, et ne contaminent donc pas. Comme la source des gouttelettes (la bouche) est très proche du barrage que forme le masque (10-20 mm), la dispersion des gouttelettes hors du masque est peu probable, en tous cas faible.

L’énorme avantage du simple port des masques les plus simples, ceux qui ne font que protéger les voisins, est ainsi le suivant : si tout le monde en porte dans l’espace public, il n’y a plus de virus qui volent dans l’air ambiant, il n’y a plus de virus qui se déposent sur le visage d’autrui, il n’y a plus de virus qui se déposent sur les poignées de porte, les rambardes, les mains-courantes, les aliments, les journaux, etc. »

Le Conseiller fédéral Berset vient de répéter en Valais que le port généralisé du masque ne protège pas les personnes saines : «Le port généralisé du masque, partout et tout le temps, ne protège pas les personnes saines et peut même avoir un effet contre-productif, en relâchant les comportements».

Il a tort. Il le sait, mais il le répète parce que la Suisse n’a pas constitué à temps des stocks suffisants et que cela met le Conseil fédéral en position d’accusé. Le peu dont nous disposons doit évidemment être réservé au personnel médical. Un message honnête consisterait à dire que le port universel du masque protège tout le monde et à avouer que la Suisse n’en a pas suffisamment pour adopter cette politique.

Il ne s’agit en aucun cas de renoncer aux autres dispositions prises par nos autorités et nos administrations. Il s’agit d’ajouter une contrainte très modérée : imposer que toute personne qui en rencontre d’autres, ou qui est en situation d’en rencontrer d’autres, porte un masque.
Cette mesure est maintenant prise par plusieurs pays européens après l’avoir été en Asie avec de bons résultats. Elle permettrait à la Suisse de sortir du confinement, sans courir de risque d’une seconde vague. Elle permettrait d’éviter une crise économique. Le Conseil fédéral finira pas avouer la vérité. Le plus tôt serait le mieux.

Les tribulations de la vérité helvétique

 

 

Si l’on peut découvrir la vérité, son principal intérêt est qu’elle est unique, tandis que le plus souvent les mensonges sont multiples. Des coteries peuvent donc se disputer sans fin au nom de menteries différentes. Un politicien peut aussi mettre la majorité de son côté en choisissant le mensonge le plus faux, le plus invraisemblable, parce qu’il rassemblera l’innombrable cohorte des plus ignorants. C’est la méthode efficace de Trump, qui applique en politique l’argumentaire d’un promoteur immobilier, domaine où il s’est entrainé à une certaine recette. Sans même le savoir sans doute tant il est inculte, il utilise  la méthode préconisée par Hitler selon laquelle, quand on ment, il faut y aller sans retenue, au point où personne ne pensera qu’il soit possible de mentir à ce point. Plus c’est faux, plus cela paraitra vrai.

A titre d’exemple historique, la comédie française des masques en est une bonne illustration. En 2010, Roselyne Bachelot, pharmacienne de son métier, ministre de la Santé de 2007 à 2010, lance une campagne de vaccination contre la grippe, achète 300 millions de masques, des antiviraux pour 20 millions. Elle se le fait reprocher par une association de maires estimant ces dépenses inutiles et somptuaires et quitte son poste.  Dès lors, le stock de masques est négligé et se périme.  Au moment crucial en 2020, il n’y en a même plus assez pour le personnel médical, sans parler des caissières de supermarché. La croyance politique dominante devait être que les épidémies épargnent toujours la France, parce qu’elle est la patrie de Jeanne d’Arc et de Charles De Gaule.

L’épidémie survenant, face à cette pénurie résultant d’une incurie criminelle, les responsables de la Santé publique française commencèrent par rassurer la population, en affirmant que ces masques ne servaient à rien, parce qu’ils ne protègent pas le porteur mais son entourage. Ce mensonge servait évidemment à dissimuler l’incompétence du pouvoir. Puisqu’il n’y avait pas de masques à distribuer, il fallait prétendre qu’ils ne servaient à rien.

Bien entendu c’était faux. Cela est évident dès que l’on raisonne avec quelque rigueur. Si tout le monde porte un masque, chacun protège les autres. De ce fait, il est protégé lui-même. Dès lors si l’on adopte cette politique il n’est même pas nécessaire de confiner chacun à domicile. On établit une sorte de confinement mobile. Cette tactique simple permet d’éviter une crise économique compliquée.

La gestion de l’épidémie par quelques pays asiatiques et récemment de l’Est européen a obligé les menteurs français à se contredire. Début avril, ces mêmes autorités admettent que le port du masque est utile. On peut même prévoir qu’ils seront tentés de le rendre obligatoire, dès qu’il y en aura assez pour fournir le marché.

Sur cet exemple historique, on comprend comment et pourquoi le véritable problème de la politique consiste à accéder à la vérité le plus tôt possible. Si on la nie, on devient responsable des morts qui suivent le mensonge. Encore faut-il justifier la vérité, car la Science est volontiers remise en question. Sa réputation dans le grand public est ébranlée, parce que ses conclusions vont souvent en sens contraire de ce que le peuple croit.

Les scientifiques sont maintenant appelés à se disculper. Au nom de quoi croient -ils posséder la vérité ? Alors que toutes les opinions sont défendables en démocratie, existe-t-il vraiment des affirmations incontestables ? Comme le demande Pilate à Jésus : qu’est-ce que la vérité ?

Dans l’esprit du grand public, il n’existe que des dogmes, politiques, économiques ou religieux, c’est-à-dire des affirmations douteuses, défendues chacune par une coterie au nom de son pouvoir. C’est discutable par définition. Pourquoi la Science échapperait-elle à ce marécage ?

Il faut venir à la définition d’une vérité scientifique telle qu’elle a été inventée par Karl Popper (1902, 1994). A cette époque, il était confronté à la relativité d’Einstein, à la psychanalyse freudienne, au libéralisme et au marxisme. En quoi Einstein dit-il à l’évidence quelque chose de significatif, qui ne l’est pas pour Freud, Montesquieu ou Marx ?

La définition de Popper : un modèle est significatif au point de vue scientifique dans la mesure où il est falsifiable, c’est-à-dire que l’on peut imaginer une expérience qui contredirait le modèle. Un énoncé dont on ne peut pas prouver la fausseté n’est ni vrai, ni faux : c’est une conjecture, ce n’est pas un résultat scientifique. C’est parfois une escroquerie en bande organisée comme la scientologie, une justification du crime comme le racisme, un folklore populaire comme l’horoscope ou la voyance, un discours démagogique, un préjugé traditionnel.

Aujourd’hui seules quelques sciences naturelles, Physique, Chimie, Biologie possèdent la caractéristique d’être des sciences au sens de Popper. Cela ne veut pas dire que leurs énoncés scientifiques soient éternels. Bien au contraire. Une thèse de la science n’est jamais que provisoire et approximative, car elle est invalidée par n’importe quelle expérience, qui la contredit et qui propose un autre modèle, prenant en compte davantage de phénomènes. Elle ne devient pas fausse, elle est devenue insuffisante et dépassée.

Néanmoins à un certain moment, c’est la moins mauvaise approximation que nous connaissions de la vérité  et, à ce titre, elle vaut mieux que n’importe quelle opinion, conjecture, impression ou préjugé. C’est ce dont on dispose de plus sûr pour fonder une politique efficace.

Application à la Suisse : l’ordonnance fédérale sur les mesures décidées contre le coronavirus date du 13 mars, soit deux mois après que l’épidémie ait été déclarée en Chine. Le directeur de l’OFSP a répété plusieurs fois face aux caméras que le port du masque n’était pas nécessaire plutôt que d’avouer que les stocks étaient insuffisants pour protéger tout le monde. Le 2 mars le Parlement fédéral s’est réuni et Magdalena Marturo-Blocher fut expulsée de la séance par la présidente, parce qu’elle seule portait un masque. Tel fut le degré d’aveuglement et de déni de la vérité.

La politique du gouvernement français a été inspirée par un comité scientifique, établi à cet effet. Certains commentateurs locaux se sont même offusqués que des décisions fondamentalement politiques soient en fin de compte prises par des scientifiques.

En Suisse, un tel comité n’a pas été créé et des spécialistes des épidémies dans les universités n’ont pas pu conseiller le Conseil fédéral.