La sécurité et la liberté de voyager ont un prix

L’agence Frontex a été créée pour renforcer et coordonner les contrôles aux frontières extérieures dans l’espace Schengen. Pour consolider ce dispositif, la Suisse doit accroître sa participation financière. Une contribution nécessaire dans une approche sécuritaire.  

Plus d’accès au Système d’information Schengen (SIS), rétablissement des contrôles systématiques aux frontières, vacanciers suisses condamnés à de longues files d’attente aux postes de douane européens, obtention d’un visa spécifique  en plus d’un visa Schengen pour les touristes extra-européens visitant notre pays! Tel serait le lourd tribut à payer en cas de rejet de notre participation à l’élargissement de Frontex, lors des votations fédérales du 15 mai prochain. Le bon sens commande d’accepter cet objet, qui conduira la Suisse à participer au développement de cette Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. En mettant à disposition du personnel et du matériel supplémentaires, notre contribution financière passerait de 24 millions de francs en 2021 à 61 millions en 2027. 

La Suisse fait partie de l’espace Schengen depuis 2008. Afin de garantir la sécurité dans ce périmètre, les États membres coopèrent étroitement. Ils sont soutenus par Frontex, agence à laquelle la Suisse participe depuis 2011, pour le contrôle des frontières extérieures. Frontex est en développement dans l’Union européenne (UE) depuis la fin de 2019. Le Conseil fédéral et le Parlement ont décidé que la Suisse s’y associerait, en augmentant progressivement sa contribution financière. Le référendum a été demandé contre ce projet: les opposants estiment que notre pays, par son soutien financier à cet organisme, se rend coresponsable de violations des droits de l’homme. Il n’en est rien. Cette agence améliore la coopération européenne en matière de protection des frontières et de rapatriement des personnes entrées illégalement, et permet ainsi de mieux faire respecter les droits fondamentaux des migrants. 

Un enjeu considérable 

L’enjeu est énorme, je le rappelle: un rejet du développement de Frontex par les urnes risquerait de causer l’exclusion de la Suisse du réseau Schengen/Dublin. Les autorités sécuritaires de notre pays n’auraient ainsi plus accès au Système d’information Schengen, qui aide la Confédération à lutter contre la criminalité internationale, le terrorisme et les migrations irrégulières. Chaque jour, plus de 300’000 demandes sont faites en Suisse dans le SIS par les polices cantonales, les garde-frontières et les offices des migrations, qui aboutissent à près de 20’000 résultats positifs chaque année. C’est dire si cet instrument est indispensable. 

Sortir de Schengen/Dublin marquerait en outre le retour des contrôles frontaliers systématiques. Or quelque 2’200’000 personnes passent chaque jour notre frontière. Ces contrôles provoqueraient d’importants temps d’attente et des embouteillages aux points de passage, dans les deux sens, sans parler des coûts et des problèmes de recrutement de personnel engendrés. Par ailleurs, les nombreux touristes extra-européens qui visitent la Suisse lors d’un voyage en Europe devraient, en plus de leur visa Schengen, demander un visa spécifique pour notre pays. Cette contrainte supplémentaire pourrait décourager certains voyageurs d’inclure la Suisse dans leur tour d’Europe, au grand dam du secteur touristique.  

Cet espace de sécurité commun est mis à mal par les importants mouvements de réfugiés et l’augmentation de la criminalité transfrontalière de ces dernières années. Les garde-frontières nationaux ont souvent été dépassés et des violations des droits de l’homme ont été constatées. Frontex doit donc être développée afin d’améliorer la coopération européenne en ce domaine. C’est pourquoi un oui déterminé s’impose le 15 mai prochain. 

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Facilitons le recrutement pour les start-up

En manque de talents, les jeunes pousses suisses doivent rechercher de la main-d’œuvre qualifiée hors de nos frontières, et même hors d’Europe. C’est pourquoi les contingents des ressortissants d’Etats tiers doivent être revus. Un visa spécifique se profile. 

Les start-up suisses ont le vent en poupe. L’an dernier, elles ont levé près de trois milliards de francs, soit une performance meilleure que celle de 2019, année record. Ces chiffres réjouissants cachent pourtant une réalité problématique pour ces jeunes entreprises: la difficulté à recruter des talents. En Suisse, la main-d’œuvre qualifiée manque, notamment en raison du fait que ces sociétés naissantes doivent souvent recourir à des profils très particuliers que l’on ne trouve pas dans nos Hautes écoles. Leurs besoins évoluent rapidement au gré de leur développement. 

Le journal «Le Temps» a évoqué dernièrement cette problématique dans ses colonnes à travers un débat organisé par la fondation Inartis, qui promeut l’innovation. L’un des intervenants a plaidé pour une simplification des formalités administratives, suggérant d’introduire un visa spécifique permettant d’engager plus facilement des talents à l’étranger. Un tel sésame permettrait en outre de faciliter le parcours de jeunes diplômés venus d’autres horizons et qui souhaitent demeurer dans notre pays pour y lancer une entreprise. 

L’idée d’un tel visa fait son chemin sous la Coupole fédérale. En mai 2021, le Conseil national a adopté – contre l’avis du Conseil fédéral – une motion déposée par l’ancien conseiller national vaudois Fathi Derder en 2019, par laquelle il demandait que le système actuel de contingents soit remplacé par un système d’immigration plus flexible. Ce texte vise notamment à assouplir le modèle de contingentement concernant les ressortissants d’Etats dits tiers, à savoir hors Union européenne et hors Association européenne de libre-échange. Dans les faits, il s’avère que les grands cantons, comme celui de Vaud, épuisent très vite ces sésames qui sont en nombre insuffisant. 

En lien avec cette problématique, il faut relever que ces permis sont souvent refusés parce que les collaborateurs des start-up ne sont pas payés selon les normes du calculateur statistique de salaires Salarium. Ce dernier ne tient pas compte du paiement en stock options, qui confère au salarié le droit d’acheter l’action d’une entreprise. Dans les faits, ils devraient être considérés comme une partie intégrante du salaire. Cet aspect devra à terme être pris en compte par les autorités. 

Un monde qui bouge

Le dossier des contingents des ressortissants d’Etats tiers se trouve désormais entre les mains du Département fédéral de justice et de police. Il reste à connaître la durée du processus politique permettant la mise en œuvre de cette motion, sachant que chez nos voisins, les choses évoluent rapidement. La France, à titre d’exemple, a mis sur pied l’initiative «French Tech» dans le but d’attirer des talents étrangers. Elle a pour objectif de faire émerger des start-up à succès en s’appuyant sur les initiatives des membres de son écosystème. Présidente du Conseil l’Union européenne ce semestre, la France entend miser sur les start-up européennes pour asseoir une souveraineté numérique sur le continent. Elle a annoncé en février dernier avoir rassemblé plus de 3,5 milliards d’euros à investir dans l’écosystème. 

Devons-nous, en outre craindre la concurrence des talents étrangers? La réponse est non, car les start-up ont besoin de profils très spécifiques que l’on ne trouve pas ici. Notre pays a fondé sa prospérité sur l’ouverture au monde. L’idée ne consiste pas à snober nos étudiants, mais bien à recourir à la main-d’œuvre qualifiée qui nous fait défaut. Il en va de notre compétitivité dans un monde qui bouge à toute vitesse. 

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Un déclassement que l’on souhaite provisoire

La relégation de la Suisse au rang d’Etat tiers dans le programme-cadre de recherche Horizon Europe produit déjà de funestes effets. Des Hautes écoles européennes commencent à débaucher des chercheurs provenant de notre pays. L’hémorragie doit être stoppée. 

Le conflit armé déclenché par Vladimir Poutine contre l’Ukraine monopolise l’attention des médias à juste titre, mais il ne saurait occulter d’autres préoccupations. Au rang de celles-ci figurent les conséquences de l’abandon, par le Conseil fédéral, de l’accord institutionnel avec l’Union européenne (UE). Dans la foulée de cette décision incompréhensible, la Suisse s’est retrouvée déclassée au rang d’Etat tiers dans le programme-cadre de recherche Horizon Europe. Du coup, la coopération avec les 27 Etats membres de l’UE et les 16 autres pays associés est fortement limitée. La Suisse a ainsi perdu son droit de codécision dans les différents comités. 

Cette situation est extrêmement préjudiciable pour notre pays dans la mesure où ce programme dispose d’un budget très conséquent, soit 95,5 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Il couvre par ailleurs tous les domaines de la recherche. Dans la dernière édition, du «Matin dimanche», Yves Flückiger, recteur de l’Université de Genève, constate que cette exclusion produit déjà des effets sur l’emploi dans les grandes écoles de notre pays. Ainsi, une volée de 28 jeunes chercheuses et chercheurs suisses avait été sélectionnée pour bénéficier de bourses juste avant que la Suisse ne soit exclue d’Horizon Europe. Peu après, on leur a fait savoir que s’ils voulaient bénéficier de ce financement, ils devaient s’affilier à une institution sur le territoire de l’UE. Tous ont été courtisés par des Hautes écoles européennes. Un débauchage propre en ordre. Pour le recteur genevois, «nous sommes dans une spirale qui peut amener une détérioration de la qualité de notre formation, de notre recherche, donc de la contribution que nous pouvons amener à la société». 

La recherche universitaire suisse menacée

Une enquête récente du groupe de réflexion Avenir Suisse auprès des Hautes écoles et des universités suisses montre que l’inquiétude monte face à la disparition de cette source importante de fonds tiers. Ainsi, 80% de ces institutions indiquent qu’elles en ressentent déjà les premiers effets négatifs, 88% considèrent que la solution transitoire du Sefri – compensation de ces bourses par la Berne fédérale – ne constitue en rien une solution équivalente, alors que 81% s’attendent à ce que l’absence d’association à ce programme entraîne une détérioration de la recherche universitaire suisse. Il faut rappeler que cette dernière a permis de développer un écosystème de start-up performantes et de doper l’innovation. 

De même, l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux (industrie MEM) a fait savoir lundi par voie de communiqué que le fait de ne pas être associé à Horizon Europe «risque d’affaiblir à moyen terme la force d’innovation de l’industrie suisse». Swissmem exige ainsi du Conseil fédéral de tout entreprendre pour que la Suisse puisse s’associer à ce programme cette année encore.  

L’affaire n’est pas gagnée. Le gouvernement a fait savoir vendredi dernier qu’il écartait définitivement l’accord-cadre au profit de discussions sectorielles. C’est un petit pas dans la bonne direction, mais rien n’indique que cela permettra d’aboutir à un déblocage de la situation actuelle. Comme le dit Yves Flückiger, «c’est à la Suisse de faire un geste vers l’Europe, pas l’inverse.» 

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Les directions des entreprises se féminisent

La part des femmes dans les sphères dirigeantes des grandes entreprises suisses cotées en bourse est passée de 13 à 19% l’an dernier. Notre pays peut faire encore mieux, sachant que plus de 90% de ces nouvelles cadres supérieures sont des talents provenant des quatre coins du monde.    

L’an dernier, la part des femmes est passée de 13 à 19% dans les directions des entreprises du SMI, qui regroupe les vingt principales valeurs du marché suisse cotées à la Bourse suisse. C’est ce qu’indique une étude du cabinet de recrutement Russell Reynolds Associates. Cette augmentation de six points de pourcentage s’explique par le fait que l’année dernière, 39% des cadres supérieurs nouvellement nommés au sein des entreprises du SMI étaient des femmes. En comparaison internationale, la Suisse a fortement rattrapé son retard et se situe juste derrière l’Allemagne, mais devant les Pays-Bas, l’Espagne et l’Italie. 

 «Il apparaît depuis quelques années que le thème de la diversité jouit d’une priorité élevée dans les entreprises cotées en bourse en Suisse, explique l’auteur de l’étude. Les conseils d’administration et les directions prennent des mesures pour augmenter la proportion de femmes dans les organes de direction. On le constate notamment au fait que l’année dernière, quatre des dix nouvelles nominations étaient des femmes. Cette tendance positive devrait se poursuivre, étant donné que dans neuf ans, le seuil légal de représentation des sexes entrera en vigueur.» Aux premiers rangs des entreprises du SMI, on trouve Partners Group, avec une part de femmes de 38%, Zurich Insurance (36%) et Holcim (30%). 

Internationalisation marquée 

Cette étude nous apprend aussi que les directions des entreprises suisses se sont encore plus largement internationalisées au cours des douze derniers mois. Le magazine «Bilan» relevait en novembre dernier qu’au cours de ces vingt-cinq dernières années, le visage des conseils d’administration des plus grosses sociétés cotées à la Bourse suisse avait profondément changé: «Alors que la part des ressortissants helvétiques approchait les 90% avant le début du nouveau millénaire, elle n’est plus aujourd’hui que de 44% dans les 17 sociétés* du SMI (l’indice des valeurs vedettes en comprend 20)…» 

Pour ce qui concerne les quatorze femmes nouvellement nommées en 2021, une possède la double nationalité suisse et américaine, six sont Américaines, trois viennent de Grande-Bretagne, deux de France, une d’Allemagne et une d’Italie. En d’autres termes, 92% des nouvelles cadres supérieures proviennent de l’étranger. C’est réjouissant dans la mesure où cela montre que notre pays continue d’attirer des talents d’horizons divers, dont l’économie a évidemment besoin. 

Si je salue cet accroissement, il reste encore du chemin à parcourir pour que les femmes cadres de notre pays puissent accéder à des postes dirigeants afin de briser le fameux «plafond de verre». A mon avis, ce n’est ni en instituant des quotas ni des obligations légales supplémentaires que les choses vont évoluer, mais c’est bel et bien par la formation, une fiscalité supportable qui ne décourage pas les couples de travailler, la flexibilisation du travail et des structures d’accueil que les femmes pourront progresser hiérarchiquement au sein des entreprises. 

Leur accession à des fauteuils directoriaux est d’autant plus souhaitable qu’elles disposeront sous peu d’une opportunité de promotion: le monde du travail va, à terme, manquer de personnel en raison du départ programmé à la retraite des baby-boomers, dont un nombre élevé d’hommes occupant des fonctions dirigeantes. C’est donc une évidence: l’économie va avoir besoin des femmes dans un avenir proche, et cela à tous les degrés de la hiérarchie.   

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Le télétravail transfrontalier n’est pas sans obstacles

Le home office, dopé par la pandémie, concerne également les travailleurs frontaliers avec, à la clé, des conséquences sociales et fiscales importantes pour les partenaires sociaux. La fin du « régime d’exception» approchant, de nombreuses difficultés surgissent.

Le bout du tunnel pandémique se profile à en croire les experts. Ce retour à une certaine normalité, sous réserve d’un soubresaut du capricieux Covid, va produire un certain nombre d’effets sur le télétravail, en particulier pour ce qui concerne celui des frontaliers. Le canton de Vaud, qui en occupe plus de 34’000, vivra prochainement la fin du «régime d’exception» qui a prévalu dès les débuts de la crise sanitaire. Pendant cette situation exceptionnelle, la Suisse et ses voisins européens étaient convenus de suspendre l’application de certaines règles. Ainsi, les frontaliers qui travaillaient à distance restaient assujettis au régime suisse de sécurité sociale. En ce qui concerne la France, ce régime est en vigueur jusqu’au 31 mars 2022 (pour l’Allemagne, l’Autriche et le Liechtenstein, jusqu’au 30 juin 2022).

Après cette échéance, la législation ordinaire s’appliquera de nouveau, tant au niveau social et fiscal, ce qui ne va pas manquer de soulever de nombreux problèmes juridiques. En fonction de la part d’activité exercée en télétravail par les employés concernés, ce retour à la normale pourra entraîner un changement d’assujettissement au régime de sécurité sociale, ainsi que du régime d’imposition. C’est pourquoi les organisations économiques romandes, dont la CVCI, ont élaboré un «Guide télétravail transfrontalier» pour y voir plus clair.

Dans «24 heures» de ce lundi, Marco Taddei, responsable romand de l’Union patronale suisse, expliquait que dès le 1er avril, les frontaliers français «seront imposés en France sur le pourcentage de travail effectué à leur domicile, dès la première heure de home office en ce qui concerne les cantons de Fribourg et Genève, qui ne font pas partie d’un accord international avec la France, et au-delà de 20% de télétravail pour les cantons de Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura.»

Loin d’être une simple formalité

On le voit, le home office des frontaliers n’est pas une simple formalité. Le guide précité mentionne les risques encourus par les employeurs à ce propos et contient des recommandations à leur égard dans les cinq domaines suivants: assujettissement aux assurances sociales, aspects fiscaux, tribunal territorialement compétent, droit applicable et protection des données. Il leur est notamment conseillé de limiter le télétravail à la hauteur de 20% de la charge de travail, et d’en fixer les conditions par écrit, par exemple en concluant une convention avec les employés concernés.

Cette situation déjà complexe se double d’un embrouillamini juridique: en cas de télétravail d’un frontalier français à la fin du «régime d’exception», la France pourrait contraindre l’employeur suisse à nommer un représentant en France pour la perception de l’impôt à la source sur le jour de télétravail. Cette nomination est soumise à autorisation des autorités fédérales et, à défaut, tombe sous le coup de l’article 271 du Code pénal suisse, qui réprime les actes exécutés sans droit pour un État étranger. La France, pour le coup, a œuvré sans se soucier de la compatibilité de sa décision avec la législation suisse.

Il est vrai qu’en rompant l’accord-cadre et en portant son choix sur un autre avion de combat que le Rafale, la Suisse a pu fâcher son grand voisin d’outre-Jura…

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L’ouverture sur le monde pour répondre à la pénurie de talents

Les difficultés de recrutement restent l’une des principales préoccupations des chefs d’entreprise. Pour pallier ce problème, le nouveau gouvernement allemand entend attirer des personnes qualifiées par le biais de l’immigration. Une option qu’il faut avoir le courage d’explorer.

A l’heure où les pays ont plutôt tendance à se replier sur eux-mêmes, le nouveau chancelier allemand, Olaf Scholz, a surpris son monde en lançant un programme visant à faciliter la naturalisation et à attirer 400 000 personnes qualifiées par an dans son pays. Ce chiffre, relate «Le Temps» de jeudi dernier, ne tombe pas de nulle part. Il a été mis en évidence par un institut spécialisé dans le travail comme l’une des solutions au vieillissement de la société allemande, qui engendre une grave pénurie de personnel qualifié. Angela Merkel, sa devancière, avait en quelque sorte ouvert la voie en régularisant en son temps des centaines de milliers de migrants venus de Syrie. Les pistes lancées par la nouvelle coalition au pouvoir ont reçu un accueil favorable des milieux patronaux.

Cette préoccupation, les entrepreneurs la partagent de ce côté-ci du Rhin. Dans notre enquête conjoncturelle d’automne, plus d’un quart des répondants disent rencontrer des soucis de recrutement, une proportion qui grimpe à 40% dans l’industrie. Après une accalmie en raison de la crise du Covid-19, ces difficultés sont en recrudescence et atteignent un niveau identique à celui observé en 2018. Les types de profils principalement concernés sont la main-d’œuvre qualifiée (77%), les cadres intermédiaires (36%) et les cadres supérieurs (20%). Dans son Baromètre de l’emploi de septembre dernier, Manpower notait également que la pénurie des talents restait «un sujet d’actualité préoccupant pour de nombreuses entreprises».

Le poids de l’accord-cadre

Même si elle ne constitue qu’une solution parmi d’autres, à côté de la formation continue et du recours aux aptitudes des séniors dans certains secteurs, l’option du gouvernement allemand a le mérite de rappeler que la grandeur d’un pays se mesure aussi à son esprit d’ouverture vers l’extérieur. Où en serait l’économie suisse si notre pays n’avait pas introduit la libre circulation des personnes et conclu quantité d’accords bilatéraux sectoriels avec l’Union européenne? On voit aujourd’hui déjà les problèmes que rencontrent nos industriels à cause de l’abandon de l’accord-cadre.

Il n’est bien sûr pas question de laisser notre frontière ouverte à tous les vents. La pénurie de personnel concerne essentiellement les métiers très spécialisés pour lesquels nous ne disposons pas de filières de formation, ou alors en quantité insuffisante. Cette réalité pose avec une acuité particulière la question des contingents de ressortissants extracommunautaires, c’est-à-dire d’un pays hors UE et hors AELE. Si la Suisse entend rester compétitive, elle doit pouvoir aussi compter sur cette main-d’œuvre.

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La résilience de notre économie n’est pas acquise

Les trois faîtières de l’économie suisse lancent un appel en faveur d’«une cure de revitalisation» de notre pays. Leur constat est clair: la reprise actuelle ne fait pas oublier que les conditions-cadres en place ne sont pas à la hauteur des nombreux défis post-Covid qui pointent à l’horizon.

Les chiffres actuels en attestent: l’économie suisse demeure plus que jamais résiliente, y compris et surtout dans le canton de Vaud. Pas plus tard qu’hier, la Commission Conjoncture vaudoise a mis en exergue le «redémarrage de l’activité, soutenue par un affermissement de la demande étrangère et de la consommation intérieure». Les entrepreneurs du Canton font toutefois preuve d’un optimisme mesuré en ce qui concerne l’évolution à venir, estimant que les incertitudes restent nombreuses et que les perspectives de croissance doivent être considérées avec précaution.

Ces inquiétudes, economiesuisse, l’Union patronale suisse et l’Union suisse des arts et métiers les partagent. Les trois faîtières de l’économie ont d’ailleurs adopté la semaine dernière un agenda de politique économique commun, qui vise l’après-crise sanitaire. Pour elles, «la reprise actuelle ne doit pas faire oublier que le cadre de la politique économique en place n’est pas à la hauteur pour affronter la période post-Covid. Elles estiment que la capacité d’adaptation de l’économie suisse est compromise.» A la lumière de l’évolution actuelle, il est clair que la résilience de notre économie n’est pas acquise.

Les entreprises font partie de la solution

L’un des aspects problématiques a trait au fait que les autorités se focalisent sur la durabilité environnementale, à l’image du canton de Vaud et de son Plan climat. La durabilité passe aussi par une économie dynamique, qui assure la cohésion sociale. Les entreprises font partie de la solution puisqu’elles disposent d’outils pour diminuer leur consommation d’énergies fossiles via des conventions d’objectifs, s’équipent de panneaux solaires et développent des technologies innovantes permettant de réduire leur empreinte carbone et celle des consommateurs. La protection climatique reste une préoccupation majeure, mais elle ne doit pas constituer un frein au développement des entreprises. Il faut ainsi veiller à garantir des conditions-cadres favorables à l’innovation et à la recherche. Car oui, la transition énergétique et la numérisation constituent des opportunités pour l’économie.

Le monde se complexifie et les défis s’annoncent gigantesques, également en ce qui concerne les relations internationales. Au rang de nos priorités politiques figurent le rétablissement de bonnes relations avec l’Union européenne, qui reste notre marché principal, et la prise en compte des incidences de l’application d’un taux d’imposition minimum de 15% aux entreprises multinationales, à compter de 2023. Il est grand temps de penser «out of the box», c’est-à-dire de sortir des schémas habituels. Les réflexions sur une vraie politique industrielle ne doivent pas constituer un tabou, même si la tradition libérale de notre pays ne nous y a guère habitué.

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Renouer avec l’Union européenne doit être une priorité

La Suisse a rétabli le dialogue avec Bruxelles six mois après avoir rejeté l’accord institutionnel. Ces retrouvailles pour le moins tièdes n’augurent pas d’un déblocage rapide de ce dossier. Il y a pourtant urgence à s’entendre sur un nouveau cadre avec notre principal partenaire économique.

On ne peut pas dire que l’ambiance était au beau fixe, ce lundi, lorsqu’Ignazio Cassis, notre chef des Affaires étrangères, a effectué le déplacement de Bruxelles pour reprendre contact avec un partenaire que la Suisse a éconduit de manière assez cavalière en mai dernier. Dans ce contexte tendu, l’UE a clairement manifesté son intention de remettre rapidement la question institutionnelle sur la table des négociations, alors que le Conseil fédéral souhaite renvoyer ce dossier au-delà des élections fédérales de 2023. Selon la presse, Maros Sefcovic, chargé du dossier Suisse pour l’UE, attend déjà une feuille de route claire et précise pour janvier prochain, lorsqu’il retrouvera Ignazio Cassis à Davos à l’occasion du Forum économique mondial.

A mes yeux, le fait que l’UE souhaite faire avancer le dossier rapidement constitue un signal positif. Il est urgent que Berne et Bruxelles discutent d’un accord global, dont notre économie ne pourra que bénéficier. Il faut rappeler que l’Europe des 27 reste de loin notre partenaire commercial le plus important. L’abandon de l’accord institutionnel a déjà entraîné des conséquences funestes sur la reconnaissance mutuelle des produits médicaux, qui est tombée dans la foulée de la décision fédérale de mai dernier. Si la plupart des medtech suisses s’y sont préparées en recourant à des mandataires au sein de l’UE, les risques de pénurie de dispositifs médicaux et de perte de compétitivité demeurent. Certaines medtech sont tentées de délocaliser leur production. D’autres accords menacent de connaître le même sort, faute d’accord-cadre.

Nombrilisme malvenu

Le Conseil fédéral laisse entendre que la Suisse est en bonne position pour négocier, car le Parlement a donné récemment son accord au versement du deuxième milliard de cohésion. C’est oublier que cette contribution était due depuis des années. L’exécutif assure par ailleurs que l’UE doit beaucoup à notre pays, car il occupe plus de 300 000 frontaliers. Il est vrai que chacun y gagne, mais que serait devenu notre système hospitalier durant la pandémie sans ce personnel venu d’outre-Jura? Nous ne sommes pas autant en position de force que le dit le CF. Et les talents dont l’économie a si grand besoin, comment viendraient-ils sans la libre circulation des personnes? La vision selon laquelle les 27 nous sont redevables s’apparente à du nombrilisme pour le moins inadéquat.

La réalité est la suivante: lorsqu’elles ont abandonné l’accord-cadre, nos autorités ne disposaient pas d’un plan B, faisant preuve alors d’un amateurisme coupable. Le gouvernement donne ainsi l’impression qu’il ne sait pas où il va. Il envisagerait pour l’heure la conclusion d’accords sectoriels, qui nécessiteront chaque fois des discussions serrées, alors qu’un traité global, comme un accord-cadre, permettrait de disposer d’un socle solide et de limiter les concessions.

La Suisse se trouve véritablement à la croisée des chemins avec l’UE. Il s’agira d’emprunter rapidement la voie du bon sens.

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La loi Covid-19 a fait ses preuves

Les débats relatifs à la loi Covid-19, sur laquelle nous nous prononcerons le 28 novembre prochain, se cristallisent autour du certificat sanitaire introduit par le Conseil fédéral pour juguler la pandémie. Certains voient dans ce document une discrimination, alors qu’en réalité, cet instrument contribue à une reprise à peu près normale de nos activités dans l’attente de l’immunité collective.

L’enjeu de ce vote ne se résume pourtant pas à ce seul document et à son QR code, car ce texte induit toute une série d’aides financières dont bénéficient des milieux qui n’ont pas été ou trop peu soutenus jusqu’ici. Le Parlement a modifié la loi Covid-19 à plusieurs reprises pour mieux protéger les personnes et les entreprises. La modification de mars 2021 étend l’aide économique, qui est cruciale, et comble des lacunes en matière de soutien. La loi permet ainsi l’extension de l’aide pour cas de rigueur à des entreprises ayant dû fermer temporairement ou ayant subi un important recul de leurs affaires, l’extension des allocations pour perte de gain des indépendants ayant observé un recul du chiffre d’affaires de 30% (avant 40%), l’extension des indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) et la prolongation des indemnités chômage à 24 mois. Une bonne partie de l’économie a besoin de ces aides pour passer le cap d’une crise dont nous ne sommes pas encore sortis.

La loi Covid-19 est, rappelons-le, temporairement en vigueur. L’extension de l’obligation de produire un certificat sanitaire est limitée au 24 janvier 2022, mais le Conseil fédéral pourra la lever plus rapidement en fonction de la situation sanitaire et de la charge des hôpitaux. Les chances de voir cette hypothèse se réaliser seront plus élevées si la vaccination progresse encore. Les référendaires se trompent à l’évidence de combat! Rejeter ces dispositions ne supprimera pas les mesures de confinement, de fermeture ou d’obligation de porter le masque. Ces dernières relèvent de la loi sur les épidémies. Il est donc vain de penser qu’un refus de ce texte de loi Covid provoquera un retour plus rapide à «la vie d’avant». C’est en réalité l’inverse qui se produira.

Un vote protestataire irréfléchi

Un mot encore sur le certificat Covid: force est d’admettre qu’il facilite les déplacements à l’étranger et vers la Suisse, car il est reconnu au niveau international. Il revêt par conséquent une grande importance pour les milieux touristiques et pour l’économie d’exportation, sans parler de la possibilité qu’il offre aux particuliers de goûter de nouveau aux voyages d’agrément. Jeter cette loi dans les catacombes ne permettrait plus, dès le 19 mars, la reconnaissance des certificats Covid suisses par l’UE, et inversement.

Un vote protestataire, irréfléchi à mon sens, engendrerait nombre de désavantages économiques, de nouvelles restrictions et son lot d’incertitudes. La gestion responsable de la pandémie, telle qu’elle a été conduite jusqu’à présent, deviendrait pratiquement impossible si le référendum était accepté. Le système actuel, qui a fait ses preuves quoi qu’en disent ses adversaires, serait alors privé de son fondement. L’économie a besoin de la plus grande sécurité juridique possible, a fortiori en temps de crise. C’est pourquoi je dirai oui avec conviction à la loi Covid-19.

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Face à la menace de black-out en Suisse, quel courage politique?

«C’est vrai, nous n’en avons pas fait assez ces dix dernières années.» Le constat – ou l’aveu ? – de Simonetta Sommaruga à l’antenne de la RTS a de quoi laisser perplexe. Face au risque de pénuries d’électricité en hiver d’ici à 2025, il semble légitime d’attendre de nos autorités politiques une vision stratégique, une anticipation mais aussi davantage de courage.

Fukushima, c’était il y a dix ans, mais qu’a-t-on fait depuis? « Une loi », se réjouit la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, permettant notamment d’investir davantage. Et ensuite? Pas grand-chose malheureusement. Les milieux économiques insistent depuis longtemps sur les défis à relever pour assurer notre approvisionnement énergétique. Une problématique aujourd’hui encore aggravée par l’abandon des négociations sur l’Accord-cadre avec l’Union européenne ; la Suisse étant exclue des décisions concernant le marché de l’électricité européen.

Il faut savoir que ceux que l’on appelle les « gros consommateurs énergétiques » sont déjà ceux qui ont le plus agi pour diminuer leur impact ces dernières années. Les autorités leur demandent de faire des efforts supplémentaires, soit, mais cela ne sera pas suffisant. Quelles solutions le Conseil fédéral va-t-il mettre en œuvre face à ce défi d’une importance majeure pour nos infrastructures, nos entreprises mais aussi le chauffage et la sécurité de tout un chacun? Sait-il seulement comment et quand ces solutions seront opérationnelles, et combien cela coûtera-t-il? Loin s’en faut, puisqu’il nous parle encore d’options. Suite au risque de pénuries mis en lumière ces derniers jours et à la légèreté avec laquelle cette problématique semble avoir été traitée, certaines entreprises membres de la CVCI sont restées abasourdies.

Des choix à clarifier, puis assumer

Le Conseil fédéral n’a-t-il réellement pas pris la mesure de l’enjeu, pourtant déjà connu avant qu’il ne complique davantage la partie en bottant en touche l’Accord-cadre institutionnel avec l’UE? La décision d’abandonner à terme le nucléaire imposait de concrétiser dans la foulée un plan d’action d’envergure. Il ne suffit pas de dire « investissez dans le renouvelable » quand, en pratique, installer des éoliennes ou des panneaux solaires s’avère si souvent un chemin de croix – voire une utopie – face aux oppositions de tous bords. Et ce n’est qu’un frein parmi d’autres…

Puisque 2025 c’est demain, des solutions moins « vertes » semblent à nouveau envisagées. Principe de réalité oblige. Selon les uns, un réseau de mini-centrales à gaz pourrait ainsi apporter un complément précieux en hiver, durant les pics de consommation (lire à ce propos Le Temps). Comme l’urgence est déjà là, toutes les pistes méritent en effet d’être explorées, sans hypocrisie – le nucléaire français n’est pas plus «politiquement correct» que le nôtre.

Sans solution, une étude de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) le confirme, la Suisse pourrait subir des coupures d’électricité durant deux journées entières en hiver 2025. Face à ce constat, notre pays ne peut pas faire l’autruche et mettre en danger tout son tissu économique et industriel, mais aussi ses habitants. Des choix pragmatiques s’imposent pour assurer notre approvisionnement électrique, mais qui en aura le courage politique?

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