The Irishman de Martin Scorsese à la conquête de Rome

La salle obscure remplie d’Italiens éclate de rire. Le dialogue entre les personnages de Robert De Niro et de Joe Pesci est pourtant des plus sérieux – le passé en Italie du premier durant la seconde guerre mondiale. Mais l’échange se fait dans la langue de Dante. Frank « Irishman » Sheeran l’a apprise sur place. Il surprend Russell Bufalino, l’homme que l’on devine criminel l’ayant pris sous son aile. Il surprend aussi le spectateur italophone : les deux hommes se lancent dans un échange, entre l’Italien et le dialecte sicilien, difficile à suivre vu l’approximation de la diction et la disparition des sous-titres.

 

Joe Pesci (Russell Bufalino) et Robert De Niro (Frank Sheeran) dans The Irishman

Plus d’un mois avant sa diffusion sur Netflix, le 27 novembre, The Irishman de Martin Scorsese tente de conquérir l’Italie lors de la Festa del cinema, le festival du cinéma de Rome. En conférence de presse lundi 21 octobre, le cinéaste aux origines italiennes défend une œuvre « mélancolique » sur « la condition humaine ». D’une belle durée de 210 minutes, soit trois heures et demi, elle raconte, sur plusieurs décennies, l’histoire « de l’un des plus grands mystères irrésolus de l’Histoire américaine » selon la production, ou la disparition du syndicaliste Jimmy Hoffa, interprété par un Al Pacino au sommet de son art. Le spectateur est ainsi plongé au cœur de la criminalité organisée de l’Amérique d’après-guerre, à travers les yeux de Robert De Niro.

Martin Scorsese tenait à faire un film « avec ses amis ». Il n’envisage donc pas un instant à d’autres acteurs pour interpréter les rôles des jeunes ou très vieux Robert De Niro ou Joe Pesci. Le problème se pose moins pour le personnage d’Al Pacino. Il utilise alors des effets spéciaux « expérimentaux » permettant de rajeunir les acteurs. Ainsi, ôter 30 ou 40 ans à un homme le rend artificiel, mais n’enlève rien à la performance. Et la technologie est par chance utilisée avec parcimonie. Celle-ci pose aussi la question du rapport à la mort – serait-il possible de voir dans de prochains films des acteurs reprendre vie, comme la Greta Garbo de l’affiche du festival de Rome ? – l’un des thèmes de la pellicule.

 

Martin Scorsese lundi 21 octobre sur le tapis rouge du Parco della Musica, où se tient le festival du cinéma de Rome

Pour tester cette nouvelle technologie, en 2015, Robert De Niro rejoue une scène des Affranchis (Goodfellas, 1990). Les évolutions ont été si rapides, se réjouissent à Rome le réalisateur comme la productrice du film, que la version finale de The Irishman remonte « seulement à six ou sept semaines ». Mais un tel film, à travers les canaux classiques de production, n’aurait jamais pu voir le jour sans Netflix, regrette Martin Scorsese, qui a vu dans la plateforme son sauveur. Le cinéma en tant que salle obscure, en tant que grand écran, perd alors pour le cinéaste de son importance car « encore faut-il que les films soient produits, réalisés puis vus ». Donc aujourd’hui, peu importe comment ils sont vu, pourvu qu’ils le soient, même en streaming à la maison. S’il rappelle que « ces dix dernières années », il a dû mener des batailles pour financer ses films, le réalisateur semble s’être résigné à réaliser ses longs-métrages simplement « pour un écran et un public ».

 

Antonino Galofaro

Diplômé en Histoire et esthétique du cinéma à l'Université de Lausanne, Antonino Galofaro est le correspondant du «Temps» en Italie.

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