Un fugace désir d’Europe

 

 

La “Communauté politique européenne” est née : les 44 dirigeants du continent, dont le président de la Confédération Ignazio Cassis, se sont retrouvés jeudi passé à Prague. 27 membres de l’UE et 17 hors Union. Seuls absents, la Russie, Etat paria depuis l’invasion de l’Ukraine et la Biélorussie, son alliée.

Il n’y avait rien de concret à attendre de cette réunion informelle. Plutôt qu’une unité de vues, elle a révélé les divergences des problématiques nationales. Si le problème le plus urgent est celui de l’approvisionnement en énergie, il impacte de façon différente les 44 pays. De cette réunion n’est pas ressorti une solidarité en la matière. Elle manque toujours autant qu’auparavant et cette réunion n’eut pas été nécessaire si elle avait existé.

Car ce ne sont pas les organes paneuropéens qui font défaut. : OSCE, Conseil de l’Europe, Commission européenne pour la démocratie par le droit, Comité européen pour la prévention de la torture  etc… Face à cette pléthore, on a le sentiment que ce ne sont pas les rassemblements qui manquent mais la volonté d’aboutir.

Néanmoins le plus urgent était tout de même de se réunir au plus haut niveau, pour se sentir un tout petit peu plus unis face à la guerre ukrainienne. S’il est un sentiment qui assemble a minima tous ces Etats, c’est bien le désir de paix. A deux reprises, l’Europe a été ravagée par des conflits qui l’ont ruinée. L’inspirateur involontaire de cette réunion en était donc le grand absent, le président russe. Il a réussi à assembler les dirigeants d’Arménie et d’Azerbaïdjan, de Serbie et du Kosovo, engagés dans des conflits, qui paraissent dérisoires par rapport à un conflit potentiellement mondial.

Existerait-il une différence radicale entre la Russie et le reste de l’Europe ? Peut-on parler d’une culture européenne, déclinée sur de multiples plans, les arts, l’économie, les institutions politiques, le style de vie ? Shakespeare, Goethe, Hugo, Cervantès, Beethoven dépassent leurs frontières nationales et fondent une culture commune. L’Europe fut le berceau des sciences avec Galilée, Vésale, Newton, Dalton. La plupart des techniques modernes y trouvèrent leur origine : la charrue, le moulin hydraulique, l’horloge mécanique, le canal, le barrage, la machine à vapeur, le moteur à explosion. En 1900, l’Europe exerçait un dominion sur la plus grande surface du globe. Elle fut le flambeau du progrès pendant plusieurs siècles. Elle fut le centre de la planète, l’inspiration du genre humain. Par la violence de la colonisation ou par l’évidence de sa supériorité.

La réunion de Prague se devait d’enregistrer la perte de cet ascendant. La Chine se profile comme un concurrent redoutable, non seulement en économie, mais aussi en politique, par son troublant déni de démocratie en prouvant qu’une dictature peut se révéler efficace. A-t-on compris dans cette aimable réunion de famille à Prague qu’il est nécessaire que l’Europe devienne une seule puissance ? Avec en commun une formation, une recherche, une innovation, une diplomatie et, aussi, inévitablement une puissance militaire.

Car tel est maintenant le défi. Nous vivons dans un monde dangereux, même si le bien-être de la Suisse en occulte provisoirement  la menace. Les nations du passé et les Etats actuels ne se sont pas constitués par amour des lois, des gouvernements, des administrations mais parce qu’ils y ont été contraints par les menaces extérieures. Ce furent d’abord des fiefs locaux, cela devint des royaumes puis des républiques. La Suisse ne constitue pas une exception : ses frontières délimitées voici deux siècles ont correspondu aux nécessités de l’époque. Elles ont encore suffi de justesse lors de la seconde guerre mondiale, parce que le pays s’était donné les moyens de résister à une invasion nazie et aussi parce que l’Allemagne y avait plutôt intérêt.

Mais qu’en est-il dans la conjoncture actuelle ? Certes nous ne sommes en rien menacés par les quatre pays voisins, qui au contraire nous protègent de toute envahissement terrestre par une puissance hostile. Nous sommes ainsi bénéficiaires de l’Otan sans en faire partie. A titre de fabulation extrême, on pourrait néanmoins considérer une tentation de la Russie de nous agresser par voie de missile, éventuellement nucléaire, comme  démonstration spectaculaire. A strictement, parler l’Otan ne serait pas obligée de répondre. Ce n’est donc pas une saine posture de bénéficier pratiquement d’une alliance en s’imaginant qu’elle ne sert à rien.

Il en est de même de notre biscornue zizanie avec l’UE, qui nous fait surestimer notre indéfectible indépendance. Elle comporte plus d’inconvénients que d’avantages, elle procède d’une vision folklorique de la Suisse qui serait, compréhensible si nous nous situions au milieu de l’Océan Pacifique. Mais ce n’est pas du tout le cas. Nous sommes au cœur de l’Europe et nous en sommes peut-être le cœur. Notre destin est lié à celui du continent qui est aujourd’hui menacé par une véritable guerre sur son territoire. Que cela nous plaise ou non, notre intérêt et donc notre devoir nous commandent de rejoindre l’alliance des 27 pays, qui sont concrètement plus forts et plus puissants unis que divisés. S’ils ne l’étaient pas, s’il n’y avait ni UE, ni Otan, il y aurait longtemps que Poutine aurait récupéré les Etats baltes, comme il a grignoté la Moldavie et la Géorgie,  et que l’Europe serait à nouveau un continent à feu et à sang. Si cela advenait, si la minable armée russe arrivait à nos frontières, notre déclaration de neutralité ne servirait strictement à rien et Poutine se ferait un malin plaisir de nous envahir. Gouverner c’est prévoir car l’avenir advient toujours et dure longtemps. Avons-nous une gouvernance avec un Conseil fédéral sans chef, sans programme et sans majorité parlementaire ?

 

 

 

 

 

 

Le rationnement furtif

 

L’augmentation brutale des primes d’assurance maladie en 2023 a rouvert une plaie mal cicatrisée. Cette assurance croit tout à fait normalement au rythme du coût des soins, mais bien plus vite que le pouvoir d’achat ou le PIB. C’est dû au vieillissement de la population, qui, lui-même, mesure les progrès de la médecine. Or il serait politiquement impossible d’arrêter ouvertement la recherche médicale dans nos hôpitaux et Facultés. Le ferait-on en Suisse qu’elle se poursuivrait à l’étranger. Les citoyens aisés iraient s’y faire soigner et l’assurance maladie sombrerait dans une faillite morale, à la mesure de sa contradiction originelle : assurer un service public par l’initiative privée.

Dès lors, la stratégie de limitation des coûts se doit d’être opaque. Parmi les outils se situe la clause du besoin : « Lorsque dans un canton, les coûts annuels par assuré dans un domaine de spécialité augmentent davantage que les coûts annuels des autres domaines de spécialité dans ce canton ou que la moyenne suisse des coûts annuels dans le domaine de spécialité en question, le canton peut prévoir qu’aucune nouvelle admission à pratiquer à la charge de l’assurance obligatoire des soins n’est délivrée dans ce domaine de spécialité. » En un mot l’ouverture de nouveaux cabinets accédant au remboursement des soins dans cette spécialité est interdite. Parce qu’elle serait nocive !

« La mise en place de cette mesure à Genève est régie par un  Règlement d’application provisoire, qui contient le calcul de l’offre et donc les nombres maximaux par domaine de spécialisation (Annexe A). L’offre a été calculée en partenariat avec un institut de recherche externe entre avril et juin 2022. Les valeurs en ETP par domaine constituent les nombres maximaux dès le 1er octobre 2022 jusqu’à nouvel avis. Toute demande d’admission à facturer soumise par les médecins à partir du 1er octobre 2022 sera mise sur une liste d’attente par domaine de spécialisation. Dès 2023, l’offre sera recalculée et les nombres maximaux adaptés en conséquence lors de recensements effectués chaque printemps. »

Cette mesure repose sur une hypothèse jamais démontrée mais qui est communément admise dans le monde politique : en médecine, l’offre crée la demande. Ce ne sont pas les patients qui se dirigent spontanément vers les cabinets mais les médecins qui les y attirent. Comment ? Mystère car un praticien ne peut pas faire de publicité. Donc selon le préjugé helvétique, on suppose que des patients parfaitement sains, sans symptômes, s’inventent une maladie rigoureusement inexistante pour avoir le plaisir de se rendre chez un spécialiste et de subir certains examens pas toujours agréables.

Cette hypothèse est tellement absurde qu’elle n’est jamais remise cause et fait partie des postulats de base de la politique de la santé. Elle entre en contradiction avec l’expérience pratique. Il n’y a pas trop de spécialistes, au moins dans le canton de Vaud, car, de l’expérience personnelle de l’auteur, il ressort qu’il faut plusieurs semaines pour obtenir un rendez-vous dans plusieurs spécialités : cardiologie, pneumologie, dermatologie, ophtalmologie, etc..La densité de médecins par mille habitants est de 4,1 en moyenne dans nos quatre pays voisins et de 4 en Suisse. Il n’y a donc aucune raison d’agir sur ce facteur sinon pour se persuader que l’on a fait quelque chose.

Or, c’est la méthode préconisée en pratique pour réduire effectivement les coûts. Si certains patients n’ont pas un accès dans une délai raisonnable au spécialiste nécessaire, ils se décourageront et renonceront aux soins, tandis que les patients fortunés se rendront dans les cabinets accessibles sans remboursement des frais. Mieux encore certains patients démunis mourront et cesseront d’être à la charge de l’assurance. Car c’est bien le vieillissement de la population et non la densité des praticiens qui est le facteur décisif. La population âgée de plus de 81 ans, qui représente 4.4% de la démographie, absorbe 20,2% des coûts.

Ceci ne signifie pas qu’il n’y ait rien à revoir. Certains traitements coûtent beaucoup plus cher qu’à l’étranger. L’opération de la cataracte, rémunérée au minimum à 271,70 € en France, coûte jusqu’à 3000 CHF en Suisse au maximum, etc…. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’abus divers. Mais ils sont difficilement détectables car par définition une consultation est un dialogue singulier entre le médecin et le patient, couvert par le secret professionnel. Si cette consultation est « gratuite », il est évident que des bobos susciteront une visite inutile au cabinet et que c’est un des facteurs d’augmentation des coûts. Encore faut-il bien définir ce qui est un bobo et ce qui est le premier symptôme d’une affection grave. Ne vaut-il pas mieux des consultations inutiles que des retards de traitement ? La formation sanitaire dans nos écoles obligatoires est-elle suffisante pour permettre à chaque individu de décider en connaissance de cause s’il doit ou non consulter ?

 

 

 

 

 

Arrêter la recherche ?

 

Dans le débat sur l’augmentation des primes maladies, j’ai reçu le texte suivant qui contient une proposition neuve :

« A la lumière des hausses des primes annoncées le 27.09 et compte tenu des difficultés pour endiguer le montant de ces primes, ne devrait-on pas poser la question d’un ralentissement de la recherche médicale et des investissements par rapport aux dépenses de santé. Par ailleurs, ce niveau de service est déjà très élevé ; pourquoi devrait-il encore augmenter et jusqu’où ? Il s’agit de choix de vie ; dès lors, ne parait-il pas juste de faire appel à la démocratie directe au niveau cantonal sur ce sujet ? »

Parmi toutes les suggestions pour contenir les primes, celle-ci a le rare mérite simultané d’aller à la racine du problème et de défier le politiquement correct. Si c’était possible, cela marcherait. Mais cela ne se fait pas de proposer de freiner le progrès médical et donc aussi de stopper le vieillissement de la population. Ce sont les deux facteurs intriqués du phénomène, les véritables, ceux qu’on ne mentionne jamais. Dans la même veine, on a essayé jadis de limiter le coût de la médecine en limitant le nombre de médecins et celui des cabinets médicaux. Cela n’a pas marché du tout car les jeunes Suisses, nourrissant une vocation médicale et écartés par le numerus clausus des Facultés, furent remplacés et au-delà par des praticiens étrangers, qui représentent aujourd’hui le quart des médecins en activité. Il est très difficile de priver ou de rationner la population qui éprouve le besoin irrésistible de ne pas souffrir et de vivre le plus longtemps possible. Même et surtout si elle n’en a pas les moyens parce qu’elle est démunie des finances nécessaires. On ne peut pas mourir prématurément parce que l’on est pauvre. On ne pourrait pas. En fait c’est cependant le cas.

Au cœur de notre société se trouve le mythe de l’égalité. Celle des droits politiques, de la liberté de penser, d’accéder à la formation, mais aussi et surtout de jouir de la même espérance de vie. Cela exclut la solution consistant à freiner la recherche médicale en Suisse parce qu’elle se poursuivrait inévitablement à l’étranger et elle ouvrirait la porte à une médecine à deux vitesses car les plus fortunés y auraient accès.

D’ailleurs si la recherche en général, en sciences naturelles et en techniques, progressent, par la force des opportunités, la recherche médicale en bénéficie. A un certain niveau de connaissances en physique, la construction d’un appareil à IRM devient possible donc inévitable. L a recherche en biologie fondamentale ouvre la porte à la thérapie génique. Les médicaments pour la chimiothérapie sont développés par l’industrie pharmaceutique.

Interdire toute recherche scientifique ne peut être que le geste d’un pouvoir dictatorial. Il a fallu l’Inquisition pour arrêter Galilée ; Staline pour promouvoir la « biologie » de Trophim Lyssenko et éliminer les biologistes partisans de Mendel. On ne peut exclure que cela soit dans le futur la tentation de dirigeants dérangés comme Poutine, Bolsonaro ou Trump. Ce dernier n’a-t-il pas proposé de lutter contre le Covid en absorbant de l’eau de Javel ? Si par malheur une guerre nucléaire se déclenchait, elle entrainerait sans doute un arrêt universel de la recherche. Mais personne ne la souhaite.

Au lieu de l’arrêt de la recherche, en opposition avec cette formule radicale, voici le genre de titres qui foisonnent dans les médias : « Non à l’augmentation des primes. Ce n’est  pas la santé qui coûte cher, mais la pharma et les compagnies d’assurances ». Cette déclaration démagogique n’attaque en rien le véritable problème, mais elle désigne des boucs émissaires, ceux qui dépensent. Elle s’abstient de dire que la santé coûte forcément plus cher, si la population vieillit, parce qu’elle reçoit des soins de plus en plus compliqués et donc de plus en plus coûteux. On évite sans doute même de le penser. Cela fait partie d’un gigantesque impensé avec le défi climatique, la vaccination contre le Covid, la relation avec l’UE.

Le véritable aiguillon des soins de santé est le souhait spontané, animal, de ne pas souffrir et de vivre longuement. Il est inscrit à la fois dans notre nature et dans notre culture, dans notre corps et dans notre esprit, il est insurmontable. Il ne peut être dominé que par la force, celle qui déclenche des génocides, c’est-à-dire la suppression des autres, au bénéfice de notre vie particulière. Il est très dangereux de jouer avec la vie, sa durée, son universalité. Les primes maladie vont donc continuer à augmenter  parce que la véritable cause ne peut être supprimée.

Reste la dernière suggestion : faire appel au peuple par une initiative demandant l’arrêt de la recherche ou ce qui revient au même le plafonnement du budget global de la santé au niveau cantonal. Il n’est pas exclu que cela passe. Pour être honnête, il faudrait alors interdire le tourisme médical des riches vers l’étranger ou même des Suisses d’un canton à l’autre. On a beau y réfléchir, c’est impossible sauf à faire comme les dictatures soviétiques qui interdisaient à leurs citoyens de franchir le Rideau de Fer ou même de sortir de leur province. Cela veut dire que si on freine les soins, on s’en prend à la démocratie et que si on ne paie pas la facture de la santé, on instaure l’inégalité devant la souffrance et la mort.

 

 

L’absolution des crimes de guerre

 

« Les soldats russes qui mourront dans la guerre en Ukraine seront lavés de tous leurs péchés, a déclaré le chef de l’Eglise orthodoxe de Russie quelques jours après l’annonce par Vladimir Poutine de la première mobilisation dans le pays depuis la Seconde Guerre mondiale. Le patriarche Cyrille est un allié du président russe. Il a déjà exprimé son soutien à l’intervention militaire en Ukraine, a critiqué les opposants à cette guerre et a appelé les Russes à être solidaires du Kremlin. »

De la sorte, il s’aligne sur le djihadisme. Les terroristes musulmans qui se font exploser pour entraîner des infidèles dans la mort sont, eux, instantanément propulsés dans le paradis d’Allah. Le salut s’acquiert par le suicide et le meurtre. L’islam intégriste et l’orthodoxie fondamentaliste mènent le même combat de détournement du spirituel au bénéfice du pouvoir.

Bien évidemment cette pratique et la déclaration du patriarche entrent en contradiction avec le sixième commandement : « Tu ne commettras pas de meurtre », aussi clair que limpide parce qu’il ne prévoit pas d’exception. Comme il fallait bien gérer les guerres, Thomas d’Aquin formalisa jadis une doctrine de la guerre juste. Le concept vient d’être balayé par le pape François : « Nous ne pouvons donc plus penser à la guerre comme une solution, du fait que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique qu’on lui attribue. Face à cette réalité, il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible « guerre juste». Jamais plus la guerre ! »

La culture russe n’a pas encore intégré cette dernière injonction qui fait la quasi-unanimité en Occident, avec d’hypocrites exceptions comme la guerre d’Irak en 2003, justifiée par de prétendues armes de destruction massives.

Nous revenons de très loin. La Wehrmacht nazie portait l’inscription « Gott mit uns» sur ses ceinturons tandis que la devise de la monarchie anglaise est « Dieu et mon droit ». Selon la tradition, le pouvoir politique était d’origine divine. Jadis, l’avantage du polythéisme résidait dans la multiplicité des dieux qui pouvaient choisir leurs camps. L’inconvénient du monothéisme est que le Dieu unique ne peut soutenir toutes les parties ou toutes les patries. Chacun des politiques l’instrumentalise alors pour son compte en dépit de toute vraisemblance.

Or, bien évidemment personne n’en sait rien, parce que personne n’est revenu d’un autre monde pour en définir les contours. Même si les théologiens ont construit une survie en cinq étages : Ciel, Purgatoire, Enfer, Limbes des enfants, Limbes des Patriarches, cela relève de leur imagination tout comme un jugement après décès qui « laverait » effectivement un soldat russe de ses péchés, y compris les crimes de guerre comme la torture et le meurtre de civils. De ce fait la déclaration du patriarche constitue un encouragement à commettre des crimes et une soustraction à la justice internationale.

Cela suscite inévitablement une comparaison avec les crimes de pédophilie commis au sein de l’Eglise catholique, mais surtout à leur dissimulation envers la justice civile. Par l’absolution du péché, on s’imaginait effacer la faute pénale. En situant des actions sur un plan spirituel, on se permet de les soustraire aux règles les plus élémentaires du Droit de l’Homme. C’est exactement ce que fait le patriarche.

On peut donc se demander ce qui se passe dans sa tête. Solution simple : c’est un ancien employé des services secrets propulsé à la tête de patriarcat de Russie pour couvrir la dictature poutinienne et lui donner une assise divine, il ne croit ni à Dieu, ni à diable, il préside des rites et des sacrements auxquels il ne croit pas, c’est un figurant, un imposteur. Solution compliquée : il est déchiré par les remords, écartelé entre son patriotisme et les lambeaux de sa foi, persuadé de pouvoir modérer son ami Poutine. Un beau roman russe dans la veine de « Crime et châtiment ».

 

 

 

 

L’écologie, contestation et gestion

 

 

« Il y a tout juste 50 ans, le 3 mars 1972, un groupe d’experts réunis autour de Dennis Meadows a rendu public un rapport baptisé “les limites de la croissance”, premier jalon d’une prise de conscience que le développement de l’humanité dépasse les capacités de la planète. »

Dans le sillage des mouvements hippie et punk, sont nés des mouvements de conservation de la nature, qualifiés d’écologie ou parfois d’écologisme. Ils furent rejoints par une frange de la gauche soixante-huitarde, déçue de sa révolution culturelle avortée et insatisfaite des accommodements de la social-démocratie. En 1979, Daniel Brélaz fut élu au Conseil national devenant le premier écologiste au monde à siéger dans un parlement national. La Suisse ne fut donc pas en retard. Elle innova même : au début de l’année 2006 les Vert’libéraux participent pour la première fois à des élections communales. Entretemps, les autres partis ont procédé au verdissement superficiel de leur programme, sans y rien changer qui puisse écarter leur électorat ordinaire. L’écologie reste la responsabilité de deux partis minoritaires, uniques dépositaires de la seule révolution politique du siècle passé. On pourrait regretter qu’ils ne fusionnent pas mais on réalise tout de suite que ce n’est pas possible. Il y a écologie et écologie.

La Suisse a doublé le mouvement initial de contestation antisystème, romantique, idéaliste par un autre centré sur une approche gestionnaire, réaliste, classique. L’écologie des Verts a toutes les allures d’une religion visant une réforme des mentalités et, à ce titre, elle est nécessaire. Elle est à la politique ce que les mystiques sont aux Eglises : on peut y être à la fois contre le nucléaire et cependant contre les éoliennes parce qu’elles abîment le paysage, parce qu’elles menacent les oiseaux. On peut s’enfermer dans le refus tous azimuts de la société industrielle. Il y a donc une pléthore d’engagements : la biodiversité, le véganisme, l’appui aux LGTB, le féminisme, les revendications sociales, l’antinucléaire, les médecines naturelles, le refus de l’élevage de masse. Ces revendications empiètent sur le fonds de commerce de la gauche classique, au point qu’en France EELV fait match égal avec le PS. Le problème n’est plus tellement la justice sociale mais la survie de l’humanité.

Or, le défi climatique est de plus en plus urgent et exige des actions concrètes, acceptables par le système politique suisse tellement traditionnel, consensuel et lent. Il faut arrêter les canicules, la sécheresse, les inondations, la fonte des glaciers. Maintenant, pas en 2050. Le besoin de mesures concrètes pour diminuer l’empreinte carbone signifie des bouleversements dans l’économie, les institutions, les administrations. Les pompes à essence, les distributeurs de mazout, des compagnies d’aviation, les piscines privées vont se raréfier et peut-être disparaître. L’importation de fruits et de légumes d’autres continents sera bannie. En sens inverse il faudra former des artisans qualifiés pour installer des cellules photovoltaïques, des pompes à chaleur, l’isolation des immeubles. Les communes apprendront à éteindre l’éclairage public et à imposer la même discipline aux vitrines des magasins.

Cependant simultanément, si l’on ne veut pas courir au-devant d’une révolution populaire, il faut réapprendre aux citoyens les vertus de la sobriété, le respect intransigeant de la de la planète, la stabilité économique plutôt que la croissance. Bref, lui faire ce qui apparaîtra de la morale, du civisme, de la solidarité. A la limite faire accepter des formes de rationnement.

Il existe donc un double défi : la révolution des mentalités par les Verts et la réforme du politique par les Verts ’libéraux. L’existence de deux partis spécialisés dans la protection de l’environnement plaide pour la qualité de nos institutions et la maturité du corps électoral, capables de sécréter spontanément les réponses à des défis variés et en partie contradictoires : faire rêver et gérer ce rêve, quitter le monde actuel tout en inventant un autre. Dans la mesure où ces deux partis accèderont à l’exécutif fédéral, il pourront « en même temps » diminuer l’empreinte carbone de la Suisse qui stagne pour l’instant, démontrer que la croissance actuelle n’est pas la seule voie possible et finalement prouver que l’écologie, à la fois branche de la Science et inspiration politique, n’est pas un mythe, un leurre, une fiction romanesque.

Si ce programme se réalise, les Verts effaceront le stigmate persistant du gauchisme, vert à l’extérieur et rouge à l’intérieur, cheval de Troie de la gauche révolutionnaire introduite frauduleusement dans les remparts de la société d’abondance. Ils ne seront plus seulement la mauvaise conscience du capitalisme mais une nouvelle inspiration, seule capable de s’opposer à la démagogie populiste.

Les solutions dérisoires d’un problème aggravé.

Le blog sur l’assurance maladie a attiré une foule de commentaires dont beaucoup proposaient des ébauches de solution. Par exemple :

« Je ne connais pas les chiffres, mais le fait est évident : il y a quelque part une limite d’âge au-delà de laquelle l’ensemble des dépenses en santé se monte à 80 % des dépenses totales. Peut-être 75 ans ? c’est un ordre de grandeur plausible, mais qui peut être assez facilement établi. Les dépenses de santé consacrées aux gens de plus de 75 ans coûtent dans cette hypothèse 80 % des actuels 80 milliards de coût de la sante, soit 64 milliards. Et les 16 milliards de différence seraient suffisants pour assurer jusqu’à l’âge de 75 ans les soins les plus étendus, comme ils le sont aujourd’hui. »

« Mourir n’est pas un risque, c’est une certitude. Dépenser sans compter pour éviter la mort pendant les dernières années de la vie, c’est pour le moins paradoxal. Et rendre ce système obligatoire l’est encore bien davantage. »

« Je suggère que les gens puissent choisir l’assurance qu’ils veulent, l’une ou l’autre étant obligatoire. Cotiser de 300 francs par mois (comme actuellement) pour être assuré de recevoir jusqu’à la mort les soins les plus étendus, les plus coûteux, ou cotiser 60 francs par mois pour être assuré de recevoir les soins les plus étendus, les plus coûteux, jusqu’à un âge fixé, environ 75 ans, puis de soins palliatifs jusqu’à la mort.
Le système serait applicable pour plusieurs âges d’entrée et plusieurs âges d’échéance. »

« On peut tout à fait imaginer une Assurance maladie qui se rembourse les 6 derniers mois de soins ( les plus chers ) sur le patrimoine du défunt , lorsque le dit-patrimoine excède 200 000€ , dans une limite de 30 000€ ( les seuils indiqués sont à titre d’exemples ) . La société a aidé le défunt dans ses soins et traitements tout au long de sa vie (surtout sur la fin) , il est logique que le patrimoine du défunt ( lorsqu’il est conséquent ) en rembourse une partie à la société . Et bien sûr, pour ceux qui meurent en qq minutes ( malaise , AVC … ) , pas grand-chose à payer . »

« Il est aussi regrettable que Mr Neirynck oublie de signaler que ( et ils sont de plus en plus nombreux ) ceux qui vivent sans une hygiène de vie correcte ( alimentation , activité physique ,alcool, ….) ont un coût énorme pour la société ….et là , on fait quoi ? »

Ces contributions, parfois provocantes tournent cependant autour d’une idée très juste : l’assurance maladie n’a d’assurance que le nom, c’est en fait un impôt, tout d’abord parce qu’il est obligatoire. Et c’est le pire des impôts parce qu’il est de capitation, c’est-à-dire imposé pour chaque personne indépendamment de son état de revenu ou de fortune. Un bon système d’impôt s’appuie sur la solidarité entre tous les citoyens et effectue une forme de redistribution des revenus.

Comparons maintenant  avec une assurance incendie. Le risque de voir sa maison partir en flammes est à la fois très peu probable mais catastrophique s’il se matérialise. Chaque propriétaire doit payer une cotisation minime pour être pleinement couvert en cas de sinistre. Comme l’incendie est tout sauf une certitude., la couverture de son risque n’est pas chère. C’est le principe même de l’assurance : diluer des coûts importants en cotisations supportables.

La prétendue assurance maladie fonctionne en sens contraire. Il est certain de tomber malade durant sa vie, le plus souvent de façon modérée en termes de coûts que l’on pourrait parfaitement assumer. Tout le monde peut se payer un tube de Dafalgan en cas de grippe. Cependant certains patients subiront des interventions très coûteuses qu’ils ne pourraient supporter et qu’il faut assurer vraiment pour tout le monde. Et enfin, la seule certitude est la mort précédée souvent d’une période d’intenses soins et très coûteux soins médicaux. En résumé le sinistre final est certain et, entretemps, le coût de l’assurance est élevé parce qu’elle couvre aussi des frais supportables. En d’autres mots encore, le système n’a rien d’une assurance et tout d’un libre-service. C’est un avatar de l’Etat providence qui confisque d’une part la plus grande partie des revenus et d’autre part fournit « gratuitement » formation, soins de santé, logement, transports, divertissements, etc…

Dans le système actuel, pour assurer les soins de ceux qui n’en peuvent payer aucun, on les rend « gratuits » pour tous. C’est l’application d’une idéologie gauchiste, pas d’une analyse rationnelle du problème. Dès lors, certains vont naturellement en abuser. Et donc l’idée d’assurances diversifiées en fonction des ressources de chacun fait sens. A partir d’un certain revenu, on pourrait autoriser une forme d’assurance qui ne couvre que les dépenses les plus lourdes et laisser le tube de Dafalgan hors du système tout comme la consultation ordinaire chez le généraliste. En revanche pour les plus démunis, qui ne peuvent payer leur assurance de toute façon, le plus simple est de leur garantir des soins gratuits, c’est-à-dire financés par l’argent public, les contributions de ceux qui en paient. C’est si l’on veut une assurance à deux vitesses por une société inégalitaire de fait.

En revanche la suggestion de cesser de couvrir les frais à partir d’un certain âge est la certitude d’organiser un système médical à deux vitesses puisque ceux qui en ont les moyens pourront se faire soigner et les autres non, sinon des soins palliatifs à proximité de l’agonie. C’est le degré zéro de la solidarité citoyenne.

En comparaison avec ces suggestions à discuter, émanant de contributeurs à ce blog, on peut résumer les propositions du Conseil fédéral pour en mesurer tout le caractère dérisoire :

« Des réseaux de soins réunissent des professionnels de la santé de plusieurs disciplines. Ils permettent d’assurer la qualité et le suivi des soins et de réduire les prestations inutiles.

Créer des modèles de prix pour les médicaments. Le Conseil fédéral souhaite ancrer dans la loi des “modèles de prix” avec les entreprises pharmaceutiques.

Le gouvernement propose également d’obliger tous les fournisseurs de prestations, stationnaires et ambulatoires, à transmettre leurs factures sous forme électronique. Toutefois, les assurés devront obtenir gratuitement les factures sur papier.

Amélioration de l’examen de l’efficacité, de l’adéquation et de l’économicité des médicaments, des analyses ainsi que des moyens et des appareils. Des tarifs de référence équitables seront aussi introduits pour garantir la concurrence entre les hôpitaux.

La réglementation des prestations des pharmacies sera adaptée. Celles-ci devraient pouvoir fournir des prestations indépendantes dans le cadre de programmes de prévention et des conseils pharmaceutiques pour optimiser la remise de médicaments.

Trois autres mesures de ce paquet entreront en vigueur en 2023. Il s’agit de la promotion des forfaits ambulatoires, de la transmission des données dans le domaine des tarifs et de l’introduction de projets pilotes. »

Cette multitude de mesurettes ne remplacent par une réforme portant sur le fond, comme évoqué plus haut. Elles ont pour but de créer l’impression d’une démarche politique active. Elles n’enraieront pas la hausse des coûts. C’est plutôt de la com.

 

Le déni de la réalité médicale

 

« Le vieillissement de la population est en soi réjouissant. Mais il entraîne aussi des actes médicaux qui ne sont pas toujours nécessaires, a rappelé le ministre de la santé Alain Berset devant les médias. Les éviter aurait un impact très favorable sur les coûts. »

Ce message est une tautologie : si on dépensait moins on ferait des économies. La question, insoluble actuellement, est de discerner les dépenses « qui ne seraient pas toujours nécessaires ». La médecine n’est pas une science exacte. Elle est à base de tâtonnements, de tentatives parfois couronnées de succès, sans que l’on puisse le prévoir. Et donc le Conseiller fédéral l’a reconnu dans un aveu significatif : le système est arrivé au bout. Les primes maladies risquent d’augmenter de 6 à 10%.

La santé coûte cher et elle coûtera plus cher encore à l’avenir, sauf si on décide d’en plafonner les moyens. On n’arrête pas de se perdre en conjectures sur la raison de cet accroissement en ne parlant jamais de la plus importante cause, les progrès de la médecine. Ils signifient que de nouveaux soins, plus coûteux, permettent de mieux traiter les maladies et prolongent la durée de l’existence. Et donc l’effet est redoublé : plus de médecine signifie plus de personnes âgées nécessitant plus de soin. L’explosion des coûts n’a pas d’origine plus fondamentale. Aurait-on un système parfait dans la dépense, celle-ci continuerait cependant à augmenter.

On oublie toujours de remercier les acteurs de ce progrès, résultant  d’un travail acharné, à cause du problème financier qui en résulte, comme s’il était possible de progresser sans que cela coûte ou comme si la santé devait bénéficier d’une organisation caritative. En revanche, notre facture de télécommunications a aussi explosé mais on trouve que c’est positif par la nouvelle activité que cela suscite. L’achat, l’entretien et l’usage d’une voiture pèsent lourd dans le budget d’une famille mais c’est considéré comme allant de soi.

La révolution industrielle en mouvement accéléré entraine une modification dans le budget des ménages. L’alimentation n’y représente plus que 10% alors que jadis c’était le poste le plus important. Plus le pouvoir d’achat a augmenté, plus le consommateur achète des services : distractions, voyages, restaurants, formation et santé. Il paie librement les trois premiers, mais les deux derniers par des prélèvements obligatoires. C’est là que se trouve le nœud du problème. Une fois que l’assurance des soins est garantie par une forme d’impôt, cela devient un droit : toutes les interventions médicales sont sollicitées dès qu’un besoin se fait ressentir ou dès que l’on en a envie. Puisque cela ne coûte rien ! C’est sans doute la seconde cause du renchérissement de la santé : elle est organisée de façon à paraître gratuite. Si l’on avait décidé jadis de rendre le pain gratuit, les poubelles en seraient pleines.

Nonobstant les gaspillages, le résultat est impressionnant : en tête du classement de l’espérance de vie, la Suisse est en deuxième position après le Japon,  L’effet est donc significatif. La santé est au bout de l’assurance. Le jeu vaut la chandelle.

Mais cet argent est-il utilisé correctement en Suisse ? Quelle est l’ampleur des gaspillages réels ou prétendus ? Ce n’est pas aussi dispendieux qu’on le dit. A titre de comparaison, les Américains possèdent le système le plus coûteux au monde. Leurs dépenses de santé représentent aujourd’hui 17,7 % de leur PIB, les classant dans ce domaine en tête des pays de l’OCDE. Mais les Etats-Unis viennent en 35e position pour l’espérance de vie (moins bien que Cuba ou Costa Rica !)  avec 78.1 années contre 83.4 en Suisse.

Première conclusion : le système de santé suisse est certes cher mais aussi efficace relativement aux autres A l’aune de son résultat – l’espérance de vie – il fait mieux que tous les pays voisins.

Santé suisse s’est néanmoins fendu d’un communiqué listant les quatre prétendus coupables du boom des primes : trop de médecins , des médicaments trop chers ; des prestations médicales trop chères ; des cantons passifs. Cette ritournelle est entonnée à chaque augmentation de l’assurance maladie.

La première cause invoquée est complètement fausse : il y a une pénurie de médecins généralistes et il faut une longue attente pour obtenir un rendez-vous d’un spécialiste. En Suisse, la densité médicale est de 4,5 médecins pour 1000 habitants. Elle est donc comparable à celle de ses pays voisins (Allemagne: 4,3; Autriche: 5,2; France: 3,2; Italie: 4,0).

Les Facultés de médecine suisses ont délivré 1089 diplômes en 2019, mais simultanément la Commission fédérale a  reconnu 2741 diplômes de médecin étranger. Les besoins des patients dépassent largement le nombre restreint d’étudiants formés en Suisse et sont comblés par une importation massive de praticiens étrangers. Ceux-ci représentent 37.4% des médecins en exercice en Suisse. Et donc nous ne formons pas trop de médecins mais trop peu. Nous profitons de la formation à l’étranger et nous détournons son financement.

Aussi longtemps que Berne ignorera ces données élémentaires, le discours sur la santé sera irréaliste. Il tombe dans la zone grise entre Confédération et Cantons. Personne n’est vraiment responsable et personne ne désire affronter honnêtement l’opinion publique. Nous avons un des meilleurs système de santé du monde parce qu’il coûte cher et qu’il continuera à manger une fraction croissante du PIB. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de gaspillages, mais quelle est l’activité économique qui en est exempte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quel appauvrissement supportable?

 

L’inflation, depuis longtemps oubliée, refait son apparition. Le prix du panier de la ménagère augmente tandis que la fiche de paie stagne. L’opinion publique en impute la faute aux gouvernements, comme si ceux-ci avaient le pouvoir de contrôler des phénomènes quasi naturels comme les épidémies, les guerres, les sécheresses, les inondations. Les causes de ces fléaux sont tellement lointaines qu’il est difficile d’en établir le lien.

Pourtant voici un demi-siècle le « rapport du MIT » avait démontré qu’une croissance indéfinie dans un monde fini était impossible et que sa poursuite au-delà du raisonnable engendrerait des catastrophes. Elles adviennent maintenant et l’on ne peut pas prétendre que l’on n’a pas été prévenu. Dans sa version la plus actuelle, le réchauffement climatique, la catastrophe prédite se déclenche bien à l’avance. La décroissance contrainte est à nos portes.

L’idée que l’on ne puisse se chauffer cet hiver constitue un scandale, l’explosion du coût de l’électricité un autre, la pénurie de certains métaux un troisième. Que le Bangla Desh vive dans la pauvreté, cela fait partie des habitudes. On laisse entendre que c’est la faute de ses habitants, de leur gouvernement, de leur religion.

A l’intérieur des nations développées, le même stigmate s’applique aux premières victimes du renchérissement. L’appauvrissement devient une sorte de juste châtiment car les efforts pour le pallier sont vains. Si l’Etat français se met à subventionner la consommation d’essence pour que tout simplement les plus démunis puissent continuer à se rendre à leur travail, il ne devrait le faire qu’en taxant les autre,s ce qui précipiterait sa chute. Pour soutenir les plus pauvres, les Etats s’endettent donc, ils vivent à crédit, ils transmettent la charge aux générations suivantes.

On commence à prononcer le terme d’économie de guerre, c’est-à-dire la nécessité d’un rationnement. Peut-être de l’électricité en premier lieu, puis des combustibles et carburants. Si on en venait à limiter les déplacements en avion aux seuls hommes d’affaires, diplomates et militaires, on tuerait tout un secteur et l’on réduirait ses travailleurs au chômage. Quelque mesure rationnelle que l’on envisage, elle risque d’empirer une situation qui apparait hors de contrôle. Tous les empires depuis l’Antiquité sont entrés en décadence : Rome, l’empire de Chine, celui de Grande-Bretagne ou de France. Le trop réel imperium américain, sa société d’abondance, son gaspillage des ressources, sa fuite en avant, tout cela va-t-il s’arrêter ? Pour être remplacé par quoi ?

Nous n’en avons pas de modèle. Même les romans de science-fiction n’explorent pas ce thème. Même les gouvernements les plus intelligents n’ont pas de plan Car il ne suffit pas de cesser de gaspiller. Il n’y a pas que le superflu qu’il faut bannir. On va devoir toucher au nécessaire. Déjà on n’assure pas ce nécessaire aux peuples pauvres, à la classe sociale des pauvres. Comme si c’était dans la nature des choses et que les manques des uns magnifiaient le pouvoir d’achat des autres.

Si la classe moyenne est à son tour touchée, elle sera tentée par la dérive populiste : nier une réalité qu’il est impossible de changer ; prétendre qu’il n’y a pas de réchauffement climatique ; dénigrer les vaccins ; investiguer la vie privée des dirigeants ; désigner des coupables que ce soient les homosexuels, les juifs ou les musulmans ; interdire l’avortement ; refuser les réfugiés ; pactiser avec les dictateurs; renoncer à la démocratie. Comme la France pétainiste de 1940. Comme la Russie d’aujourd’hui.

Elaborer un nouveau système économique n’est pas seulement une tâche matérielle. Il y faut une révolution culturelle pour obtenir le consentement démocratique du peuple à des mesures impopulaires. Ce ne sont pas les séries télévisées, les mangeoires à hamburgers, les concerts de rocks et la consommation de haschisch qui vont y amener.

 

 

Régression dans l’erreur nucléaire

« Un comité d’élus de partis de droite et de représentants de l’économie lance une initiative populaire visant à lever l’interdiction, depuis la votation de 2017, de construire de nouvelles centrales nucléaires en Suisse. Intitulé «De l’électricité pour tous en tout temps. Stop au black-out», le texte veut inscrire dans la Constitution que «toute forme de production d’électricité respectueuse du climat est autorisée».

C’est à peine une nouvelle, il fallait s’y attendre. La mémoire de Tchernobyl et de Fukushima se dissipe peu à peu. La pénurie menaçante d’électricité affole le débat. Des affirmations lénifiantes foisonnent dans les médias. La technique aurait fait tellement de progrès que le risque de fusion du cœur n’existerait plus. Le nucléaire serait la seule énergie décarbonée, largement répandue contrairement à d’autres.

C’est oublier un peu vite que l’uranium, tout comme les combustibles fossiles, doit être extrait et importé de là où il est disponible, ce qui suppose l’emploi d’une énergie fossile. Le Kazakhstan à lui seul en fournit 42%, dont la disponibilité est donc aussi assurée que celle du gaz russe. Un fantasme relatif au nucléaire le conçoit vaguement comme une source infinie d’énergie, dont le combustible pèse tellement moins que le pétrole qu’on peut considérer qu’il est immatériel. Ce serait la solution idéale pour tout pays industrialisé.

On connait les arguments en sens contraire. Il n’y a toujours pas de solution pour entreposer les déchets dont certains ont une demi-vie de l’ordre du milliard d’années. Quand Tchernobyl ne sera-t-il plus contaminé ? Les éléments  les  plus dangereux ne  devraient atteindre leur demi-vie que dans 900 ans et il faudrait théoriquement 48 000 ans pour que le reste de la radiation s’épuise. Le coût de cet entreposage séculaire sera à la charge des générations suivantes, sans aucun bénéfice pour elles..

Mais le danger le plus grand reste la fusion du cœur et la dispersion des éléments radioactifs dans l’environnement. Les erreurs commises à Tchernobyl et de Fukushima ne se reproduiront probablement pas à l’identique. Mais il faut tenir compte d’une constatation évidente : toute installation technique peut subir un incident imprévu, précisément parce qu’il n’avait pas été imaginé. Une dizaine d’accidents majeurs se sont produits.  Plus le cas de sous-marins soviétique dont on ignore tout.

Le cas de la Suisse est particulier car les centrales sont implantées dans une région fortement peuplée. Si Mühleberg avait subi ce type d’accident, il aurait fallu évacuer définitivement un cercle de 30 kilomètres de rayon, soit Berne, Fribourg, Neuchâtel et Bienne. Un accident majeur des trois centrales en fonctionnement pourrait contaminer Zurich ou Bâle en ruinant le pays. Le risque est donc énorme même si sa probabilité est assez faible, de l’ordre de 1 à 2%

La construction d’une nouvelle centrale nucléaire, demandée implicitement par l’initiative, est le type même de fausse solution, suggérée dans la panique par l’irréflexion et l’ignorance. Les énergies renouvelables authentiques, le solaire, l’éolien, la géothermie, les biocarburants, l’hydraulique sont la seule solution pérenne. Sans doute bien moins coûteuse que le nucléaire.

Il reste une dernière question. Pourquoi est-ce que c’est toujours l’extrême-droite qui lance des propositions incongrues ? Pour recruter des électeurs dans les couches les plus naïves de la population ? Pour servir les intérêts de quelque lobby qui la financerait ?

Le soutien du peuple s’achète par la complaisance

Qui l’aurait cru ? Il existe une majorité dans les sondages pour cette révision de l’AVS, qui comporte deux clauses : augmenter l’âge de prise de pension des femmes d’un an et augmenter la TVA de 7,7 à 8,1 %. Ces deux mesures permettraient de protéger ces pensions pendant encore un petit bout de temps, jusqu’en 2030. Elles ne s’inscrivent pas dans une logique pertinente, mais elles définissent une double échappatoire à une impasse politique.

Selon la doxa de la gauche, le travail est tellement épuisant, ennuyeux et dénué d’intérêt que le seul but de l’existence est de travailler le moins possible.  Il faut donc arrêter au plus tôt. Obliger les femmes à travailler un an de plus est une vexation d’autant plus insupportable qu’elles souffrent de l’inégalité des revenus durant leur vie active et qu’elles assurent l’essentiel des tâches ménagères. C’est un argument fondé mais Berne fait comme si ce ne l’était pas parce qu’on est vraiment coincé.

Ces arguments de la gauche ne convainquent plus l’opinion publique. Ou du moins les hommes qui votent dans une large majorité pour cette révision. Mais beaucoup de femmes en sont aussi convaincues. Il semble donc que l’opinion publique ait viré. Elle admet une évidence : si la durée de la vie s’allonge, les besoins du marché augmentent et il faut travailler plus pour les satisfaire. Si le pourcentage de retraités augmente dans la population, le rapport entre travailleurs et pensionnés se détériore.

Depuis la création de l’AVS en 1948, l’espérance de vie à 65 ans a doublé environ de dix à vingt ans. Dès lors il n’y a que quatre mesures pour maintenir l’équilibre du système : doubler les cotisations durant la vie active, diminuer de moitié les pensions, travailler dix ans de plus, introduire massivement dans le système des travailleurs dont la formation antérieure à l’étranger n’a rien coûté. Seule la dernière mesure a été utilisée systématiquement et aveuglément. La réaction négative du peuple sur ce sujet constitue le fond de commerce du plus important parti suisse. Elle fausse complètement le débat. Il est bien entendu impossible diminuer les pensions qui sont déjà dérisoire. Augmenter les cotisations diminuerait le pouvoir d’achat d’autant plus que l’on retombe dans l’inflation.

L’autre échappatoire consiste à financer l’AVS en augmentant la TVA. C’est une solution doublement absurde : elle réduit le pouvoir d’achat de tout le monde sans que ce soit trop visible mais aggrave l’exception de la Suisse comme pays cher ; comme les retraités modestes dépensent toute leur pension en achats de première nécessité, on diminue de fait leur pension.

Dernière question : pourquoi augmenter l’âge pour les femmes et pas pour les hommes. La réponse est évidente : la réforme ne passerait pas. Telle qu’elle est, sa réussite dépend du vote des hommes, favorables à plus de 70%, puisqu’ils n’ont rien à y perdre. Si seules femmes votaient la réforme ne passerait pas. Le Conseil fédéral n’a d’autre ressource que de proposer complaisamment des mesures qui recueillent un oui en votation : il n’est pas en mesure de définir une politique à long terme. Ce n’est pas de sa faute : c’est conforme aux institutions.