La farce de l’Eurogroupe

L’accord trouvé lors de la réunion de l’Eurogroupe du 24 mai est une farce et il est regrettable que personne ne l’ait fait remarquer dans la presse. Les décisions prises lors de cette réunion (marathon) ne font que repousser la solution des vrais problèmes tant pour la Grèce que pour l’ensemble de l’Union monétaire européenne en sa constellation actuelle.

Mis à part quelques retouches cosmétiques visant à rendre plus facile l’utilisation des fonds du Mécanisme européen de stabilité, afin que les créanciers de la Grèce soient remboursés aussitôt que celle-ci recevra les prochaines tranches de l’aide financière internationale, l’accord que les membres de l’Eurogroupe ont signé à 2 heures du matin du 25 mai, après neuf heures de discussions, renvoie à 2018 toute décision en ce qui concerne l’allégement de la dette publique grecque, sans quoi il n’y a aucune possibilité pour Athènes de sortir le pays de la crise profonde et dramatique qui afflige la population et l’économie nationale.

2018, en effet, représente la fin du troisième programme d’aide que les créanciers de la Grèce ont mis sur pied (pour soutenir, en réalité, leurs propres banques au lieu de l’économie grecque). Mais il s’agit, surtout, de l’année suivant les élections législatives en Allemagne, qu’il faut de toute évidence ne pas bouleverser par des annulations de dette et des rééchelonnements des échéances pour la Grèce qui pourraient nuire à la classe politique au pouvoir en Allemagne – et qui domine le reste de la zone euro sans avoir la vision nécessaire pour le bien commun.

Or, pour une fois (qui toutefois n’est pas coutume), le Fonds monétaire international avait raison en demandant à l’Eurogroupe de prendre tout de suite une décision qui s’imposera toute seule à la fin du troisième et peut-être pas dernier plan d’aide pour la Grèce: l’abandon d’une partie importante des créances internationales envers Athènes, qui sont très clairement inexigibles à long terme, ainsi qu’une suspension au moins jusqu’en 2040 de tout remboursement de la dette publique grecque.

Le court-termisme n’est pas uniquement une pathologie des banquiers d’affaires. Il affecte aussi clairement les politiciens élus, qui pensent au prochain rendez-vous électoral au lieu de s’occuper de l’intérêt général avec le courage et la clairvoyance que leur position exige pour être à la hauteur des défis contemporains. Pauvre Europe!

La «loi travail» créera du chômage

À l’instar du «Jobs Act» adopté en 2014 par le gouvernement italien et vivement voulu par le Premier ministre Matteo Renzi, en France la «loi travail» (appelée aussi «loi El Khomri», du nom du ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social qui a présenté le projet) repose sur une conception erronée des causes du chômage.

Selon la pensée dominante en «sciences économiques», le chômage serait le résultat de «rigidités» sur le marché du travail décourageant (voire empêchant) les entreprises d’engager des collaborateurs pour réaliser des projets d’investissement pouvant bénéficier à l’ensemble du système économique. La protection contre les licenciements étant considérée par les entreprises et les économistes orthodoxes comme une entrave pour maximiser le niveau d’emploi, il faut limiter les droits des travailleurs afin d’inciter les entreprises à en engager davantage. Cela est l’essence des «réformes structurelles» du marché du travail italien, espagnol, allemand et désormais aussi français.

Or, nul besoin d’être un économiste hétérodoxe pour comprendre que, en l’état, les entreprises françaises confrontées à la pire des crises économiques depuis une centaine d’années (bien pire que la «Grande dépression» des années 1930) ne vont pas engager des travailleurs si leurs perspectives ne s’améliorent pas de manière considérable. Pour que cela se réalise, en fait, il faut nécessairement que la demande sur le marché des produits français augmente à tel point d’absorber toute la production réalisée par les entreprises dans l’Hexagone. Il s’agit de toute évidence d’une situation qui est loin de s’avérer, étant donné les énormes inégalités dans la répartition du revenu et de la richesse, qui sont à l’origine d’une crise de sous-consommation en France (et dans bien d’autres pays).

En l’état, faute d’une meilleure répartition du revenu et de la richesse, la «loi travail» va donc permettre aux entreprises françaises de faire face à moins de problèmes juridiques (entendez moins de coûts pour dédommager les travailleurs licenciés pour motifs économiques), sans pour autant induire celles-ci à engager davantage de collaborateurs tant que la situation sur le marché des produits reste déflationniste – ce qui se traduit également par une déflation salariale, empêchant les entreprises d’écouler toute leur production et amenant alors nombre d’entre elles à couper progressivement dans leurs effectifs, à travers une spirale perverse qui nuit aussi bien à la stabilité financière qu’à la cohésion sociale à travers l’économie française. La Bible l’avait déjà résumé parfaitement: «On récolte ce qu’on sème» (Ezéchiel 18.1-32).

La fable de l’hélicoptère monétaire

L’image (ou le spectre) de l’«hélicoptère monétaire» inventé par le chef de file de l’école monétariste (Friedman, 1969, p. 4) hante les esprits et semble désormais être la seule possibilité pour sortir la zone euro de la crise qui se répercute aussi sur le taux de change du franc suisse avec les conséquences négatives que l’on observe depuis bien des années, notamment en ce qui concerne le tourisme et les exportations suisses.

Milton Friedman, en effet, avait fait appel à un hélicoptère censé lancer des billets de banque sur la population d’une économie nationale, pour expliquer qu’en fin de compte cette politique monétaire expansionniste, à travers l’augmentation de la quantité de monnaie en circulation, peut uniquement induire une augmentation des prix à la consommation, car (sous l’hypothèse du plein-emploi) les entreprises ne peuvent produire davantage. Dans une situation déflationniste, alors, il semblerait qu’un tel hélicoptère puisse renverser la tendance de l’évolution des prix à la consommation, permettant aux banques centrales concernées d’avoir bien des chances d’atteindre leurs objectifs d’inflation (proche mais en deçà de 2 pour cent par année en ce qui concerne la zone euro).

L’idée friedmanienne n’est pas simplement saugrenue, à une époque où le taux de chômage (involontaire) dans bien des pays européens a dépassé celui atteint au sommet de la Grande dépression des années 1930. Elle est aussi essentiellement erronée pour plusieurs raisons de nature conceptuelle et factuelle tout à la fois.

Tout d’abord, l’émission de monnaie n’est pas une création spontanée d’un pouvoir d’achat car celui-ci est toujours et partout le résultat d’une production – que la monnaie ne fait que mesurer (numériquement) en termes économiques par une écriture à partie double dans le système bancaire. Il ne faut dès lors pas confondre le moyen de paiement avec l’objet de ce paiement: celui-ci est toujours le résultat d’une production, alors que celui-là est créé pour être aussitôt détruit lorsque le paiement a eu lieu – la monnaie émise laissant la place à un dépôt bancaire, qui, lui, a un pouvoir d’achat dans la mesure de la production qui lui est en fait associée.

Ensuite, contrairement à la vision monétariste, la monnaie émise par la banque centrale n’est pas soumise à un processus de multiplication au fur et à mesure qu’elle est déposée dans une banque, qui s’en prévaut pour octroyer des crédits sachant que seule une partie des sommes y déposées sera retirée pour être dépensée par ses titulaires. En réalité, les banques octroient des crédits indépendamment des dépôts que les clients leurs confient et vont chercher les réserves de monnaie centrale après avoir décidé le montant des crédits octroyés. Cela explique aussi qu’une banque centrale ne peut jamais refuser de donner aux banques les sommes de monnaie centrale que celles-ci lui demandent car un tel refus entraînerait une crise bancaire systémique.

On l’aura compris, la monnaie ne tombe pas du ciel mais est émise par toute banque lorsqu’un paiement a lieu. De là, il ne peut y avoir aucune émission monétaire s’il n’existe pas de transactions à régler. Il faut dès lors que la politique budgétaire des États membres de la zone euro – à commencer par l’Allemagne – devienne expansive, induisant ainsi une augmentation de la demande de crédit bancaire par les entreprises qui vendent davantage de produits grâce à la relance budgétaire. Cela est la condition sine qua non pour demander à Mario Draghi de faire appel à son hélicoptère, rangeant son propre bazooka dans la boîte à outils – qu’il faut fermer à double tour afin d’en éviter une utilisation qui ne peut que s’avérer dangereuse pour la stabilité financière de l’Euroland.

Référence

Friedman, M. (1969), The Optimum Quantity of Money and Other Essays, Chicago: Aldine Publishing.

La prochaine crise de surproduction

La «quatrième révolution industrielle» – au centre de laquelle se trouvent l’automatisation, la digitalisation et la robotisation de bien des activités économiques – va vraisemblablement bouleverser le marché du travail et, de là, l’ensemble du système économique au plan national et global durant la deuxième moitié de ce siècle.

Si lors des trois précédentes révolutions industrielles (aux XVIII, XIX et XX siècles) la destruction créatrice du progrès technique a déplacé un nombre important de places de travail d’un secteur d’activité à un autre – avec somme toute une création nette de ces places dans l’ensemble de l’économie nationale –, la quatrième révolution industrielle n’aboutira pas au même résultat à cet égard, en ce qui concerne surtout les pays avancés sur le plan économique.

La globalisation et la financiarisation des activités économiques sont à présent déjà trop poussées à leurs extrêmes pour envisager un retour en arrière, faisant en sorte que l’économie et la finance permettent de satisfaire les besoins humains au lieu de continuer à être un joug pour une grande partie de la population mondiale.

L’assujettissement des choix stratégiques des entreprises de l’économie «réelle» aux mobiles des acteurs sur les marchés financiers ainsi que, de manière induite, la recherche mordicus d’avantages compétitifs par la réduction du «coût salarial unitaire» vont amener les entreprises de tout bord à remplacer de plus en plus de collaborateurs par des robots ou des «software intelligents». Cette tendance est déjà très clairement amorcée dans les domaines d’activité les plus divers, notamment dans l’industrie et de plus en plus également dans le secteur des services, y compris les médias, l’enseignement, les consultations médicales et les services financiers disponibles en ligne.

Or, s’il est vrai que désormais les voitures sont construites – et bientôt aussi conduites – par des robots, rendant de ce fait inutile l’intervention humaine, force est de considérer que les robots n’achèteront jamais de voitures. Si l’on veut dès lors éviter une crise de surproduction à l’instar de celle qui continue de sévir dans le monde occidental, il faut s’activer pour mettre sur pied un nouveau modèle de société résilient aux crises de surproduction engendrées par le régime économique actuel. Pour y arriver en douceur, l’adoption de l’initiative populaire fédérale «Pour un revenu de base inconditionnel» en Suisse serait une étape importante, parce qu’elle permettrait d’ouvrir la voie à un système économique qui sert le bien commun dans l’intérêt général de ses parties prenantes.

Quelle sécurité en Europe?

Le Vieux continent n’est plus celui d’antan. Le modèle européen de l’«économie sociale de marché» a été progressivement détruit, pour être remplacé par le néolibéralisme d’origine anglo-saxonne, où l’État n’est qu’une entrave à la maximisation du profit de l’élite au pouvoir – qui passe sous silence le fait que ce pouvoir transgresse les règles de la concurrence «pure et parfaite» pourtant prônée par cette même élite avec l’appui intéressé des économistes de la pensée unique au niveau académique.

Les attaques terroristes que la population européenne vient de subir, d’abord à Paris et ensuite à Bruxelles, ont relancé le débat concernant la sécurité intérieure au sein d’un espace – l’Union européenne – que l’on prétend être intégré à différents niveaux (politique, économique, monétaire et financier). La réponse esquissée, fort timidement, par les autorités politiques au plan européen semble aller dans le sens d’un keynésianisme militaire, entendez que le consensus politique au sein du Vieux continent table sur une augmentation des dépenses liées à la sécurité intérieure afin de lutter contre le terrorisme islamiste et, de manière accessoire, pour donner un coup de pouce à la croissance économique des pays de l’Euroland, qui continue de représenter le grand malade de l’économie mondiale.

Or, à bien regarder, ce dont la population européenne a le plus besoin n’est pas une augmentation extraordinaire des dépenses publiques au titre de la sécurité intérieure, mais une augmentation considérable des dépenses pour la sécurité sociale, qui d’ailleurs devraient être exclues du calcul des déficits publics excessifs au sens des traités européens, comme le Président de la Commission européenne l’avait proposé en date du 18 novembre 2015 pour les dépenses publiques concernant la sécurité intérieure en France suite aux attaques terroristes parisiennes.

En effet, si la protection sociale de la population européenne était bien assurée, conjointement avec une politique économique promouvant la maximisation de l’emploi, les dépenses (privées et publiques) au sujet de la sécurité intérieure pourraient être réduites de manière utile aussi à assurer l’équilibre des finances publiques à long terme.

Il est vrai qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, mais si cela continue de cette manière, les sourds (politiciens) vont de toute façon devoir continuer à entendre le bruit étourdissant des attentats terroristes et le chagrin lancinant de leurs victimes frappées au hasard. Un homme averti en vaut deux au bout du compte.

L’assouplissement monétaire est d’origine allemande

Bien des politiciens allemands, à l’instar du ministre des finances Wolfgang Schäuble, critiquent ouvertement la politique monétaire «expansionniste» de la Banque centrale européenne (BCE), impliquant notamment des taux d’intérêt à leur plus bas niveau historique au sein de la zone euro et qui sont désormais négatifs pour les liquidités que les banques déposent dans l’Eurosystème (formé par la BCE et les banques centrales nationales de la zone euro).

Les critiques allemandes à l’encontre de la BCE sont justifiées dans la mesure où, visiblement, les programmes d’assouplissement monétaire mis en œuvre ou annoncés par Mario Draghi ne peuvent aucunement sortir la zone euro de sa propre crise, aussi longtemps que la politique monétaire expansive de la BCE doit lutter contre les effets récessifs de la politique budgétaire des États-nations dans l’Euroland, notamment à l’égard des mesures d’austérité adoptées au sein de la «périphérie» de cette zone monétaire.

En fait, le gouvernement allemand devrait reconnaître, ne serait-ce que par souci d’honnêteté intellectuelle et de responsabilité politique, que les programmes faramineux d’assouplissement monétaire de la BCE ne sont que le résultat de l’intransigeance allemande face à l’appel à sortir de l’autisme idéologique néolibéral qui empêche les Allemands au pouvoir dans l’Euroland de comprendre l’urgente nécessité d’une politique de relance budgétaire pour sortir la zone euro de sa propre crise.

Au fond, si la politique allemande était inspirée d’un sain pragmatisme au lieu de s’enliser dans le dogmatisme intransigeant, augmentant les dépenses publiques au plan national et permettant d’en faire de même au niveau de l’Euroland, cette dernière pourrait commencer à sortir de la crise et, de là, la politique monétaire de la BCE pourrait commencer à être «normalisée», entendez que les programmes d’assouplissement monétaire soutiendraient la relance budgétaire au sein de la zone euro de manière à envisager leur fin et, en perspective, l’augmentation lente et graduelle des taux d’intérêt à travers l’Euroland. Comme on fait son lit, on se couche.

Faut-il adopter l’euro en Suisse?

La question de l’euroisation de l’économie suisse a refait surface ces dernières semaines, suite à l’interview d’un entrepreneur bernois par Bilanz, selon lequel l’abandon du franc suisse – pour adopter l’euro – permettrait de résoudre, d’un seul coup, tous les problèmes qui sont attribués (à tort ou à raison) au «franc fort».

À première vue, en effet, si l’on considère les bénéfices que l’adoption de l’euro a comportés pour plusieurs grandes entreprises et banques allemandes durant au moins les dix premières années d’existence de l’Euroland, la Suisse devrait en faire de même, afin surtout de relancer les exportations de ses biens et services dans le reste du monde et de là retrouver le sentier de croissance économique qu’elle avait parcouru durant la première décennie de ce siècle.

Or, il n’en est rien: l’adoption de l’euro en Allemagne a comporté aussi des problèmes, notamment pour bien des personnes appartenant à la classe moyenne, au vu de la destruction de très nombreuses places de travail et de la réduction du revenu disponible des individus qui doivent accepter des conditions de travail et de rémunération indécentes pour un pays soi-disant «avancé» sur le plan économique.

Sous le prétexte d’augmenter la «compétitivité» de leurs produits sur les marchés étrangers, en effet, les grandes entreprises allemandes, rapidement suivies par celles de taille inférieure, ont constamment mis la pression à la baisse sur le «coût salarial unitaire» (correspondant au salaire versé pour produire une unité du bien ou service considéré), qui a ipso facto entraîné une diminution de la capacité d’achat des salariés concernés, se reflétant alors (peu ou prou) sur le niveau des dépenses de consommation, sur les investissements des firmes tournées vers le marché domestique, ainsi que sur les finances publiques allemandes.

L’éclatement de la crise de l’Euroland, fin 2009, a amené à une baisse rapide et considérable du taux de change de l’euro dont la dévaluation profite aux entreprises allemandes tournées vers l’exportation au-delà de l’Euroland et surtout en Asie, en Amérique latine et aux États-Unis. Toutefois, il ne faut pas se leurrer: ce n’est pas en adoptant l’euro que l’économie suisse pourra renouer avec la croissance et surtout avec la création de places de travail pour occuper les personnes au chômage, tant que le leitmotiv des chefs d’entreprise sera basé sur la baisse des «coûts du travail» pour enfler sans cesse des profits qui seront placés sur les marchés financiers car leur investissement productif n’est pas rentable à cause d’une demande insuffisante sur le marché des biens et services.

En réalité, la Suisse doit garder sa monnaie nationale afin de pouvoir mener une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays, comme l’indique l’article 99, alinéa 2, de la Constitution fédérale. Pour ce faire, toutefois, il est impératif que la Banque nationale suisse fasse des choix de politique monétaire orientés au bien commun au lieu de ne servir que l’intérêt particulier d’une poignée de personnes – dont le nombre est inversement proportionnel à leur capacité financière et au pouvoir politique qu’elles détiennent ou arrivent à soudoyer facilement.

Au lieu de vouloir reproduire stupidement le régime de croissance de l’économie allemande, les entrepreneurs suisses devraient s’activer à l’échelle nationale afin que l’autorité monétaire helvétique change son fusil d’épaule avant d’assister à la désertification du paysage industriel dont la Suisse a su entretenir le tissu par un passé désormais lointain et largement oublié également par la classe politique contemporaine.

Crise financière et moins d’État

La crise dans la zone euro a été induite par les institutions financières qui ont voulu profiter de la structure défaillante du système monétaire de l’Euroland, ignorant l’intérêt général parce que cette zone est trop grande pour faire faillite. Les banques, notamment en Allemagne, ont ainsi généreusement prêté aux pays dits «périphériques» dans la zone euro l’épargne domestique découlant de l’excédent de la balance des transactions courantes, permettant aux pays déficitaires d’acheter les produits allemands et d’enfler des bulles du crédit qui ont éclaté dès que la crise financière états-unienne a traversé l’Océan Atlantique en septembre 2008 (suite à la mise en faillite de Lehman Brothers).

Or, au lieu de réformer l’architecture monétaire de l’Euroland selon les règles de l’art, et de faire payer (en les sanctionnant comme il faut) les banques ayant abusé à grande échelle de leur capacité d’octroyer des crédits, les autorités européennes, sous l’influence de l’Allemagne, ont ignoré bel et bien les facteurs de la crise de l’Euroland, pour dénaturer la perception de celle-ci en l’identifiant erronément avec une «crise des dettes souveraines», entendant par là une crise de surendettement du secteur public dans bien des pays membres de la zone euro, surtout à sa «périphérie» méditerranéenne.

L’expression ayant fait mouche auprès des médias, du grand public et de la classe politique, la crise de l’Euroland est alors par définition une crise due à des dépenses publiques excessives, qu’il s’agit dès lors de réduire par des plans d’austérité draconiens sans égard aux effets que cela comporte aussi bien sur le plan social qu’au niveau économique – la plupart d’entre eux étant dramatiques et contreproductifs pour le sort du système économique national et de l’Euroland à moyen–long terme.

En attendant que les véritables origines de la crise de l’Euroland soient reconnues par les tenants des mesures de «consolidation budgétaire», ceux-ci devraient au moins commencer par accepter que les dépenses publiques pour l’aide sociale ne soient pas considérées lorsqu’il s’agit de vérifier le respect du «Pacte fiscal» adopté au niveau de l’Euroland par un coup d’État financier qui ne dit pas son nom. Ce serait déjà une première avancée vers la solution correcte de la crise de la zone euro, dont le «semestre européen 2016» ne laisse aucune chance aux pays présentant des déséquilibres excessifs ainsi qu’à la Grèce – qui est en attente de pouvoir restructurer sa dette publique afin d’éviter de devoir annoncer un défaut de paiement à même de provoquer un «tsunami» politique à l’échelle du Vieux continent. Enclenchez vos sismographes mesdames et messieurs!

L’origine néolibérale du terrorisme islamiste

Les récentes attaques terroristes à Paris et Bruxelles qui ont plongé la population européenne dans la terreur et l’incertitude ne sont pas dues en dernière analyse à la radicalisation des personnes ayant conçu ou mis en œuvre ces actes ignobles et barbares au détriment de l’intérêt général. Au-delà de la composante religieuse, qui n’est qu’une façade médiatique diffusée à l’échelle planétaire, ce qui pousse bien des gens en Europe à se radicaliser de manière agressive contre la société est leur marginalisation (voire exclusion) de cette dernière.

Ces individus, souvent encore très jeunes, ont perdu visiblement tout espoir de réussir à s’intégrer dans la société, étant donné qu’ils vivent avec leurs pairs dans des ghettos laissés pour compte, sans travailler ou suivre une quelconque formation leur donnant l’espoir de réussir à décrocher une place de travail digne de ce nom. Il est donc très facile de les manipuler pour les induire au martyre au nom d’une religion qui vraisemblablement leur est largement inconnue. Mutatis mutandis, cela rappelle la situation italienne des années 1970–80, lorsque les mafiosi n’avaient aucune difficulté à recruter de nouveaux adeptes, dépourvus de tout espoir face à la société dont ils avaient été marginalisés – suite aussi à l’absence de l’État, notamment dans les régions du pays qui avaient le plus besoin d’un soutien public.

La vision néolibérale qui oriente la politique économique aujourd’hui et plus encore que jadis est la cause essentielle des attaques terroristes menées par des individus dont le malaise social est le résultat du «libre marché» poussé à ses extrêmes par les idéologues néolibéraux et les pouvoirs publics. Au lieu d’utiliser l’armée et les services secrets pour frapper et détruire les lieux où les terroristes ont décidé et planifié leur action abominable, mettant ainsi de l’huile sur le feu au lieu d’essayer de l’éteindre, les autorités nationales et celles de l’Union européenne devraient s’engager fermement pour permettre à toutes les personnes désirant et capables de travailler de trouver une place de travail dont les conditions d’engagement et de rétribution salariale leur permettent de s’épanouir tout en s’intégrant dans la société qu’ils contribuent ainsi à développer pour le bien commun.

Or, au nom du «libre marché», désormais mythifié et considéré comme s’il était un Dieu tout-puissant à vénérer, les tenants du néolibéralisme économique continuent mordicus à prêcher le «mantra» des «réformes structurelles» sur le marché du travail, biffant des places de travail qui, en fait, devraient être préservées afin de permettre le plein-emploi des personnes qui souhaitent et peuvent travailler.

La crise économique de l’Euroland, ainsi que la crise des migrants et le terrorisme islamiste qui frappent l’Europe, ne vont pas disparaître aussi longtemps que l’idéologie dominante sera celle qui vise à réduire, sans solution de continuité, le «coût du travail» afin d’augmenter sans cesse le rendement du capital financier, ignorant les règles de la méritocratie au détriment de l’intérêt général.

Tant que la radicalisation néolibérale de la pensée économique évitera coûte que coûte de considérer la cause finale de la situation de crise et de terreur en Europe, la haine autodestructrice mortelle l’emportera sur tout le reste. Asinus asinum fricat.

La fable du chômage naturel

Tout-e économiste en devenir apprend dans sa formation académique de base qu’il existe un «taux de chômage naturel», compatible avec la stabilité des prix à la consommation. L’idée remonte aux travaux de M. Friedman, le père de l’École de Chicago, qui dans les années 1950 fut à l’origine d’une contre-révolution en science économique, remplaçant la pensée keynésienne par l’idéologie néolibérale devenue une pensée unique de nos jours.

L’existence d’un chômage naturel induit les économistes, ainsi que les décideurs politiques, à penser qu’il serait vain de lutter contre cela, car la réduction du taux de chômage au-dessous de son niveau «naturel» ne pourrait être qu’un phénomène transitoire et, qui plus est, amenant le niveau général des prix à augmenter de plus en plus au fil du temps.

Cette fable du chômage naturel a eu évidemment des retentissements, de plus en plus bruyants, au niveau des politiques économiques mises en œuvre par les gouvernements, notamment au plan européen. Ainsi, depuis le début de ce millénaire, la Commission européenne publie un document annuel par lequel elle propose une estimation du «chômage naturel» (abrégé NAWRU en anglais) qui, comme par hasard, a été de plus en plus élevée depuis que la crise globale a éclaté en 2008. Cela envoie donc un message clair aux décideurs politiques: «ne luttez pas contre le chômage car celui-ci est de plus en plus inéluctable à travers la zone euro». De surcroît, si le taux de chômage publié officiellement, désormais avec une fréquence mensuelle, pose problème (au niveau politique), la recette proposée par les politiciens et les économistes de la pensée unique est celle des «réformes structurelles» sur le marché du travail – entendez davantage de flexibilité et déréglementation sur ce marché, qui augmentent la diffusion et le degré de la précarité des travailleurs au détriment tant de la cohésion sociale que de la stabilité financière dans l’ensemble de l’économie nationale.

On l’aura compris, au lieu de continuer à raconter des histoires, qui de toute évidence relèvent de la science-fiction, les économistes qui sont proches du pouvoir doivent considérer le bien commun et songer sans cesse à y contribuer avec humilité et honnêteté intellectuelle. Il en va de la société de demain car celle d’aujourd’hui est perdue à jamais.