L’économie symbiotique avec et non plus contre la nature

Déjà explorés dans divers endroits de la planète, les exemples d’une économie symbiotique radicalement différente de l’économie classique ouvrent une voie encourageante dans notre monde en profond bouleversement.

 

Avec un effondrement de la diversité aggravé par le réchauffement climatique, l’économie extractive qui consiste à exploiter massivement les ressources de la nature n’a plus sa place. Vient le temps d’une nouvelle économie qui est déjà en germe un peu partout dans le monde: l’économie symbiotique. Celle-ci permet de faire vivre en harmonie les êtres humains et les écosystèmes. Elle met en symbiose l’intelligence humaine avec la puissance des écosystèmes naturels.

Un juste équilibre entre ces deux éléments rend possible une production de biens et de services sans épuiser les ressources limitées de la planète mais au contraire en les régénérant.

Ingénieure agronome de formation, environnementaliste et coscénariste avec Yann Arthus-Bertrand, du film Home (2009), la française Isabelle Delannoy (ici à gauche) est à l’origine de cette approche qui fait une synthèse entre de nombreuses techniques et recherches, comme la permaculture, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité et du partage, l’économie sociale et solidaire, les monnaies complémentaires, etc.

 

Quatre grands principes

L’économie symbiotique s’articule principalement autour de quatre principes :

  • Le jeu avec la nature: comme le souligne Dominique Bourg, philosophe et professeur honoraire à l’Université de Lausanne, «il ne s’agit plus de s’opposer à la nature, de lui substituer systématiquement des artefacts, de la contrarier en tous points en rompant ses équilibres, mais de jouer avec elle, de l’amener, pour pasticher Aristote, à faire elle-même ce qu’elle ne ferait pas spontanément». Dominique Bourg est co-auteur avec Christian Arnsperger de l’ouvrage Écologie intégrale (PUF, 2017).
  • La coopération:  l’horizontalité et la gouvernance coopérative remplacent les organisations pyramidales et les mastodontes économiques à l’origine de nombreux maux sociaux et environnementaux.
  • L’économie de fonctionnalité: elle privilégie l’usage plutôt que la vente d’un produit. Il s’agit de développer des solutions intégrées de biens et services dans une perspective de développement durable. Ainsi, l’échange économique ne repose plus sur le transfert de propriété de biens, qui restent la propriété du producteur tout au long de son cycle de vie, mais sur le consentement des usagers à payer une valeur d’usage.
  • La réduction sensible des extractions: plutôt que d’extraire du sol énergies fossiles et métaux, mieux vaut tirer nos ressources du vivant en lui appliquant notre intelligence et en nous inspirant du fonctionnement non hiérarchique des écosystèmes.

Quelques illustrations

L’économie symbiotique est déjà mise en œuvre dans plusieurs régions de la planète. Quelques exemples:

  • En Autriche, la permaculture agricole n’utilise aucun intrant mais joue sur la complémentarité des plantes, régénère les sols et stocke du carbone. Dans la vallée de la Lungau, la plus froide et la plus difficile à cultiver du pays, le paysan Sepp Holzer a construit un écosystème agricole ultra-productif. Il met en coopération des espèces qui s’enrichissent mutuellement.
  • Au Pays-Bas, Eva Lanxmeer est un éco-quartier construit de 1994 à 2009 dans la ville de Culembourg. Celui-ci intègre une grande partie des principes de haute qualité environnementale. Son originalité est d’avoir promu et soutenu la participation constante des habitants. En effet, ce quartier a été conçu et réalisé avec des représentants des futurs résidents, sans avoir été imposé par des cadres ou une administration. On y voit des bureaux, des ateliers d’artisans et d’artistes, des établissements scolaires, une résidence de retraités, un centre des congrès et une ferme urbaine.
  • A Saint-Malo, l’ingénieur Rémy Lucas a inventé le premier bioplastique à base d’algues qui permet de remplacer 10% des plastiques actuels. Son activité économique entre en synergie avec la qualité des écosystèmes côtiers et les filières qui leur sont associées.
  • A New York, la croissance rapide de la population (8,2millions d’habitants) a conduit à l’édification d’aqueducs acheminant l’eau dans la ville depuis les montagnes Catskill situées à 150 km de celle-ci. Les aqueducs Catskill et Delaware, à l’est de l’Hudson, approvisionnent ainsi New York à hauteur de 90 % tandis que l’aqueduc Croton, alimente la ville à hauteur de 10 %. Les trois systèmes de réservoirs, d’une capacité globale de 2,2 milliards de mètres cube sont interconnectés, ce qui leur confère flexibilité́ et fiabilité́ afin de prélever une eau de la meilleure qualité́ possible. L’agglomération de New York a couplé la préservation de la qualité de l’eau potable à un programme actif de conservation des forêts et d’amélioration écologique des pratiques agricoles sur ses zones de captage.
  • En Suisse, la coopérative Mobility a pour but l’exploitation de véhicules de toute nature en ménageant l’énergie, les matières premières et l’environnement. Elle les met à disposition des usagers contre rémunération comme alternative écologique et économique à la propriété privée. C’est un exemple d’économie de fonctionnalité.
  • En Suisse toujours, il existe plus de 200 Repair Cafés qui permettent la réparation des objets endommagés grâce à l’aide de spécialistes. Ces services contribuent à lutter contre le gaspillage des ressources et la quantité croissante de déchets. Non seulement ils sont gratuits, mais ils sont l’occasion de rencontres chaleureuses autour d’un café ou d’une tranche de gâteau.

Civilisation radicalement nouvelle

Isabelle Delannoy voit dans l’économie symbiotique la marque d’un profond changement dans notre manière de produire, de consommer et de vivre: « Comme le papillon et les chenilles sont à la fois un seul et même individu, et des expressions différentes de ce qui le compose, cette nouvelle structure économique porte en elle la possibilité d’une civilisation radicalement nouvelle, issue de la métamorphose en son sein de l’actuelle ». Voilà de quoi voir l’évolution de notre avenir collectif sous un angle plus dynamique et plus motivant. 

 

Isabelle Delannoy, Régénérer la planète, l’économie et la société, éd. Actes Sud, 2017

 

 

 

 

Triptyque, le chant de trois solitudes sublimées

Judith et Holopherne, Écho et Narcisse et La Dame de la mer sont les trois volets de Triptyque, une création de François Debluë et René Falquet qui sera présentée le jeudi 9 février 2023 à Lausanne. Quand l’art lyrique, l’art dramatique et la musique font alliance de cette manière, le résultat est enchanteur. Une plongée dans l’univers bouleversé de trois femmes d’exception à ne pas manquer.

 

 Judith, Écho et Ellida, trois femmes qu’un tragique destin a plongées dans la solitude d’un amour impossible mais qui, au fil des épreuves, entrevoient un filet de lumière : celle de la résilience. Ainsi se déplie Triptyque, une magnifique et envoûtante création mise en verbe par François Debluë, écrivain, poète et enseignant, et mise en musique par René Falquet, compositeur, directeur de chœur et chef d’orchestre.

A genoux, silencieuse sur la scène dans sa longue robe verte en lin de style soufi, la chanteuse lyrique Hélène Pelourdeau (notre image d’introduction) ouvre le spectacle, dans la peau tourmentée de Judith, veuve inconsolable. Le piano de Virginie Falquet entame une marche funèbre. « Peur du froid, peur du bruit sourd des entrailles là où la terre a tremblé » chante la riche, belle et pieuse Judith, d’une voix tantôt puissante quand le piano se fait volcanique, tantôt tendre, mais toujours en profonde détresse. Authentique, le geste de la chanteuse-comédienne est convaincant.

 

Judith et Holopherne, une héroïne inconsolable

Selon le récit puisé dans l’Ancien Testament, Judith, dans la solitude de son veuvage, parvient à libérer les Israélites qui se sont réfugiés dans la ville de Bethulie. En effet celle-ci est assiégée par les troupes assyriennes commandées par Holopherne, général en chef des armées de Nabuchodonosor, roi de Ninive. Mais l’héroïne s’introduit dans le camp ennemi avec sa servante, séduit chastement Holopherne, l’enivre et profite de son sommeil pour le décapiter. De retour à Bethulie, elle fait suspendre la tête de son ennemi aux remparts de la ville. A cette vue, les Assyriens, démoralisés, prennent la fuite.

Mais ce n’est pas cette scène de décapitation, castration symbolique immortalisée par la célèbre peinture du Caravage, que François Debluë met en relief dans son récit poétique publié en 1989. C’est la souffrance solitaire d’une femme fidèle qui vient de perdre son mari. Qu’importe l’exploit héroïque !« Et pourtant ni l’allégresse de ton peuple, ni les jours ni les ans t’ont rendu celui que tu aimais tant, celui que ton cœur aime encore », nous dit Judith qui se parle à elle-même.

 

Une œuvre musicale durchkomponiert

 Dans les trois tableaux de Triptyque, ce sont les textes qui inspirent les couleurs musicales, les leitmotive, les différents thèmes qui s’enchaînent avec, toujours en toile de fond, cette marche funèbre autour de laquelle tout s’articule. « Ce n’est pas un soprano accompagné par un piano mais un piano concertant » souligne René Falquet dans un entretien qu’il nous a accordé avec François Debluë et Hélène Pelourdeau. Remarque qui vaut également pour les clarinettes (si bémol et basse) jouées par Jean-Samuel Racine dans les deuxième et troisième tableaux de Triptyque (Écho et Narcisse ainsi que la Dame de la mer). Il s’agit d’un chant durchkomponiert, c’est-à-dire d’une mélodie qui suit au plus près le déroulement du texte, comme dans les œuvres de Wagner. Cette approche permet de construire une musique sur mesure (sans jeu de mots !) en préservant la progression dramatique du texte poétique.

 

 

Écho et Narcisse, une femme amoureuse…sans écho

 Comme il l’a fait pour Judith et Holopherne, François Debluë revisite également les Métamorphoses d’Ovide dans le second tableau Écho et Narcisse, tout en respectant l’essentiel de l’œuvre originale. Dans cette dernière, sans cesse trompée par son époux Jupiter (Zeus), Junon (Hera) ne parvient pas à prendre celui-ci en faute. Plusieurs fois sur le point d’y parvenir, elle est systématiquement distraite par Écho qui l’entraîne dans d’interminables discussions. Devinant le stratagème de la nymphe trop bavarde, elle la condamne à ne pouvoir répéter que les derniers mots qu’elle vient d’entendre. Privée de parole, Écho tombe cependant follement amoureuse de Narcisse sans jamais pouvoir lui avouer son amour. Entre elle et le jeune homme se mirant dans les eaux dormantes et n’aimant que lui-même, c’est un amour impossible.

Dans son poème écrit l’été 2022 pour Triptyque, François Debluë (ici à gauche) donne la parole à Écho (Hélène Pelourdeau) qui chante sa douleur : « Seule me reste ma voix, ma faible voix, ma voix de jeune veuve qui n’eut pourtant ni mari ni amant ». Des tourments qui font écho à ceux de Judith et, nous le verrons, à ceux de La Dame de la mer. Loin d’être complètement éthérée, la nymphe revisitée est très sensuelle et charnelle ! Quant à Narcisse, il ne s’exprime pas en direct mais par la voix du récitant Matthias Geissbuehler. « Les mythes sont faits pour évoluer », sourit l’auteur.

 

 

L’ombre du Sacre du Printemps  

 René Falquet avoue avoir été quelque peu songeur avant de se lancer dans l’écriture musicale d’Écho et Narcisse. Il lui fallait créer une ambiance émanant non seulement des personnages mais aussi de la nature bien présente dans le mythe, avec ses forêts, ses étangs. « Fallait-il écrire du sous-Ravel ou du sous-Debussy ? », s’est demandé René Falquet. « Ou du sur-Falquet ! », réplique un brin malicieux François Debluë. Et c’est assurément ce qui a été choisi. Le compositeur s’est notamment inspiré de l’ambiance, du climat que nous offre Le Sacre du printemps (dans Les danses des adolescentes), célèbre ballet composé par Igor Stravinski, une œuvre qui lui est particulièrement chère.

Dès lors, pour exprimer tantôt la violence des forces telluriques qui chamboulent Écho, tantôt le reflet des eaux calmes qui hypnotisent Narcisse, rien de mieux que la clarinette basse « qui peut jouer très fort et très doux, très aigu ou très grave ». Jean-Samuel Racine alterne virtuosité et sons filés en symbiose avec le piano de Virginie Falquet, maître du tempo dans une œuvre où le risque est grand de perdre ses collègues en cours de route. « Le chant et la clarinette basse naviguent sur deux fréquences différentes, comme si nous ne nous comprenions pas, souligne Hélène Pelourdeau. Flou rythmique et improvisation ne doivent pas nous faire perdre le fil ! ».

 

 

La Dame de la mer, au commencement était la fin

 Dernier tableau, La Dame de mer a été le déclencheur de la création de Triptyque. En 2018, François Debluë  publiait un livre reprenant l’œuvre théâtrale de Henrik Ibsen sous une forme poétique, avec des séquences chantées et dialoguées, de nouvelles relations entre les personnages dont certains étaient écartés, tout en respectant l’esprit d’origine de la pièce créée en 1889. En novembre 2018, son texte mis en musique par son ami René Falquet (ici à gauche) faisait éclore un drame lyrique en cinq actes, présenté au théâtre de l’Oriental à Vevey. Hélène Pelourdeau tenait déjà le rôle d’Ellida, La Dame de la mer. Eu égard au grand succès de l’opéra, François Debluë s’est dit qu’il serait judicieux d’aller plus loin. D’où la naissance de Triptyque.

 Comme dans les deux tableaux précédents, nous retrouvons une femme éplorée, Ellida, tourmentée par son amour secret partagé avec un marin, l’Étranger, à qui elle a donné sa parole. « Exilée où je suis, étrangère où je vais, c’est un Étranger qui m’appelle », chante-t-elle, dans sa longue robe blanche qui la fait ressembler à Antigone. Son mari, le docteur Wangel, magnifiquement interprété par le baryton Matthias Geissbuehler, désarçonné par la passion mortifère de son épouse, finit par l’inviter à rejoindre son bien-aimé. Transcendée par cet amour qui la rend libre, Ellida laisse partir le marin et choisit de rester avec son mari.

 

Un trio de résilience

La volte-face d’Ellida qui lance à son marin « vous ne me faites pas peur ! Vous êtes désormais mort pour moi, un mort surgi de la mer et destiné à y retourner », c’est une forme de résilience. Tout comme celle vécue par Judith qui se dit à elle-même « ton cœur se réjouit qui sait sa peine accomplie ». Ou encore celle dont Écho fait l’expérience. En disparaissant corps et âme, la nymphe donne vie à la nature métamorphosée : « À chaque printemps désormais parmi les prairies et les secrètes clairières c’est un parfum d’improbables fiançailles âcre et têtu que les dieux en mémoire de Narcisse continuent de répandre ». Au-delà de la souffrance, même au-delà de la mort, il y a la Vie.

 

 Lausanne, Casino de Montbenon, salle Paderewski, jeudi 9 février 2023 (20 h.). Réservations : monbillet.ch / 024 543 00 74.

 Autres représentations : samedi 25 février 2023 (20h.) au domaine de la Doges, La Tour-de-Peilz et dimanche 26 novembre 2023 au Lieu (17h.) dans le cadre des Rencontres Culturelles de la Vallée de Joux

 

Une bonne année 2023?

Une bonne année 2023, malgré une biodiversité qui s’effondre, un réchauffement climatique qui s’aggrave, des conflits armés qui s’intensifient ?

Oui… car une bonne année, ce n’est pas…

… ne plus avoir de doutes, mais c’est être en quête d’une pleine conscience

… ne plus avoir de soucis, mais c’est être en quête d’espérance

… ne plus avoir de souffrance, mais c’est être en quête de résilience

Une bonne année, c’est surtout faire l’apprentissage de Sa joie

Au-delà des doutes, des soucis et de la souffrance

A travers les rencontres, l’amitié, le partage

A vous toutes et tous, je souhaite une bonne année 2023!

Réconciliation?

Combien de temps faudra-t-il pour que les Russes ne subissent plus l’opprobre d’une grande partie de l’humanité après l’odieuse agression de leur pays contre l’Ukraine? Certes, comme l’affirme dans une récente interview écrite le politicien d’opposition Vladimir Kara-Mourza emprisonné dans son pays depuis avril, l’idée d’une responsabilité collective serait fausse, surtout du point de vue de celles et ceux qui sont aujourd’hui en prison pour avoir pris publiquement position contre la guerre. Dans les jours qui ont suivi le 24 février 2022, plus de 16.400 personnes ont été arrêtées lors de manifestations anti-guerre. Mais il n’empêche que lorsque je vois le regard d’effroi de mon voisin ukrainien réfugié quand je prononce le mot «russe», je me dis qu’une telle plaie béante aura bien de la peine à cicatriser et qu’il sera difficile de ne pas considérer le peuple russe comme complice d’un régime exécrable.

Pourtant, le temps de la réconciliation finira bien par sonner. Encore faut-il que certaines conditions soient remplies. La première, c’est l’effondrement du régime et de ses suppôts dont Vladimir Poutine. Sans l’anéantissement du régime nazi et la disparition d’Adolphe Hitler, se réconcilier avec l’Allemagne aurait été impensable. Reste à savoir comment la société russe réussira à instaurer un nouveau gouvernement respectueux des droits humains sans effusion de sang. Ce n’est pas impossible : contre toute attente, le mur de Berlin est bel et bien tombé sans violence.

Deuxième condition, c’est la mise en œuvre d’une justice internationale pour juger les personnes coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, comme le fit le procès de Nuremberg à l’égard des nazis.

Troisième condition, c’est de sceller avec les nouveaux gouvernants russes à venir une étroite coopération, à l’image de l’amitié franco-allemande initiée par Konrad Adenauer et Charles de Gaulle en 1962 et dynamisée par Robert Schuman, l’un des pères fondateurs de l’intégration européenne. Trois conditions sine qua non. (Chronique publiée dans l’Écho Magazine du 21 décembre 2022)

 

 

Quand l’argent flirte avec nos angoisses

Mettez l’argent et le capitalisme sur le divan. Et voilà que se réveillent nos vieilles pulsions, révélées par le célèbre économiste John Maynard Keynes et le psychanalyste Sigmund Freud. Décapant.  

L’argent est au cœur de l’analyse freudienne du célèbre économiste britannique John Maynard Keynes. C’est ce que montrent dans deux ouvrages Gilles Dostaler, spécialiste de l’histoire de la pensée économique, ainsi que l’économiste et écrivain Bernard Maris, assassiné lors de l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015 à Paris: Capitalisme et pulsion de mort (Albin Michel, 2009) et Antimanuel de l’économie, les cigales (Editions Bréal, 2015). Deux livres relativement anciens qu’il est vivement conseillé de lire ou de relire en ces temps de grand chambardement planétaire.

Toute l’œuvre de Keynes est émaillée d’expressions freudiennes (complexe, libido, dépression) et s’appuie sur l’analyse freudienne de l’argent. Le maître de Cambridge distingue trois domaines économiques de prédilection:

  • Le caractère morbide du capitalisme et sa tendance autodestructrice.
  • L’attitude angoissée des hommes face au temps et à l’avenir.
  • Le fonctionnement essentiel de l’économie, qui se manifeste sous la forme de phénomènes de foule, comme il en existe typiquement sur les marchés boursiers.

Le désir morbide d’accumulation

La fable de La Poule aux œufs d’or de Jean de La Fontaine exprime le caractère morbide du désir effréné d’argent: cherchant à découvrir un trésor dans le ventre de sa poule, qui pondait paisiblement chaque jour un œuf d’or, un avare la tue, l’ouvre, n’y trouve rien et du même coup se ruine. Aux yeux de Keynes, l’amour de l’argent est «exécrable», ce qui ne l’empêcha pas d’en gagner beaucoup. Mais sa seule ambition était de le dépenser, de le transformer. Il explique la crise de 1929 par un désir morbide d’accumulation de valeur qui s’exprimait dans la demande d’actions et la hausse des valeurs boursières. L’impossibilité de surmonter la crise fut liée à la peur de la dépense, au refus de désépargner qui suivit le krach: les banques qui avaient favorisé la folie boursière favorisèrent ensuite la folie de l’épargne. A la fin de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, l’économiste réclame «l’euthanasie du rentier», qui est une autre image de l’avare. Il faut tuer ce «parasite» dont la seule raison de vivre est d’accumuler pour accumuler, non pas par son travail, son art et ses inventions mais par sa position de propriétaire.

Le taux d’intérêt: un indice de la peur

Contrairement à ce que pensent les économistes classiques, le taux d’intérêt n’est pas le prix de l’abstinence, de la renonciation au plaisir de consommer. Il n’est pas un prix à payer pour remettre à demain ce qui pourrait nous faire plaisir aujourd’hui. Il n’a rien à voir avec une souffrance qu’on s’imposerait et que l’épargne viendrait récompenser avec ce petit côté mortificateur, serrage de ceinture. Bernard Maris fait notamment référence aux plans d’austérité imposés aux démunis par le Fonds monétaire international (FMI). Souffrir leur ferait du bien, comme la saignée au malade.
Le taux d’intérêt est plutôt, selon la pensée freudo-keynésienne, le prix d’une angoisse ou d’une incertitude collective. La société accorde un prix à sa peur et à l’avenir. Le taux d’intérêt est donc un indice d’une peur à la fois individuelle et collective. Selon Keynes, «la possession de monnaie réelle apaise notre inquiétude; et la prime que nous requérons pour nous faire séparer de la monnaie est la mesure de notre degré d’inquiétude».

Le marché comme expression de la foule

La foule, concept profondément freudien, est l’une des clés de l’économie keynésienne. «La société est faite d’individus qui tous cherchent mutuellement à s’imiter», affirme Keynes. L’économie n’est faite que d’imitations: phénomènes mimétiques sur les marchés boursiers, panurgisme, modes, engouements, dépressions, névroses collectives, confiance. Il est dangereux d’avoir raison contre la foule, il vaut mieux avoir tort avec elle. Ce dernier pense aux marchés financiers où il vaut mieux suivre l’opinion moyenne, elle-même définie par les opinions individuelles qui se copient. Le spéculateur se raccroche à la liquidité, à la possession d’argent, qui est un moyen, tellement illusoire, de dominer le temps.

Aujourd’hui, certains associent la foule aux fonds de pension et aux institutions collectives de gestion de l’épargne et des retraites: les fonds de pension cherchent le profit à court terme et la haute rentabilité pour leurs retraités, sans se demander si, en vendant des actions au jour le jour, ils ne détruisent pas des pans entiers de l’économie.

Consommateur manipulé

La conception de la foule de Joseph Schumpeter est similaire à celle de Keynes. Le délire, la transe et l’irrationalité caractérisent le comportement des foules, les plus petites soient-elles. «Mettez douze généraux sexagénaires ensemble, écrit Schumpeter, et vous verrez surgir en eux des impulsions primitives, des infantilismes et des propensions criminelles» généralement réservées à la «canaille». Les méthodes de persuasion de la publicité relèvent, pour Schumpeter, du conditionnement des foules. La publicité fait appel aux «sombres instincts», au subconscient et favorise des «associations d’idées plaisantes et sexuelles».

Loin d’être rationnel, le consommateur est donc suiviste et mimétique. Et surtout frustré et aigri. Comme le citoyen, il est puéril, «régresse à un niveau inférieur de rendement mental». Bref, il est manipulé. Mais Schumpeter pense que la raison finit par triompher des phénomènes de foule. «A la longue, le peuple est plus sage que ne peut l’être n’importe quel individu», dit-il en citant Abraham Lincoln, ancien président des États-Unis. On ne peut pas le tromper éternellement. Les phénomènes de foule, en économie, s’atténuent d’eux-mêmes. Les bulles finissent par crever. A la bonne heure !

 

Un peu d’imagination, Yverdon!

La construction d’un parking souterrain sous la place d’Armes à Yverdon-les-Bains n’a pas fini de soulever des passions. Son redimensionnement (de 1000 places à 430) proposée par la Municipalité à majorité gauche-verte suscite l’ire du PLR. Lequel envisage de déposer une initiative populaire qui obligerait ladite Municipalité à augmenter la taille de ce parking, « un peu sur le modèle victorieusement utilisé dans le cadre de la route de contournement choisie par le peuple yverdonnois » écrit le quotidien La Région. Ainsi, après avoir décidé en 2012 la construction plus que laborieuse d’une telle route destinée à décharger le centre-ville du trafic, les Yverdonnois seraient invités à cautionner un immense parking destiné à aspirer un maximum d’automobiles vers le centre-ville. Gribouille n’aurait pas fait mieux !

S’inspirer d’exemples réussis

L’un des arguments du PLR est de redouter que l’attractivité voire la survie du centre-ville et de ses commerçants ne soit gravement menacée sans un méga parking. Sans revenir sur l’aberration écologique d’une telle réalisation qui en plus d’attirer un nombre croissant d’automobiles empêcherait tout développement de grands arbres devenus indispensables avec le réchauffement climatique, il serait peut-être judicieux que les Yverdonnois jettent un regard sur ce qui se passe ailleurs. Toujours plus nombreuses sont en effet les villes, moyennes ou grandes, qui dans le monde évacuent l’automobile de leur centre, pour le bien-être de tous leurs habitants, y compris des commerçants. Évidemment, il ne suffit pas de dire stop à la voiture sans prendre des mesures d’aménagement du territoire qui engagent les prochaines générations pour des décennies.

Ljubljana, ou l’histoire d’un pari fou réussi

Parmi les réalisations qui méritent notre attention, il y a l’exemple remarquable de Ljubljana, capitale de la Slovénie (notre image d’ouverture). Comme le révèle un récent reportage de France 2 dont s’inspire, dans un article, l’association Rue de l’Avenir active en Suisse romande, le centre-ville de Ljubljana a le même niveau sonore qu’une forêt. Plus aucune voiture n’y circule, pas même des taxis. Si au début les habitants ont manifesté leur mécontentement, ils se montrés enthousiastes un an plus tard, louant une ambiance paisible. Quant aux commerçants, ils se frottent les mains. En cinq ans, certains d’entre eux ont vu leur chiffre d’affaire augmenter de 30% !

En effet, en 2007, Ljubljana s’est lancée un pari fou : débarrasser progressivement son centre des voitures. Elles n’ont pas été interdites, mais tout a été aménagé en fonction d’un périphérique urbain. Avant d’entrer dans la ville, de grands parcs de stationnement sont là pour se garer. On peut monter gratuitement dans un bus pour aller dans le centre, et peut-être se diriger vers les nombreux râteliers à vélo.

 

De la ville amie des voitures à la ville amie des piétons

« Cinq ponts ont été construits pour raccourcir les temps de trajets des habitants, et les trottoirs ont été abaissés », explique la journaliste Diane Schlienger, de France 2. Des voiturettes électriques et gratuites emmènent touristes et habitants où ils veulent. La ville n’est ouverte aux véhicules qu’entre six et dix heures du matin, pour les livreurs. Chaque jour, à l’aube, c’est une course contre la montre. Les conséquences positives de la piétonisation sont spectaculaires et la fréquentation du centre-ville n’a fait qu’augmenter.

Ljubljana est également passée avec succès d’une ville amie des voitures à une ville amie des piétons, réduisant ainsi les niveaux de pollution et de bruit. La baisse du niveau du bruit routier est spectaculaire. Les surfaces piétonnes ont été augmentées de 620 % grâce à la fermeture du centre-ville (10 hectares) à tous les véhicules motorisés.

Un aménagement du territoire à redessiner

Certes, Yverdon-les-Bains n’est pas Ljubljana et comparaison n’est pas raison. Mais les Yverdonnois ne devraient-ils pas revoir sérieusement l’aménagement de leur territoire plutôt que de rafistoler un projet du siècle dernier ? Laisser les automobiles à l’extérieur de la ville (par exemple à Y-Parc) implique un réseau de transports publics infiniment plus élaborés et confortables que ceux que nous connaissons aujourd’hui, à l’image de ce qu’a réalisé Ljubjana. Par ailleurs, un effort substantiel devrait être entrepris pour dessiner de vraies pistes cyclables aujourd’hui inexistantes. Bref, il s’agit ni plus ni moins de (re)construire une ville du XXIème siècle.

 

 

Quand les arts font vibrer les menhirs à Yverdon-les-Bains

Samedi 29 et dimanche 30 octobre 2022 à l’Aula Magna d’Yverdon-les-Bains, un concert a rendu hommage aux menhirs de la cité lacustre. Un spectacle inoubliable d’images, de son et de poésie d’une haute intensité, sous l’égide de l’association des amis d’atempy

Mémoires de menhirs, c’est un florilège d’alliances qui font éclore un spectacle de sons et de couleurs d’une belle intensité: alliance d’un photographe, d’un vidéaste, d’une chanteuse lyrique, d’un pianiste d’un flûtiste et d’un conteur; alliance des mondes minéral, végétal et animal; et enfin alliance d’une cité, Yverdon-les-Bains, et de sa mémoire plusieurs fois millénaire.

D’emblée le spectateur est baigné dans l’atmosphère minérale des menhirs photographiés par Cédric Bregnard et mis en scène par le vidéaste Ruben Glauser. Quelques-uns des quarante-cinq statues-menhirs de Clendy, érigés il y a plus de 6000 ans au bord du lac de Neuchâtel, sont projetés par un beamer en fond de scène. En regard de ces lourdes pierres taillées en forme humaine et qui constituent le plus important site mégalithique de Suisse, la flûte très allègre et légère de Christian Delafontaine offre un contraste étonnant. Avec l’interprétation de Mandata, une pièce du compositeur et flûtiste espagnol Francisco López.

 

Le mariage de tous les arts…ou presque

Longtemps immergés puis progressivement découverts, les menhirs de Clendy ont été dans le passé plongés dans une forêt verdoyante. Une voix nous le rappelle, limpide, cristalline, se faisant aussi puissante que tendre. La voix soprano d’Elodie Favre nous ouvre les portes de la nature vivante si chère aux romantiques. Les deux poèmes de Ronsard «Rossignol, mon mignon» et «Ciel, air et vent», mis en mélodie avec flûte par Albert Roussel, sont illustrés, toujours en projection, par des dessins à l’encre de Chine qui se muent par des fondus-enchaînés en photographies de végétaux, puis d’animaux. Deux pièces de Gustav Mahler donnent à Élodie Favre l’occasion de subtilement ciseler deux poèmes lyriques de Friedrich Rückert. Avec les œuvres de Maurice Ravel (une Pavane pour une infante défunte magnifiquement interprétée par Bernardo Aroztegui), Mel Bonis, Franz Liszt, Richard Strauss et Camille Saint-Saëns, la chanteuse, le pianiste et le flûtiste nous offrent un répertoire d’une grande variété. Qui plus est, entre les pièces chantées et jouées, Sergio Belluz nous lit des textes choisis par Nathalie Vuillemin, professeur de littérature à l’Université de Neuchâtel, en relation avec les éléments du vivant. De Roger Caillois à Victor Hugo, en passant par Victor Segalen, Albert Camus et Marie-Hélène Lafon, ces cinq textes enrichissent encore plus un spectacle qui a vraiment pour vocation de marier différentes expressions artistiques. Il ne manque plus que l’art chorégraphique pour faire danser les menhirs!

 

La mémoire de l’histoire et des ancêtres

 A relever, une première, une création composée par le pianiste Bernardo Aroztegui, avec pour titre surprenant: Phényléthylamine. Ce nom insolite désigne un alcaloïde qui favorise l’humeur positive en libérant des neurotransmetteurs! L’auteur de ce texte mis en musique est Lucas Moreno, poète et nouvelliste suisse-uruguayen. Bernardo Aroztegui s’est inspiré de la structure mathématique du poème. «Cette structure conditionne les hauteurs, les rythmes. Tout est programmé, je n’avais qu’à analyser le poème» souligne modestement le compositeur-interprète. Le résultat est saisissant: Cordes pincées, jeu d’aimants sur la harpe du piano; glissando, chuchotements, éclats de la voix; jeu d’air de la flûte.  Voilà bien les ingrédients d’une étonnante musique enrichie de quatre plages d’improvisation!

Mais contrairement à ce que laisserait croire son titre, il y a de la violence et de la tristesse dans cette création. Et pour cause. «Lucas Moreno et moi, nous sommes nés sous un régime de dictature en Uruguay», relève Bernardo Aroztegui. Sans que cela ne soit explicite, l’œuvre semble en effet imprégnée des souffrances d’une dictature militaire qui, de 1973 à 1984, a entraîné le pays dans l’une des pires répressions au monde avec un prisonnier politique pour 450 habitants.

Imaginé durant les années sombres du Covid, «ce concert met en scène des menhirs qui sont aussi les témoins de ceux qui nous ont quittés, ils sont la mémoire du temps qui passe», souligne Élodie Favre.

 

Lente germination d’une fructueuse collaboration

 Au vrai, la collaboration avec Cédric Bregnard ne date pas d’hier. Il y a environ cinq ans, le photographe et Bernardo Aroztegui partageaient le même atelier dans le site de l’ancienne usine Leclanché où l’école de Musique atempy développe désormais ses activités d’enseignement et de création dans ses propres murs. Le pianiste s’exerçait à l’improvisation quand le photographe élaborait des projets artistiques en explorant l’univers du monde végétal avec l’encre de Chine. Cédric Bregnard est notamment l’initiateur du projet Racines du Ciel Performances qui a pour but d’organiser et de guider la réalisation des dessins collectifs monumentaux à l’encre de Chine, par des centaines de participants de tous âges. Ce sont notamment certaines de ces créations qui sont projetées dans le concert Mémoire des menhirs.

«Contacté par le Festival du Castrum qui m’a demandé de faire une œuvre sur un symbole fort touchant les Yverdonnois, je me suis alors intéressé aux menhirs après m’être plutôt tourné vers les arbres», relève Cédric Bregnard qui, ensuite, a fait appel au vidéaste Ruben Glauser. «Celui-ci nous a permis de synchroniser les images projetées avec la musique». Dès lors, «collaborer avec Cédric Bregnard et Ruben Glauser sur ce projet s’est imposé naturellement», souligne Élodie Favre.

 

Les arts au service du patrimoine de la région

Mettre en valeur le patrimoine de la région par des concerts, c’est l’un des objectifs de l’école de musique atempy dont Élodie Favre (chant) et Bernardo Aroztegui (piano) sont les animateurs avec Cristina Bellu (violoncelle). Ainsi ont notamment été visités musicalement le temple de Chêne-Pâquier, les rues d’Yverdon-les-Bains lors du festival de musique baroque Airs Libres, etc. En 2020, l’événement Yverdon au temps des compositeurs a pour la première fois été réalisé avec le concours du musée d’Yverdon et région. Samedi 29 octobre, c’est d’ailleurs Corinne Sandoz, conservatrice des collections de ce musée, qui a introduit le concert en rappelant l’histoire six fois millénaire des menhirs. Un lointain passé que seuls les arts peuvent rendre encore bien présents dans les esprits car ils touchent aussi bien la raison que le cœur.  

 

 

 

Androgynie spirituelle

Au risque de perdre la vie, les femmes sont toujours plus nombreuses à sortir dans la rue pour crier leur colère. Surtout en Iran où elles protestent contre le port obligatoire du hijab et plus généralement contre la terrible oppression d’un régime autoritaire, mais aussi ailleurs dans le monde et notamment au Soudan où elles exigent l’abolition de la peine de mort par lapidation pour adultère.

Signe encourageant, les hommes se joignent désormais aux manifestantes. En plus de leur immense soif de liberté, sans pour autant en être vraiment conscients, ils délivrent ce message implicite: en méprisant la femme, l’homme se méprise et renie une partie de lui-même. Car les principes masculin et féminin sont tous les deux présents en chacun de nous, quel que soit notre sexe. Le principe masculin représente l’esprit qui crée la route, impulse, cadre, structure, ensemence les idées. Le principe féminin représente la matière. Il est lié relié à la Terre, aux émotions, aux éléments, au mouvement et à la transformation.

Symboliquement, dans les traditions les plus anciennes, le principe féminin est représenté par un triangle avec la pointe dirigée vers le bas. C’est aussi l’image de l’eau qui s’écoule. A l’inverse, le triangle dont la pointe est dirigée vers le haut représente le principe masculin. C’est le feu qui s’élève. Rassemblés, les deux triangles forment un hexagramme, le sceau de Salomon. L’esprit a besoin de la matière pour s’incarner, et la matière a besoin de l’esprit pour être animée, vivifiée. C’est le mariage du masculin et du féminin. Inutile de changer de sexe pour y parvenir!

N’ayez donc pas peur, les hommes, de votre principe féminin. Il ne demande qu’à vous aider à grandir dans l’accueil d’une nouvelle conscience riche en intuition, en sensibilité et en intériorité. Et vous les femmes, développez votre principe masculin nourri de force, de volonté et de rationalité, sans vous croire obligées de singer les hommes. L’androgynie spirituelle, c’est l’avenir de l’homme et de la femme.(Chronique parue dans Écho Magazine du 26 octobre 2022)

 

 

 

Les anges, mes amis

C’est vrai, je l’avoue, j’ai un faible pour les anges. Ce n’est pas à cause de Joséphine ange gardien, cette série télévisée qui a l’immense mérite de nous présenter en soirée autre chose que des scènes de ménage ou des scènes de crimes. Ce n’est pas non plus pour être dans le vent du New Age, qui avec le temps finit par prendre quelques rides. Non, si j’ai un faible pour les anges, c’est tout simplement parce qu’ils continuent à croire en nous, les humains, même si nous ne croyons pas vraiment en eux. Franchement, il faut le faire ! Quand je considère le soin que nous mettons à bousiller notre merveilleuse planète – aux dernières nouvelles, l’eau de pluie sur Terre est partout impropre à la consommation à cause de la présence de produits chimiques toxiques dépassant les seuils recommandés, selon une étude menée par des scientifiques de l’Université de Stockholm – quand je vois les ravages humains et écologiques provoqués par le Russe Vladimir Poutine, le Chinois Xi Jinping, l’Américain Donald Trump ou le Brésilien Jair Bolsonaro, pour ne citer que ces super egos dépourvus de toute conscience planétaire, je me dis que les anges font preuve d’une infinie patience.

A leur place, je ferais appel à leur patron, l’archange Michaël, pour qu’avec son épée flamboyante il débarrasse la Terre de toutes ces forces négatives qui nous empêchent individuellement et collectivement d’avancer dans la lumière. Mais voilà, au vacarme de notre agitation, les anges préfèrent le silence de leur intercession. Ils continuent à nous transmettre, inlassablement, le Souffle de l’Amour inconditionnel du Tout Autre (ou de Dieu, si vous préférez), probablement convaincus que ce Souffle finira bien par traverser les couches opaques de notre psyché. Quelle persévérance ! A bien y réfléchir, ces forces négatives qui me hérissent le poil ne me sont pas si étrangères. C’est sans doute pour cela que j’ai bien du mal à les supporter. Je ne suis donc pas mécontent que l’archange Michaël ne brandisse pas trop vite son épée. Et qu’il me laisse encore un peu de temps pour que j’allège mon propre ego en m’approchant de mes amis les anges. S’ils ont des ailes, c’est bien parce qu’ils se prennent à la légère ! (Chronique parue dans Écho Magazine du 7 septembre 2022)

Ella-Mona Chevalley : « L’urgence climatique doit être au cœur de la politique communale »

Après le départ en cours de mandat de Jean-Daniel Carrard au sein de la Municipalité d’Yverdon-les-Bains, son parti le PLR espérait l’élection tacite d’un successeur appartenant au même mouvement. Mais c’était sans compter les autres partis bien décidés à décrocher la timbale. A droite, on se bouscule au portillon. François Armada (PLR), Pascal Gafner (UDC), Anne-Laure Vallon (Le Centre) et Laurent Thiémard (Vert’libéraux) sont candidats à un premier tour programmé le 25 septembre prochain. A gauche, en revanche, c’est une seule candidate qui se présente, soutenue par le PS et les Vert-e-s. Ella-Mona Chevalley (24 ans), cheffe du groupe des Vert-e-s et solidaires au Conseil communal de la Ville, se lance à l’assaut de l’exécutif yverdonnois. Elle se démarque des autres candidats par son militantisme pour les causes féministe et climatique, notamment au sein de la Grève du Climat. En 2020, elle n’a pas hésité à taguer sur les murs de la ville lors d’une journée internationale des femmes ou à déverser du charbon dans le hall d’UBS. Ella-Mona Chevalley, diplômée d’un master de politique environnementale à l’EPFZ, souhaite-t-elle désormais entrer sagement dans le rang d’une institution politique classique ?  Entretien.

 

Ella-Mona Chevalley, comment concilier des actions non violentes mais illégales avec une candidature dans un exécutif municipal, démarche on ne peut plus légale ?

Face à l’urgence climatique et aux conséquences sociales qui en découlent, nous ne pouvons pas nous permettre de faire la fine bouche. Il nous faut agir partout où cela est pertinent. Éveiller les consciences par des actions fortes me semble indispensable. Si j’ai été élue au Conseil communal d’Yverdon-les-Bains, c’est aussi parce que j’ai été active sur le terrain, notamment lors de la journée internationale des femmes. Je ne regrette pas mes actes de désobéissance civile. Si je le faisais, je trahirais celles et ceux qui ont voté pour moi. Et ils l’ont fait précisément afin que je mette l’urgence climatique au cœur de la politique communale, un thème éclipsé par la droite.

 

Si vous étiez élue à l’exécutif de la ville, auriez-vous la même attitude ?

Sans doute pas. Mon rôle serait différent de celui d’un membre du corps législatif qui fait pression auprès de la Municipalité par des actions plus militantes, mais j’agirais avec les mêmes convictions et le même idéal. Une vie d’engagement amène autant à se confronter à la police et à des procès qu’à participer aux décisions politiques d’un législatif. Le but de tout cela est de répondre à la nécessité d’agir pour un tournant écosocial.

 

Vous pensez vraiment pouvoir changer, de l’intérieur, un système que vous contestez ?

 Je ne pense pas que l’on puisse révolutionner un système politique de l’intérieur. Mais on peut au moins être présent dans cette arène pour souligner et défendre l’urgence climatique et sociale tout en s’engageant à améliorer la vie des gens au quotidien.

Concrètement comment voyez-vous votre action ?

 Je crois à la pluralité des modes d’actions. Les mouvements sociaux jouent un rôle essentiel en manifestant une opposition au système économique en place. Comment organiser différemment le travail, la mobilité, le partage des ressources et des talents, tout cela peut être mis en lumière par des zones à défendre comme celle de la colline du Mormont, première ZAD en Suisse ou par l’occupation de bâtiments. Autant de moyens destinés à concrétiser un discours politique parfois trop théorique. A l’exécutif d’une ville, arriver avec un projet de réforme radicale et parvenir à le mettre en œuvre, c’est très compliqué. Mais il y a des décisions importantes et urgentes à prendre, lesquelles ont des conséquences directes sur la population. Comme par exemple le soutien financier aux personnes qui ne pourront plus se chauffer cet hiver à cause de la flambée du prix de gaz.

 

Et à plus long terme ?

Il est indispensable et urgent de préparer la ville à s’adapter aux événements extrêmes, comme les sécheresses et les inondations, par une végétalisation massive, partout où cela est possible. Le projet d’un immense parking souterrain en plein cœur de la ville est un non-sens. Non seulement il ne permet pas à de grands arbres d’offrir leur fraicheur et leur humidité, mais il nous rend dépendants du véhicule individuel pour des décennies. Alors qu’il faudrait, selon Solidarité & Écologie, développer sérieusement des transports publics gratuits. Construire des parkings en silos en périphérie de la ville et limiter le stationnement au centre-ville à celles et ceux qui en ont vraiment besoin, ce serait plus judicieux.

 

D’autres priorités ?

 Ouvrir plus de crèches, une maison d’accueil pour les personnes victimes de violences sexuelles, instaurer une carte citoyenne pour améliorer l’intégration des sans-papiers en leur donnant accès aux services publics de la ville – de telles cartes, déjà en vigueur à Zurich, sont en projet à Lausanne et la Chaux-de-Fonds – voilà quelques exemples parmi bien d’autres.

 

Dans un exécutif, qu’il soit municipal ou cantonal, les décisions sont souvent le fruit de compromis. Ces derniers ne sont-ils pas en contradiction avec les positions souvent radicales de votre parti ?

 La recherche d’un consensus existe aussi dans Solidarité & Écologie ! Cela dit, par ma présence et les idées de ce parti que je représente, les décisions sortant de la Municipalité seraient un peu plus écologiques et sociales que si je n’y étais pas. Par ailleurs, chaque Municipal est responsable d’un dicastère dans lequel il a davantage de marge pour faire bouger les choses.

 

Vous étiez Jeune Verte avant de rejoindre Solidarité & Écologie. Pourquoi avoir quitté les Vert-e-s ?

J’ai réalisé que les Vert-e-s, soucieux de devenir le premier parti de Suisse, étaient constamment en train d’osciller à droite ou à gauche, selon les circonstances, pour ne pas froisser leur électorat. De ce fait, ils évitent de trancher dans certains sujets trop sensibles. Prenez le cas de l’automobile : les Vert-e-s sont partisans de la voiture électrique qui, pour sa fabrication, génère presque autant de carbone qu’un diesel. Déplacer la pollution à l’autre bout du monde est une aberration écologique. Il faut donc totalement repenser notre mobilité et, plus généralement, notre modèle de croissance économique alimentée par l’extraction polluante de ressources minérales limitées. Ne pas le faire, c’est encourager le réchauffement climatique et la destruction de la biodiversité. Produire moins, consommer moins, partager plus, ce n’est peut-être pas très populaire mais c’est vital pour l’avenir de l’humanité.

Propos recueillis par Philippe Le B