«Je suis un freak du cinéma italien»

Interview. Le réalisateur italien Gabriele Mainetti offre avec Freaks Out une lettre d’amour au cinéma. D’E.T. l’extra-terrestre à Indiana Jones, son nouveau film regorge d’innombrables références. Le cinéaste romain nous prend par la main et nous plonge dans le monde cinématographique avec lequel il a grandi et qu’il aime avec la même passion aujourd’hui encore. Cinq mois après sa sortie italienne et sa sélection à la mostra de VeniseFreaks Out débarque dans les salles obscures françaises ce mercredi 30 mars. Entretien passionné.

 

Le réalisateur Gabriele Mainetti (à gauche) sur le tournage de Freaks Out avec Claudio Santamaria et Pietro Castellitto (© 01 Distribution)

Qu’espères-tu que les spectateurs retiennent de ton film ?

Je propose ma vision du monde. Le thème de la diversité est au centre du récit, une aventure alimentée par tout mon amour pour le cinéma avec lequel j’ai grandi. Mais qui se cherche aussi une propre identité. Le film raconte comment ces personnages évoluent et réfléchissent sur ce que signifie être différents. Tu peux ressentir dans ta diversité un malaise comme quelque chose de supérieur. La différence peut être synonyme d’anormalité quand en réalité elle est pour moi synonyme d’identité. Ce qui est important, c’est que grâce à cette orgie de cinéma, le spectateur se soit amusé tout en ayant compris comment la différence peut être accueillie ou refoulée.

 

«Que grâce à cette orgie de cinéma, le spectateur s’amuse»

 

La diversité est un thème que l’on retrouve aussi dans ton premier film On l’appelle Jeeg Robot. Pourquoi la raconter à travers le fantastique, à travers des super-héros ? 

Car en Italie, tu es déjà différent si tu fais un film de ce genre. Ici, on pense que le cinéma fantastique appartient encore à l’esprit enfantin et peu mature de l’auteur. Mais ce que je retiens de ma carrière, également de celle d’acteur durant 15 ans, c’est que to play, cela veut dire jouer. Quand je réalise un film, je suis sérieux dans la manière de raconter, de mettre en scène, mais je veux aussi m’amuser. Et pour moi, jouer signifie revenir près du cinéma avec lequel j’ai grandi : Indiana Jones, 007, les comédies à l’italienne de Mario Monicelli comme L’armée Brancaleone ou Mes chers amis, Sergio Leone, qui disait toujours que l’Ouest était pour lui un terrain de jeu où il jouait avec ces personnages. Cette envie de sérieusement jouer avec le cinéma est quelque chose qu’en Italie est perçue comme anormale, donc différente. Dans le monde du cinéma italien, Freaks Out est un freak. Pour moi, il est unique, même si prévisible et fils de beaucoup d’imperfections. Mais il est certainement très différent dans le panorama cinématographique italien.

 

«Dans le monde du cinéma italien, Freaks Out est un freak»

 

Tu es donc toi-même un freak du cinéma italien ? 

Totalement. J’ai toujours été un freak, je n’ai jamais eu de demeure fixe, j’ai toujours changé d’école, je n’ai jamais appartenu à un groupe spécifique. Je recherchais mon identité. Lorsque j’ai débuté dans le cinéma, à 19 ans, en réalisant mes premiers court-métrages, on me demandait pourquoi je ne voulais pas réaliser des films comme les autres, avec la caméra à la main, avec ces histoires intimistes, au regard plus contemporain; on disait de mes premières oeuvres qu’elles étaient vieilles, des années 40. Que dois-je faire? Je me sens comme ça. Si je me trahis, je n’ai plus rien à raconter. Je cherche toujours à m’intéresser à autre chose, comme le thème de la diversité, mais je ne peux ensuite que me replier formellement sur le cinéma que j’ai toujours aimé. J’espère ensuite que l’on en perçoive l’originalité. Le film est extrêmement imparfait, mais il était pour moi fondamental de ne pas perdre de vue On l’appelle Jeeg Robot, un film refoulé par toutes les maisons de production italiennes mais qui a ensuite eu le succès qu’il a eu. 

Qu’est-il arrivé au cinéma italien ? Est-il devenu paresseux ?

Il s’est refermé sur lui-même. La politique en est en partie responsable. Je crois qu’à un certain moment, le cinéma italien, à cause de ses très grands auteurs, de Fellini, d’Antonioni, de Rossellini, s’est lentement pris trop au sérieux. Il a créé un écart trop important entre ce grand cinéma et de grandes conneries. Notre héritage aujourd’hui a encore accentué cet écart. Nous avons donc désormais la comédie stupide, démentielle et bête ou l’oeuvre présumée importante d’un bourgeois-bohème ne regardant que son nombril en pensant raconter des histoires intéressantes pour le public. Mais ce genre de films ne fonctionne plus car, d’autant plus avec la pandémie, il n’intéresse plus les spectateurs.

 

Claudio Santamaria, Pietro Castellitto et Giancarlo Martini dans une scène de Freaks Out, de Gabriele Mainetti (© 01 Distribution)

Dans ce contexte italien, comment as-tu réussi à réaliser ce film atypique ?

J’ai gagné la confiance des investisseurs grâce au succès de On l’appelle Jeeg Robot. Et je suis moi-même producteur: J’ai investi dans ce nouveau projet tous les gains de mon premier film. J’espérais naïvement que les autres auraient suivi, ce qu’ils ont fait en partie, comme Rai Cinema. Mais je suis convaincu que si je n’avais pas été le producteur exécutif, il aurait été impossible faire ce film. Tous les jours, j’ai dû revoir mes ambitions à la baisse. Durant le tournage, on s’est retrouvé devant quelque chose qui n’avait jamais été fait ici. Ce qui est très important pour moi, c’est que ma vision et la mise en scène démontrent que l’on peut faire de tels films en Italie.

On voit dans le film tout ton amour pour Steven Spielberg, pour Sergio Leone, pour tant d’autres. Quel cinéma t’enthousiasme aujourd’hui ? 

C’est une très belle question. [rire et longue pause] Aujourd’hui, le cinéma que j’ai toujours adoré, celui des États-Unis, ne me surprend plus. Steven Spielberg me surprend encore, même si je n’ai pas encore vu West Side Story. Quand il s’agit du grand maestro, il faut que je sois dans les meilleures conditions possibles pour voir l’un de ses films. Parmi les réalisateurs d’aujourd’hui, j’aime Denis Villeneuve et Christopher Nolan, même si avec un peu de réserve.

 

«Titane est l’un des plus beaux films de ces dix dernières années»

 

Le dernier film qui m’a secoué, qui m’a poussé à lâcher un «putain de merde, ça c’est du cinéma», c’est Titane, de Julia Ducournau. C’est un film fou, l’un des plus beaux de ces dix dernières années. C’est peut-être l’heure des Européens. Je crois que le cinéma, dans sa forme concrète, représente le besoin du spectateur de sortir de sa propre vie. En achetant un billet, il attend quelque chose de spécial, d’extraordinaire. Les gens ont besoin d’avoir un rapport ludique avec le cinéma.

Antonino Galofaro

Diplômé en Histoire et esthétique du cinéma à l'Université de Lausanne, Antonino Galofaro est le correspondant du «Temps» en Italie.