L’économie symbiotique avec et non plus contre la nature

Déjà explorés dans divers endroits de la planète, les exemples d’une économie symbiotique radicalement différente de l’économie classique ouvrent une voie encourageante dans notre monde en profond bouleversement.

 

Avec un effondrement de la diversité aggravé par le réchauffement climatique, l’économie extractive qui consiste à exploiter massivement les ressources de la nature n’a plus sa place. Vient le temps d’une nouvelle économie qui est déjà en germe un peu partout dans le monde: l’économie symbiotique. Celle-ci permet de faire vivre en harmonie les êtres humains et les écosystèmes. Elle met en symbiose l’intelligence humaine avec la puissance des écosystèmes naturels.

Un juste équilibre entre ces deux éléments rend possible une production de biens et de services sans épuiser les ressources limitées de la planète mais au contraire en les régénérant.

Ingénieure agronome de formation, environnementaliste et coscénariste avec Yann Arthus-Bertrand, du film Home (2009), la française Isabelle Delannoy (ici à gauche) est à l’origine de cette approche qui fait une synthèse entre de nombreuses techniques et recherches, comme la permaculture, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité et du partage, l’économie sociale et solidaire, les monnaies complémentaires, etc.

 

Quatre grands principes

L’économie symbiotique s’articule principalement autour de quatre principes :

  • Le jeu avec la nature: comme le souligne Dominique Bourg, philosophe et professeur honoraire à l’Université de Lausanne, «il ne s’agit plus de s’opposer à la nature, de lui substituer systématiquement des artefacts, de la contrarier en tous points en rompant ses équilibres, mais de jouer avec elle, de l’amener, pour pasticher Aristote, à faire elle-même ce qu’elle ne ferait pas spontanément». Dominique Bourg est co-auteur avec Christian Arnsperger de l’ouvrage Écologie intégrale (PUF, 2017).
  • La coopération:  l’horizontalité et la gouvernance coopérative remplacent les organisations pyramidales et les mastodontes économiques à l’origine de nombreux maux sociaux et environnementaux.
  • L’économie de fonctionnalité: elle privilégie l’usage plutôt que la vente d’un produit. Il s’agit de développer des solutions intégrées de biens et services dans une perspective de développement durable. Ainsi, l’échange économique ne repose plus sur le transfert de propriété de biens, qui restent la propriété du producteur tout au long de son cycle de vie, mais sur le consentement des usagers à payer une valeur d’usage.
  • La réduction sensible des extractions: plutôt que d’extraire du sol énergies fossiles et métaux, mieux vaut tirer nos ressources du vivant en lui appliquant notre intelligence et en nous inspirant du fonctionnement non hiérarchique des écosystèmes.

Quelques illustrations

L’économie symbiotique est déjà mise en œuvre dans plusieurs régions de la planète. Quelques exemples:

  • En Autriche, la permaculture agricole n’utilise aucun intrant mais joue sur la complémentarité des plantes, régénère les sols et stocke du carbone. Dans la vallée de la Lungau, la plus froide et la plus difficile à cultiver du pays, le paysan Sepp Holzer a construit un écosystème agricole ultra-productif. Il met en coopération des espèces qui s’enrichissent mutuellement.
  • Au Pays-Bas, Eva Lanxmeer est un éco-quartier construit de 1994 à 2009 dans la ville de Culembourg. Celui-ci intègre une grande partie des principes de haute qualité environnementale. Son originalité est d’avoir promu et soutenu la participation constante des habitants. En effet, ce quartier a été conçu et réalisé avec des représentants des futurs résidents, sans avoir été imposé par des cadres ou une administration. On y voit des bureaux, des ateliers d’artisans et d’artistes, des établissements scolaires, une résidence de retraités, un centre des congrès et une ferme urbaine.
  • A Saint-Malo, l’ingénieur Rémy Lucas a inventé le premier bioplastique à base d’algues qui permet de remplacer 10% des plastiques actuels. Son activité économique entre en synergie avec la qualité des écosystèmes côtiers et les filières qui leur sont associées.
  • A New York, la croissance rapide de la population (8,2millions d’habitants) a conduit à l’édification d’aqueducs acheminant l’eau dans la ville depuis les montagnes Catskill situées à 150 km de celle-ci. Les aqueducs Catskill et Delaware, à l’est de l’Hudson, approvisionnent ainsi New York à hauteur de 90 % tandis que l’aqueduc Croton, alimente la ville à hauteur de 10 %. Les trois systèmes de réservoirs, d’une capacité globale de 2,2 milliards de mètres cube sont interconnectés, ce qui leur confère flexibilité́ et fiabilité́ afin de prélever une eau de la meilleure qualité́ possible. L’agglomération de New York a couplé la préservation de la qualité de l’eau potable à un programme actif de conservation des forêts et d’amélioration écologique des pratiques agricoles sur ses zones de captage.
  • En Suisse, la coopérative Mobility a pour but l’exploitation de véhicules de toute nature en ménageant l’énergie, les matières premières et l’environnement. Elle les met à disposition des usagers contre rémunération comme alternative écologique et économique à la propriété privée. C’est un exemple d’économie de fonctionnalité.
  • En Suisse toujours, il existe plus de 200 Repair Cafés qui permettent la réparation des objets endommagés grâce à l’aide de spécialistes. Ces services contribuent à lutter contre le gaspillage des ressources et la quantité croissante de déchets. Non seulement ils sont gratuits, mais ils sont l’occasion de rencontres chaleureuses autour d’un café ou d’une tranche de gâteau.

Civilisation radicalement nouvelle

Isabelle Delannoy voit dans l’économie symbiotique la marque d’un profond changement dans notre manière de produire, de consommer et de vivre: « Comme le papillon et les chenilles sont à la fois un seul et même individu, et des expressions différentes de ce qui le compose, cette nouvelle structure économique porte en elle la possibilité d’une civilisation radicalement nouvelle, issue de la métamorphose en son sein de l’actuelle ». Voilà de quoi voir l’évolution de notre avenir collectif sous un angle plus dynamique et plus motivant. 

 

Isabelle Delannoy, Régénérer la planète, l’économie et la société, éd. Actes Sud, 2017

 

 

 

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)

Une réponse à “L’économie symbiotique avec et non plus contre la nature

  1. Monsieur Le Bè,
    Article des plus intéressants. Constat d’échec de notre civilisation occidentale mourante ayant vénéré la mondialisation, la privatisation et l’abolition de la famille et des services publics, l’hyperconsommation et le culte du profit. Madame Delannoy voit dans l’économie symbiotique la marque d’un profond changement dans notre manière de produire, de consommer et de vivre: « Comme le papillon et les chenilles sont à la fois un seul et même individu, et des expressions différentes de ce qui le compose, cette nouvelle structure économique porte en elle la possibilité d’une civilisation radicalement nouvelle, issue de la métamorphose en son sein de l’actuelle ». Constat for juste mais qui reste imprégné de cet esprit ‘scientifique’ en vertu duquel cette civilisation mourante, grâce à un nouveau vocable pourrait engendrer une civilisation nouvelle . . . Lorsque l’hiver s’achève, il ne produit pas le printemps mais les ferments de l’an mort constituent les racines du printemps nouveau. A titre d’exemple on peut citer la parabole de L’Arche de Noé. Les concepts de cette économie dite nouvelle ne sont en réalité que ceux de la réalité naturelle à l’origine du gente humain. Le respect de la Mère Nature, de la cellule familiale et des traditions, le respect de l’autre et l’acceptation de sa différence, la frugalité et le refus du gaspillage. Rien de nouveau là et, pourtant, non pas un prolongement mais une renaissance !

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