En bus contre le service public

Le débat sur les bus à longues distances a donc atteint la Suisse. Bon, à la vitesse d’un tortillard puisqu’il n’a réellement démarré chez nous que fin 2016, une année et quelques mois après l’affaire de la Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, la fameuse “Loi Macron”. Dans un éditorial récent, Sylvain Besson, rédacteur en chef adjoint du Temps, estime qu’ouvrir à la concurrence des bus les lignes à longue distance aiderait à lutter contre le monopole des CFF, générateur de prix élevés.

Le monopole des CFF n’est pas naturel, mais légal: l’entreprise est simplement la seule bénéficiaire de la concession de transport pour les lignes à longue distance. Cette restriction de la liberté commerciale se justifie par l’atteinte d’un objectif considéré comme supérieur: celui d’assurer la desserte de l’ensemble des régions de Suisse par un moyen de transport sûr et propre, comme j’avais essayé de l’exposer ici. Ceci restreint également, d’une certaine façon, comme l’écrit M. Besson, la liberté des voyageurs, en les “privant” de trajets meilleur marché.

Ces choix sont démocratiquement légitimés. La dernière hausse des prix des CFF trouve d’ailleurs son origine dans l’une des clauses du paquet Financement et aménagement de l’infrastructure ferroviaire (FAIF), largement adopté en votation en février 2014. Il a en effet été décidé, alors, d’augmenter le “prix du sillon”, c’est-à-dire le loyer que la division voyageurs, qui exploite le trafic des trains, paie pour l’utilisation de l’infrastructure, qui est construite et entretenue par des fonds publics. La raison de cette hausse? Elle est à chercher dans le dogmatisme de la droite libérale, qui exige une plus grande participation des usagers pour se plaindre ensuite des tarifs des transports publics.

Les prix des CFF sont très fortement contraints. Les conditions de travail sont, heureusement, réglées par une convention collective. Les frais d’entretien du rail et des rames ont déjà fait l’objet de nombreuses rationalisations – et augmentent d’ailleurs en partie en raison du manque de travaux au cours des décennies écoulées. Concernant les frais de fonctionnement généraux, au plan d’économie décidé en 2011 a succédé “RailFit 20/30“, une nouvelle vague lancée l’an passé.

Ne tronquons donc pas le débat. La libéralisation des voyages longues distance ne fera aucunement baisser les prix des CFF. Au contraire, ils augmenteront, car les lignes les plus rentables peineront à financer les liaisons moins fréquentées, comme c’est le cas aujourd’hui. Libéraliser, en l’espèce, ce n’est pas “braver un monopole”, c’est simplement sacrifier la perspective de long terme visant à encourager les modes de transport écologiquement efficaces et rationnels au prix d’une liberté de court terme.

Il y a cinquante ans, dans les villes telles que Lausanne, on démontait les rails d’un splendide réseau de tramway au nom de l’innovation et des libertés individuelles que symbolisait la voiture. Aujourd’hui, plus personne de sensé ne conteste la nécessaire prépondérance des transports publics dans les centres-villes. Alors, de quel côté est la modernité?

Benoît Gaillard

Qu'est-ce qui nous réunit? Comment réaliser la solidarité aujourd'hui? De quelles règles avons-nous besoin? Benoît Gaillard défend et illustra la puissance du collectif dans un environnement marqué par l'individualisme et la mondialisation. Il est conseiller communal socialiste à Lausanne.

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