Participation, piège à qui?

En ce lendemain de premier tour des élections législatives françaises, il y a quelque chose de déconcertant à entendre et à lire les commentateurs et journalistes suisses reprendre dans leurs comptes rendus le motif de l'”abstention record”. Il est vrai qu’avec la participation de 48.7% des inscrits seulement, cette élections marque le point le plus bas dans l’histoire de la cinquième République. On brandit donc, dans les discours médiatiques français, la majorité d’abstentionnistes qui a fait le choix de ne pas participer au choix.

Et ici, en Suisse? On reprend ces éléments de discours, avec bien peu de distance là où, justement, nous devrions, peut-être, relativiser un peu. Car dans notre démocratie, il n’est pas seulement fréquent que les abstentionnistes soient en majorité – c’est même la règle depuis 1979 pour les élections au Conseil national, qui sont nos législatives.

Les abstentionnistes sont majoritaires depuis 1979 pour l’élection du Conseil national (source: OFS)

La question de savoir si une abstention aussi massive est un problème est ouverte. Les Français considèrent que oui, plus nettement que nous, sur deux plans. D’abord, institutionnellement, le taux de participation est pris en compte pour les législatives:

  • Pour être élu au premier tour, un candidat doit certes emporter une majorité absolue, mais celle-ci doit représenter 25% des inscrits (donc des électeurs potentiels) au minimum. Ce qui signifie que quelqu’un qui recevrait 51% des voix avec un taux de participation de 45% seulement ne serait pas élu au premier tour (car il aurait reçu les voix de 23% des inscrits seulement).
  • Peuvent se maintenir au second tour les candidats qui ont obtenu, lors du premier tour, les voix de 12.5% des inscrits. S’il n’y a pas au moins deux candidats remplissant cette condition, alors les deux premiers du premier tour peuvent se maintenir.

Ensuite, le taux d’abstention est commenté comme tel. Le Monde de ce jour présente, en première page, un graphique représentant le poids des partis par rapport à la totalité des électeurs… avec donc une grosse moitié grise représentant l’abstention.

Donc, avant de reprendre en boucle le couplet de la participation historiquement basse, jetons un œil de notre côté de la frontière. Car finalement, la France n’a fait que rejoindre la Suisse. Et interrogeons-nous franchement : quel est l’effet sur la démocratie d’une abstention majoritaire sur le long terme ? Et si nous nous inquiétons de celle des Français, préoccupons-nous aussi de la nôtre et de ses 40 ans d’âge.

Mise à jour: Loïc Dobler me fait remarquer qu’en France, on exprime la participation en pourcentage des inscrits, et non de tous les citoyens qui pourraient théoriquement disposer du droit de vote. Environ 10% des personnes qui pourraient voter ne sont donc pas recensés, ce qui signifie que l’abstention est en réalité plus élevée (d’environ 10% pour arrondir) que ce qui est communiqué. Ce qui nous donne une conclusion intéressante pour le débat public suisse: dimanche passé au premier tour des législatives, le niveau d’abstention en France, qui du coup devrait approcher (toujours en gros) de 56%, a dépassé celui que nous avons connu en Suisse aux dernières élections fédérales.

J’ajoute encore que cet article vise simplement à relativiser les commentaires entendus à peu près partout et non à produire une théorie générale sur les causes et les effets de l’abstention, une matière bien compliquée. Même la comparaison n’est pas tout à fait tenable, car la France ne connaît pas le système du vote par correspondance, tout au plus celui de la procuration. 50% de participation quand il faut se rendre soi-même au bureau de vote le dimanche, c’est autre chose que 50% de participation quand on a quatre semaines pour voter depuis chez soi, n’est-ce pas?

Et si c’était à refaire?

S’il fallait mettre en place un système de retraites aujourd’hui, aurions-nous la capacité et le courage de créer l’AVS? Saurions-nous encore préférer un ambitieux contrat entre générations, assis sur des cotisations prélevées sur tous les revenus sans barre supérieure, à l’épargne individualisée sur le modèle des deuxième et troisième pilier, ce modèle que chérit la majorité de droite du Parlement fédéral en Suisse?

S’il s’agissait de créer une protection contre le risque du chômage, l’idée d’une assurance sociale, comprenant des contributions de solidarité de la part des hauts revenus parviendrait-elle encore à s’imposer? Le droit de refuser un emploi moins qualifié ou trop mal payé, ce droit qu’Emmanuel Macron veut restreindre, prévaudrait-il encore? (suite…)

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Les hauts débats

En France, la campagne en vue de l’élection présidentielle bat son plein. Dans le Canton de Vaud, c’est celle des élections cantonales qui occupe l’actualité politique. Les deux enjeux électoraux ne peuvent certes pas être placés sur le même plan. Cependant, cette simultanéité dans un espace qui partage la même langue fait apparaître une différence frappante dans la structuration de la discussion politique, de manière plus générale, dans chacun des deux pays – les observations fondées sur la campagne vaudoise pouvant être étendus aux campagnes en Suisse en général.
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RIE III – vous avez dit populiste?

Ecoutez bien, vous l’entendez venir? Tendez l’oreille! C’est discret, mais ça bruisse… Et si la victoire de la gauche contre la troisième réforme de l’imposition des entreprises avait été un cas d’école de “populisme”? Par définition, une campagne référendaire d’opposition simplifie (en expliquant, grosso modo, que le bateau avait été surchargé par une droite – voire une “élite” économique – arrogante), fait peur (en évoquant les répercussions sur les classes moyennes, les prestations dont elles bénéficient et la fiscalité qui pèse sur elles), stigmatise (ces “grandes entreprises” ou ces “gros actionnaires” auxquelles la réforme offrait de nouveaux avantages). On reproche déjà, ici et là, aux référendaires d’avoir joué avec le feu de la colère des électeurs, au mépris de l’intérêt du pays… Exemple le plus frappant: cet éditorial de la Luzerner Zeitung qui met dans le même sac le non à la RIE III et l’acceptation de l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse, en faisant du résultat du 12 février une victoire à la Pyrrhus pour la gauche, à comparer au Brexit ou à l’élection de Donald Trump – rien que ça! (suite…)

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En bus contre le service public

Le débat sur les bus à longues distances a donc atteint la Suisse. Bon, à la vitesse d’un tortillard puisqu’il n’a réellement démarré chez nous que fin 2016, une année et quelques mois après l’affaire de la Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, la fameuse “Loi Macron”. Dans un éditorial récent, Sylvain Besson, rédacteur en chef adjoint du Temps, estime qu’ouvrir à la concurrence des bus les lignes à longue distance aiderait à lutter contre le monopole des CFF, générateur de prix élevés.

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Election n’est pas traduction

Nous sommes donc à Trump + 8. L’émotion commence à redescendre, et ça ne fait pas de mal, au contraire, ça permet de réfléchir un peu mieux. Evidemment, une certaine stupeur m’a saisi à la prise de connaissance du résultat de l’élection. Et comme beaucoup d’autres, c’est finalement l’effet de surprise qui m’a fait le plus mal. Mais de tout ça, d’autres ont parlé mieux que moi, et nous continuerons à en débattre.

Il se trouve que, par hasard, deux jours avant l’élection, un ami m’a envoyé cette vidéo sur les défauts du système pour l’élection à la présidence de la République française. 

Son intervenant explique les différents problèmes que pose l’élection d’un point de vue logique et mathématique, comme celui, bien connu, qui veut qu’on peut avoir un candidat (centriste, bien souvent) qui battrait tous les autres en duel au second tour sans n’avoir jamais aucune chance d’y parvenir. (suite…)

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A plus dans le bus?

On le sait (ou pas): les transports publics, en Suisse, sont organisés sous forme de monopoles publics. Autrement dit, l’exploitation d’une ligne de train ou de bus n’est possible que sur la base d’une concession délivrée par la Confédération. C’est ce que la législation appelle joliment la “régale du transport de voyageurs”: une régale est ce qui appartient au souverain et à lui seul, en l’occurrence au pouvoir politique fédéral par l’entremise de son administration. (suite…)

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Comme un surfeur à Malibu (ou: Rawls et le RBI)

Philippe van Parijs, philosophe belge, est l’un des défenseurs les plus en vue du revenu de base, fondateur il y a trente ans déjà du premier réseau européen en sa faveur. Il raconte dans plusieurs articles la manière dont il a interrogé en 1986 John Rawls, auteur d’une importante Théorie de la justice, sur l’idée d’un revenu universel. La réponse de Rawls a été cinglante: il ne voyait tout simplement pas pourquoi des surfeurs, passant leurs journées sur la plage à Malibu à guetter les vagues, devraient avoir droit à un revenu organisé par une redistribution étatique. Cette expérience de pensée – typique de la philosophie contemporaine anglo-saxonne – ne vaut évidemment pas que pour les surfeurs de Malibu: elle vise, au contraire, par la conception d’un cas-limite, à tester les fondements d’une idée. (suite…)

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Voulez-vous vous faire ubériser?

Marre d’attendre votre électricien toujours en retard?

Marre des heures de travail facturées à des prix prohibitifs?

Marre de ne pas trouver d’installateur qui se déplace après 19h?

Marre de devoir faire appel à un professionnel certifié pour contrôler vos installations ou raccorder une nouvelle chaudière?

Avec e-lectricien.ch et son application pour smartphone disponible sur l’App Store et Google Play, c’est fini! En quelques clics, nous nous assurons de faire venir chez vous quelqu’un qui règle votre problème.

Avec e-lectricien, fini les complications: Pas de CFC, pas d’autorisation selon l’ordonnance fédérale sur les installations à basse tension, pas d’enregistrement de l’horaire de travail, pas de salaire conforme à la convention collective. Simplement un pool d’intervenants débrouillards et capables, contre une modique rémunération, de résoudre votre problème!

Avec e-lectricien, vous avez enfin ce qu’il vous faut et rien de plus: un type qui vient chez vous régler votre problème pour pas cher. 

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Aide sociale 3/3: étude de cas

Ce n’est pas que je suis obsédé par l’aide sociale, hein, comprenez-moi bien. Je suis simplement un peu agacé par la reprise en boucle, dans les médias ou sur les réseaux, des discours caricaturaux sur l’aide sociale, cette générosité que quelques-uns organiseraient de bon cœur avec l’argent de autres (avec le vôtre, en particulier). Mais je suis davantage encore désespéré par le sentiment de fatalité qui s’exprime explicitement ou non dans ces discours, ainsi que par le mépris des personnes que la parole dominante sur l’aide sociale véhicule. Il y a une année, Le Temps croyait pouvoir expliquer “Pourquoi Lausanne aimante les bénéficiaires de l’aide sociale“. C’est qu’on “attire” les entreprises ou les riches, par contre, on “aimante” les pauvres comme de pauvres débris métalliques…

Non, la perception d’une aide de longue durée n’est pas une fatalité. Non, le passage à l’aide sociale d’un jeune ne signifie pas pour autant la ruine de sa carrière. Et certaines collectivités s’attèlent à le démontrer. Sans prétendre qu’elle est la seule, je vous proposer de regarder un peu plus près ce que fait dans ce sens la Ville de Lausanne. Deux scoops pour commencer: (1) Lausanne n’est pas la commune vaudoise avec le plus haut taux d’aide sociale et (2) le taux d’aide sociale a plutôt tendance à y décroître.

Réinsérer efficacement pour faire baisser l’aide sociale

Lausanne évolue dans le cadre légal cantonal, mais dispose, comme les autres communes, en tant qu’autorité d’exécution, de marges de manœuvre dans la gestion concrète des bénéficiaires. Qu’a-t-elle fait?

  • Plus d’activités pour les bénéficiaires:
    • Un triplement du nombre de mesures d’insertion  entre 2009 et 2014
    • Une utilisation de la totalité du budget cantonal alloué à la formation
    • Une offre spécifique de formation élémentaires des adultes, qui permet d’apprendre les bases de la lecture, de l’écriture, des mathématiques, etc. à ceux qui n’en disposent pas
    • Des stages en entreprises
  • Plus d’exigences sur la qualité du service et vis-à-vis des bénéficiaires :
    • Cadre de référence pour les travailleurs sociaux
    • 50% de sanctions de plus que les autres régions, à prestations équivalentes
    • Prévention active et répression de la fraude

Je ne m’étends pas sur les détails… mais voici un graphique qui donne une idée de l’effet de cette politique:

Dépense nette pour le revenu d'insertion (aide sociale vaudoise) et évolution de la population. Le Centre social régional de Lausanne (couvrant uniquement la commune) a été analysé séparément. Par ailleurs, 2011 et 2012 sont marquées par l'entrée en vigueur de la révision de la loi sur l'assurance-chômage (l'effet sur l'aide sociale est reconnu par l'ensemble des offices statistiques).
Dépense nette pour le revenu d’insertion (aide sociale vaudoise) et évolution de la population.
Le Centre social régional de Lausanne (couvrant uniquement la commune) a été analysé séparément. Par ailleurs, 2011 et 2012 sont marquées par l’entrée en vigueur de la révision de la loi sur l’assurance-chômage (l’effet sur l’aide sociale est reconnu par l’ensemble des offices statistiques). Source: Rapport social 2014 de la Ville de Lausanne.

Les jeunes de 18 à 25 ans, un public particulier

Comme l’écrit le rapport de l’Initiative des villes pour la politique sociale (disponible en allemand uniquement), “Lausanne connaît un recul notable du nombre de cas et du taux d’aide sociale. La baisse est notamment due à une gestion des cas plus efficace, aux conséquences positives de programmes spéciaux pour les jeunes à Lausanne et dans le Canton de Vaud ainsi qu’au système des prestations complémentaires pour les familles” (p. 16). Le rapport ajoute que différents effets et corrections statistiques sont aussi à l’œuvre. Que fait-on pour les jeunes dans le Canton de Vaud et à Lausanne?

  • Le programme cantonal vaudois FORJAD, pour formation des jeunes adultes en difficulté, qui se concentre sur les jeunes sans formation professionnelle et les soutient dans le cadre du régime des bourses d’études. Ceci a demandé un important travail pour ajuster les montants des deux régimes – au départ, un jeune dit “dépendant”, par exemple en ménage avec ses parents, n’avait droit qu’à une allocation minimale s’il entrait en formation… Un effet désincitatif terrible qu’il a fallu réformer. [mise à jour: le Canton de Vaud a publié une très intéressante fiche d’information qui résume le fonctionnement du système FORJAD et son extension pour les adultes, FORMAD]
  • La démarche lausannoise “J’ai 18 ans” qui propose aux jeunes adultes à l’aide sociale des ateliers collectifs spécialement consacrés à leurs besoins. En gros, plus d’encadrement et de soutien pour les jeunes dans la définition d’un projet professionnel ou de formation, pour tenir compte des particularités de ce public dont les besoins sont différents de ceux de bénéficiaires adultes.
  • En enfin, les prestations complémentaires pour les familles, un projet vaudois qui vise à permettre à des familles au revenu insuffisant pour vivre de recevoir un complément sans pour autant tomber dans le régime de l’aide sociale, avec un lissage des effets de seuil pour assurer une chose simple: gagner plus d’argent en travaillant doit toujours signifier en avoir plus à la fin du mois.

Dans le premier volet de cette série, j’écrivais que baisser les montants de l’aide sociale n’était certainement pas la panacée pour faire baisser le nombre de bénéficiaires. Les évolutions décrites ci-dessus, entamées bien avant la décision de diminuer certains montants, tendent à le démontrer. Elles prouvent une autre chose, que j’évoquais dans le deuxième article: essayer de faire diminuer les dépenses à court terme risque bien de coûter plus cher en fin de compte; il faut parfois, au contraire, oser un investissement pour sortir les bénéficiaires de la dépendance.