« Les “dames” en fourrure de la Milan aisée crachèrent sur le cinéaste et sur le protagoniste du film, Marcello Mastroianni, les accusant de livrer le pays aux bolchéviques. » La première de La dolce vita, le 5 février 1960 au cinéma Capitol, à deux pas du théâtre la Scala, est pour le moins « turbulente », comme le raconte l’historien et critique cinématographique Alberto Crespi dans son ouvrage Storia d’Italia in 15 film (« Histoire d’Italie en 15 films », Laterza, 2016). Cet épisode contraste avec l’image glamour aujourd’hui du film, connu surtout pour la scène iconique de l’acteur principal et Anita Ekberg dans la fontaine de Trevi, à Rome.
En 2020, le chef d’œuvre de Federico Fellini fêtera le 60èmeanniversaire de sa sortie en salle. L’Italie s’apprête aussi à célébrer cette même année le centenaire de la naissance du plus célèbre cinéaste italien. Ce blog dédiée au cinéma transalpin s’ouvre dans la perspective de ces rendez-vous. Il proposera bien sûr des articles dédiés au réalisateur couronné d’oscars et d’une palme d’or, mais aussi et surtout au cinéma et à l’industrie cinématographique italienne et au cinéma en Italie. À commencer cette semaine par le festival – rebaptisé « fête » – de Rome, où était présenté lundi 21 octobre le dernier film de Martin Scorsese The Irishman.
La dolce vita prête son nom à ce blog, dans un clin d’œil facile à ces prochaines célébrations, mais aussi pour rappeler l’œuvre ayant marqué l’histoire du cinéma. Elle « libère l’imaginaire de Fellini et lui ouvre les portes de l’onirisme et de la psychanalyse », écrit l’historien et critique Jean Antoine Gili dans Le cinéma italien (Editions de La Martinière, 2011). Il s’agit pour lui d’un « film charnière entre une manière ancienne – linéaire – de faire du cinéma et une façon nouvelle d’agencer le récit en grands blocs autonomes ». Le cinéaste arrive en effet entre deux époques marquantes du cinéma italien, entre le néoréalisme après la seconde guerre mondiale et l’âge d’or du cinéma transalpin, auquel il contribue largement.
Dans les années cinquante, Federico Fellini fait en effet partie d’une nouvelle génération de cinéastes appelée à « dominer l’histoire du cinéma italien », raconte encore Jean A. Gili. Dès le début de sa carrière, « Les Vitteloni (1953), La Strada (1954), Il bidone (1955), Les Nuits de Cabiria (1957), ont une autonomie expressive qui confèrent déjà à leur auteur un plein épanouissement », ajoute l’historien. « Avant la révolution de La dolce vita et de Huit et demi, Fellini est déjà un point de référence du cinéma italien, écrit-il encore, il a pleinement assimilé les leçons du néoréalisme et les a nourries du pouvoir visionnaire de son imagination : avec lui s’accomplit la transformation entre une réalité saisie dans ses composantes authentiques et une réalité recréée par la fantaisie et le rêve. »
La dolce vita est incontournable dans l’histoire du cinéma. Mais comme en témoigne la première à Milan, son accueil est mitigé. Interdit au moins de 18 ans [NDLR ou 16 ans selon les sources] lors de sa sortie en salle, il fut de plus vivement critiqué par l’Eglise. Celle-ci avait peu apprécié la manière dont Federico Fellini avait dépeint Rome, un « lieu de vice et de perdition », résume Jean A. Gili, ainsi « les projections furent interdites aux catholiques sous peine d’excommunication ». Cela ne fit qu’attiser d’autant plus la curiosité des Italiens. « Aussi grâce à cette publicité involontaire, La dolce vita récupéra en quinze jours les 800 millions de lire dépensés par les producteurs », relate Alberto Crespi.
Avez-vous vu La dolce vita ? Qu’en pensez-vous ? Quels autres films de Federico Fellini vous ont marqué ?
Vos commentaires sont les bienvenus
Bonjour,
en ce qui concerne l’historique de la sortie du film, puisque j’avais 14 ans à l’époque, je me souviens que l’interdiction concernait les mineurs de 16 ans, et non pas 18, chose qui pour l’époque et malgré l’opposition de la Démocratie Chrétienne alors au pouvoir, était assez progressiste. Quant à l’Église, dont je ne suis pas une fervente, elle était aussi partagée. D’un côté le Vatican qui, selon moi, faisait son boulot vu ce qu’il a toujours exigé de ses ouailles, de l’autre les jésuites qui appréciaient le film avec les mêmes arguments de Pasolini : Angelo Arpa, jésuite et critique cinématographique, dit du film qu’il était le plus beau prêche qu’il avait jamais entendu et lui evita la censure totale. Le Vatican a fait beaucoup de bruit et a invité ses fidèles à prier pour Fellini et le Centre catholique du Cinema les “invita” à ne pas aller le voir.
Donc il n’y a pas eu ménace d’excommunication et le film est sorti en Italie mais interdit en Espagne. L’histoire de l’excommunication comme celle des Dames en fourrure ( le sciure impellicciate ) sort de la plume de Natalia Aspesi dans un article de La Repubblica de 2010, où elle crache son venin sur les dames de la haute tout en cherchant de les imiter et de les côtoyer dans la vie mondaine. Pour des critiques sérieuse du film et du cinema italien en général :
– Dizionario Morandini
– Pier Marco De Santi
– Tullio Kezich
Pour les Français, vu mon âge, je suis restée à Georges Sadoul.
En attendant votre prochain post avec impatience…
Bonsoir,
Merci pour votre lecture attentive, etvotre réponse et témoignage ! En effet, selon les sources, l’interdiction varie entre 16 et 18 ans, et me suis fié aux deux historiens que j’ai lu. Mais j’ai tout de même apporté une modification à l’article. Et merci surtout pour vos précisions sur l’accueil du film que vous avez vécu, très intéressant, je suis allé me renseigner davantage sur le père Arpa. Pour le reste, encore une fois, ce modeste premier article se base sur mes recherches et deux livres d’histoire du cinéma que je cite.
Bien à vous,
AG
Ce film a eu un fort impact qui est resté dans les mémoires : « Faire la dolce vita », cette expression qui est née après le film était encore la nôtre à dix-sept ans, en 1969, et même à trente-cinq ans le samedi soir : « Allons faire la dolce vita ! » Si nous ne nous étions pas fatigués avec l’âge, nous continuerions à dire ainsi au lieu de bâiller en regardant l’heure. Il m’arrive de temps en temps d’être le grand-père vers qui les ados viennent poser des questions sur la jeunesse de mon temps, et moi ensuite sur la leur qu’ils vivent en direct. La prochaine fois je leur demanderai si, comme moi à leur âge, ils partent « faire la dolce vita », et on parlera de ce film s’ils n’en ont pas encore eu connaissance dans leur famille !
Merci pour votre beau témoignage ! Alors rassurez-vous, moi ici à Rome, j’utilise encore cette expression ! Donc elle passera d’une manière ou d’une autre aux générations futurs, espérant qu’elles continuent de voir “la dolce vita” originale. Au plaisir de vous relire !
Bien à vous,
AG
la jeunesse de mon temps, et moi ensuite sur la leur qu’ils vivent en direct.