La terre habitable et l’habitat abordable

Assainir les bâtiments pour réduire la consommation d’énergie et remplacer la production de chaleur fossile par des sources renouvelables est impératif. Mais il arrive qu’une rénovation sérieuse et réussie ne puisse se faire que dans des locaux vides et non pas habités. Que ce soit vrai ou pas, c’est la raison souvent invoquée pour résilier en masse les baux des locataires concernés.

En Suisse, le taux de vacance (la part de logements vacants dans le parc) baisse à nouveau cette année après une décennie de détente. En d’autres termes, l’offre se réduit et la tension augmente. Dans de nombreuses villes, ce taux n’est de toute façon jamais remonté suffisamment pour que la pénurie cesse. Sur l’arc lémanique par exemple, les loyers des appartements proposés à la location ont doublé entre 2000 et 2015, creusant d’autant l’écart entre les loyers anciens, de baux qui durent depuis longtemps, et les loyers des baux récents. Selon les statistiques officielles, cette différence atteint 70% dans l’agglomération lausannoise, et même 80% à Genève.

Un potentiel explosif

En clair: aujourd’hui, se voir signifier la fin d’un contrat de bail a pour conséquence qu’il faudra non seulement chercher un nouvel appartement, démarche longue et pénible dans de nombreuses régions, mais aussi que le poids du logement sur le budget a toutes les chances d’augmenter. Changer de lieu de vie et revoir son budget dans l’urgence, au nom de l’urgence climatique: cette tension a un potentiel explosif.

Les doutes de l’association zurichoise des locataires face à une loi sur l’énergie prévoyant trop peu de garde-fous contre les résiliations en masse sèment le trouble. Bâle-Ville votera le 28 novembre sur une initiative proposant d’encadrer plus strictement les démolitions et les hausses de loyer après des rénovations. A Lausanne, un récent cas à l’av. César-Roux illustre le problème: voici un immeuble vétuste, qui doit incontestablement être assaini énergiquement mais aussi simplement rénové pour rester salubre et habitable. Mais voici également des habitants qui craignent de ne pas pouvoir se reloger correctement et qui voient leur communauté de voisinage, lieu de mille petites entraides quotidiennes, menacée. L’escalade est programmée si les besoins réels ne sont pas pris en considération. Dans le cas précis, la ville de Lausanne, propriétaire et gérante, prendra devant les locataires et devant le parlement communal l’engagement d’un relogement à des conditions comparables. Elle peut pour cela, heureusement, s’appuyer sur un vaste parc de logements dans toute la ville. Malgré tout, la sensibilité de l’enjeu est démontrée.

Car malheureusement, tous les propriétaires ne prennent pas ces égards. Le schéma est connu car, hélas, largement pratiqué: l’assainissement énergétique sert de prétexte à des résiliations en bloc, mettant fin des baux anciens avec des loyers bon marché. Les travaux de rénovation qui suivent vont souvent bien au-delà des enjeux énergétiques et font parfois changer complètement de standing les logements concernés, reloués avec de nouveaux baux aux loyers du marché.

Eviter les augmentations trop importantes de loyer et limiter les résiliations

La conclusion s’impose: un paquet sérieux de mesures d’accompagnement doit être élaboré, qui comprendrait par exemple une conditionnalité des subventions publiques aux rénovations. Limiter les hausses de loyer, réduire les résiliations au maximum – par exemple en procédant à des travaux par roulement –, garantir le droit au retour pour les locataires: aucune de ces idées n’est révolutionnaire, et pourtant le Parlement fédéral s’est jusqu’ici refusé à agir. Certains cantons disposent de lois qui permettent de surveiller et contrôler l’évolution des loyers après des travaux. Mais cela ne résout que partiellement les problèmes concrets qui se posent aux locataires mis dehors.

Dans ce contexte, bailleurs municipaux et d’utilité publique peuvent et doivent montrer la voie, en travaillant d’emblée de manière transparente: de combien seront la hausse de loyer et la baisse de charges? Quel est le but des travaux, combien coûtent-ils, combien d’émissions permettront-ils d’éviter? Il faut, ensuite, offrir des solutions de relogement le temps des travaux et en garantissant un droit au retour dans l’appartement ou l’immeuble. La hausse de loyer pourrait également être le cas échéant répartie sur quelques années afin d’éviter des sauts trop importants. Mais surtout, il faut limiter autant que possible les résiliations, pourquoi pas en introduisant une obligation de démontrer que les travaux ne peuvent vraiment pas être conduits en présence des locataires.

Laisser s’exacerber les tensions entre intérêts des locataires et nécessités des assainissements énergétiques serait une folie. L’accélération impérative des rénovations s’en trouverait sérieusement et frontalement compromise. Etablir des mécanismes efficaces maintenant évitera des blocages demain. Une terre qui reste habitable, un habitat qui reste abordable: faire cohabiter ces deux objectifs est possible et surtout nécessaire.

Benoît Gaillard

Qu'est-ce qui nous réunit? Comment réaliser la solidarité aujourd'hui? De quelles règles avons-nous besoin? Benoît Gaillard défend et illustra la puissance du collectif dans un environnement marqué par l'individualisme et la mondialisation. Il est conseiller communal socialiste à Lausanne.

8 réponses à “La terre habitable et l’habitat abordable

  1. Disons que ce genre de problèmes, très sérieux, graves et dont les conséquences sont totalement antisociales, ne se poseraient pas, on ne délogerait pas cruellement et absurdement des familles, des personnes âgées, etc., qui vivent heureuses dans des appartements en parfait état, mais un peu anciens et non “minergie”, si les gauchistes écolis n’entretenaient pas une hystérie climatique complètement ridicule, fondée sur des mensonges pseudo scientifiques et qui cache mal la véritable volonté d’aligner la société, mondialement, sur les exigences de la haute finance la plus exploiteuse et sans scrupules. De fait, tout ça consiste à imposer à froid grâce à l’excuse climatique, bien commode, la pire cure d’austérité et la plus brutale régression sociale jamais connue depuis plus d’un siècle . Avec la complicité honteuse, et hypocrite, de la gauche rose verte… du capital. C’est: ennemis des prolétaires de tous les pays, faites gober par aux gens le bobard réchauffiste et ensemble nous gagnerons la guerre sociale, que nous menons de haut en bas. Comme l’ont dit clairement les grands défenseurs des classes laborieuses Bill Gates, Ted Turner, Warren Buffett, & Co.

  2. Merci pour votre article qui permet de mieux s’orienter dans le cas où l’on vit dans un appartement ayant besoin d’être rénové (ou démoli) tôt ou tard.

    Pour les personnes qui vivent depuis longtemps dans un immeuble vétuste appartenant à la ville de Lausanne, vous mentionnez qu’elle « prendra devant les locataires et devant le parlement communal l’engagement d’un relogement à des conditions comparable ». Est-ce une volonté annoncée, encore en discussion, ou un fait déjà actuel ? Je loue un tel appartement depuis vingt ans, dans une maison vouée à la démolition. La commune l’a rachetée pour disposer du terrain le jour venu, et a renouvelé les baux des cinq locataires aux mêmes conditions avantageuses. Une évaluation faite par celle-ci a conclu que tous travaux de rénovation ou d’entretien seraient faits à perte, l’état général étant trop dégradé. Nous pouvons continuer à y vivre, et acceptons l’inconfort (pannes de chauffage et autres problèmes techniques, fort bruit d’une usine à côté), le loyer bas est en rapport. Curieusement, la durée des baux a été réduite de manière variable : Mon bail d’un an est passé à trois mois, celui des voisins de cinq ans à un… Je ne conçois pourtant pas que la pelle mécanique commence du côté de mon appartement, puis mette neuf mois avant d’entamer l’appartement à l’autre bout. Pelleteuse ou pas, ces trois mois me donnent le sentiment d’être sur une corde raide.

    Autre chose qui a attiré mon attention, sans que cela concerne mon cas : « …limiter autant que possible les résiliations, pourquoi pas en introduisant une obligation de démontrer que les travaux ne peuvent vraiment pas être conduits en présence des locataires ». J’ai un jour assisté à « l’inverse », dans mon travail au CMS où j’allais trouver des personnes de tous âges et niveaux financiers. Tous les appartements d’un grand immeuble étaient en pleine rénovation. La dame âgée que je visitais, handicapée, était assise dans son fauteuil à un mètre d’un rideau de chantier en plastique, dans la poussière de plâtre, et le bruit du marteau-piqueur à quelques mètres ! J’avais pensé qu’à sa place je deviendrais fou… Je reste cependant prudent avant de critiquer la gérance, cette dame s’opposait peut-être, envers et contre tout, à quitter son appartement, c’est un comportement qui existe chez des gens âgés, et j’ignore ce qui lui avait été proposé… Je trouve triste de déplacer des personnes contre leur gré, et les évaluations de nécessité en rapport de la santé peuvent fortement diverger lors des discussions entre psychiatres. Je me souviens de la « dame aux chats » expulsée de sa maison, à cette époque je travaillais en psychiatrie, une moitié des médecins se prononçaient « pour », l’autre moitié « contre ». Il ne s’agissait évidemment pas de ne prendre en compte que la santé physique, mais également l’équilibre psychique d’une personne solitaire attachée à ses chats… dans un grand taudis. Une équipe de nettoyage, puis une femme de ménage deux ou trois fois par semaine aurait coûté bien moins cher que les 7’500 francs mensuels de l’EMS.

    J’ai eu l’occasion de voir, comme d’autres personnes travaillant dans mon secteur, des personnes au chaud, propres et bien nourries à l’EMS, déclarer trois mois après leur arrivée qu’elles ne voulaient plus vivre. Leur moral s’était éteint, et leur corps une année après.

    1. Bonjour,
      Concernant votre première question: nous travaillons pour que cet engagement devienne explicite. Aujourd’hui, dans les faits, un relogement est proposé, mais il arrive que nous devions mettre un peu de pression. Je vous invite à me contacter le moment venu.
      Pour la deuxième partie: dans mon expérience, ce que les locataires craignent le plus, c’est la résiliation. Ce qui rejoint votre constat final. Quelques mois de désagréments semblent souvent un moindre mal. Et en procédant par roulement, en gardant par exemple un appartement libre dans lequel on peut cuisiner ou se doucher durant les travaux dans son propre logement, des rénovations sont envisageables sans résiliations dans de très nombreux cas. En réalité les résiliations intéressent les propriétaires seulement en partie pour réduire les coûts. Le motif principal est de pouvoir conclure de nouveaux baux et de se débarrasser des anciens…

  3. Population vaudoise en 2000 : 616’275
    Population vaudoise en 2015 : 761’446 (+24%)

    Population lausannoise en 2000 : 124’914
    Population lausannoise en 2015 : 133’897 (+7%)

    Voici le résultat de la politique de Lausanne qui n’a contribué qu’à moins d’un tiers à la création de l’offre cantonale pour répondre aux besoins de logements des nouveaux habitants du canton.
    Il n’y a pas besoin de faire des études en économie pour comprendre que le prix du logement augmente naturellement lorsque l’offre est insuffisante.
    La solution proposée par Monsieur Gaillard, à savoir de mettre un frein politique sur l’augmentation des loyers, est exactement ce qu’a mis en place la ville de Stockholm dans les années 90. Résultat aujourd’hui à Stockholm : le prix des loyers a effectivement été stabilisé, sauf que :
    – la pénurie du logement demeure, ainsi les jeunes familles doivent attendre en moyenne 11 ans (!) pour obtenir un logement suffisamment grand.
    – la pénurie du logement a naturellement créé un marché noir de sous-locations où les loyers sont souvent le double de celui de base, et les sous-locataires n’ont absolument aucune protection juridique sur le droit de bail.

    Bienvenue dans l’enfer socialiste ! Nous commençons aujourd’hui à récolter les fruits pourris de sa politique, et ce n’est que le début.

    1. Bonjour,
      Votre commentaire est un peu à côté du sujet. Je parle de la manière dont il faut encadrer les rénovations thermiques pour éviter des tensions majeures et systématiques qui mettraient en péril l’atteinte des objectifs.
      Il est de notoriété publique que l’immense majorité de la croissance des années 2000 en Suisse a été absorbée dans les zones périurbaines et en partie aussi rurales, où d’immenses zones constructibles existaient et ont été construites de manière souvent peu planifiée et peu coordonnée. C’est ce que la LAT cherche désormais à corriger. Le problème principal dans les villes est la prise de valeur massive de l’immobilier, nourrie par l’immense disponibilité de capitaux en quête de rendements et évidemment par la forte demande de logement. L’encadrement du niveau des loyers permet d’en limiter les effets sur les locataires. Et ne freine pas l’activité de construction, en réalité, car l’investissement dans la pierre reste parmi les plus intéressants. Concernant les sous-locations abusives, je ne connais pas le droit suédois, mais à ma connaissance les phénomènes abusifs que vous évoquez ne sont pas présents en Suisse de manière notable. Avez-vous d’autres informations?
      Enfin, reprocher à une ville qui construit en ce moment un quartier de 11 000 habitants et emplois (Plaines-du-Loup) – et nota bene, avec également des investisseurs privés, du logement non Regula et même de la PPE – est simplement ridicule.

      1. Bonjour,
        Non, mon commentaire n’est pas à côté du sujet, il rectifie vos propos sur le fait que l’augmentation des loyers n’est pas uniquement imputable à l’avidité des propriétaires de logements existants.

        Bien sûr qu’il n’y a pas de phénomènes abusifs de sous-location constatés en Suisse, puisque la politique de Stockholm n’est pas encore appliquée… Mais si elle l’est dans le future, c’est ce qu’il se passera.
        La durée maximale de sous-location en Suède est de 2 ans. Les ménages pris au piège n’ont donc pas d’autre choix que de déménager tous les 2 ans.

        Quant au quartier de 11’000 habitants aux Plaines-du-Loup… ce chiffre permet juste de rattraper la moitié du retard accumulé en 2015 par la ville (133’897 + 11’000 = 144’897, soit + 16% par rapport à 2000, toujours loin des 24%, et surtout qu’on est déjà en 2021) !
        Même si ça va dans la bonne direction, ça reste “simplement ridicule” de se reposer un argument largement insuffisant.

  4. La pénurie des logement dans l’arc lémanique est le résultat d’un savant & délicat accord non-écrit entre partis politiques, pour accroitre leurs hégémonies sur le peuple. Si subitement Lausanne et Genève construisaient 10 mille logements DE PLUS en 3 ans, plus personne ne se souviendra de la fonction de l’ASLOCA, et les bourgeois verront le prix de leurs parcs immobiliers baisser de 30%. Très bon article !

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