Ecoutez bien, vous l’entendez venir? Tendez l’oreille! C’est discret, mais ça bruisse… Et si la victoire de la gauche contre la troisième réforme de l’imposition des entreprises avait été un cas d’école de “populisme”? Par définition, une campagne référendaire d’opposition simplifie (en expliquant, grosso modo, que le bateau avait été surchargé par une droite – voire une “élite” économique – arrogante), fait peur (en évoquant les répercussions sur les classes moyennes, les prestations dont elles bénéficient et la fiscalité qui pèse sur elles), stigmatise (ces “grandes entreprises” ou ces “gros actionnaires” auxquelles la réforme offrait de nouveaux avantages). On reproche déjà, ici et là, aux référendaires d’avoir joué avec le feu de la colère des électeurs, au mépris de l’intérêt du pays… Exemple le plus frappant: cet éditorial de la Luzerner Zeitung qui met dans le même sac le non à la RIE III et l’acceptation de l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse, en faisant du résultat du 12 février une victoire à la Pyrrhus pour la gauche, à comparer au Brexit ou à l’élection de Donald Trump – rien que ça!
Donc, populiste, cette victoire? Comme toute campagne de votation, celle-ci s’est déroulée sur le refrain de l’appel au peuple, seul capable de corriger les excès d’un Parlement déconnecté de la réalité vécue par les citoyens. On a parlé d’arnaque, en Suisse alémanique de “Bschiss”. A juste titre, le président du Parti socialiste suisse Christian Levrat a dénoncé le clientélisme de la droite majoritaire sur le plan fédéral. Et puis, à la fin, comme l’ont constaté de nombreux observateurs, c’est autour d’un clivage très simple que s’est fait le basculement de la campagne: quelques grandes entreprises contre la masse des classes moyennes. La réponse est, en quelque sorte, très simple: si cette victoire a été celle d’une gauche populiste, alors toute victoire de la gauche (et, probablement, toute victoire d’un camp nominalement minoritaire en votation) s’appuie sur des ressorts que certaines estiment utiles d’appeler “populistes”.
La raison en est simple: la politique ne se fait pas de la même manière au Parlement et dans la rue. Constituer une large coalition, nécessaire pour emporter une majorité, requiert toujours d’abandonner une part de la complexité inhérente à tout objet soumis à votation, pour rassembler sur un plus petit dénominateur commun. Par ailleurs, une campagne n’est pas une séance de commission: il faut créer des mouvements, prendre l’initiative, rythmer le déroulement des événements, et donc inévitablement en passer, parfois, par une forme d’outrance, par le slogan, par la caricature (ce qui ne permet pas pour autant la malhonnêteté dont ont fait preuve les défenseurs de la réforme, allant jusqu’à retoucher informatiquement une photo des référendaires).
Il est donc peut-être temps de décréter un moratoire sur le terme de populisme. Sans doute en existe-t-il des définitions utiles et fondées, dans certains champs des sciences sociales et politiques, correspondant également à certaines phases de l’histoire. Mais lorsqu’on a lu en aussi peu de temps que les “populistes” de Syriza tâchaient de renégocier (en réalité, à la marge) les programmes d’économie qui leurs étaient imposés, que le “populiste” Matteo Renzi, Président du Conseil italien, avait été désavoué lors du vote constitutionnel par les “populistes” du Mouvement Cinq étoiles (sans parler des “populistes” post-berlusconiens), que le “populiste” Donald Trump, dorénavant Président des Etats-unis, aurait peut-être été battu par le “populiste” Bernie Sanders, et qu’à peu près un candidat sur deux en France est considéré comme “populiste” (je renonce à produire toutes les références de ces différents usages du qualificatif, qu’on retrouvera facilement par une recherche rapide), on ressent comme une fatigue. Oui, il existe une frustration de larges couches des classes moyennes et populaires qui n’ont pas le sentiment de recevoir leur part de la prospérité générale. Et non, cette frustration ne peut pas s’exprimer que par des prises de positions calmes, articulées, respectueuses des institutions et des coutumes. Mais évaluons les résultats de cette configuration – en gros, les candidats et les propositions – sur le fond et non pour la forme qu’elles prennent.
Thomas Piketty, économise français spécialiste des inégalités, ne dit pas autre chose lorsqu’il proclame dans Le Monde “Vive le populisme”. Certes, il faut prendre garde aux arnaques façon Trump. Mais si la période actuelle peut aussi marquer le retour du politique, c’est-à-dire, en démocratie, de la souveraineté des peuples, dans une économie mondialisée et une finance dérégulée, un peu de “populisme” n’est peut-être pas un prix si élevé que ça à payer.
PS: et si la gauche ne revendique pas pour elle la dureté de la sanction populaire infligée à la droite majoritaire et arrogante, l’interprétation de la droite dure ne tardera pas, comme en témoigne ce tweet du Conseiller national UDC zurichois Claudio Zanetti, émis après l’annonce des résultats. Il y tente déjà de réorienter le non du 12 février en refus de l’oppression des organisations internationales telles que l’OCDE:
Der Geist von Sempach und Morgarten – Das Schweizer Volk lässt sich – im Gegensatz zur Regierung – von Grauen Listen nicht beeindrucken.
— Claudio Zanetti (@zac1967) 12 février 2017
Je penche plus sérieusement à un refus notifié à l’UDC plutôt qu’au PLR, le souvenir des difficultés engendrées – avec l’UE – suite au vote d’un certain 9 février 2014 est encore dans toutes les mémoires et il suffit aussi de lire le score réalisé par la naturalisation facilitée pour la 3ème génération !
La gauche a vécu un beau et magnifique dimanche et ce n’est sans doute pas le dernier :-)))
Et c’est ce qui est à la fois vertigineux et formidable avec la démocratie: nous ne saurons jamais vraiment… D’où l’importance de ne pas mettre en place des réflexes contre-productifs consistant à déqualifier tout vote défavorable aux projets des autorités ou protestataire, surtout lorsqu’il ne nous convient pas…
C’est en effet un très beau dimanche que nous avons vécu. Attention tout de même à me pas “attraper la grosse tête” et à ne pas réagir à la façon de l’UDC et souvent du PLR. Restons calmes et surtout continuons à défendre les intérêts de la classe moyenne.
Je crois que les déclarations des socialistes sur le plan fédéral démontrent la volonté de trouver une nouvelle solution convenable, sans tomber dans les excès que peut engendrer l’ivresse d’une large victoire.
Toute la droite du parlement n’a pas les poches pleines et les discours en forme de leçons de Mrs Blocher, Luscher, Köppel ; mais je suis contente de ce frein donné aux délires de certains nantis.
La dernière RIEII a dépassé de loin les pertes annoncées, il faut , dés lors , pas s’étonner du réflexe frileux du peuple à croire à nouveau à ce bricolage précipité.
Aucun doute que l’écart entre prévisions et réalité sur la RIE II a joué un rôle. La réforme n’avait passé que de justesse à l’époque, d’ailleurs: 20’000 voix d’écart sur la Suisse entière!
Cher Benoît, analyse très pertinente, à laquelle j’ajoute celle-ci: s’il est un terme qu’il faudrait aussi bannir du vocabulaire politique, c’est celui d'”émotionnel”, généralement utilisé pour disqualifier un point de vue (généralement celui du peuple, d’ailleurs). L’usage de ce terme part de l’idée que nous ne serions que des êtres de raison raisonnante, dépourvu d’affects, de convictions incarnées. C’est une anthropologie réductrice qui voudrait que la raison soit en haut (chez les élites) et les affects en bas (dans le populo). A cet égard, les réflexions d’Orwell et de Michea sur la common decency (la décence commune) sont éclairantes s’agissant du vote de dimanche: quand les classes dominantes en font trop, le peuple relève la tête et dit “non, trop, c’est trop”, rappelant au passage que le capitalisme n’a inventé aucune valeur (morale) mais que toutes les valeurs sur lesquelles la vie en société est construite (la loyauté, la fidélité, l’égalité devant l’impôt, le goût du travail etc.. ) sont des créations populaires, venues parfois de l’Ancien régime.
Un terme à bannir, ou à se réapproprier pour montrer qu’il peut avoir un sens non péjoratif. J’ai essayé d’illustrer sur un autre dossier à quel point le libéralisme déteste le concept de bien commun, et donc l’idée que des valeurs morales puissent fonder la loi. L’usage actuel du terme “émotionnel” sert cette vision.
C’est très bien que la reforme n’a pas été acceptée. Les régimes fiscaux spéciaux subsisteront encore quelques années…
Forcément, la réforme va prendre au moins deux ans de plus à se réaliser. Mais personne ou presque n’a contesté la nécessité des les abolir dans la campagne. C’est donc une question de temps et non de principe. Ce retard est le prix acceptable d’un projet plus équilibré.
J’ai du plaisir à lire cet article. Benoît Gaillard me parait plus intelligent que je ne pensais. Il démonte ici l’inanité de cette épithète de populiste qui est le plus souvent brandie par la gauche, ou disons par les tenants de l’idéologie progressiste mondialiste dominante, quand elle refuse les décisions prises par le peuple.
En fait ce refus méprisant n’est que le refus de la démocratie. On traite de populiste la démocratie quand elle prend des décisions qui déplaisent à l’intelligentsia. Par exemple le 9 février 2014.
On espère que l’exemple de Benoît Gaillard fera école et qu’à partir de maintenant les socialistes accepteront de se plier aux décisions démocratiques qui lui déplaisent, sans les taxer de populistes.
Vous affirmez que le qualificatif de populiste vient le plus souvent de la gauche. Je ne peux pas vous rejoindre sur ce point. Les exemples contraires sont très nombreux. Les tenants d’une droite libérale sont nombreux à appeler populistes tous ceux qui osent un peu remettre en question l’ordre économique établi. Quant au respect des décisions démocratiques, je vous rejoins sur le principe, mais admettez une chose: tout mandat populaire requiert une interprétation. Quoiqu’il en soit, c’est un tout autre sujet que celui que j’essayais modestement d’aborder ici.
Ecoutez, là vous y allez un peu fort. Il est bien évident que l’appellation “populiste” a été principalement lancée dans le débat public par les tenants de la bien-pensance de gauche, ou si ce n’est de gauche du moins par les conformistes porogressistes pro européens, c’est à dire l’idéologie dominante anti populaire. Il s’agissait de disqualifier ceux qui refusaient l’EEE; l’Europe supra nationale, la libre circulation des personnes, le multiculturalisme, l’immigration massive, la supériorité du droit international sur le droit suisse, la gouvernance mondiale, etc., toutes ces idées présentées sous un jour pseudo moral comme des impératifs catégoriques alors qu’il s’agit de pièges visant à détruire notre pays, les droits populaires et les avantages des citoyens suisses au profit d’un projet néo libéral auquel la gauche s’est soumise.
Il y a peut-être eu quelques cas isolés de gens de droite libérale ou conservatrice, UDC ou PLR qui ont tenté de retourner l’argument pour critiquer la gauche quand elle refusait de se soumettre au diktats patronaux. Ce fut le cas en effet dans cette campagne des RIEIII. Mais cela ne permet pas de retourner l’acception du terme. La notion de “populisme”, péjorative, est un concept de combat manié au nom du progressisme, et dirigé contre la droite populaire.
Pour le respect des décisions populaires (je pense que vous faites allusion à la violation manifeste de la Constitution commise par le parlement dans sa décision scandaleuse de non application de l’article 121a Cst. féd.) là il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles. Il ne s’est pas agi là d’une “interprétation”. Il s’est agi d’un abus de pouvoir caractérisé et d’un viol de la constitution par l’instance législative qui lui est subordonnée. C’est illégitime et totalement injustifiable.
Interprêter une décision populaire, oui ; s’asseoir dessus, non.
Si vous n’avez pas lu les nombreux articles de presse qualifiant MM. Tsipras, Mélenchon, Sanders de populistes, c’est votre affaire. Pour remonter un peu plus loin, les populistes désignés des années 2000 en Europe étaient aussi M. Lafontaine en Allemagne, Mme Laguiller en France, et on pourrait poursuivre la liste.
Pas d’accord. Le terme “populiste”, péjoratif, initialement usité par la gauche pour discréditer la droite populaire antieuropéenne (Le Pen, Blocher, Haider, Ligue du Nord, etc.) a été réutilisé plus tard, c’est vrai, pour désigner aussi Tsipras et très récemment Mélenchon. Il n’en reste pas moins que ce mot populiste a été inventé ou réinventé (car il a existé aussi des vrais mouvements populistes en Amérique du Nord et en Russie au XIXe siècle) d’abord pour dénigrer le poujadisme de droite, national, souverainiste et anti immigration. On n’a jamais employé ce mot pour Lafontaine ni pour Arlette Laguilier, ou alors très récemment et de manière rétrospective. Jamais quant ces deux personnalités étaient encore dans la politique active. Je vous mets au défi de me trouver un article des années 2000 utilisant ce vocable pour Lafontaine ou Laguilier.
“Populisme” est avant tout un concept de combat contre la droite antisystème.
Ceci étant dit, vous avez esquivé le viol de l’art 121a de la constitution. Sans doute la gauche a-t-elle conscience d’avoir joué là un rôle illégitime. Cette vérité la met mal à l’aise.
Défi relevé.
Le quotidien de droite allemand die Welt qualifiant M. Lafontaine de populiste en 2007: https://www.welt.de/politik/article1007074/Populismus-pur-von-Oskar-Lafontaine.html
Une analyse du CEVIPOF, un centre de Sciences Po Paris, qui dit de Mme Laguiller qu’elle est populiste en 2006: http://www.cevipof.com/bpf/ref/entretiens/entr6_pr.htm
Et enfin, un article de 2005 publié dans une revue éditée par le Centre national français de la recherche scientifique qui affirme que “Le populisme peut être de droite ou de gauche, démocratique ou antidémocratique”: https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2005-2-page-161.htm
Laissez dont de côté votre déroulement historique un peu simple, la complexité peut parfois enrichir les échanges.
Sur l’art 121a, je vous ai dit ce qu’il y avait à en dire. Dans notre ordre institutionnel, la Constitution peut être contradictoire (puisqu’elle peut être modifiée par parties), et le Parlement peut l’interpréter (puisqu’il n’y a pas de cour devant laquelle porter ses lois pour en faire vérifier la constitutionnalité). Et puis, cher Monsieur, si je puis me permettre, modérez vos expressions qui laissent penser qu’il y a eu là un précédent de très grave nature. Je vous invite à ouvrir un livre d’histoire pour vous souvenir combien d’années se sont écoulées entre le vote d’un article constitutionnel exigeant de la Confédération qu’elle mette en place un système de prévoyance vieillesse, et l’entrée en vigueur de la loi sur l’AVS. Indice: cette durée est supérieure à 20 ans…