Les entreprises, actrices incontournables des défis à venir

Votation après votation, un fossé se creuse entre la population et le monde économique. Notre prospérité et notre qualité de vie ne dépendent pas moins des engagements des différents acteurs de ce secteur, dont nous sommes tous partie prenante.

Rédiger un dernier blog, en tant que directrice de la CVCI, suscite en moi un choix thématique cruel. L’économie est devenue le parent pauvre de l’information. Dans un monde de surinformation rapide, la complexité des sujets économiques rebute les plateformes et les réseaux sociaux où le plus court est le plus efficace. Mais plus efficace pour qui? Pour quoi? Dans tous les cas pas pour la compréhension du monde dans lequel nous vivons. Nous oublions trop facilement que nous sommes tous partie prenante de l’économie, nous la faisons même tous en tant que consommateur ou collaborateur.

La simplification conduit à vouloir placer les événements, les personnes dans des cases blanches ou noires, avec ses bons et ses méchants. Ainsi un entrepreneur est admiré pour son courage, son innovation, alors que le patron l’est moins. Il s’agit pourtant de la même personne. La liste de tels exemples est longue. Votation après votation, les analyses montrent qu’un certain fossé se creuse entre la population et l’économie.

Comment comprendre que la population de Vevey vote sur les sujets qui touchent Nestlé – son principal employeur et contribuable – de manière systématique à l’opposé des intérêts de l’entreprise? Mais alors, lorsqu’il s’agit de chercher de l’argent pour une association, un club sportif, le premier réflexe consiste à se tourner vers l’entreprise en question. Notre prospérité, notre qualité de vie sont le résultat des engagements de tous les acteurs de l’économie, petits et grands.

Notre prospérité n’est pas acquise

Et pourtant, même si le Canton est né sous une belle étoile, cette prospérité n’était pas acquise et ne l’est toujours pas. Petit rappel, à la fin de la crise des années 1990, à un moment où les taux hypothécaires avaient atteint les 6%, où le taux de chômage dépassait les 7% et celui des logements vacants se situait à près de 3%, nous étions fiers et heureux de voir arriver des multinationales dans notre canton. Elles nous ont permis de nous relever, d’assainir nos finances, de recommencer à investir. Dans le même temps, le développement de l’EPFL a instillé une incroyable dynamique pour la création d’entreprises, permettant à ces dernières de truster pendant des années le podium des start-up de Suisse. Grâce à la globalisation, nos PME ont pu développer leurs affaires sur le monde. Le marché intérieur a été ainsi alimenté par les bonnes performances de tous ces acteurs.

Cette renaissance économique nous a donné l’opportunité, grâce à la diversité de notre tissu, de faire face à toutes les crises vécues ces vingt dernières années, en ayant même la chance de connaître un accroissement du PIB supérieur à la moyenne suisse. Le fameux «miracle vaudois», comme nous l’avons intitulé dans une étude récente.

Mais ce miracle a engendré une sorte de «Schadenfreude» dans une partie de la population qui explique peut-être ces réflexes anti-économiques. Elle se manifeste par le rejet des multi, l’appel à la décroissance, l’impression que l’économie profite de tout et j’en passe. La pandémie a cependant rappelé quelques réalités, la fermeture de certains secteurs a fait prendre conscience de ce que pouvait signifier la décroissance. C’est l’occasion de rappeler que, pour l’économie, la croissance n’est pas le «toujours plus», mais le «toujours mieux». Et nous en aurons besoin, de «ce toujours mieux», pour affronter le défi climatique, que ce soit par la recherche et l’innovation.

Nous sommes à l’aube de changements géopolitiques profonds qui auront, à n’en pas douter, des conséquences aussi sur notre canton et son développement. Pour y faire face, il est bon de rappeler que les entreprises restent des acteurs incontournables pour trouver des solutions. Il nous appartient de l’expliquer encore et encore.

Photo: AdobeStock

Les salaires reflètent la santé économique du Canton

Le salaire médian vaudois a crû de 3,5% depuis 2018. Autre bonne nouvelle: l’écart salarial entre hommes et femmes se réduit. Ces faits illustrent la résilience de l’économie du Canton. Ces progressions ne doivent pourtant pas être anéanties par une fiscalité trop élevée.  

Le salaire médian – 50% de la population gagne moins et 50% gagne plus – s’est élevé à près de 6500 francs en 2020 dans le Canton. Même si les Vaudois restent tendanciellement moins rémunérés qu’en Suisse (6665 francs), la progression reste réjouissante puisqu’elle se monte à 3,5% depuis 2018. La croissance réelle des salaires, soit supérieure à l’indice des prix à la consommation, atteint même 6,2% en dix ans, avec un élargissement de la classe moyenne et une proportion de bas salaires en baisse. Ce sont là quelques-unes des données saillantes communiquées lundi par Statistique Vaud. «L’ensemble des résultats dépend également de l’évolution du tissu économique sous-jacent qui présente de fortes disparités, à l’image de l’industrie pharmaceutique dont le revenu médian est de 42% supérieur à la moyenne cantonale», note l’organisme. 

Statistique Vaud observe donc que la classe moyenne s’est élargie. Ils sont désormais 70%, soit 2% de plus qu’en 2010, à bénéficier d’un revenu compris entre 70% et 150% du revenu médian. Sans surprise, l’industrie pharmaceutique (+42%) et les activités liées à la recherche et au développement (+36%) offrent les salaires les plus avantageux. A l’autre bout, les services personnels (-40%), l’hébergement (-32%) et le commerce de détail (-26%) figurent parmi les branches les moins rémunératrices. Pour autant, les bas salaires, à savoir ceux dont le revenu est inférieur aux deux tiers du revenu médian, soit 4325 francs, ont légèrement diminué en dix ans, leur part passant de 12% à 10%. Une preuve supplémentaire que l’arrivée des multinationales a enrichi le Canton et les salariés. 

L’égalité salariale en chemin 

Au chapitre de l’égalité salariale, il reste encore du chemin à parcourir, mais les chiffres montrent toutefois des perspectives plutôt positives: l’écart de rémunération entre hommes et femmes est en baisse par rapport à 2010 (14%) dans le secteur privé. Si le salaire médian des femmes reste toutefois de 9% inférieur à celui de leurs congénères masculins, la fourchette se réduit tendanciellement. 

L’une dans l’autre, ces données illustrent la résilience des entreprises du Canton face aux crises, comme le montre notre étude «De la crise des subprimes à celle du Covid, le miracle vaudois», qui a permis une amélioration des salaires supérieure au PIB. Mais attention: il faut veiller à ce que cette progression réjouissante des rétributions de la classe moyenne ne soit pas réduite à néant par une fiscalité qui demeure trop lourde et par des prélèvements de toute sorte. Il est par ailleurs permis de se féliciter de l’évolution des salaires des femmes. J’appelle de mes vœux que cette progression s’accentue à travers une présence féminine plus marquée dans des professions à plus hauts revenus. 

Photo: AdobeStock 

Facilitons le recrutement pour les start-up

En manque de talents, les jeunes pousses suisses doivent rechercher de la main-d’œuvre qualifiée hors de nos frontières, et même hors d’Europe. C’est pourquoi les contingents des ressortissants d’Etats tiers doivent être revus. Un visa spécifique se profile. 

Les start-up suisses ont le vent en poupe. L’an dernier, elles ont levé près de trois milliards de francs, soit une performance meilleure que celle de 2019, année record. Ces chiffres réjouissants cachent pourtant une réalité problématique pour ces jeunes entreprises: la difficulté à recruter des talents. En Suisse, la main-d’œuvre qualifiée manque, notamment en raison du fait que ces sociétés naissantes doivent souvent recourir à des profils très particuliers que l’on ne trouve pas dans nos Hautes écoles. Leurs besoins évoluent rapidement au gré de leur développement. 

Le journal «Le Temps» a évoqué dernièrement cette problématique dans ses colonnes à travers un débat organisé par la fondation Inartis, qui promeut l’innovation. L’un des intervenants a plaidé pour une simplification des formalités administratives, suggérant d’introduire un visa spécifique permettant d’engager plus facilement des talents à l’étranger. Un tel sésame permettrait en outre de faciliter le parcours de jeunes diplômés venus d’autres horizons et qui souhaitent demeurer dans notre pays pour y lancer une entreprise. 

L’idée d’un tel visa fait son chemin sous la Coupole fédérale. En mai 2021, le Conseil national a adopté – contre l’avis du Conseil fédéral – une motion déposée par l’ancien conseiller national vaudois Fathi Derder en 2019, par laquelle il demandait que le système actuel de contingents soit remplacé par un système d’immigration plus flexible. Ce texte vise notamment à assouplir le modèle de contingentement concernant les ressortissants d’Etats dits tiers, à savoir hors Union européenne et hors Association européenne de libre-échange. Dans les faits, il s’avère que les grands cantons, comme celui de Vaud, épuisent très vite ces sésames qui sont en nombre insuffisant. 

En lien avec cette problématique, il faut relever que ces permis sont souvent refusés parce que les collaborateurs des start-up ne sont pas payés selon les normes du calculateur statistique de salaires Salarium. Ce dernier ne tient pas compte du paiement en stock options, qui confère au salarié le droit d’acheter l’action d’une entreprise. Dans les faits, ils devraient être considérés comme une partie intégrante du salaire. Cet aspect devra à terme être pris en compte par les autorités. 

Un monde qui bouge

Le dossier des contingents des ressortissants d’Etats tiers se trouve désormais entre les mains du Département fédéral de justice et de police. Il reste à connaître la durée du processus politique permettant la mise en œuvre de cette motion, sachant que chez nos voisins, les choses évoluent rapidement. La France, à titre d’exemple, a mis sur pied l’initiative «French Tech» dans le but d’attirer des talents étrangers. Elle a pour objectif de faire émerger des start-up à succès en s’appuyant sur les initiatives des membres de son écosystème. Présidente du Conseil l’Union européenne ce semestre, la France entend miser sur les start-up européennes pour asseoir une souveraineté numérique sur le continent. Elle a annoncé en février dernier avoir rassemblé plus de 3,5 milliards d’euros à investir dans l’écosystème. 

Devons-nous, en outre craindre la concurrence des talents étrangers? La réponse est non, car les start-up ont besoin de profils très spécifiques que l’on ne trouve pas ici. Notre pays a fondé sa prospérité sur l’ouverture au monde. L’idée ne consiste pas à snober nos étudiants, mais bien à recourir à la main-d’œuvre qualifiée qui nous fait défaut. Il en va de notre compétitivité dans un monde qui bouge à toute vitesse. 

Photo: AdobeStock 

Un déclassement que l’on souhaite provisoire

La relégation de la Suisse au rang d’Etat tiers dans le programme-cadre de recherche Horizon Europe produit déjà de funestes effets. Des Hautes écoles européennes commencent à débaucher des chercheurs provenant de notre pays. L’hémorragie doit être stoppée. 

Le conflit armé déclenché par Vladimir Poutine contre l’Ukraine monopolise l’attention des médias à juste titre, mais il ne saurait occulter d’autres préoccupations. Au rang de celles-ci figurent les conséquences de l’abandon, par le Conseil fédéral, de l’accord institutionnel avec l’Union européenne (UE). Dans la foulée de cette décision incompréhensible, la Suisse s’est retrouvée déclassée au rang d’Etat tiers dans le programme-cadre de recherche Horizon Europe. Du coup, la coopération avec les 27 Etats membres de l’UE et les 16 autres pays associés est fortement limitée. La Suisse a ainsi perdu son droit de codécision dans les différents comités. 

Cette situation est extrêmement préjudiciable pour notre pays dans la mesure où ce programme dispose d’un budget très conséquent, soit 95,5 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Il couvre par ailleurs tous les domaines de la recherche. Dans la dernière édition, du «Matin dimanche», Yves Flückiger, recteur de l’Université de Genève, constate que cette exclusion produit déjà des effets sur l’emploi dans les grandes écoles de notre pays. Ainsi, une volée de 28 jeunes chercheuses et chercheurs suisses avait été sélectionnée pour bénéficier de bourses juste avant que la Suisse ne soit exclue d’Horizon Europe. Peu après, on leur a fait savoir que s’ils voulaient bénéficier de ce financement, ils devaient s’affilier à une institution sur le territoire de l’UE. Tous ont été courtisés par des Hautes écoles européennes. Un débauchage propre en ordre. Pour le recteur genevois, «nous sommes dans une spirale qui peut amener une détérioration de la qualité de notre formation, de notre recherche, donc de la contribution que nous pouvons amener à la société». 

La recherche universitaire suisse menacée

Une enquête récente du groupe de réflexion Avenir Suisse auprès des Hautes écoles et des universités suisses montre que l’inquiétude monte face à la disparition de cette source importante de fonds tiers. Ainsi, 80% de ces institutions indiquent qu’elles en ressentent déjà les premiers effets négatifs, 88% considèrent que la solution transitoire du Sefri – compensation de ces bourses par la Berne fédérale – ne constitue en rien une solution équivalente, alors que 81% s’attendent à ce que l’absence d’association à ce programme entraîne une détérioration de la recherche universitaire suisse. Il faut rappeler que cette dernière a permis de développer un écosystème de start-up performantes et de doper l’innovation. 

De même, l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux (industrie MEM) a fait savoir lundi par voie de communiqué que le fait de ne pas être associé à Horizon Europe «risque d’affaiblir à moyen terme la force d’innovation de l’industrie suisse». Swissmem exige ainsi du Conseil fédéral de tout entreprendre pour que la Suisse puisse s’associer à ce programme cette année encore.  

L’affaire n’est pas gagnée. Le gouvernement a fait savoir vendredi dernier qu’il écartait définitivement l’accord-cadre au profit de discussions sectorielles. C’est un petit pas dans la bonne direction, mais rien n’indique que cela permettra d’aboutir à un déblocage de la situation actuelle. Comme le dit Yves Flückiger, «c’est à la Suisse de faire un geste vers l’Europe, pas l’inverse.» 

Photo: AdobeStock

Les directions des entreprises se féminisent

La part des femmes dans les sphères dirigeantes des grandes entreprises suisses cotées en bourse est passée de 13 à 19% l’an dernier. Notre pays peut faire encore mieux, sachant que plus de 90% de ces nouvelles cadres supérieures sont des talents provenant des quatre coins du monde.    

L’an dernier, la part des femmes est passée de 13 à 19% dans les directions des entreprises du SMI, qui regroupe les vingt principales valeurs du marché suisse cotées à la Bourse suisse. C’est ce qu’indique une étude du cabinet de recrutement Russell Reynolds Associates. Cette augmentation de six points de pourcentage s’explique par le fait que l’année dernière, 39% des cadres supérieurs nouvellement nommés au sein des entreprises du SMI étaient des femmes. En comparaison internationale, la Suisse a fortement rattrapé son retard et se situe juste derrière l’Allemagne, mais devant les Pays-Bas, l’Espagne et l’Italie. 

 «Il apparaît depuis quelques années que le thème de la diversité jouit d’une priorité élevée dans les entreprises cotées en bourse en Suisse, explique l’auteur de l’étude. Les conseils d’administration et les directions prennent des mesures pour augmenter la proportion de femmes dans les organes de direction. On le constate notamment au fait que l’année dernière, quatre des dix nouvelles nominations étaient des femmes. Cette tendance positive devrait se poursuivre, étant donné que dans neuf ans, le seuil légal de représentation des sexes entrera en vigueur.» Aux premiers rangs des entreprises du SMI, on trouve Partners Group, avec une part de femmes de 38%, Zurich Insurance (36%) et Holcim (30%). 

Internationalisation marquée 

Cette étude nous apprend aussi que les directions des entreprises suisses se sont encore plus largement internationalisées au cours des douze derniers mois. Le magazine «Bilan» relevait en novembre dernier qu’au cours de ces vingt-cinq dernières années, le visage des conseils d’administration des plus grosses sociétés cotées à la Bourse suisse avait profondément changé: «Alors que la part des ressortissants helvétiques approchait les 90% avant le début du nouveau millénaire, elle n’est plus aujourd’hui que de 44% dans les 17 sociétés* du SMI (l’indice des valeurs vedettes en comprend 20)…» 

Pour ce qui concerne les quatorze femmes nouvellement nommées en 2021, une possède la double nationalité suisse et américaine, six sont Américaines, trois viennent de Grande-Bretagne, deux de France, une d’Allemagne et une d’Italie. En d’autres termes, 92% des nouvelles cadres supérieures proviennent de l’étranger. C’est réjouissant dans la mesure où cela montre que notre pays continue d’attirer des talents d’horizons divers, dont l’économie a évidemment besoin. 

Si je salue cet accroissement, il reste encore du chemin à parcourir pour que les femmes cadres de notre pays puissent accéder à des postes dirigeants afin de briser le fameux «plafond de verre». A mon avis, ce n’est ni en instituant des quotas ni des obligations légales supplémentaires que les choses vont évoluer, mais c’est bel et bien par la formation, une fiscalité supportable qui ne décourage pas les couples de travailler, la flexibilisation du travail et des structures d’accueil que les femmes pourront progresser hiérarchiquement au sein des entreprises. 

Leur accession à des fauteuils directoriaux est d’autant plus souhaitable qu’elles disposeront sous peu d’une opportunité de promotion: le monde du travail va, à terme, manquer de personnel en raison du départ programmé à la retraite des baby-boomers, dont un nombre élevé d’hommes occupant des fonctions dirigeantes. C’est donc une évidence: l’économie va avoir besoin des femmes dans un avenir proche, et cela à tous les degrés de la hiérarchie.   

Photo: AdobeStock

L’ouverture sur le monde pour répondre à la pénurie de talents

Les difficultés de recrutement restent l’une des principales préoccupations des chefs d’entreprise. Pour pallier ce problème, le nouveau gouvernement allemand entend attirer des personnes qualifiées par le biais de l’immigration. Une option qu’il faut avoir le courage d’explorer.

A l’heure où les pays ont plutôt tendance à se replier sur eux-mêmes, le nouveau chancelier allemand, Olaf Scholz, a surpris son monde en lançant un programme visant à faciliter la naturalisation et à attirer 400 000 personnes qualifiées par an dans son pays. Ce chiffre, relate «Le Temps» de jeudi dernier, ne tombe pas de nulle part. Il a été mis en évidence par un institut spécialisé dans le travail comme l’une des solutions au vieillissement de la société allemande, qui engendre une grave pénurie de personnel qualifié. Angela Merkel, sa devancière, avait en quelque sorte ouvert la voie en régularisant en son temps des centaines de milliers de migrants venus de Syrie. Les pistes lancées par la nouvelle coalition au pouvoir ont reçu un accueil favorable des milieux patronaux.

Cette préoccupation, les entrepreneurs la partagent de ce côté-ci du Rhin. Dans notre enquête conjoncturelle d’automne, plus d’un quart des répondants disent rencontrer des soucis de recrutement, une proportion qui grimpe à 40% dans l’industrie. Après une accalmie en raison de la crise du Covid-19, ces difficultés sont en recrudescence et atteignent un niveau identique à celui observé en 2018. Les types de profils principalement concernés sont la main-d’œuvre qualifiée (77%), les cadres intermédiaires (36%) et les cadres supérieurs (20%). Dans son Baromètre de l’emploi de septembre dernier, Manpower notait également que la pénurie des talents restait «un sujet d’actualité préoccupant pour de nombreuses entreprises».

Le poids de l’accord-cadre

Même si elle ne constitue qu’une solution parmi d’autres, à côté de la formation continue et du recours aux aptitudes des séniors dans certains secteurs, l’option du gouvernement allemand a le mérite de rappeler que la grandeur d’un pays se mesure aussi à son esprit d’ouverture vers l’extérieur. Où en serait l’économie suisse si notre pays n’avait pas introduit la libre circulation des personnes et conclu quantité d’accords bilatéraux sectoriels avec l’Union européenne? On voit aujourd’hui déjà les problèmes que rencontrent nos industriels à cause de l’abandon de l’accord-cadre.

Il n’est bien sûr pas question de laisser notre frontière ouverte à tous les vents. La pénurie de personnel concerne essentiellement les métiers très spécialisés pour lesquels nous ne disposons pas de filières de formation, ou alors en quantité insuffisante. Cette réalité pose avec une acuité particulière la question des contingents de ressortissants extracommunautaires, c’est-à-dire d’un pays hors UE et hors AELE. Si la Suisse entend rester compétitive, elle doit pouvoir aussi compter sur cette main-d’œuvre.

 Photo: AdobeStock

Un nouvel élan économique pour une nouvelle législature

En mars prochain, Vaud renouvellera ses autorités cantonales. A l’approche de cette échéance capitale, les organisations économiques faîtières, dont la CVCI, publient des recommandations qui doivent permettre le maintien d’un tissu économique diversifié, compétitif et performant.

Quatre mois à peine nous séparent du renouvellement des autorités cantonales. A la veille de cette nouvelle législature, la CVCI, la Fédération patronale vaudoise, la Chambre immobilière et Prométerre formulent, comme elles l’ont fait en 2017, des recommandations concrètes, «Impulsions 2027». Les propositions qui figurent dans cet opuscule ont pour ambition de contribuer à la préservation et au développement des conditions-cadres garantissant la compétitivité de l’économie vaudoise. Celle-ci se porte bien depuis une quinzaine d’années grâce, en particulier, à son dynamisme et à sa diversité. Le contexte mondial actuel, pour le moins incertain, révèle toutefois un effritement de notre attractivité. Ce constat vaut même en comparaison intercantonale. Pour toutes ces raisons, les futures autorités doivent entendre les besoins de l’économie afin de garantir l’emploi et la prospérité du canton, de même que le bien-être de la population.

L’Etat n’a pas vocation à résoudre tous les problèmes de la société, et doit donc se concentrer sur ses missions principales. La pandémie a certes montré le rôle central des autorités dans les moments de crise aiguë. Mais même dans notre pays, où la démocratie s’exprime régulièrement, le pouvoir exécutif est tenté, à travers les nombreux moyens dont il dispose, de limiter la capacité de contrôle des contre-pouvoirs. Ce fait a amené nos faîtières à porter un regard critique sur les aspects de gouvernance qui posent problème, lesquels figurent dans un nouveau chapitre «Rôle, fonctionnement et gouvernance de l’Etat». Un exemple? Dans le Canton, les procédures de consultation relèvent du bon vouloir des départements concernés. Ce n’est pas sain.

Fiscalité trop élevée

Les défis, à l’évidence, ne manquent pas, qu’il s’agisse de fiscalité, de formation, d’infrastructures, d’aménagement du territoire, d’énergie, d’environnement, de santé, de social ou encore d’agriculture, soit autant de thèmes que nous avons thématisés. L’imposition, en particulier celles des personnes physiques, constitue l’une de nos priorités: la pression fiscale doit impérativement être revue à la baisse, sans quoi nous risquons de voir s’exiler des contribuables importants.

L’augmentation exponentielle des dépenses dans le domaine social constitue également un sujet de préoccupation majeure, et cela à double titre: cette croissance non maîtrisée se fait en premier lieu au détriment des autres secteurs de l’Etat, qui voient leurs budgets diminuer. Corollaire: le monde du travail ne parviendra pas à financer éternellement un Etat toujours plus lourd alors que les entreprises doivent entamer leurs transitions numériques et climatiques.

En 2017, les organisations économiques faîtières vaudoises avaient publié «Impulsions 2022». Au regard des besoins que nous avions détaillés, force est d’admettre que les efforts entrepris par le Canton sont demeurés assez modestes. Il ne s’est manifestement pas attaqué à l’essentiel, ce qui justifie à nos yeux de remettre l’ouvrage sur le métier. La multitude de défis qui nous attendent doivent pousser nos futures autorités à entreprendre les réformes qui s’imposent, plutôt que de procéder à des adaptations législatives cosmétiques. Nos «impulsions 2027» leur montrent la voie à suivre si l’on entend pouvoir perpétuer la bonne santé de notre économie.

 Photo: Adobestock

L’industrie reste un pilier de notre prospérité

Une analyse d’Avenir Suisse montre comment les entreprises s’adaptent avec succès aux mutations du secteur industriel. Il reste que les défis posés par la numérisation, la nouvelle fiscalité internationale et la transition énergétique nécessiteront un débat sur notre politique industrielle.

La Suisse ne se désindustrialise pas, elle se tertiarise – y compris dans l’industrie, où les activités de services augmentent, notamment grâce au numérique. C’est la thèse que défend le Think Tank Avenir Suisse dans son analyse intitulée «Perpétuer le succès de l’industrie suisse».  «Contre toute attente, les changements structurels n’ont pas mené à une hausse du chômage, mais ont permis une réaffectation des emplois», expliquent les auteurs. Cette enquête montre comment notre pays peut s’adapter avec succès aux mutations du secteur industriel, et ce, sans politique dirigiste.

Avenir Suisse observe certes que ce secteur a perdu en importance pour la place économique suisse depuis les années 1970. Cela étant, ces vingt-cinq dernières années, avancent ses experts, «le nombre d’employés est resté stable, à environ 730 000, alors que la valeur ajoutée a augmenté de manière significative et que les exportations ont doublé».

La récente étude de la CVCI, «De la crise des subprimes à celle du Covid: le miracle vaudois», relevait également qu’entre 2005 et 2020, le nombre d’équivalents plein temps avait progressé dans l’industrie manufacturière, la chimie-pharma, naturellement, mais aussi dans l’industrie des machines et l’horlogerie, ainsi que dans l’industrie alimentaire, grâce, notamment, au succès rencontré par Nespresso.

La diversification est l’une des clés

Directeur romand du laboratoire d’idées libéral, Jérôme Cosandey s’est plu à mettre en évidence, vendredi dernier sur les ondes de La Première, «la bonne santé industrielle de la Suisse». Pour lui, cette évolution repose avant tout sur la diversité de notre industrie et sur des produits de niche à forte valeur ajoutée. Il a insisté sur la nécessité, pour nos entreprises, de pouvoir accéder à la main-d’œuvre européenne très qualifiée, mais aussi au-delà. Il a ainsi plaidé pour «un changement des contingents rigides» relatifs aux pays tiers.

Cette analyse tombe à point nommé pour rappeler la nécessité de continuer à diversifier notre tissu économique et de pérenniser, voire de développer, les accords commerciaux conclus avec nos divers partenaires. A cet égard, la réactivation de nos relations avec l’Union européenne demeure indispensable, car près de la moitié de nos exportations prend cette direction. La Suisse doit aussi poursuivre sa politique de formation – professionnelle et académique – dans les domaines qui font l’excellence de notre pays.

Les options dirigistes et volontaristes de nombreuses nations européennes ont certes abouti à une désindustrialisation, à l’exemple de la France et de la Grande-Bretagne. Il n’empêche que la donne a changé, avec l’arrivée prochaine du taux unique d’imposition décidé par le G20, les gros investissements à effectuer dans le domaine de la numérisation et de la transition énergétique. La Suisse ne pourra pas s’éviter un débat sur la définition d’une politique industrielle, notamment en vue d’aider les PME et les start-up au niveau de la recherche et du développement.

Photo: AdobeStock

L’économie vaudoise reste dynamique malgré les crises

La pandémie du Covid n’y a rien changé: le tissu économique du Canton continue de démontrer une vitalité réjouissante au gré des soubresauts conjoncturels. Une étude, cosignée par la CVCI, en explique les ressorts. Ce dynamisme n’est toutefois pas acquis: il faudra améliorer les conditions-cadres pour continuer de prospérer.

«Vaud – Le tigre discret», étude que la CVCI cosignait en 2016, montrait déjà l’aptitude de l’économie vaudoise à résister aux crises économiques. Cinq ans après, en pleine pandémie de Covid-19, la CVCI, l’Observatoire BCV de l’économie vaudoise et l’Institut CREA se sont réunis pour refaire le point sur la santé du tissu économique du Canton.

Publiée hier, l’étude «De la crise des subprimes à celle du Covid» ne constitue  en rien une vue de l’esprit, et cela malgré la rudesse de la crise sanitaire qui continue de déployer ses effets dans le monde. En dépit des difficultés rencontrées par certains secteurs, mais grâce à la flexibilité et à la diversité de ses entreprises, de même qu’aux différentes aides fournies par les autorités fédérales et cantonales, le canton de Vaud a ainsi pu traverser cette crise comme les précédentes, sans trop de dommages.

Entre 2005 et 2020, les entreprises du Canton sont parvenues dans leur globalité à résister, à rebondir, voire à prospérer malgré les subprimes, la crise de la zone euro, l’abandon du cours plancher de l’euro, la guerre commerciale ou la crise du coronavirus. Cette résilience se solde par une hausse du PIB de 41,9% et un nombre d’emplois en progression de 31% en quinze ans, des chiffres notablement plus élevés que ceux de l’ensemble de la Suisse (PIB: +29,7%, emploi: +19,9%). Le positionnement de l’économie vaudoise, basé en particulier sur le développement d’activités à haute valeur ajoutée, a permis à celle-ci de montrer sa robustesse au gré des soubresauts conjoncturels de ces dernières années.

L’essor de la chimie-pharma a largement contribué au développement de l’économie vaudoise au cours des quinze dernières années. Sa valeur ajoutée a été multipliée par 6, et les emplois qu’elle représente par 1,9. Les autres domaines de l’industrie manufacturière ont évolué diversement. La production de denrées alimentaires s’est développée alors que l’industrie des machines et la fabrication d’instruments de précision ont rencontré des vents contraires ces dernières années. Le principal moteur de la croissance entre 2000 et 2020 aura toutefois été le secteur tertiaire, qui a contribué à hauteur de trois quarts à la hausse du PIB sur cette période.

Un État trop gourmand

Un fait doit toutefois nous interpeller: le personnel des secteurs public et parapublic a connu de fortes progressions en une décennie et demie. Trois tendances se dégagent: la croissance du système éducatif, le développement du système de santé et la hausse des dépenses sociales. Cette évolution n’est pas tenable, car qui peut garantir que l’Etat disposera des moyens de ses ambitions à l’avenir? L’Etat devrait observer une prudence certaine dans la gestion de ses effectifs.

Le dynamisme de l’économie vaudoise n’est ainsi pas acquis. Un certain nombre de conditions doivent être réunies pour permettre à celle-ci de continuer à prospérer, parmi lesquelles figurent au premier rang une fiscalité juste et attractive. Nos relations avec l’Union européenne suite à l’abandon des négociations sur l’accord-cadre, l’accès facilité à une main-d’œuvre qualifiée, la digitalisation ou encore l’écosystème d’innovation sont autant de thèmes auxquels nous devrons également consacrer toute notre énergie.

Photo de couverture: Zuzanna Adamczewska-Bolle

Les enseignements de la pandémie pour le monde du travail

L’essor du télétravail pendant la crise sanitaire fait craindre à terme des délocalisations d’emplois. Si le risque est réel pour certaines professions connectées, d’autres, bien ancrées dans le concret, demeureront ici. Apprentissage et formation continue joueront un rôle-clé.

La tentation pourrait désormais être grande chez certains employeurs: profiter du boum du télétravail pour recruter du personnel sous d’autres cieux moins onéreux. Ce scénario, inspiré par la pandémie de Covid, est esquissé par un institut anglais dans une étude que «24 heures» détaille dans son édition de lundi. Selon le Tony Blair Institute for Global Change, en Grande-Bretagne, les contraintes du home office ont débouché sur une révélation pour les chefs d’entreprise: la productivité a augmenté durant le confinement. De ce fait, un emploi sur cinq risquerait d’être délocalisé. Parmi les jobs susceptibles de migrer vers des contrées aux salaires moins élevés, l’institut de l’ex-premier ministre pointe tous ceux dont les tâches sont effectuées via un ordinateur.

Dans un monde globalisé qui se numérise à marche forcée, il est logique que le marché du travail cherche à s’adapter. Fort heureusement, il reste un grand nombre de professions «bien ancrées» dans le réel que l’on ne saurait transférer. Prenons le secteur de la construction, par exemple. A travers un apprentissage, bien des métiers passionnants ne sont pas menacés d’obsolescence. Mieux: l’innovation jouera un rôle de moteur pour les jeunes avides de nouvelles connaissances. Songeons, par exemple, aux maisons que l’on doit rendre moins énergivores.

Le rôle de l’humain

Face à cette évolution vertigineuse, la formation continue demeure la meilleure manière de maintenir, voire d’accroître son employabilité. On sait aujourd’hui qu’il s’agira de se former en permanence, de redonner constamment du sens à ses activités et aux échanges. Replacer l’humain au cœur des entreprises n’est pas qu’un slogan, il s’agit d’une nécessité. C’est ce qui fera la différence face à l’émergence de l’intelligence artificielle, qui ne saurait se substituer au génie et aux contacts humains.

Autre enseignement de cette problématique générale, qui a valeur de confirmation: la difficulté que certaines entreprises rencontrent pour recruter les talents manquant sur le marché suisse, en particulier dans les domaines numériques de pointe. Il faut dire aux geeks qui préfèrent résider à Berlin ou à Barcelone, et c’est le devoir de nos autorités de marteler ce message, que le canton de Vaud offre une qualité de vie remarquable et variée. Sports d’été, sports d’hiver, nature intacte, vie nocturne et tranquillité constituent des atouts susceptibles d’attirer des jeunes gens talentueux.

Et puis, si ces talents ne veulent décidément pas profiter des avantages que procure la douce Helvétie, pourquoi ne pas recourir à leurs compétences à distance? Ce qui vaut dans un sens vaut aussi dans l’autre.

Photo: AdobeStock