La voie bilatérale est en grand danger

En décidant hier d’enterrer l’accord-cadre avec Bruxelles, le Conseil fédéral affaiblit dangereusement notre place économique. L’avenir de nos relations avec l’UE se complique. Il s’agit désormais de se montrer inventif après ce coup de Trafalgar.

Tout ça pour ça! Même si la décision était dans l’air depuis plusieurs semaines, on peine à concevoir que le Conseil fédéral a bel et bien interrompu abruptement les discussions avec Bruxelles sur l’accord-cadre! Comme le redoutait hier dans «Le Temps» l’ancien secrétaire d’Etat Jean-Daniel Gerber, «nous risquons de nous retrouver dans une situation proche de celle de 1992 après le non du peuple à l’Espace économique européen». Durant la décennie qui avait suivi ce rejet, rappelons-le, la Suisse avait connu la plus faible hausse du PNB en Europe, juste devant l’Italie…

Mais quelle mouche a bien pu piquer le gouvernement? Cet accord, qu’il a souhaité dès le début, était censé consolider les relations bilatérales avec notre principal partenaire commercial, et permettre d’autres accords sectoriels à venir. Et là, patatras! Divisé, sans leadership, sans plan B, le Conseil fédéral a plombé nos perspectives. Les syndicats portent eux aussi une part de responsabilité dans cet échec, qui risque de péjorer l’emploi en Suisse à terme. Une première conséquence, hormis le fait de fâcher Bruxelles, va se faire sentir immédiatement: dès aujourd’hui, l’accord sur la reconnaissance mutuelle des produits médicaux tombe. Si la plupart des medtech suisses s’y sont préparées en recourant à un système de mandataires, il existe un risque de pénurie de dispositifs médicaux et de perte de compétitivité. Certaines d’entre elles seront peut-être même tentées de délocaliser leur production.

Ce n’est hélas pas tout! Des conséquences funestes pourraient toucher les domaines de la recherche et de la formation, sans parler d’autres échéances à venir concernant les produits agricoles ou encore le domaine des transports. La Commission européenne a par ailleurs fait savoir qu’un rejet de l’accord institutionnel barrait la route à un nouvel accord sur le marché de l’électricité. On le voit, à chaud, les perspectives ne sont pas très encourageantes.

Bruxelles ne nous fera pas de cadeaux

Comme l’a fait savoir hier la faîtière economiesuisse, «une relation stable à long terme avec l’Union européenne et ses États membres reste de la plus haute importance pour l’économie suisse. Préserver les avantages de la voie bilatérale doit donc rester un objectif prioritaire.» L’accord-cadre aux oubliettes, il s’agit maintenant de stabiliser les accords existants et de limiter les dommages prévisibles pour notre place économique. La tâche s’annonce ardue, car Bruxelles ne nous fera pas de cadeaux après avoir été éconduite d’une façon aussi arrogante. Berne juge-t-elle réaliste de proposer autre chose qu’une reprise du droit européen sans réciprocité?

En jetant cet accord à la corbeille, le Conseil fédéral empêche enfin la population de se prononcer sur nos relations avec l’UE. Même si ce domaine relève de la compétence gouvernementale, il me semble que les enjeux en présence méritaient largement que l’on donne la parole aux citoyens. Berne a failli sur toute la ligne.

Photo: AdobeStock

Claudine Amstein

Claudine Amstein est la directrice de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, depuis 2005. Après avoir été juriste et secrétaire générale de la Chambre vaudoise immobilière, elle en reprend la direction en 1993. Elle a été constituante au Grand Conseil vaudois, avant d’en être députée pendant dix ans. Elle est très engagée dans les associations faîtières de l'économie suisse.

9 réponses à “La voie bilatérale est en grand danger

  1. Merci pour votre billet. On ne peut que partager votre inquiétude – même sans être entrepreneur. Si les négociations avec l’UE relèvent en effet de la compétence gouvernementale, on ne peut que déplorer que le peuple n’ait pas plus son mot à dire à ce sujet. Ainsi, rien n’a été fait au niveau des responsables politiques pour amener ce débat sur la place publique. Sans doute l’immobilisme de nos institutions y est-il pour quelque chose.

    Seule l’UDC et certains syndicats, dans la mesure où ils portent une part de responsabilité dans cet échec, jubilent. Mais pour combien de temps? L’UE ne va pas nous faire de cadeaux et quand les premiers effets de ce pitoyable fiasco se feront sentir, ses responsables auront des comptes à rendre.

    Faudra-t-il bientôt se réfugier dans une république bananière pour faire valoir ses droits?

  2. C’est une décision crasse, qui ne nous donne presqu’aucune perspective sur une multitude de domaines avec l’Europe.
    Je n’aimerai pas être à la place de nos enfants !
    Nous avons réellement un problème de compétence, d’impartialité, d’éthique et d’indépendance envers les lobbys avec presque toutes nos instances politiques.
    Le CF en tête, les conseillers nationaux, et toute une série de fonctionnaires.
    Toutes ces « élites politiques » ont été lamentables sur toute la ligne en étant phagocyté et parasité par certains partis comme l’UDC ou des syndicats tout au long de ce processus avec l’Europe.
    Ils ont torpillé depuis le début l’ensemble de la négociation.
    Ils devront des comptes aux citoyen de ce pas car nous avons un avenir avec l’Europe.
    Nous serons vraiment considérés comme une république bananière, pas plus valorisé que le Belarusse ou Panama.
    Voyez comment le président US M. Biden parle de la Suisse et vous verrez comment l’Europe en parlera aussi tout prochainement.
    Il faut vraiment un grand coup de balais et virer ces lobbyistes du parlement qui devrait agir pour le peuple car c’est lui qui l’a élu !
    On marche sur la tête depuis quelques temps içi !

  3. Voilà où mène une période de prospérité (relativement courte dans l’histoire de notre pays cependant), qui a fait d’une partie de nos concitoyens actuels des enfants gâtés qui croient que “y en point comme nous” et que cette prospérité est garantie “ad aeternam” quoi que nous fassions. Ils risquent vite de déchanter. C’est grâce à nos échanges avec nos voisins européens prioritairement que nous vivons bien en Suisse (il n’y a qu’à voir la stagnation après 1992 jusqu’à la conclusion des bilatérales). Il n’y a pas besoin d’être grand devin pour imaginer ce qui va se passer maintenant, un déclin lent peut-être, mais inéluctable. Notre (pratiquement) seule ressource d’exportation, la matière grise de nos scientifiques et l’ingéniosité de nos industriels va se tarir. Coupés de la collaboration privilégiée avec leurs pairs européens, les meilleurs d’entre eux vont en effet s’exiler, comme cela a longtemps été le cas dans le passé, et les industries suivront et délocaliseront pour retrouver l’accès au Grand marché et de meilleures conditions-cadres. Résultat des courses à terme: prospérité en baisse, chômage en hausse; mais nous serons tellement fiers d’être soi-disant “libres et indépendants” n’est-ce pas 🙂 ?!

  4. Au lendemain de la votation de 1992 (EEE) également les “Eurolâtres” prédisaient quasiment la fin du monde ou presque. Bizarre, nous sommes toujours là, et la Suisse ne se porte pas si mal. L’histoire va-t-elle se répéter? Bien malin qui pourrait l’affirmer. Le BREXIT également devait enfoncer la Grande Bretagne dans les profondeurs: voyez-vous maintenant beaucoup de titres dans la presse sur ce sujet?
    Certes l’UE peut nous embêter, mais NOUS AUSSI! Quelques idées: conditionner le versement du “milliard de cohésion” (rires) au rétablissement de l’équivalence boursière et à l’absence de mesures de rétorsion, taxer fortement les camions étrangers en transit, facturer les frais d’études des étudiants étrangers en Suisse (il y en a plus que dans le sens contraire). Comprenons-nous bien: il ne s’agit pas de mettre à exécution ces menaces sans délai, mais de faire diplomatiquement comprendre à l’UE que si elle exagère nous avons aussi des cartes à jouer.

    1. Si on veut jouer à ce jeu stupide et puéril des menaces et rétorsions, alors imaginons que l’UE pourrait rétorquer par un blocus de la Suisse, plus aucun trafic entrant ou sortant, ou alors avec des droits de passage exorbitants. Combien de temps estimez-vous que la Suisse tiendrait avant de capituler sans condition (l’Europe en souffrirait bien un peu aussi, mais sans grandes conséquences pour elle)?!
      Heureusement, dans le monde réel civilisé, les choses ne se passent pas ainsi; les rodomontades n’impressionnent que ceux qui les profèrent.

  5. Apparemment, vos partenaires de la bourse ne partagent pas votre inquiétude puisque le SMI n’a pas bronché pendant cette journée, gagnant jusqu’à 0.5% vers 16:00!
    Il faudra reprendre les négociations sur de nouvelles bases, mais avec de nouvelles têtes, donc pas avant les élections de 2023. Dans un système traditionnel, un premier ministre aurait donné sa démission…
    Il nous reste l’option de l’adhésion qui offre une meilleure visibilité et meilleure stabilité à long terme.
    Participer aux décisions avec des partenaires à égalité sonne mieux que d’attendre dans le couloir sur un strapontin en attendant qu’on nous invite!

  6. Ils ont sombré corps et âmes, et s’ils avaient une once de bon sens et de fierté, ils devraient tous démissionner, la petite tête à claque le premier. Mais on continue comme si de rien n’était, à faire confiance à des gens qui nous ont montré leur parfaite incompétence personnelle et politique. Bonne chance…

  7. Jean Gelas

    Je ne suis pas citoyen suisse, français vivant en France, mais j’aime ce pays et je suis surpris des réactions négatives dues au fait que la Suisse veuille garder sa « personnalité ». Aucun pays parmi les 27 que compte l’Europe n’a la qualité et le niveau de vie de la Suisse. Que ce soit dans l’éducation, la recherche, le nombre de brevets déposés, etc… la Suisse est toujours dans le peloton de tête. L’Europe souhaite soumettre ses membres à ses juges, à ses normes sociales, ce qui est peut-être compréhensible quand cela élève le niveau qualitatif social, mais dans le cas de la Suisse c’est l’inverse! C’est l’Europe qui devrait demander à la Suisse : « comment faites-vous pour être un pays aussi démocratique et avec un tel niveau de vie? » En général, on s’inspire des meilleurs exemples pour progresser, et là c’est l’inverse! Alors évidemment le fait de ne pas s’intégrer à l’Europe va créer des difficultés à la Suisse pendant le temps d’adaptation, deux ou trois ans, mais la qualité de vie suisse mérite un effort et doit être préservée. Vous êtes notre exemple et notre part de rêve. Citoyen français qui aime son pays malgré ses faiblesses permanentes, je souhaite à la Suisse de tout faire pour garder son âme et l’ouverture qu’elle a sur le monde, contrairement à ce que disent certains. Tous mes vœux!

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