Eloge du Conseil fédéral

 

Les médias s’étonnent de controverses qui agiteraient le Conseil fédéral, alors qu’il est impossible qu’il n’y en ait point. Puisque l’on élit, l’un après l’autre, deux PS, deux UDC, deux PLR et une centriste, ils ne seront pas de ce seul fait d’accord sur tout. Ils ne constituent bien évidemment pas une équipe soudée autour d’objectifs communs. Ils ont pour fonction de proposer des solutions de compromis, qui satisfassent le plus grand nombre et qui ne feront jamais l’unanimité, ni parmi eux, ni parmi le peuple.

Ce principe sous-jacent à toute la politique suisse démontre jour après jour son efficacité : espérance de vie, pouvoir d’achat, paix sociale, sécurité, formation, santé, balance commerciale, équilibre budgétaire, sur tous ces aspects la Suisse s’inscrit parmi les meilleurs et se trouve souvent est en tête de liste. Cela démontre que les décisions prises sous l’empreinte d’une idéologie dans d’autres pays ne sont pas bonnes. En favorisant le consensus de toutes les convictions en Suisse, on aboutit à la meilleure évaluation du bien commun, en tous cas à la moins mauvaise.

Bien entendu ce n’est pas parfait. Il y a des lacunes et des dérives, des inerties et des omissions. Elles sont bien connues : la relation avec l’UE s’enlise, la lutte contre le réchauffement climatique est insuffisante, le concept de neutralité est flou, l’AVS va dans un mur, on aurait pu faire mieux face à l’épidémie, la pénurie d’énergie n’a pas été prévue et maîtrisée. C’est la rançon de toute institution humaine : elle n’est pas infaillible et surtout elle n’a pas la faiblesse de s’imaginer qu’elle le serait. Les critiques de l’action du Conseil fédéral se fondent sur  l’illusion qu’elle devrait l’être.

Dès qu’un dossier complexe surgit, il n’y a pas de solution tranchée par le Conseil fédéral. Cela aussi fait partie du génie politique helvétique. Patienter en gouvernance n’est pas un défaut. Des problèmes insolubles, sauf mesures impopulaires, finissent parfois par se dissoudre dans l’insignifiance. D’autres changent de nature et finissent par devenir accessibles à l’action. La prudence, la tergiversation, la procrastination ne sont pas des défauts quand il faut prendre des décisions, dont il est impossible de prévoir toutes les conséquences parce que l’on est dans l’ignorance de toutes les données. La politique est l’art de décréter en toute méconnaissance de cause.

 

L’institution du Conseil fédéral remplit précisément cette règle. Il n’y a pas de premier ministre, pas de programme, pas de majorité. Les dicastères s’attribuent à l’ancienneté et celui qui est dernier élu prend ce qu’on lui abandonne. De la sorte personne ne gouverne un département dont il aurait quelque connaissance antérieure. Ignazio Cassis est le seul médecin, donc il ne s’occupe pas de santé, mais de relations internationales dont il ignore tout. La santé tombe dans le dicastère d’Alain Berset, qui est docteur en économie et qui, en toute logique ne s’occupe point de celle-ci. C’est le domaine de Guy Parmelin en charge de la formation et de la recherche parce qu’il n’a jamais été chercheur. Simonetta Sommaruga, excellente pianiste, ne s’occupe pas de la culture mais de l’énergie. Viola Amherd conduit l’armée dont elle n’a jamais fait partie.

Ainsi chaque conseiller fédéral dirige des fonctionnaires mieux formés que lui, qui auront tendance à lui proposer une politique selon leurs goûts, convictions et croyances. D’une certaine façon, cela n’a pas d’importance car aucune action du Conseil fédéral ou de son administration ne se peut sans l’agrément du parlement, muni de deux chambres qui doivent voter les lois selon un texte commun. Si cela n’aboutit pas malgré une longue procédure, le projet de loi tombe dans les oubliettes et le problème flottant se passe bien de solution.

Rien n’est donc plus malvenu que de critiquer un conseiller fédéral. Il n’est pas personnellement responsable des décisions qu’il défend et qui ont recueilli simplement une majorité dans le Conseil. Le suspecter de dictature, comme cela fut le cas durant l’épidémie, est ridicule. Il le voudrait qu’il ne le pourrait.

La démocratie helvétique a poussé sa logique jusqu’à l’acratie. Personne n’a le pouvoir ou tout au plus une fraction tellement insignifiante qu’elle ne peut nuire. Selon cette tendance, le Conseil fédéral est tout sauf un gouvernement au sens ordinaire du terme. Il doit composer avec le parlement, les cantons, l’administration. Il y a tellement de contre-pouvoirs que son pouvoir est imperceptible. Il n’est là que pour subir les critiques : il fait en somme de la figuration intelligente. Honneur et respect à celles et ceux qui acceptent cette charge ingrate et paradoxale.

 

 

Rationner ?

 

 

Aujourd’hui lors d’une conférence de presse à Berne, les experts ont confirmé le danger d’une pénurie de combustibles pour cet hiver.

« La Confédération a élaboré un plan catastrophe en cas de coupures d’électricité l’hiver prochain en Suisse, en raison de la crise énergétique notamment liée aux sanctions contre la Russie pour son invasion de l’Ukraine. Baptisé OSTRAL, il prévoit plusieurs échelons dans l’action. Les ménages seront appelés à réduire leur consommation et les entreprises, elles, doivent anticiper des réductions beaucoup plus drastiques. »

Face à une pénurie incontournable, un gouvernement a le choix entre deux politiques : ne rien faire ou bien rationner.  Abandonné à lui-même le marché fonctionnera selon sa logique : les prix monteront jusqu’à ce que la demande solvable équilibre l’offre. La demande non solvable est privée du produit. La rationalité de l’évolution darwiniste s’impose : seuls survivront les plus forts, les plus riches, les moins scrupuleux. C’est par cet instrument que nous sommes devenus ce que nous sommes : des compétiteurs féroces avec parfois des remords mineurs.

Ces derniers s’incarnent dans la politique de rationnement : fournir chacun selon ses besoins et non ses moyens, assurer le minimum vital aux plus déshérités. Durant la seconde guerre mondiale, l’outil de gouvernance fut le timbre d rationnement. Pour obtenir du pain il fallait non seulement le payer mais céder le timbre adéquat. Toute l’alimentation fut rationnée, hormis les fruits et légumes, mais aussi le charbon avec des coupures de gaz et d’électricité.

S’il faut passer à des mesures de contraintes, la plus menaçante est celle sur l’énergie, quelle que soit sa forme non renouvelable : gaz, charbon, fuel, essence, électricité, car elles sont interchangeables dans une large mesure. Limiter la consommation de gaz, d’électricité ou de fuel ne pose pas de problème par suite de l’existence de compteurs qu’il est possible de bloquer à un certain niveau. En revanche limiter la consommation d’essence serait malhabile avec les timbres de la méthode archaïque. Mais il est possible de contrôler la consommation par un moyen numérique, le paiement par carte. En imposant à tout conducteur la possession d’une carte de débit.

Encore faudrait-il établir une ration par ménages. Les uns font une navette pour se rendre au travail, d’autres n’ont que les courses locales parce qu’ils sont retraités. D’autres encore utilisent beaucoup le véhicule pour des raisons professionnelles. Cela promet un bel embrouillamini par une bureaucratie galopante.

Il aurait mieux valu ne pas en arriver là. Depuis 1990 notre production de CO2 a augmenté de 50% malgré toutes les actions menées pour la réduire prétendument. Notre dépendance en combustibles fossiles nous met sous la dépendance de pays aussi peu démocratiques que la Russie ou l’Arabie saoudite, qui n’hésiterons pas à utiliser leurs fournitures comme arme. Pour rassurer notre conscience, nous envoyons des armes en Ukraine mais nous finançons l’effort de guerre russe par nos importations : pressés par le besoin nous sommes incohérents. Notre négligence en matière climatique nous procure des feux de forêts, des inondations et des canicules.

Il faut comprendre maintenant que chaque pays qui se veut vraiment indépendant doit produire l’essentiel de ses besoins vitaux sur son territoire à commencer par l’énergie hydraulique, photovoltaïque et éolienne. Nous aurions pu l’apprendre voici un demi-siècle avec le Rapport du MIT sur les limites de la croissance dans une planète aux ressources finies.

Ces chercheurs estimaient en 1972 que la croissance s’effondrerait à partir de 2020. Cette prévision s’avère juste. La croissance économique des pays développés est anémique et celles des pays en voie de développement ont un coût écologique très lourd.

Si le CF est obligé de rationner (par voie d’ordonnances) cet hiver, on peut prédire la protestation des contestataires : comment ne nous a-t-on pas prévenus ?

 

 

 

 

L’affaire Alain Berset

 

Quelques médias alémanique ont poussé le ridicule jusqu’à souhaiter la démission d’Alain Berset. Sans raison précises sinon l’accumulation de faits divers. Un bon conseiller fédéral doit être sans histoires, aussi banal que possible, cible inexistante des journalistes. Or Berset est le contraire. Les journalistes le traquent et dévoilent avec des trémolos dans la plume des incidents de sa vie de tous les jours. A savoir : A.B.  en WE en Allemagne, rappelé d’urgence à Berne s’est fait ramener par sa voiture de fonction ; un de ses collaborateurs aurait eu éventuellement une condamnation pénale ;  A.B. a piloté un avion sur le territoire français où il a traversé un espace militaire interdit.

Rien de tout cela ne correspond à une faute pénale commise par A.B. ou a des erreurs dans sa gestion de la Confédération. En fait, certains essaient de liquider un contentieux datant de l’épidémie. Forcément A.B. apparaissait souvent en conférence de presse, ce qui suffit à susciter des jalousies de collègues. Il transmettait des décisions, pas toujours agréables comme le confinement, l’arrêt de certaines entreprises, la pression pour le vaccin. Aussitôt des voix se sont élevées pour le taxer de dictateur, en oubliant que le Conseil fédéral est solidaire dans toute décision collégiale et que celui qui la communique n’est pas plus qu’un porte-parole.

Les mesures pondérées prises par notre gouvernement ont réalisé le tour de force de contenir l’épidémie dans les capacités des hôpitaux sans nuire démesurément à l’économie ou à la formation. Que le prétendu dictateur ait rempli sa fonction et réussi sa tâche n’a pas désarmé les critiques, bien au contraire. Tous ceux qui dès le début ont voué aux gémonies le vaccin se sentent maintenant un peu ridicules et même coupables. Alors ils cherchent un bouc émissaire. Le simple fait de piloter un avion privé est considéré en soi comme une attaque de l’environnement : un Conseiller fédéral ne devrait pas se comporter en pilote. Cela ne fait pas sérieux. Cela laisse supposer un très bas niveau d’aspiration culturelle, incompatible avec la gouvernance. La loi ne l’interdit pas mais bien les convenances.

Le fond du fond est sans doute la pente irrésistible de la Suisse pour l’acratie, l’absence de pouvoir, la suspicion jetée sur ceux qui en occupent la fonction. Et l’apparence, car le Conseil fédéral ne peut rien sans le parlement attentif à l’opinion publique qui est le véritable souverain. Un Conseiller fédéral n’est qu’un rouage sans autonomie dans une prodigieuse horlogerie politique qui tourne en routine.

On ne peut donc le critiquer et vouloir l’exclure qu’à partir de bagatelles. Alors qu’il faudrait admettre qu’un conseiller fédéral est un homme comme un autre et qu’il a donc droit à l’erreur. Mais le peuple suisse nourrit l’illusion qu’il serait en quelque sorte une exception à l’Histoire, le peuple le plus vertueux du monde. Un Conseiller fédéral doit se mettre à l’unisson de cette chimère et exercer un contrôle rigoureux sur ses actes ou ses paroles, de façon à ne jamais encourir non seulement un reproche, mais le soupçon qu’un reproche puisse être mérité. Il ne suffit pas d’éviter les fautes, aussi mineures soient-elles, au Code. Il faut éviter d’ouvrir la voie à des soupçons imaginaires. Il faut se comporter comme un saint en sachant qu’on est l’objet d’un procès en décanonisation perpétuel.

La limite du pouvoir d’achat

 

 

C’est la grande affaire du jour, la principale préoccupation des citoyens, le défi capital du pouvoir. Pendant des décennies, ce pouvoir d’achat  n’avait fait qu’augmenter, au point de devenir le seul contrat lisible entre la nation et le gouvernement : à savoir, si possible l’augmenter, mais au minimum le maintenir. Un pouvoir d’achat qui baisse signe l’échec du régime et l’invalidation d’une décision : en augmentant les taxes sur l’essence dans un vague dessein écolo la France a déclenché l’inédite révolte des Gilets jaunes qui a réduit cette taxe à néant. Le but de la politique est ainsi défini : un citoyen gavé ne pleure pas la bouche pleine. Toute cette posture suppose que le pouvoir politique soit capable de contrôler le pouvoir d’achat.

Encore faudrait-il d’abord réussir à le définir. La première tentation est de comparer les revenus.

Avec 63’011€ par habitant en moyenne, les habitants du Lichtenstein devancent ceux de la Confédération dont le pouvoir d’achat s’établit à 42’300€. Le Luxembourg se retrouve distancé à 30’248€ par habitant. En prenant la moyenne européenne pour base 100, le Liechtenstein arrive à 460,9, loin devant la Suisse à 309,4, elle-même devant le Luxembourg à 221,2. Le palmarès fait la part belle aux pays du Nord de l’Europe: Norvège (4e), Islande (5e), Danemark (6e), Suède (8e) devancent l’Allemagne (9e) et la Grande-Bretagne (10e), avec uniquement l’Autriche (7e) qui vient s’intercaler. La France se retrouve au 12e rang continental, les Pays-Bas au 15e rang, juste devant l’Italie (16e) et l’Espagne (17e). Cela ressemble beaucoup à une course cycliste.

Car c’est une mesure grossière. Elle ne signifie pas qu’un habitant de Zurich disposerait d’un pouvoir d’achat 80 fois plus élevé que celui de Chisinau parce que leurs revenus sont dans ce rapport. Acheter des services coûte plus cher dans un pays riche. Comme les biens sont distribués en utilisant de la main d’œuvre, tout finit par coûter plus cher. Il faut une comparaison sur la parité du pouvoir d’achat.

En 2020, un panier type de biens de consommation, dont le coût moyen dans les 27 États membres de l’UE était de 100 euros, coûtait 171 francs en Suisse, 110 euros en Allemagne, 109 euros en France, 99 euros en Italie. Dans les grandes villes des Etats-Unis, il suffit de 13 minutes de travail pour acheter un hamburger. En raison de coûts supérieurs de
production, les salariés des villes suisses doivent travailler 15 à 20 minutes. A la différence près qu’un Genevois ne se nourrit pas que de hamburgers, il se nourrit souvent mieux et donc plus cher encore. Cette comparaison des prix de hamburger, imaginée par l’UBS, ne tient pas compte des cultures différentes : se sustenter à New York n’est pas la même chose que  déguster à Genève.

Il n’y a donc pas de définition simple du pouvoir d’achat, car chacun a ses habitudes de consommation. Un gouvernement doit simplement veiller que le pouvoir d’achat des plus défavorisés leur permette encore d’acquérir les biens de première nécessité. Au-delà de ce seuil, le pouvoir d’achat a une définition qui est surtout psychologique : est-ce que la moyenne des citoyens estime qu’elle a de quoi vivre selon la conception de l’époque ? C’est-à-dire aujourd’hui : un frigo, un ordinateur, un smartphone, une ou deux voitures, des vacances à l’étranger, des voyages en avion, les meilleurs soins du monde, une école gratuite, une culture subventionnée.

Or ces biens ne sont pas des idées mais des objets fabriqués avec des ressources en matière première et en énergie. Ceux-ci dépendent de ce que la Nature nous permet de produire, avec des épisodes disruptifs comme les épidémies et les guerres. Avec aussi l’échéance inévitable d’un épuisement ultime des ressources finies dans un monde qui se veut en croissance indéfinie. Les pénuries actuelles peuvent être considérées comme les signes avant-coureurs de la rencontre d’une limite à la croissance impossible à dépasser. Le pouvoir d’achat comme exigence politique et culturelle finira finalement par être frustré. Les biens devront être rationnés ou bien les prix exploseront. Provisoirement, il ne sert à rien de puiser dans la dette publique pour dissimuler cette déplaisante réalité. Oui un jour, moins de passagers pourront prendre l’avion en dépit de l’illusion actuelle, moins d’automobilistes rouleront, moins de fraises seront importées pour la Noël, l’électricité coûtera plus cher et subira des coupures.

Dès lors, ne serait-il pas plus efficace d’adapter la mentalité du consommateur que la masse de biens à disposition ? Ne serait-il pas judicieux d’évaluer les ressources limitées en minerais ou en terres agricoles et de les ménager comme un capital et non un revenu ? Il n’existe pas une ressource en gaz inépuisable sauf dans l’imagination de certains. Il ne sert à rien de définir celui-ci comme une ressource « verte ». Un jour il n’y en aura plus après que son prix aura pris l’ascenseur.

Le pouvoir d’achat disponible dépend de la planète : on ne peut l’augmenter sans cesse ni même le maintenir à son niveau actuel pour tous les hommes. Le pouvoir d’achat exigé dépend de notre culture : on peut le contrôler.

 

 

 

Pourquoi le populisme ?

 

 

L’utilisation de la démagogie en politique, vieille comme la démocratie. en constitue une maladie récurrente. Or, nous assistons à une recrudescence qui mérite une réflexion. En France, le RN obtient 89 sièges à l’Assemblée nationale et devient ainsi le deuxième parti. En Suisse le parti populiste est le plus important de tous. Aux Etats-Unis une foule a donné l’assaut au Capitole pour empêcher l’élection du nouveau président. Boris Johnson a obtenu le Brexit en assurant ses électeurs que leur niveau de vie augmenterait de ce fait. On pourrait continuer l’inventaire avec le poutinisme rampant un peu partout, la Hongrie, la Pologne. Et comment comprendre que le peuple russe se laisse entraîner dans une guerre sinon parce qu’il a élu massivement Poutine et qu’il accepte d’être privé d’informations.

Pourquoi cet accès ? Pourquoi maintenant ?

Une fraction importante de l’électorat est insatisfaite du fonctionnement des institutions. Elle lui reproche essentiellement de ne pas tenir la promesse (intenable) d’un bien-être toujours croissant. Le thème du pouvoir d’achat s’impose comme préoccupation dominante. Le pouvoir en place ne peut y répondre que par ces faux-fuyants que sont la réduction provisoire de certaines taxes, l’envoi d’un dérisoire chèque de secours, l’augmentation du salaire minimum, la croissance de la dette publique. Faute de pouvoir distribuer les fruits du travail, il faut s’endetter, c’est-à-dire refiler la charge à la génération suivante, celle qui n’a pas encore la parole.

Dans le même temps, des signes de pénurie apparaissent au niveau de la production. Manque de matières premières, rupture de l’approvisionnement en énergie, perturbation de la chaîne alimentaire et -curieusement – manque de personnel qualifié. Des entreprises pourraient travailler davantage mais elles ne parviennent pas à recruter des travailleurs. Alors que l’on devrait réduire la production de gaz à effet de serre, on est contraint de l’augmenter en substituant du charbon au gaz, et en constatant la panne de l’énergie nucléaire.

Le discours démagogique du populisme consiste à en imputer la faute à deux coupables : d’une part les « élites » qui auraient confisqué le pouvoir à leur seul avantage ; d’autre part les étrangers qui voleraient le travail des nationaux et alourdiraient les charges sociales.

C’est la théorie du double complot. Le pouvoir mépriserait le peuple parce que celui-ci incarne l’essence même de la Nation, son génie, son authenticité. Le pouvoir brade l’indépendance, la liberté, la souveraineté du pays, parce qu’il est acheté par l’étranger. Il ouvre grand les portes de l’immigration par stupidité ou par perversité.

Cependant on aurait beau mettre en place de nouvelles institutions et renouveler le personnel politique, cela ne changerait pas les données du problème. Le pouvoir d’achat est menacé parce que les ressources naturelles commencent à manquer. Cela a été prédit dès 1972, voici 50 ans , par le rapport du Club de Rome . la croissance s’arrêtera lorsque les ressources non renouvelables s’épuiseront, minerais, terres cultivables, énergie, eau.

La première des ressources qui est venue à se tarir a été l’atmosphère originelle, empoisonnée par les gaz à effet de serre. Et simultanément les terres cultivables menacées par la sécheresse, les terres côtières envahies par l’Océan. Puis la santé avec une épidémie à répétition pour l’ensemble de la planète. Et puis le retour de la guerre.

Le propre du populisme est de refuser l’existence insupportable de ces phénomènes, de nier la réalité qui est effectivement difficile. Il n’y a donc pas de réchauffement climatique, le renchérissement de l’énergie ne provient pas de sa raréfaction mais d’un complot gouvernemental, la guerre n’est pas une guerre mais une opération militaire spéciale engagée par le valeureux nationaliste Poutine, le médicament du professeur Raoult vaut mieux que la vaccination, l’avortement doit être interdit et bientôt la contraception, le nucléaire nous sauvera, les OGM doivent être bannis, le mariage des homosexuels est une abomination, il faut lutter contre l’Islam et expulser les étrangers. On commence même à susurrer que tout cela est la faute des Juifs. Et peut-être des universités et de la recherche scientifique.

Le populisme vit dans le fantasme d’un passé mythifié. Il nie le présent et voudrait l’annihiler. S’il conquiert le pouvoir, il gouvernera à reculons, comme Boris Johnson, comme Orban, comme Poutine, comme le souhaite une fraction croissante des électeurs. Il précipitera la catastrophe qu’il prétend éviter.

 

Une rustine sur l’AVS

 

 

 

L’objet parlementaire des pensions est une sorte de patate chaude que les partis se refilent, tant l’urgence d’une solution s’impose et plus elle devient introuvable. Dernier avatar en date : le ministre des assurances sociales Alain Berset a défendu lundi l’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes en vue de la votation du 25 septembre. Des compensations sont prévues à titre de consolation. Cette réformette ne garantit pas la pérennité des pensions mais elle fait croire que l’on s’en occupe.

L’AVS fait face à des difficultés financières et doit être réformée. Le besoin de financement sur les dix prochaines années s’élève à environ 18,5 milliards de francs. Et les tentatives de réforme ont toutes échoué en 25 ans, la dernière fois en 2017.

Il existe deux méthodes classiques pour assurer les pensions : la répartition, dite AVS en Suisse, utilise l’argent des cotisants, année après année, pour payer les retraites; la capitalisation, appelée LPP,  rassemble les cotisations versées par chacun des travailleurs dans un capital propre, qui est ensuite redistribué à partir de l’âge de la retraite.

Les deux méthodes possèdent des avantages et des inconvénients, qui sont complémentaires. La répartition suppose que le rapport entre travailleurs et retraités demeure constant.  S’il y a quatre actifs pour un retraité, chaque travailleur doit payer en moyenne une cotisation égale au quart du revenu assuré à un retraité. S’il n’y en a plus que deux, la charge de la cotisation double et devient insupportable. Dans ce cas, le système devient instable et doit être soutenu par d’autres sources provenant de l’argent public, c’est-à-dire des impôts et des taxes. En sens inverse, la capitalisation possède l’avantage de n’être pas soumis à ces fluctuations de la démographie.

Autant ces principes sont clairs, autant leur application est confuse. Entre les politiciens et les mathématiciens, il existe une différence fondamentale. L’homme politique parle de problèmes réels, sans savoir si ce qu’il en dit est vrai et même sans s’en préoccuper. Le mathématicien sait que ce qu’il dit est vrai, mais il parle de problèmes abstraits, ignorés de la politique. La difficulté consiste à discerner quelle est la part mathématique d’un problème politique pour en tenir vraiment compte.

En mathématique, comme en politique, il existe une catégorie de problèmes insolubles, Mais, dans le premier cas, on le sait et on ne perd pas de temps à s’en occuper comme pour la quadrature du cercle Les politiciens suisses en s’acharnant régulièrement sur la révision des pensions, sans la résoudre, ont confirmé qu’ils s’excitent pour un problème du type quadrature du cercle et qu’ils  ignoraient ce résultat élémentaire de mathématique.

Soit la donnée suivante : le système de pension par répartition, dit AVS,  distribue chaque année aux retraités les cotisations versées par les actifs. Problème : ce système permet-il de garantir à ceux qui ont cotisé toute leur vie qu’ils percevront la rente promise, lorsqu’ils prendront leur retraite, au bout de quarante ans ?

La réponse est positive, sous deux conditions : la durée de vie ne s’allonge pas ; les générations se succèdent sans variation de leur nombre. Or, la Suisse traverse une période où la durée de vie se prolonge, trois mois de plus chaque année, tandis que le nombre de naissances est en déficit d’un tiers par rapport au renouvellement des générations. Aucune des deux conditions nécessaires n’est vérifiée.

C’est donc non. Le problème tel qu’il est posé est insoluble. Il faut en changer les données. On a le choix entre plusieurs solutions : allonger la durée de la vie active ; relever les cotisations ; diminuer les rentes ; introduire dans le système des travailleurs qui ne sont pas nés dans le pays. On peut tourner l’équation dans tous les sens : le problème reste insoluble aussi longtemps qu’on ne change pas au moins une de ces quatre données.

Depuis la création du système jusque maintenant, sur plus d’un demi-siècle, la durée de survie à 65 ans a doublé, de dix à vingt ans. Même si le taux de naissance était resté stable plutôt que de diminuer, il faudrait  donc : soit augmenter de dix ans la durée du travail ; soit diminuer les rentes de moitié ; soit doubler les cotisations. Aucune de ces solutions n’est réaliste, car elles ruineraient la crédibilité du système et seraient refusées par le peuple.

Dès lors, la méthode politique – à rebours de la démarche mathématique – consiste à brouiller les idées, de façon à modifier un tout petit peu les données du problème, mais sans que personne ne s’en rende compte. L’astuce consiste à transformer simultanément un peu toutes les données, de façon à laisser croire que l’on ne touche pas vraiment à l’essentiel.

On continue à payer les pensions mais au rabais : ; en ne compensant pas tout de suite le renchérissement c’est-à-dire en diminuant le pouvoir d’achat des rentes ; en augmentant la TVA que les retraités paient aussi. Chacune de ces modifications est assortie de règles tellement compliquées qu’il est impossible de les comprendre et donc de les contester.

On n’augmente pas les cotisations, mais on accroit la TVA. Cela revient tout de même à faire payer les actifs par une taxe plutôt que par une cotisation. On taxe aussi les retraités, dont on diminue de la sorte le pouvoir d’achat sans qu’ils puissent protester, puisqu’on ne diminue pas la pension nominale.

Cependant la mathématique finit toujours par se venger : en augmentant la TVA, on renchérit le coût de l’entretien d’un enfant, on dissuade davantage les jeunes ménages d’en avoir et on augmente encore un peu plus le déséquilibre des générations. Telle est la nature des problèmes insolubles : si l’on s’acharne à les résoudre, on finit par se prendre au jeu et par s’atteler à une tâche impossible par définition. On aggrave, sans s’en rendre compte, le problème que l’on croyait avoir en partie résolu.

Il faudrait laisser la liberté au travailleur de choisir la date de sa prise de pension en augmentant le montant de celle-ci en proportion de la durée du travail. Chacun en aurait pour son compte en modulant la durée de la carrière par la pénibilité du trvail. Même avec cette cautèle, une telle proposition n’a aucune chance de passer en votation car chacun compte secrètement sur les autres pour garantir une pension supérieur à son dû. Ce marché de dupe est couvert par un beau mot, la solidarité.

 

 

Autopsie d’un blog

 

 

Le blog « un esclavage en Suisse » a suscité à ce jour 1529 consultations par des lecteurs et 90 commentaires, 16 positifs pour approuver sa prise de position en faveur d’une condamnation des clients et 30  au contraire pour la réprouver et faire l’apologie de la prostitution. Mais surtout 20 commentaires hors sujet les uns mettant en cause l’UE, d’autres le terrorisme, d’autres l’enseignement, d’autres la conscription. Plus 27 répliques du blogueur lui-même.

Parmi les arguments positifs en faveur de la prostitution, on peut trouver un éloge du contact humain entre client et prostituée, bénéfique au point de vue psychologique. Aussi une curieuse assimilation entre conscription et prostitution : si l’Etat contraint des citoyens à un travail forcé dans l’armée ou la protection civile, il y a moins lieu de s’alarmer que des femmes soient contraintes de pratique un métier qu’elles n’ont pas choisi. Une très curieuse analogie entre la prostitution et l’enseignement où les enseignants ne seraient pas libres. Enfin l’argument décisif, susurré et insinué plus qu’affirmé, selon lequel Jésus de Nazareth aurait eu une relation avec Marie-Madeleine prostituée. Après ce dernier argument, on peut tirer l’échelle. C’est du grand n’importe quoi.

Or, l’objet du blog n’était pas du tout le procès ou l’apologie de la prostitution, mais la constatation que le parlement fédéral rejettaq à une écrasante majorité la possibilité de sanctionner les clients, comme si cette mesure ne servirait à rien, alors qu’elle est déjà appliquée effectivement dans sept pays de tradition libérale et démocratique.

Il n’est dès lors pas étonnant que les commentaires opposés au blog aient été deux fois plus nombreux que ceux qui le soutiennent. La prostitution est considérée comme « un mal nécessaire », pas tout à fait le pire de maux, parce que les victimes sont tout de même dans leur accablante majorité des étrangères, ce qui pernet d’affirmer qu’au lieu de s’en prendre aux clients,  « il n’y a qu’à » refuser à ces femmes un permis de travail, en revenant ainsi à la bonne vieille tradition de répression des victimes.

On voudra bien se souvenir de l’époque pas si lointaine où le tabagisme, la consommation de drogues, les excès de vitesse, la pollution industrielle, les additifs alimentaires, les décharges sauvages, la maltraitance des animaux, les violences conjugales, la pédophilie étaient toutes considérées comme des maux nécessaires par le profit qu’ils ramenaient à certain, malgré les dégâts causés à la vie des uns ou à l’équilibre mental d’autres. Sur tous ces problèmes, la société a avancé pat l’éducation, par l’information mais aussi par la répression. C’est devenu un mouvement d’ensemble des pays les plus civilisés, une marque d’éveil des consciences aux malheurs des plus déshérités, qui doivent être vraiment protégés en punissant les oppresseurs.

Ainsi en est-il de la prostitution. Si elle est prétendument nécessaire, utile voire indispensable à des mâles trop vigoureux, elle pénalise inévitablement les prostituées elles-mêmes. On peut malaisément soutenir la thèse selon laquelle la relation sexuelle pourrait être sans inconvénient majeur dissociée du rapport affectif, pour devenir un service comme un autre, une prestation que l’on acquiert légitimement en acquittant un prix, comme le service à table au restaurant,

Qui, parmi ces avocats de la prostitution, dans les commentaires ou au parlement, pourrait sereinement considérer que c’est une voie comme une autre sur laquelle pourrait ou devrait s’engager une femme avec laquelle il possède un lien de proximité, une mère, une sœur, une fille, une amie. C’est supportable tant que ce sont les autres, les étrangères, celles qui n’ont pas un passeport rouge, qui ne parlent même pas une langue nationale, qui n’ont pas d’attaches locales. Elles ne sont pas tout à fait identiques à des Suissesses. Elles sont durement exploitées parce que notre société d’abondance ne pourrait pas persister sans qu’il y ait quelque part des exploités de toute espèce. Pourvu qu’ils ne soient pas trop visibles. Pourvu qu’ils retournent chez eux en fin de carrière. Dans cette géhenne que sont les pays pauvres, corrompus, soumis à la violence. Dans cette décharge planétaire qui recueille nos déchets.

On dit souvent que la prostitution est le plus vieux métier du monde. C’est vrai dans la mesure où jadis, la plupart du temps, toutes les femmes étaient opprimées au sens où elles le sont aujourd’hui dans l’Afghanistan, au sens où elles  y retombent aux Etats-Unis. La décision du parlement suisse établit une distinction entre les citoyennes du pays et d’autres femmes. C’est sans doute pour cela que dans les 172 voix qui ont rejeté la motion Streiff au Conseil national, il y avait forcément beaucoup des 84 conseillères nationales.

Au terme de cette autopsie d’un blog largement contesté, la question demeure toujours la même : est-ce que le parlement reflète ainsi la conviction du peuple souverain ? Est-ce que nous soutenons cette position ? C’est la seule qui attend une réponse, pas les faux-fuyants que furent tant de commentaires. Pourrait-on débattre honnêtement, sereinement, rationnellement d’une tare sociale ? Pourrait-on arrêter de ridiculiser les défenseurs de la dignité de toutes les femmes comme si c’étaient des moralistes, une espèce ringarde ? La morale n’a rien à voir là-dedans, la justice tout.

L’extrême pointe de la réponse à cette tare sociale serait l’éducation des clients potentiels. Expliquer d’abord que la violence de l’instinct sexuels est la réponse inévitable de la nature biologique à la menace d’une extinction de l’espèce : il faut que dans certaines situations les hommes fassent abstraction de tout autre facteur que l’exigence de la survie du genre humain. Expliquer ensuite que toutes ces violentes pulsions biologiques élémentaires ont été humanisées par la culture, le droit, les religions : la monogamie, la protection des femmes et des enfants, l’observation de rites, le respect de certains interdits. Le faîte de la relation entre les sexes est la passion amoureuse qui est un des piliers des arts. Une fois que cet accès aux sommets de la civilisation est garanti, la prostitution apparait tristement pour ce qu’elle est, une régression aux origines de notre espèce, un repli devant ce qui alimente notre antinomie avec les autres espèces vivantes. Lutter contre cette tare sociale apporte ainsi un bénéfice non seulement aux victimes, mais aussi aux agresseurs qui apparaissent maintenant elles-aussi comme des victimes de l’inculture. La loi, par ses sanctions mêmes, leur apprend à devenir plus humains. A ce titre elle aurait méritée d’être votée.

Un Homme d’Etat vaudois

 

Selon un dicton courant, on n’aime pas en politique helvétique les têtes qui dépassent. Elles seraient donc systématiquement coupées, à moins que les titulaires de cette haute stature n’apprennent vite à courber le front et à simuler l’incompétence attendue. Est-ce irrémédiable ? Faut-il faire preuve de médiocrité pour réussir en politique ? Ne serait-ce pas une façon pour le populaire de se rassurer en imaginant que les gouvernants sont strictement à son image ? La politique est-elle le seul métier qui ne requiert pas d’apprentissage ?

Chez nos voisins, ce n’est pas le cas. De Gaulle, Mitterrand et Macron en France, Konrad  Adenauer, Helmuth Kohl et Angela Merkel en Allemagne démentirent cette règle. Et même en Italie, Berlusconi a joui d’une renommée, un peu différente mais tout de même persistante. A noter : depuis 1947 il n’y a eu que huit chanceliers en Allemagne, à comparer avec  25 premiers ministres français depuis 1959.

Or le Canton de Vaud a aussi eu son homme providentiel en la personne de Pascal Broulis, bien qu’il fut à moitié grec par son père. Son grand œuvre fut le rétablissement des finances. En 2004 la dette atteignait 8.65 milliards ; aujourd’hui elle est éteint par le plus simple des artifices fiscal : chaque année sous-estimer au budget les rentrées et surestimer les dépenses. Entretemps refuser les gaspillages que sont les faux investissements, les dépenses somptuaires, la poudre aux yeux politicienne.

Pourquoi ? parce qu’il a poursuivi en politique ce qu’il pratiquait au civil. Après une formation d’employé de commerce, il entame une carrière professionnelle au sein du Crédit foncier vaudois puis à la Banque cantonale vaudoise. En 2000, il devient directeur adjoint de sa division logistique. Cela sert parfois dans la gouvernance de comprendre ce que l’on gère.

Bien entendu cela ne suffit pas. L’enseignante Cesla Amarelle, professeur ordinaire de droit public et droit des migrations à Neuchâtel, en a fait l’amère expérience en tant que Conseillère d’Etat en charge de la formation. Il y faut aussi une intuition, un flair, une inspiration dont Pascal Broulis bénéficie par ses gènes helléniques. Il faut un génie politique pour rembourser en vingt ans des dettes accumulées depuis longtemps, sans exaspérer les contribuables. Ce fut le cas au point q’ il a remporté des élections triomphales, soit 100 000 voix pour son quatrième mandat en 2017.

Ce n’est pas tout. Le facteur obligé dans la définition d’un Homme d’Etat est la mesquinerie, la gratuité et la bassesse des attaques dont il est l’objet. En février 2018, il est attaqué sur la répartition de ses impôts entre Sainte-Croix et Lausanne. Le Conseil d’État constate le 30 mai 2018 qu’il « n’a bénéficié d’aucun traitement de faveur et été taxé dans le respect des règles et procédures ». La même année, il est critiqué pour des voyages auxquels il participe avec d’autres personnalités romandes en compagnie du milliardaire Frederik Paulsen : soupçonné d’acceptation d’un avantage, il est blanchi par le ministère public un mois plus tard, en octobre 2018.

Enfin reste à rappeler qu’il ne s’est pas engagé seulement pour le chapitre austère des Finances. Il est l’artisan de Plateforme 10, le quartier des arts lausannois à travers une histoire qui ne manqua pas d’échecs. Il reproduit ainsi la carrière de Périclès, son modèle, qui s’illustra dans la promotion des arts, une des principales raisons pour lesquelles Athènes détient la réputation d’être le centre éducatif et culturel du monde grec antique. Il fut à l’origine du projet de construction de la plupart des structures encore présentes aujourd’hui dont le Parthénon. Ainsi la Grèce est-elle venue restaurer le Canton de Vaud, empêtré dans ses hésitations et ses procrastinations. Il lui faudrait davantage d’immigration de ce calibre.

 

 

Un esclavage  en Suisse

 

 

La Suisse a tellement bonne réputation que le visiteur occasionnel découvre avec étonnement qu’elle n’est pas parfaite. Malgré le haut niveau civique de la population, il y a des graffitis sur les murs et les wagons, des déchets incongrus sur le sol et, plus étonnant que tout, une prostitution en plein jour. Dans des quartiers particuliers le racolage est autorisé, des maisons closes existent et font de la publicité, des journaux respectables comme 24 Heures publient de petites annonces tout à fait explicites.

Bien entendu les femmes suisses en sont guère concernées : on estime à 95 % le taux d’étrangères dans ce métier, surnommé travailleuse du sexe pour lui donner par un détournement de langage une sorte d’honorabilité : ne serait-ce pas un travail comme un autre avec ses cotisations sociales et sa caisse de pension ?. Pourquoi s’en étonner ? Malgré toutes ses qualités, le pays vit sur le mode patriarcal. Les prostituées proviennent de l’Est de l’UE, d’Amérique latine ou d’Afrique. Elles font souvent partie du prolétariat des sans-papiers, des clandestins, du sous-prolétariat.

En Suisse, la prostitution est légale depuis 1942. En 1992, la loi pénale sexuelle a été révisée, depuis lors, le proxénétisme et la sollicitation passive ne sont plus punissables . L’Onusida estime qu’il y a 20000 prostituées dans le pays. L’État reconnaît la prostitution comme étant une profession en tant que telle. De ce fait, comme tout autre salarié, les prostituées suisses doivent payer des impôts, étant donné qu’elles sont enregistrées en tant que travailleuses indépendantes.

Compte tenu de cet état de fait, qui semble hautement satisfaisant, il fallut une bonne dose de candeur à la conseillère nationale Marianne Streiff-Feller (PEV/BE) pour déposer une motion : « Les êtres humains ne sont pas des choses. Pour interdire l’achat de services sexuels en Suisse selon l’exemple nordique ». S’inspirant de législations adoptées par la Suède, la Norvège, l’Islande, le Canada, la France, l’Irlande du Nord ou encore Israël, l’élue voulait ainsi faire sortir les femmes contraintes de vendre leurs charmes du marché de la prostitution. Les clients de prostitué·e·s auraient du être amendés en Suisse. La motion ne réprimait pas la vente de services sexuels mais leur achat, visait les clients plutôt que les victimes.

Sa motion a été rejetée par 172 voix contre 11 devant la Chambre du peuple. Compte tenu des 84 élues, cela signifie que le rejet est aussi bien la réaction des femmes que des hommes. Par son ampleur, ce rejet est humiliant pour son autrice et révélateur de l’état d’esprit dominant. Les mauvaises langues en ont naturellement déduit que beaucoup de conseillers nationaux ont recours à la prostitution. Il est exact que les jours précédents une session, des propositions de Berne arrivent par Internet. Mais ce serait passer à côté du problème que de le réduire à une affaire d’individus.

Cela engage le Droit des Personnes. L’article 7 de la Constitution fédéral est simple et explicite : « La dignité humaine doit être respectée et protégée. ». Cela signifie a minima que toutes les personnes devraient bénéficier de leur intégrité corporelle, aucunes ne devraient être contraintes de vendre leur corps pour gagner leur vie. Cela signifie que celles-ci n’ont pas bénéficié d’une formation professionnelle, qui leur permettrait de vivre en échange de leurs compétences dans un véritable métier. Cela signifie qu’elles sont les proies toutes désignées de réseaux et de maffias qui empochent une rente. Cela signifie que cela arrange tout le monde pourvu que l’on regarde ailleurs.

Le Temps a publié un reportage sur les conditions réelles de l’exercice de cette activité à Zürich. La police ne sait même pas quelle est l’ampleur du phénomène parce « qu’il n’est pas possible de contrôler tout le monde ». Deux travailleurs sociaux, un prêtre et une religieuse, constituent le recours des femmes. Ils posent un diagnostic simple : « beaucoup ne font pas ce boulot par choix. C’est la pauvreté qui les y force ». La prostitution, même légalisée, est un exemple extrême de l’exploitation des plus faibles dans l’indifférence avouée du législateur. Le Conseil national fut-il dans ce vote l’expression fidèle du sentiment de la population ?

 

 

La transparence opaque.

Dans beaucoup de pays, les partis sont subsidiés par les finances publiques à proportion du nombre de votes et d’élus. Le budget de chaque parti pour certaines campagnes est limité. Des sanctions sont prévues en cas de dépassement. A titre d’exemple, en France pour une élection présidentielle, le plafond de dépenses s’élève à 16,851 millions d’euros pour les candidats présents au premier tour, et 22,509 millions d’euros pour les deux candidats présents au second tour.

En Suisse, les partis politiques revêtent la forme juridique d’une association. Ils n’ont donc pas de but lucratif. Il n’y a pas de législation nationale sur le financement des partis politiques. Parmi les sources de financements des partis peuvent notamment figurer : cotisations annuelles des membres ; dons et donations privés ; produits de la vente de productions et services; cotisations du groupe parlementaire; contributions des membres d’un pouvoir exécutif, parlementaires, juges et magistrats affiliés au parti.

On a vaguement le sentiment qu’en démocratie, les votes doivent rester libres, les partis ou les candidats peuvent informer mais ne doivent pas en arriver à écraser l’opinion sous une campagne disproportionnée. Et cependant, il n’y a pas de règle, il n’y a pas de subventions publiques. Les dépenses réelles ne doivent ni faire l’objet d’une comptabilité, ni d’une publicité. C’est le privilège d’une nation vertueuse de ne pas devoir se soumettre à des contrôles bureaucratiques, ni à des sanctions judiciaires. C’est une démocratie en roue libre.

Sous le couvert d’un parlement de milice dont les élus gagneraient leurs vies par tous les métiers imaginables pour apporter toutes les compétences, se situe un parlement de notables : indépendants, professions libérales, agriculteurs, chefs d’entreprises, cadres d’organisations syndicales, patronales, agricoles. On ne voit pas comment un simple salarié pourrait disposer librement d’une centaine de jours de prestations à  Berne en gardant son emploi. On ne voit pas non plus comment il pourrait avec son revenu financer une campagne électorale. Si ce n’est pas le but, c’est cependant la réalité. Les différentes catégories sociales ne sont pas représentées.

A intervalles réguliers cette situation suscite des initiatives visant au minimum à assurer la transparence des financements. Après des années de négociations, le Parlement a finalement adopté le 18 juin 2021 un contre-projet indirect à l’initiative de la gauche sur la transparence, qui a par conséquent été retirée. L’ordonnance sur la transparence du financement de la vie politique est désormais en consultation. Selon le texte, les partis devraient bientôt publier les dons de plus de 15’000 francs par personne et par an. En ce qui concerne les campagnes électorales ou référendaires, si plus de 50’000 francs sont dépensés, le principe de transparence s’applique aussi et les informations devront être révélées 45 jours avant le scrutin. Enfin, ceux qui acceptent de l’argent de source anonyme ou de l’étranger doivent s’attendre à une amende pouvant aller jusqu’à 40’000 francs. Justes prescriptions, problème enfin résolu?

Nenni. Selon le projet présenté par le Conseil fédéral, la tâche de surveiller le financement des partis politiques reviendrait au Contrôle fédéral des finances. Or, les contrôleurs financiers pourront faire des vérifications aléatoires, mais seulement avec l’accord des personnes concernées. S’ils se présentent au secrétariat d’un parti, celui-ci peut refuser le contrôle. Les apparences sont donc organisées de façon à faire croire que la transparence est assurée, tout en adoptant une règle qui permet qu’elle ne le soit pas.

Le Contrôle fédéral des finances (CDF) doit vérifier la transparence du financement de la vie politique. L’ordonnance prévue par le Département de la justice pour la mise en œuvre ne permet toutefois “pas un contrôle efficace”, estime le chef du CDF Michel Huissoud . “Ce contrôle ne peut avoir lieu sur place qu’avec le consentement des acteurs politiques. C’est une invitation à refuser les contrôles”, dénonce-t-il. Michel Huissoud menace de ne pas assumer l’exécution des nouvelles règles de transparence si aucune amélioration n’est apportée au projet d’ordonnance.

On en est donc arrivé au point où l’administration qui devrait effectuer cette tâche se rebelle contre ce qui n’est qu’une dérision. On peut diverger d’avis sur la nécessité de cette transparence invoquée par la gauche, mais on ne peut approuver une mise en scène conçue pour vider cette opération de tout sens.