Peut-être un au revoir

J’ai reçu de la rédaction du Temps un message selon lequel je pourrais publier des textes : “nous pourrions donc publier vos textes dans notre page Débats et sur le site, dans l’onglet Opinion ”

Je continue aussi les démarches pour retrouver l’hospitalité d’un site de blogs.

Merci à tous mes correspondants qui ont témoigné leurs regrets de ce changement

Adieu

Par suite de la décision du Temps, ceci est mon dernier blog.

Cette décision est désolante mais sans doute motivée en réalité par des considérations financières et donc compréhensible.

Selon Le Temps, je pourrais poursuivre mon blog sur WordPress.

Après de longues heures de travail soumises à la stupidité numérique, j’ai un accès ä ce site. Comme il requiert ma carte de crédit, je crains qu’il soit payant pour les rédacteurs et (ou) pour les lecteurs.

Provisoirement je m’abstiens en conséquence.

Si j’éclaircis cette question je reviendrai vous informer.

La contradiction créatrice de nos institutions

 

Un bon juriste peut présenter soit le plaidoyer comme avocat d’un accusé, soit le réquisitoire comme ministère public. Selon la situation de l’orateur, l’inculpé sera présenté noir ou blanc. Car il y a dans tout dossier de quoi plaider la condamnation ou l’acquittement.  Tel est le défi auquel a été confronté le conseiller fédéral Albert Rösti, ancien président de l’UDC, qui a jadis combattu la loi climat jusqu’à lancer un référendum, et qui doit maintenant défendre cette loi au nom du conseil fédéral en vue de la votation du 18 juin.

La presse en fait des gorges chaudes : quoi de plus cocasse que les contorsions d’un idéologue de droite. Or, ce qui se passe n’illustre pas une contradiction de nos institutions mais leur force. Parmi ses piliers, il y a la concordance et la collégialité : tout parti important doit être représenté au gouvernement et, dès lors, tout ministre doit défendre la position de celui-ci en faisant abstraction de celle de son ancien parti et (ou) de la sienne. Cette double contrainte est évidemment inimaginable dans la plupart des régimes, mais elle est la singularité essentielle de la Suisse. Elle en a assuré la stabilité et la prospérité.

Albert Rösti remplit donc parfaitement son office. Et son ex-parti a tort de se moquer de cette contorsion. Gouverner un pays en dehors de toute politique partisane consiste à accepter des thèses provenant de tous les horizons. Cela détermine forcément une démarche centriste. Dans un débat en Helvétie, il arrive souvent qu’une des parties se rallie à la thèse qu’elle a combattue « Par gain de paix », formule admirable. Cela veut dire en clair que personne n’est jamais tout à fait assuré d’avoir raison et qu’il écoute les arguments de la partie adverse avec sérieux et empathie.

Dès lors on peut se demander quand est-ce que Rösti parle selon sa conviction personnelle : avec ou contre le Conseil fédéral ? A-t-il réellement des convictions ?

A la suite d’une déclaration révélatrice, on peut parier qu’il n’a pas changé d’opinion mais seulement de discours. En effet lors d’un congrès le 20 avril sur les économies d’énergie, il a déclaré : « …nous aurons un hiver2023-2024 plus froid car celui que nous avons vécu est statistiquement le plus chaud des dernières années. » C’était à la fois faux et naïf, personne ne peut prédire ce que sera le prochain hiver et celui qui néanmoins s’y risque dévoile surtout son ignorance.

La propriété fondamentale d’une variable aléatoire est qu’elle est imprévisible : si on joue à pile ou face, ce n’est pas parce qu’on vient de tirer pile que, la fois suivante, on a plus de chance de tirer face. De même, un hiver froid ne compense pas un hiver chaud, ni ne lui succède.

La seule chose que l’on puisse actuellement affirmer, c’est que le réchauffement climatique nous permet d’envisager une lente montée des températures. Et donc s’il fallait parier, il y a tout de même un peu plus de chances d’avoir un hiver chaud que froid parce que le tirage est biaisé à partir de maintenant.

Le parti dont Rösti fut président a mené des campagnes de désinformation en matière climatique avec des assertions invraisemblables et contradictoires : il n’y aurait pas de réchauffement ; s’il y en avait un, ce ne serait pas dû à l’action humaine ; nous ne pourrions de toute façon rien faire pour l’enrayer. De telles contre-vérités répétées finissent par devenir des certitudes pour ceux qui les propagent. Ils ne parviennent pas à se ranger à l’opinion du parti inverse car ce serait reconnaître qu’ils se sont lourdement trompés et, surtout, qu’ils ont gravement mené l’opinion publique sur une fausse voie. S’ils réussissent si bien en politique au point d’être le premier parti de la Suisse, c’est précisément parce qu’ils rencontrent les préjugés les plus secrets, les plus inavouables, les plus irréalistes de la plus grande part de la population. Réussir commodément en politique ne s’obtient pas en guidant le peuple, mais en le suivant.

 

 

 

Satisfaire le peuple

 

 

L’objectif obligé de tout système politique et économique est la satisfaction de la population. Si elle est atteinte, on peut faire l’économie des désordres, depuis les grèves jusqu’au révolution. A ce titre, la stabilité et la prospérité de la Suisse sont exceptionnelles depuis près de deux siècles. Pour les formuler plus précisément, Tamédia a organisé un sondage extensif sur plus de 50 000 personnes, qui permet de déceler ce qui marche plus ou moins.

Le résultat conforte tout d’abord l’impression d’un bonheur, généralisé à 85% de la population, à part 11% qui se sentent malheureux. Il y en a même 44% qui se disent très heureux. C’est en entrant dans le détail des facteurs de cette félicité que l’on fait des découvertes :plus on prend de l’âge, plus on est satisfait ce qui conforte le sentiment que le système des pensions fonctionne bien ; par ailleurs, les Suisses sont plus heureux que les étrangers ;plus on a d’argent ou plus on a d’enfants plus on se sent bien.

Le pays est donc chéri par 91% de la population, tout d’abord pour ses paysages (dont personne n’est responsable), puis pour le système de santé( !), la démocratie directe, la propreté, les transports publics, l’Etat de droit, le système éducatif, les salaires élevés,…

Ce qui déplait, corrige et contredit parfois ces facteurs positifs : les primes d’assurance maladie, les loyers élevés, le coût de la vie… Or ce sont autant d’inconvénients inévitables. Un bon système de santé coûtera cher, tout comme des logements confortables. Le système de distribution dépend de salaires élevés et est donc forcément cher.

Le plus surprenant est le portrait que les Suisses font d’eux-mêmes : ils se jugent distants, radins, ennuyeux, pédants, stressés. Pour plus de moitié des sondés, les Suisses sont même « racistes », opinion plus largement partagée à gauche (dans notre parti nous ne le sommes pas !) qu’à droite (il n’y a pas de racistes parmi nous !). L’immigration inquiète plus les campagnes où elle est faible que les villes où elle est présente, le faible niveau d’instruction que les universitaires.

Ce sondage met surtout en valeur les contradictions de l’opinion publique qui intègre mal certaines évidences : dans un pays riche, la vie coûte forcément cher. C’est le travail de la politique de rencontrer ces contestations après les avoir reconnues. Il s’imposerait donc de renforcer l’estime que les Suisses se portent à eux-mêmes. Si les institutions marchent si bien, c’est le résultat de leurs qualités de discernement, de modération, d’équilibre. Peu de peuples ont accepté la démocratie directe, qui implique une confiance sans limite dans la sagesse du peuple.

Ce sondage met en évidence une constante : il existe un déni de réalité, une foule de préjugés, de parti-pris dans l’opinion publique. Ces biais sont renforcés lors des campagnes électorales, centrées sur des idées passe-partout. Le plus remarquable dans le sondage est la faiblesse de deux thèmes incessamment ressassés en politique : l’immigration et l’insécurité. Ils ne prennent un peu de substance que dans la mesure où on y fait une référence électorale.

Et donc les Suisses peuvent se rassurer : ils ne sont pas « distants, radins, ennuyeux, pédants, stressés ». Ni surtout racistes puisque la loi le réprime.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quand La Poste quête

 

Près de la moitié du volume des envois traités par La Poste sont non adressés, en grande majorité des publicités. Comme le courrier des lettres ne cesse de diminuer par suite de la croissance du courriel, l’équilibre financier de La Poste dépend de plus en plus de la publicité. Elle n’est pas la seule : la presse papier, les cinémas, les sports sont à la même enseigne : pour survivre il faut diffuser une réclame qui n’a rien à voir avec l’activité elle-même, qui capte l’attention contrainte et forcée du public.

Or nombre de boites aux lettres portent l’inscription “Pas de pub”.  La Poste propose de le remplacer par des autocollants en faveur de la publicité : “Publicité bienvenue”, “Oui à la pub” “Même pas peur de la pub!”. Cette campagne qui a débuté en Valais s’étend aux cantons de Vaud, Genève et Fribourg.

La Poste mène donc une campagne pour convaincre les personnes ne souhaitant pas recevoir de publicité par courrier d’en recevoir à nouveau. À la clé, des milliers d’emplois et des tonnes de papier. Du pour et du contre : la création d’emplois contre la consommation d’énergie.

Premier argument : “Si un client décide de retirer son autocollant “Non merci” de sa boîte aux lettres grâce à cette campagne, La Poste pourra distribuer des envois supplémentaires et assurer ainsi du travail pour ses collaborateurs sur le marché du courrier en régression. Et aussi des emplois pour les PME et imprimeries suisses.” C’est l’imparable argument social qui laisse dubitatif : une activité quelconque est-elle justifiée par la seule création d’emplois, même si elle ne sert pas les consommateurs ?

On est curieux de savoir ce que cette campagne aura rapporté d’adhésions. Qui a vraiment envie de recevoir de la publicité dans sa boite aux lettres ? Qui va faire une démarche positive pour en recevoir ? Plus important encore : qui va lire cette publicité plutôt que de la trier et de la mettre tout de suite à la poubelle ?

Second argument : La Poste explique que les potentiels bons de réduction et promotions reçus permettraient d’économiser 2548 francs par année, sans préciser sur quels produits ou services exactement.

La publicité représente entre 40 et 60 kilos de papier par ménage et par année. D’après le WWF, le papier représenterait 40% des arbres abattus sur la planète. La Poste dit être consciente de sa responsabilité écologique. Depuis 2017, le traitement et la distribution des envois publicitaires par La Poste est neutre en CO2. Grâce à l’envoi “pro clima”, La Poste compenserait les émissions de C02. Admettons.

Ces considérations sociales et écologiques n’abordent pas de front la place de la publicité dans l’économie de la transition climatique. Autant elle est indispensable pour le producteur, autant elle est ambigüe pour le consommateur. Or, on sait que la consommation doit être réduite, pas seulement celle de l’énergie au sens strict, mais aussi celle de tout produit qui incorpore toujours l’énergie nécessaire à a sa fabrication. Or la publicité induit, elle doit induire des achats qui ne se seraient pas produits en son absence, sinon le producteur y renoncerait. Comment arriver à une société à bas Watt, sans réduire un facteur qui va en sens contraire ?

La Poste est soumise à la révolution numérique qui impose des changements drastiques de stratégie : elle ne peut vivre indéfiniment en transportant du papier. L’économie ne peut vivre indéfiniment au rythme de la surconsommation : les ressources de la planète s’épuisent. Pour ces deux raisons, échouera l’initiative visant à promouvoir des boites aux lettres accueillantes par des autocollants infantiles. Il reste à découvrir quel est le responsable incompétent au plus haut niveau qui prend ce genre de décision vouée à l’échec.

 

 

Un aveu de faiblesse

Il y aurait deux espèces de murs. Le plus célèbre, le Rideau de Fer, avait pour fonction d’empêcher les citoyens des prétendus paradis soviétiques de s’enfuir. C’était l’aveu de l’échec d’une économie planifiée. C’était l’attrait économique de vivre et de travailler dans une économie libérale. L’effondrement du Mur de Berlin a entrainé celui du système communiste. Ce mur fut un aveu de faiblesse.

Or, sous nos yeux se multiplient de nouveaux murs, apparemment d’une autre espèce, construits maintenant par les pays riches pour éviter d’être envahis par les migrants des pays pauvres. Le plus récent entre la Finlande et la Russie, précédé par celui de la Pologne et des pays baltes. Plus au Sud celui de la Slovénie et de la Hongrie face à la Croatie, de la Bulgarie et de la Grèce face à la Turquie, de Ceuta et Melilla face au Maroc. La Méditerranée joue pour sa part un rôle analogue, celui de fossé anti-immigration.

Cette seconde espèce de murs semble l’opposé de la première alors qu’elle a la même fonction, empêcher la migration économique. Elle n’en diffère que par le pouvoir organisateur. Elle signifie dans les deux cas une tension économique insupportable entre deux mondes. Elle admet l’incapacité de construire une économie mondiale harmonieuse. Elle nourrit le soupçon d’une inégalité dans les termes de l’échange.

L’extension de ces barbelés est à la fois la seule solution immédiate et l’aveu d’un échec dans la durée. Mais c’est un remède boiteux. Il n’empêche pas les passages clandestins, car aucune barrière ne peut être vraiment étanche, face à des migrants désespérés, prêts à risquer leurs vies, voire celles de leurs familles. Tout comme l’effondrement du Mur de Berlin sous l’assaut d’une foule résolue, ces murs ont vocation à s’écrouler sous la vindicte des peuples affamés.

La véritable solution serait-elle l’aide au développement pour fixer les candidats migrants sur place grâce à un sort plus acceptable ? On le répète sur tous les tons, mais avec la secrète appréhension qu’elle ne serve pas à grand-chose, qu’elle se dilue dans la corruption et la violence des pays concernés, que le bien-être ne s’exporte pas, car en fin de compte une civilisation particulière ne s’enseigne pas à ceux qui n’en veulent pas. Ce fut le projet avorté de la colonisation, qui constitua un affront insupportable à la dignité des colonisés, une contradiction dans les termes, un déni aux droits de l’homme sous le prétexte de les propager.

La coopération au développement relève de la même idée : il y aurait des peuples spontanément développés et d’autres qu’il faudrait aider à la devenir. La colonisation reposait sur la contrainte, la coopération sur la persuasion. Force est de constater qu’elle n’est pas plus efficace et qu’elle l’est même peut-être moins. Nous avons épuisé les deux procédés, la force et la douceur. Il ne reste que les murs, l’inscription visible dans le paysage de cette frontière entre deux moitiés incompatibles du monde.

C’est la manifestation d’une constante historique : la brutalité des relations entre civilisations différentes. L’Occident est recroquevillé sur l’obsession de la croissance et, pour s’en évader, pratique le tourisme dans le Tiers-Monde, une sorte de voyeurisme d’un paradis perdu, celui d’une autre forme de culture qui met en avant la convivialité, le loisir, le jeu, le plaisir plutôt que la consommation à outrance.

On ne peut conclure ce blog sans évoquer la sinistre efficacité du mur qui contraint les Africains à tenter des traversées aventureuses de la Méditerranée puisque la voie de terre est rendue artificiellement difficile. Chaque année des centaines de victimes se noient parce que les navires de sauvetage des ONG subissent maintes contraintes. Ces morts sont tués par suite de l’existence des murs. Jadis l’Allemagne communiste de l’Est abattait comme du gibier ses propres citoyens qui tentaient de lui échapper. Nous faisons de même par des voies détournées pour dissuader ceux qui veulent vivre avec nous, mais avec le même résultat et la même inspiration. On peut répéter sans cesse que l’on ne peut pas héberger toute la misère du monde, en citant Michel Rocard, un homme de gauche et en oubliant qu’il l’a complétée par ” mais il faut en prendre sa part.”. Cela ne touche pas le cœur du problème : pourquoi y-a-t-il tant de misère ? Ou encore : pourquoi y-a-t-il des pays riches ?

 

Une mauvaise idée

 

 

Elle est proposée par Avenir Suisse : les étudiants pourraient accéder à des prêts, indépendamment de leurs ressources propres et de leurs garanties de crédit ; le remboursement n’interviendrait qu’après les études et à partir d’un revenu minimum. Excellente proposition si elle n’était pas accompagnée d’une autre. Car les frais d’inscription à l’université comporteraient les coûts réels, contrairement à la modeste taxe actuelle qui ne couvre pas du tout les frais d’études, supportés par les finances publiques.

Si l’idée de fournir un prêt à tout étudiant pour couvrir ses frais de subsistance est attrayante, celle de lui faire payer le coût de ses études l’est beaucoup moins. Sans le dire, cela revient à privatiser les hautes écoles, c’est-à-dire à se ranger au modèle des universités américaines. Leurs diplômés se retrouvent chargés d’une dette écrasante au début de leur carrière.  En 2019, 45 millions d’Américains cumulaient une dette de 1 600 milliards de dollars contractée pour payer leurs études. Ce montant est plus élevé que la dette liée aux cartes de crédit, environ 1 000 milliards. Cela représente un obstacle pour démarrer dans la vie car les banques renâclent à accorder de nouveaux prêts pour l’achat d’un logement ou d’une voiture à ces clients déjà endettés. Les jeunes ne peuvent pas non plus compter sur leurs parents, dont certains remboursent encore leurs propres études.

Cette proposition est carrément irréaliste pour la Suisse. En 2020, les coûts par étudiant pour les études de médecine se sont élevés en moyenne à 106’880 francs par an. Le cursus de six ans d’études coûtait ainsi environ 642’000 francs. Comment un jeune médecin pourrait-il à la fois supporter cette dette et celles pour installer son cabinet ?

L’étude d’Avenir Suisse suppose de modestes remboursements annuels de l’ordre de 1500 CHF et prétend que, sur la durée d’une carrière, les prêts pourraient être intégralement remboursés. Ce n’est manifestement pas le cas pour la médecine. Même remarque pour l’EPFL.  Or, nous sommes actuellement en pénurie aussi bien de médecins que d’ingénieurs. Les charger d’une dette aussi exorbitante les inciterait à émigrer. Cela reviendrait à les remplacer par des diplômés étrangers qui ne seraient pas astreints à une dette.

Pour que cette opération soit globalement rentable, c’est aussi supposer que toute formation universitaire procure un emploi bien rémunéré. Ce n’est pas le cas pour les jeunes chercheurs réduits à des postes d’assistants modérément payés, celle des stagiaires avocats ou des internes dans les hôpitaux. Où placer la barre à partir de laquelle il faut rembourser la dette ? Trop haut cela ne rembourse rien, trop bas c’est insupportable.

C’est aussi négliger que les diplômés procurent à la société un apport fiscal, parce qu’un niveau d’éducation supérieur entraîne en moyenne un revenu plus élevé. Autre considération : une formation avancée signifie un investissement personnel par manque à gagner qui peut s’étendre sur plus d’une décennie. En ce sens les diplômés ont déjà « payé » pour le privilège d’étudier.

Mais ces considérations financières n’effleurent pas le véritable enjeu : on répète souvent que les cerveaux sont la seule matière première de la Suisse. L’université est pour l’instant le service public qui l’exploite, il est normal que ce soit un investissement collectif, c’est-à-dire aux frais de l’Etat.

Toutefois, selon Avenir Suisse pour ne pas « nuire » à la formation supérieure, il faudrait que les coûts de celle-ci soient supportés par ceux qui en tirent le plus grand profit. On ne voit pas le rapport. Au contraire. Ce serait une mauvaise affaire pour la place scientifique suisse, qui doit déjà massivement recourir à des diplômés étrangers, que de décourager ses propres ressortissants en les taxant. Ce serait ramener son rôle à celui d’une école de cadre pour milieux favorisés, alors qu’elle est aussi un outil de formation à la recherche pour les plus doués.

On en viendrait à favoriser les formations qui garantissent une « employabilité » en fermant les autres comme l’égyptologie, la musicologie, la philologie, la philosophie. Or, le terme même d’université fait référence à l’universalité du savoir ou de l’interrogation. Une vieille maxime latine résume ironiquement le projet universitaire « De omni re scibili et de quibusdam aliis », de tout ce que l’on peut savoir et de quelques autres.  Ce n’est qu’en posant des questions provisoirement sans réponses que l’on finit par trouver leur bonne formulation.

Si le savoir n’est pas une passion, au même titre que la culture ou la foi, ce n’est qu’une triste manie.

 

 

 

 

 

De mal en pis

 

Le rachat de Credit Suisse fait partie de ces événements financiers qui échappent à la sagacité du citoyen ordinaire ; il eut lieu dans la précipitation sans l’avis des actionnaires et malgré les assurances que la banque était bien capitalisée. Tout a tourné autour du concept de « confiance », qui est indéfinissable, incontrôlable et invérifiable. Même la Banque Nationale ne put le restaurer en injectant la somme de 50 milliards. La Confédération, la Finma et la BNS, qui n’ont rien prévu et rien pallié, se sont toutes trois déconsidérées. A quoi servent-elles donc si elles n’ont pas les pouvoirs ou les compétences d’intervenir avant la catastrophe ?

L’UBS recueille les bénéfices de cette incurie en achetant pour trois milliards une entreprise qui en valait beaucoup plus en période de confiance, tandis que les actionnaires, les clients et les collaborateurs de Credit Suisse sont lésés. L’appui donné par la Confédération constitue un risque supplémentaire de 9 milliards de francs pour les contribuables.

D’une part les rétributions ordinaires des dirigeants de banque se montent à plusieurs dizaines de millions par an, même pour les exercices qui subissent une perte, d’autre part le travailleur ordinaire subit des prélèvements obligatoires qui le réduisent à la portion congrue. Dans la vie telle qu’elle est, les banquiers sont comblés de biens, parce qu’ils gèrent les biens des autres sous le prétexte qu’ils y seraient plus compétents.

Comme toute banque Credit Suisse était muni d’un conseil d’administration, censé surveiller la gestion de l’entreprise. Avant même la Confédération, la Finma et la BNS, il aurait dû réagir. Il n’en a rien été, comme s’il n’existait pas. Il faut donc en conclure que les administrateurs étaient inaptes. Comment ont-ils été promus à leur fonction ? Autre mystère. Il existe une catégorie d’administrateurs, qui cumulent les mandats pour des raisons ténébreuses, en particulier parce que cela rassure d’en amasser le plus possible. Si on allait voir de plus près, on découvrirait sans doute que certains n’ont d’autre qualification que leurs naissances, leurs fortunes ou leurs relations.

Ce qui vaut pour les administrateurs du Credit vaut a fortiori pour les Conseillers fédéraux et les dirigeants de la BNS ou de la Finma. Lorsqu’un pont s’effondre des ingénieurs sont mis en cause. Qui est rémunéré pour sa compétence supposée et garantie par un diplôme doit assumer ses responsabilités. On est curieux d’apprendre si la débâcle de Credit Suisse donnera lieu à un procès quelconque.

Dans nos pays voisins, les ministres servent de fusibles et démissionnent si une catastrophe se produit dans leur dicastère. En Suisse cela est inimaginable parce que le pouvoir n’appartient à personne. Nous vivons en acratie, en dissolution du pouvoir en tant de fragments qu’il est impossible de désigner aucun coupable nommément. Ce système est idéal pour gérer la routine mais il défaille lorsqu’un défi important surgit. L’incompétence des titulaires constitue leur principale excuse : ne se réclamant d’aucune aptitude, ils sont innocents par définition. Après Swissair et UBS, la défaillance de Credit Suisse dévoile notre acratie : elle a tant d’avantages que le bricolage du rachat qui pallie ses manques suffit à nous rassurer.

Dès lors la solution appliquée est paradoxale. Si CS était « too big to fail”, que dire de l’UBS gonflée par son achat : elle est « much too big to fail », elle dépasse peut-être les possibilités de la BNS, de la Confédération voire de la Suisse. C’est une politique de Gribouille qui pour se protéger de la pluie se jetait à l’eau. On n’arrête pas de répéter que la nouvelle UBS ne peut pas faillir et que l’on prendra toutes les mesures pour s’en assurer, mais on a jusqu’à présent démontré qu’elles étaient inefficaces. Il faudra peut-être en venir à désigner et à installer un véritable gouvernement plutôt que la délégation parlementaire que constitue de fait le Conseil fédéral. En cas d’erreur grave, il faut pouvoir désigner un responsable.

 

Le devoir de perfection

 

 

Si le droit s’impose à tous, la morale, cette loi non écrite, se prescrit en plus aux élus Pour atteindre au niveau du législatif ou de l’exécutif, il faut remplir certaines conditions objectives : disposer du passeport à couverture rouge ; résider en un lieu adéquat ; n’être pas l’objet de condamnations infamantes. Mais ce n’est pas tout.  Il faut être parfait. Ne jamais laisser apparaître quelque faiblesse que ce soit. Pratiquer une vertu intransigeante pour se conformer à celle des puritains.

On ne peut pas formellement reprocher à un Conseiller fédéral d’entretenir une liaison amoureuse puisque la loi ne l’interdit pas, mais cela a tout de même mauvaise façon et permet de le critiquer. Peu importe qu’il remplisse bien son mandat politique. On se réfère à lui comme s’il devait trouver son plaisir uniquement dans son travail. De même s’il ne contrôle pas strictement ses expressions verbales, il y a lieu de le blâmer et d’attendre des excuses. L’idéal de la fonction consiste à être parfaitement lisse, inodore, incolore, à devenir une abstraction d’être humain.

Le test suprême est l’imposition. S’il s’avère que l’élu pratique l’optimisation fiscale, c’est-ä-dire qu’il installe ses pénates dans un lieu qui ne charge pas trop le bateau, il est soupçonné d’une sorte de fraude. Non pas qu’il n’obéisse pas à la loi, mais qu’il l’utilise et s’en serve. On attend, semble-t-il, d’un élu qu’il observe la rigueur maximale et qu’il recherche fébrilement l’endroit qui l’imposera au maximum. Tout citoyen, en bon père de famille, est justifié d’utiliser la loi pour payer le moins possible. Au contraire l’élu devrait renchérir sur ses exigences et payer une sorte d’impôt compensatoire, pour expier le fait d’être rémunéré par les finances publiques.

Or le fédéralisme a pour conséquence que l’imposition varie de commune en commune et de canton en canton. Cette pratique possède une grande vertu car le contribuable n’est pas livré à une fiscalité nationale. Il a le pouvoir de mettre en concurrence les divers pouvoirs publics. Ceux-ci ont intérêt à modérer le taux d’imposition pour conserver ou attirer les contribuables les plus intéressants. Et pour éviter la surenchère de la concurrence fiscale entre cantons ou communes, une péréquation lisse le paysage. Le système est à la fois efficace et juste.

En revanche, les reproches vertueux ne sont pas sans arrière-pensée. Dans le combat entre partis, il est profitable de faire la morale pour déstabiliser un ou une concurrent(e) qui a trop bien réussi. Les critiques sur la feuille d’impôt émanent surtout de la gauche parce qu’elle fédère des électeurs défavorisés financièrement, qui ne paient pas de contribution du tout et qui considèrent donc le mécanisme fiscal comme un outil de redistribution en leur faveur. L’inégalité sociale leur est insupportable. Dans leur esprit, ceux qui jouissent d’une certaine aisance bénéficient d’une injustice fondée sur leur habileté. Ils maîtrisent trop bien la loi et en tirent tous les avantages qui sont hors de portée des gens simples. La catégorie la plus critiquable est celle des élus d’un autre parti : ils gagnent leur vie avec de l’argent public et ils jouissent d’un certain pouvoir. En démocratie directe, c’est suspect.

 

 

 

Une carence délibérée

 

Médecins de famille, pédiatres, psychiatres et psychothérapeutes venant de l’étranger devraient plus facilement pouvoir exercer en Suisse en cas de pénurie. A l’heure actuelle, le praticien qui veut exercer dans un cabinet en Suisse doit avoir travaillé pendant trois ans dans un établissement helvétique.  Par dérogation en cas de pénurie, les cantons sont maintenant autorisés d’accorder des exceptions.

La cautèle précédente signifiait que la Suisse formulait des doutes sur une formation dispensée à l’étranger et que le futur praticien se devait d’être encadré pour que l’osmose avec des médecins suisses l’assimile. Maintenant, tout à coup cela ne semble plus nécessaire. Il existe une contradiction entre ces deux attitudes : la trop réelle pénurie rendrait soudain les étrangers plus compétents. Ou bien on fut jadis tatillon, ou bien on devient maintenant laxiste. Il faudrait choisir. A-t-on décrié à tort ces médecins autrefois ou met-on aujourd’hui en danger la sécurité des patients ?

Mais cette pénurie elle-même, d’où provient-elle ? Elle est incompréhensible. Normalement un pays développé, (une litote pour la Suisse) doit pouvoir former assez de médecins pour ses propres besoins. Or ce n’est pas le cas. Près de 40% sont originaires d’autres pays.

Quelle est la source des diplômes suisses ? Les facultés de médecine sont celles des universités de Bâle, Zurich, Berne, Fribourg, Genève, Neuchâtel et Lausanne. Mais elles sont limitées en nombre dès le début des études par un numerus clausus, de droit ou de fait, décidé par les cantons. Cette limitation du nombre de places d’études en médecine relève de décisions politiques, alléguant soit les coûts trop élevés des études de médecine, soit le nombre restreint de places de formation à la pratique dans les hôpitaux. Deux prétextes, faute d’une réelle excuse.

La sélection des étudiants se fait de différentes manières. Dans les universités de Genève, Lausanne et Neuchâtel, une sélection a lieu à la fin de la première année. Les universités de Bâle, Berne, Fribourg, Zurich exercent un numerus clausus pour l’admission en première année.

Le Conseil fédéral estime qu’il faudrait de 1200 à 1300 diplômes par an pour réduire la dépendance de l’étranger. Or ce chiffre n’était que de 900 en 2016. Il y avait donc chaque année un déficit de 300 à 400 diplômés. La Suisse ne formait que les trois quarts des médecins nécessaires, prétendument parce que cela aurait couté trop cher pour un des pays les plus riches au monde. Prétexte complémentaire : parce qu’il n’y aurait pas assez de places de formation à la pratique. Pourquoi ? Comment nos pays voisins parviennent -ils à former non seulement assez de diplômés pour leurs propres besoins mais aussi les nôtres ?

La Confédération a finalement octroyé un crédit de 100 millions de francs sous la forme de contributions dans le cadre du message relatif à l’encouragement de la formation. De 2016 à 2019, les capacités ont augmenté de 354 places d’études de niveau bachelor et 88 places de niveau master. En 2020, 182 nouvelles places d’études de niveau master ont été créées. Le nombre de diplômes de bachelor et de master est passé de 878 et 786 en 2013 à 1087 et 995 en 2018, soit toujours trop peu. La Confédération continue à assumer une partie des coûts engendrés par cette augmentation.

Il reste l’impression d’un gâchis qui a perduré pendant des décennies. Il est anormal que la Suisse ne puisse former tous les médecins dont elle a besoin et qu’elle pourrait aussi prêter aux pays démunis. Sous les prétextes avancés, la véritable raison est le réflexe de réduire les coûts de l’assurance maladie en générant une pénurie relative de médecins, selon le prétexte qu’en matière de santé ce serait l’offre qui crée la demande. En réalité, on croyait limiter la demande en raréfiant l’offre : on avait apparemment oublié que les pays voisins formaient des médecins parfaitement aptes à exercer en Suisse.

Si la Suisse fut et est dans cette situation, c’est le résultat d’une volonté politique dont elle doit assumer l’entière responsabilité, plutôt que de faire comme si elle était victime d’un complot. Le numerus clausus doit être soit abrogé, soit ajusté pour qu’il y ait de l’ordre de 1400 masters au terme des études. Pour résoudre le problème du financement, la bonne solution est de s’aligner sur les EPF par une totale prise en charge des Facultés de Médecine par la Confédération. Ce n’est pas aux cantons universitaires d’investir unilatéralement dans une tâche fédérale.