Ce n’est pas que je suis obsédé par l’aide sociale, hein, comprenez-moi bien. Je suis simplement un peu agacé par la reprise en boucle, dans les médias ou sur les réseaux, des discours caricaturaux sur l’aide sociale, cette générosité que quelques-uns organiseraient de bon cœur avec l’argent de autres (avec le vôtre, en particulier). Mais je suis davantage encore désespéré par le sentiment de fatalité qui s’exprime explicitement ou non dans ces discours, ainsi que par le mépris des personnes que la parole dominante sur l’aide sociale véhicule. Il y a une année, Le Temps croyait pouvoir expliquer “Pourquoi Lausanne aimante les bénéficiaires de l’aide sociale“. C’est qu’on “attire” les entreprises ou les riches, par contre, on “aimante” les pauvres comme de pauvres débris métalliques…
Non, la perception d’une aide de longue durée n’est pas une fatalité. Non, le passage à l’aide sociale d’un jeune ne signifie pas pour autant la ruine de sa carrière. Et certaines collectivités s’attèlent à le démontrer. Sans prétendre qu’elle est la seule, je vous proposer de regarder un peu plus près ce que fait dans ce sens la Ville de Lausanne. Deux scoops pour commencer: (1) Lausanne n’est pas la commune vaudoise avec le plus haut taux d’aide sociale et (2) le taux d’aide sociale a plutôt tendance à y décroître.
Réinsérer efficacement pour faire baisser l’aide sociale
Lausanne évolue dans le cadre légal cantonal, mais dispose, comme les autres communes, en tant qu’autorité d’exécution, de marges de manœuvre dans la gestion concrète des bénéficiaires. Qu’a-t-elle fait?
- Plus d’activités pour les bénéficiaires:
- Un triplement du nombre de mesures d’insertion entre 2009 et 2014
- Une utilisation de la totalité du budget cantonal alloué à la formation
- Une offre spécifique de formation élémentaires des adultes, qui permet d’apprendre les bases de la lecture, de l’écriture, des mathématiques, etc. à ceux qui n’en disposent pas
- Des stages en entreprises
- Plus d’exigences sur la qualité du service et vis-à-vis des bénéficiaires :
- Cadre de référence pour les travailleurs sociaux
- 50% de sanctions de plus que les autres régions, à prestations équivalentes
- Prévention active et répression de la fraude
Je ne m’étends pas sur les détails… mais voici un graphique qui donne une idée de l’effet de cette politique:
Les jeunes de 18 à 25 ans, un public particulier
Comme l’écrit le rapport de l’Initiative des villes pour la politique sociale (disponible en allemand uniquement), “Lausanne connaît un recul notable du nombre de cas et du taux d’aide sociale. La baisse est notamment due à une gestion des cas plus efficace, aux conséquences positives de programmes spéciaux pour les jeunes à Lausanne et dans le Canton de Vaud ainsi qu’au système des prestations complémentaires pour les familles” (p. 16). Le rapport ajoute que différents effets et corrections statistiques sont aussi à l’œuvre. Que fait-on pour les jeunes dans le Canton de Vaud et à Lausanne?
- Le programme cantonal vaudois FORJAD, pour formation des jeunes adultes en difficulté, qui se concentre sur les jeunes sans formation professionnelle et les soutient dans le cadre du régime des bourses d’études. Ceci a demandé un important travail pour ajuster les montants des deux régimes – au départ, un jeune dit “dépendant”, par exemple en ménage avec ses parents, n’avait droit qu’à une allocation minimale s’il entrait en formation… Un effet désincitatif terrible qu’il a fallu réformer. [mise à jour: le Canton de Vaud a publié une très intéressante fiche d’information qui résume le fonctionnement du système FORJAD et son extension pour les adultes, FORMAD]
- La démarche lausannoise “J’ai 18 ans” qui propose aux jeunes adultes à l’aide sociale des ateliers collectifs spécialement consacrés à leurs besoins. En gros, plus d’encadrement et de soutien pour les jeunes dans la définition d’un projet professionnel ou de formation, pour tenir compte des particularités de ce public dont les besoins sont différents de ceux de bénéficiaires adultes.
- En enfin, les prestations complémentaires pour les familles, un projet vaudois qui vise à permettre à des familles au revenu insuffisant pour vivre de recevoir un complément sans pour autant tomber dans le régime de l’aide sociale, avec un lissage des effets de seuil pour assurer une chose simple: gagner plus d’argent en travaillant doit toujours signifier en avoir plus à la fin du mois.
Dans le premier volet de cette série, j’écrivais que baisser les montants de l’aide sociale n’était certainement pas la panacée pour faire baisser le nombre de bénéficiaires. Les évolutions décrites ci-dessus, entamées bien avant la décision de diminuer certains montants, tendent à le démontrer. Elles prouvent une autre chose, que j’évoquais dans le deuxième article: essayer de faire diminuer les dépenses à court terme risque bien de coûter plus cher en fin de compte; il faut parfois, au contraire, oser un investissement pour sortir les bénéficiaires de la dépendance.