La transparence opaque.

Dans beaucoup de pays, les partis sont subsidiés par les finances publiques à proportion du nombre de votes et d’élus. Le budget de chaque parti pour certaines campagnes est limité. Des sanctions sont prévues en cas de dépassement. A titre d’exemple, en France pour une élection présidentielle, le plafond de dépenses s’élève à 16,851 millions d’euros pour les candidats présents au premier tour, et 22,509 millions d’euros pour les deux candidats présents au second tour.

En Suisse, les partis politiques revêtent la forme juridique d’une association. Ils n’ont donc pas de but lucratif. Il n’y a pas de législation nationale sur le financement des partis politiques. Parmi les sources de financements des partis peuvent notamment figurer : cotisations annuelles des membres ; dons et donations privés ; produits de la vente de productions et services; cotisations du groupe parlementaire; contributions des membres d’un pouvoir exécutif, parlementaires, juges et magistrats affiliés au parti.

On a vaguement le sentiment qu’en démocratie, les votes doivent rester libres, les partis ou les candidats peuvent informer mais ne doivent pas en arriver à écraser l’opinion sous une campagne disproportionnée. Et cependant, il n’y a pas de règle, il n’y a pas de subventions publiques. Les dépenses réelles ne doivent ni faire l’objet d’une comptabilité, ni d’une publicité. C’est le privilège d’une nation vertueuse de ne pas devoir se soumettre à des contrôles bureaucratiques, ni à des sanctions judiciaires. C’est une démocratie en roue libre.

Sous le couvert d’un parlement de milice dont les élus gagneraient leurs vies par tous les métiers imaginables pour apporter toutes les compétences, se situe un parlement de notables : indépendants, professions libérales, agriculteurs, chefs d’entreprises, cadres d’organisations syndicales, patronales, agricoles. On ne voit pas comment un simple salarié pourrait disposer librement d’une centaine de jours de prestations à  Berne en gardant son emploi. On ne voit pas non plus comment il pourrait avec son revenu financer une campagne électorale. Si ce n’est pas le but, c’est cependant la réalité. Les différentes catégories sociales ne sont pas représentées.

A intervalles réguliers cette situation suscite des initiatives visant au minimum à assurer la transparence des financements. Après des années de négociations, le Parlement a finalement adopté le 18 juin 2021 un contre-projet indirect à l’initiative de la gauche sur la transparence, qui a par conséquent été retirée. L’ordonnance sur la transparence du financement de la vie politique est désormais en consultation. Selon le texte, les partis devraient bientôt publier les dons de plus de 15’000 francs par personne et par an. En ce qui concerne les campagnes électorales ou référendaires, si plus de 50’000 francs sont dépensés, le principe de transparence s’applique aussi et les informations devront être révélées 45 jours avant le scrutin. Enfin, ceux qui acceptent de l’argent de source anonyme ou de l’étranger doivent s’attendre à une amende pouvant aller jusqu’à 40’000 francs. Justes prescriptions, problème enfin résolu?

Nenni. Selon le projet présenté par le Conseil fédéral, la tâche de surveiller le financement des partis politiques reviendrait au Contrôle fédéral des finances. Or, les contrôleurs financiers pourront faire des vérifications aléatoires, mais seulement avec l’accord des personnes concernées. S’ils se présentent au secrétariat d’un parti, celui-ci peut refuser le contrôle. Les apparences sont donc organisées de façon à faire croire que la transparence est assurée, tout en adoptant une règle qui permet qu’elle ne le soit pas.

Le Contrôle fédéral des finances (CDF) doit vérifier la transparence du financement de la vie politique. L’ordonnance prévue par le Département de la justice pour la mise en œuvre ne permet toutefois “pas un contrôle efficace”, estime le chef du CDF Michel Huissoud . “Ce contrôle ne peut avoir lieu sur place qu’avec le consentement des acteurs politiques. C’est une invitation à refuser les contrôles”, dénonce-t-il. Michel Huissoud menace de ne pas assumer l’exécution des nouvelles règles de transparence si aucune amélioration n’est apportée au projet d’ordonnance.

On en est donc arrivé au point où l’administration qui devrait effectuer cette tâche se rebelle contre ce qui n’est qu’une dérision. On peut diverger d’avis sur la nécessité de cette transparence invoquée par la gauche, mais on ne peut approuver une mise en scène conçue pour vider cette opération de tout sens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

12 réponses à “La transparence opaque.

  1. C’est tellement suisse. Il faut faire semblant de faire pour ne rien faire au final, comme ça tout le monde est content 😎

  2. Intéressant, c’est en effet une solution bien suisse, dans la demi mesure. Mais je suis perplexe au sujet de la transparence. En théorie c’est bien beau. mais en pratique ça n’est jamais appliqué. Les comptes de campagne de la plupart des présidents français élus, de Chirac ä Macron, ont fait l’objet de révélations plus ou moins fracassantes qui pointaient des malversations. Mais comme ils étaient élus, comment invalider une élection quand le candidat est élu? Macron n’est pas transparent sur sa fortune. Ce banquier d’affaire a un magot caché. Les services d’optimisation fiscale de la banque où il a fait ses débuts, comme Pompidou, savent comment escamoter les flux financiers, dans le respect des règles de compliance. Donc, circulez, il n’y a rien à voir. Jusqu’ici je trouvais qu’en Suisse on avait raison de ne pas céder à l’hypocrisie de la transparence car je me méfie beaucoup du financement public des partis politiques, qui a pour conséquence de transformer, d’une certaine manière, les élus et les politiques, en fonctionnaires d’un système contrôlé par l’état, c’est à dire par le pouvoir. C’est un danger. Je trouve normal que des hommes d’affaires comme Christophe Blocher (car c’est toujours lui qu’on vise quand on critique le système actuel du financement des partis en Suisse), et ses amis comme Walter Frey (peut-être un plus gros bailleur de fonds que Blocher lui-même) et d’autres que nous ne connaissons pas, qui ont des convictions et de l’argent, mettent la main à la poche. On croit que cela ne profite qu’à la droite. Rien n’est plus faux. Il y a beaucoup de grandes fortunes qui ont le coeur à gauche, du moins qui sont progressistes (exemple Hanjörg Wyss, qui est probablement plus riche que Blocher) et eux aussi y vont de leur carnet de chèques. Est- ce qu’une grande famille de propriétaires de grands magasins ne subsidie pas le PS? Je ne sais pas, cela n’est pas public et c’est très bien ainsi. Je m’étais réjoui d’apprendre qu’un financier suisse allemand attaché aux libertés avait payé des grosses sommes pour aider la campagne du non à la loi Covid. Je ne me rappelle plus son nom maintenant. M. Neirynck avait trouvé ça choquant, mais moi je trouvais que le plus choquant c’était que nous payions avec nos impôts la propagande mensongère massive et le matraquage non stop par TOUS les médias de service public, pour l’état d’urgence et pour la vaccination, ce qui est un scandale sans nom. (Et les mmédias non service public, comme Le temps dont les actionnaires sont liés à la Pharma, surenchérissaient dans cette propagande non stop). La chose qui m’inquiète le plus c’est que dans plusieurs campagnes récentes concernant des enjeux essentiels pour le mondialisme progressiste, l’argent étranger a coulé à flots pour faire basculer la Suisse du mauvais côté, et parfois ça a marché. Mais comment faire? Même si on disait que les contributions venant de l’étranger sont interdites, ce serait absolument vain. Les groupes d’intérêts étrangers et mondilaistes, opposé à l’intérêts des suisses, ont leurs banques en Suisse. Alors que faire? Ce problème est insoluble. Peut-être que le mieux, pu plutôt le moins mauvais, c’est encore la transparence opaque.

  3. Dans un de vos derniers blogs, vous nous disiez que les lobbies n’avaient aucune influence sur les partis, que le depute se faisait une opinion en son âme et conscience. Comme si aucun membre de parlements n’emargait d’un conseil d’administration, ou était lie, de près ou de loin a une entreprise, ayant des avantages a faire valoir. Comme si les conflits d’intérêts n’existaient pas en Suisse, et que la corruption serait inexistante.
    Dire cela, c’est vraiment prendre le citoyen, pour le dernier des abrutis. Alors, quand on vient proner l’opacité des comptes de campagne, on valide tout simplement ce système. Un Etat fort envers les faibles, faibles envers les riches.

    1. Bien évidemment je ne prône pas l’opacité et vous avez raison elle est un indice d’influence sur les parlementaires individuels.

        1. Le but d’un blog n’est pas de gagner des lecteurs en confortant les préjugés les plus répandus mais de transmettre des informations correctes et d’en déduire des positions.

          1. Le blog est consacré à la transparence dans le financement des partis. Le trafic de stupéfiants est hors sujet.

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