Marlon Joubert, touché par la main de Dieu

Portrait. « Tu as un visage conventionnel, tu ressembles à un serveur d’Anacapri. » Marchino est démoralisé. Il n’a pas obtenu le rôle. Il le répète à qui veut l’entendre. La scène est issue de La main de Dieu. Paolo Sorrentino met en abîme Marlon Joubert, qui a, lui, passé avec succès le casting du film du cinéaste oscarisé. L’acteur napolitain de 33 ans débute sa carrière sur grand écran. « Je ne crois pas que cela aurait pu mieux se passer, sourit-il. J’ai toujours rêvé de travailler avec ce réalisateur. » Il répond assis à une table du bar romain The place, décor du film homonyme de 2017.

30 minutes de retard. Résultat de célébrations après l’annonce, la veille, de la sélection du film aux Golden Globes ? Non, l’acteur souriant et mortifié est simplement étourdi. Il interprète le grand frère du protagoniste Fabietto, incarnation cinématographique d’un jeune Paolo Sorrentino. Le metteur en scène transpose au cinéma un drame personnel. Dans la Naples des années 80, il perd ses parents lors d’un accident dans leur maison de villégiature. Seul l’envie de voir jouer un Maradona fraichement débarqué dans le sud de la péninsule sauve l’adolescent.

Nouveau chef-d’œuvre du réalisateur primé aux Oscars pour La grande bellezza en 2014, Paolo Sorrentino propose le meilleur de son cinéma tout en faisant l’autocritique de son art. Après 20 ans de carrière et neuf films, il a enfin quelque chose à raconter, lance-t-il à un spectateur déconcerté. « Je veux une vie imaginaire, comme celle que j’avais avant, lance Fabietto au réalisateur Antonio Capuano après la disparition de ses proches. La réalité me déçoit, c’est pour ça que je veux faire du cinéma. » « Tout le monde veut faire ce putain de cinéma, s’irrite son interlocuteur. Tu as quelque chose à dire ou tu es juste un con comme tous les autres ? » Silence.

 

La main de Dieu, de Paolo Sorrentino (Photo : Gianni Fiorito)

Marlon Joubert ne sait pas à quel point la pellicule est fidèle à l’histoire de Paolo Sorrentino. « C’est ce qui m’intéressait le moins, confie-t-il. Le scénario est ma référence. Pour moi, tout ce qu’il contient est vrai. S’il avait écrit avoir vu des extraterrestres, je l’aurais cru, c’est cela être un acteur. » Le comédien ne doit donc pas calquer son interprétation sur aucune personne réelle. « Sorrentino nous a demandé, à Filippo Scotti et moi, de ne pas préparer les scènes entre frères, de tenter un saut dans le vide. Il voulait que nous créions un vrai rapport entre nous. Nous avons donc passé énormément de temps ensemble. Filippo a une grande sensibilité humaine et artistique. »

 

« Il est plus facile de travailler avec des monstres du cinéma »

 

Les deux jeunes hommes sont entourés d’un casting prestigieux composé de Toni Servillo, Teresa Saponangelo, Luisa Ranieri ou encore Renato Carpentieri. « Il est plus facile de travailler avec des monstres du cinéma, se réjouit Marlon Joubert. Ils ont réussi à créer une harmonie familiale qui aide beaucoup un acteur. » Le metteur en scène est d’ailleurs « le premier à nous admirer lorsque nous travaillons. Paolo [Sorrentino] n’impose pas sa vision mais il est très curieux. Il sait mettre à l’aise et il observe. Quand l’on se trouve face à une personne sachant regarder, on se sent libre de s’exprimer. »

Marlon Joubert, qui doit son nom à ses lointaines origines lyonnaises, exprime son amour de l’interprétation depuis qu’il a 15 ans, lorsqu’il partait en tournée théâtrale à travers toute l’Italie. « J’ai débuté de manière spontanée, par hasard, se rappelle-t-il. Et je ne me suis plus arrêté. » Par hasard ou presque, car petit, il aimait répliquer pour sa famille des scènes comiques. « Je suis tombé amoureux du cinéma grâce aux éclats de rire, sourit-t-il. J’ai grandi avec Mister Bean et avec les films de Fantozzi. » Ce potentiel comique cultivé depuis l’enfance est exploité dans la première partie de La main de Dieu, comme lorsqu’au milieu de nombreuses figures loufoques, Marchino se voit rejeté à cause de son interprétation « conventionnelle », bien loin de celle, touchante, de Marlon Joubert.

 

Marlon Joubert interprète Marchino dans La main de Dieu, le nouveau film de Paolo Sorrentino (Photo : Paolo Pellegrin/Magnum Photos)

Antonino Galofaro

Diplômé en Histoire et esthétique du cinéma à l'Université de Lausanne, Antonino Galofaro est le correspondant du «Temps» en Italie.

2 réponses à “Marlon Joubert, touché par la main de Dieu

  1. Merci pour votre article.
    Je découvre La main de Dieu aujourd’hui.
    Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas vu un tel bijou cinématographique.
    L’intiminité entre les comédiens est palpable, c’est un éblouissement tant des sentiments que des émotions.
    Du grand cinéma.

    1. Heureux que vous ayez apprécié ce grand film, mon oeuvre italienne préférée de l’an dernier, une année riche pour le cinéma transalpin, après des mois mornes liés, je crois, à la pandémie. Heureux aussi que vous ayez apprécié l’article et, j’espère, appris quelque chose en plus sur le film et sur cet acteur que j’ai beaucoup apprécié.
      Du grand cinéma en effet. Il a fallu à Sorrentino 20 ans de carrière et des films tels La grande bellezza et Youth pour rentrer vraiment, avec ce film, dans l’Histoire du cinéma italien. Ou du cinéma, tout court.
      Bien à vous. Et belle nouvelle année

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