La «loi travail» créera du chômage

À l’instar du «Jobs Act» adopté en 2014 par le gouvernement italien et vivement voulu par le Premier ministre Matteo Renzi, en France la «loi travail» (appelée aussi «loi El Khomri», du nom du ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social qui a présenté le projet) repose sur une conception erronée des causes du chômage.

Selon la pensée dominante en «sciences économiques», le chômage serait le résultat de «rigidités» sur le marché du travail décourageant (voire empêchant) les entreprises d’engager des collaborateurs pour réaliser des projets d’investissement pouvant bénéficier à l’ensemble du système économique. La protection contre les licenciements étant considérée par les entreprises et les économistes orthodoxes comme une entrave pour maximiser le niveau d’emploi, il faut limiter les droits des travailleurs afin d’inciter les entreprises à en engager davantage. Cela est l’essence des «réformes structurelles» du marché du travail italien, espagnol, allemand et désormais aussi français.

Or, nul besoin d’être un économiste hétérodoxe pour comprendre que, en l’état, les entreprises françaises confrontées à la pire des crises économiques depuis une centaine d’années (bien pire que la «Grande dépression» des années 1930) ne vont pas engager des travailleurs si leurs perspectives ne s’améliorent pas de manière considérable. Pour que cela se réalise, en fait, il faut nécessairement que la demande sur le marché des produits français augmente à tel point d’absorber toute la production réalisée par les entreprises dans l’Hexagone. Il s’agit de toute évidence d’une situation qui est loin de s’avérer, étant donné les énormes inégalités dans la répartition du revenu et de la richesse, qui sont à l’origine d’une crise de sous-consommation en France (et dans bien d’autres pays).

En l’état, faute d’une meilleure répartition du revenu et de la richesse, la «loi travail» va donc permettre aux entreprises françaises de faire face à moins de problèmes juridiques (entendez moins de coûts pour dédommager les travailleurs licenciés pour motifs économiques), sans pour autant induire celles-ci à engager davantage de collaborateurs tant que la situation sur le marché des produits reste déflationniste – ce qui se traduit également par une déflation salariale, empêchant les entreprises d’écouler toute leur production et amenant alors nombre d’entre elles à couper progressivement dans leurs effectifs, à travers une spirale perverse qui nuit aussi bien à la stabilité financière qu’à la cohésion sociale à travers l’économie française. La Bible l’avait déjà résumé parfaitement: «On récolte ce qu’on sème» (Ezéchiel 18.1-32).

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.