Les maux cachés des mots de l’économie

Miroirs d’un système économique qui détruit l’environnement et ne respecte pas vraiment les êtres humains, certains termes du langage économique ne devraient-ils pas être sérieusement remis en question ?

 Concurrence, économies d’échelle, coûts du travail, PIB : ces mots de l’économie, nous les lisons ou entendons quotidiennement dans les médias. Pour une majorité d’économistes, ils résonnent comme des vérités indiscutables souvent associées à une idée de « progrès ». Pourtant, ils reflètent une réalité bien différente de celle communément admise. Éclairage sur ces quatre maux de l’économie.

 

La concurrence, vraie ou fausse stimulation ?

La concurrence est présentée par grand nombre d’économistes comme un stimulant qui incite les entreprises à se dépasser, favorisant ainsi l’innovation, la diversité de l’offre et des prix attractifs pour les consommateurs. Elle favorise selon eux la croissance en générant des gains substantiels pour la collectivité. Mais quels gains, au juste, et pour qui ? Contrairement à la compétition sportive où l’échec d’une équipe n’entraîne pas sa destruction, une entreprise victime d’une concurrence acharnée court un grand risque de mise en faillite avec sa cohorte de licenciements.

Par ailleurs, le terme de libre-concurrence est trompeur car il est vain de trouver une quelconque liberté dans la concurrence. La Chine est là pour le démontrer : l’un des régimes les plus dictatoriaux et les plus destructeurs des écosystèmes entraîne le monde dans une concurrence impitoyable.

A une telle guerre économique attisée par la concurrence, ne serait-il pas plus sage de choisir la coopération tout aussi stimulante mais non ravageuse ? Nous en sommes encore fort loin mais les mentalités peuvent encore évoluer. Dans son livre Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ? (Albin Michel, 2001) l’écrivaine Christiane Singer raconte l’éclairante histoire d’un formateur américain, un sportif, qui débarque dans un village africain, bien décidé à inculquer l’esprit de compétition aux « petits Noirs ». Il organise une course, promettant une récompense au premier arrivé. Au final, tous les enfants se prennent par la main et arrivent ensemble, riant et chantant sous les yeux médusés du fabricant de compétition.

 

Les économies d’échelle, une chute de la biodiversité ?

 Les économies d’échelle sont réalisées quand une entreprise parvient à baisser le coût unitaire d’un produit en accroissant la quantité de sa production. Ladite entreprise est censée enclencher un phénomène de « cercle vertueux » : la baisse de prix liée aux économies d’échelle fait mécaniquement augmenter le pouvoir d’achat des acheteurs puisque ces derniers paient moins cher pour le même produit. Cela leur permet d’acheter en plus grande quantité si bien que l’entreprise peut décupler sa production. Revers de la médaille : une surconsommation attisée par la publicité contribue largement à produire des montagnes de déchets, à réchauffer le climat et à épuiser les sources d’eau potable, autant de graves atteintes à la biodiversité.

L’exemple de la gigantesque pollution engendrée par le plastique à usage unique est éloquent. Contacté récemment par la Radio Télévision Suisse (RTS), Dominic Charles, l’un des responsables de la fondation australienne Minderoo qui étudie la production de déchets plastiques dans le monde (139 millions de tonnes en 2021) , explique pourquoi peu d’entreprises se sont mises au recyclage : «C ’est commercialement plus intéressant de fabriquer des plastiques à partir de combustibles fossiles, du fait des économies d’échelle que les entreprises pétrochimiques peuvent réaliser que de collecter les déchets plastiques, les trier, les nettoyer et les recycler ». En ce qui concerne la protection de l’environnement, les économies d’échelle engendrent plutôt un phénomène de « cercle vicieux » !

 

Le travail, un frein ou un moteur ?

Les coûts du travail du travail, ou de la main-d’œuvre, correspondent aux charges supportées par les entreprises pour l’emploi du personnel salarié. Ce sont notamment les salaires et les cotisations sociales versées par les employeurs. Dans la comptabilité des entreprises, le salarié est ainsi assimilé à un pur coût. Nous finissons par oublier que c’est le travail qui est à l’origine de la production de la valeur ajoutée d’une entreprise. Même s’il y a des robots qu’il faut bien concevoir, fabriquer et entretenir.

Comme le souligne la philosophe et sociologue Dominique Méda dans un article de Philosophie magazine (mars 2016), le travail est exclusivement considéré comme un coût qu’il est nécessaire de réduire, pour délester les entreprises du « poids » qui les entrave dans la compétition internationale. Cette approche daterait des années 1980, « quand l’augmentation des salaires et des dépenses sociales a cessé d’être considérée comme bonne pour toute l’économie ».

 

Le PIB, pauvre indicateur de richesse ?

Pour bon nombre d’économistes, la croissance est considérée comme un indéniable facteur de progrès. Or son principal instrument de mesure, le Produit intérieur brut (PIB) mesure des richesses qui n’en sont vraiment pas. A l’exemple des accidents de la route : comme les garagistes et les médecins sollicités pour réparer dégâts matériels et dégâts humains s’enrichissent monétairement, ce pseudo enrichissement fait grimper le PIB. En revanche, ce dernier ne comptabilise pas des activités non monétisées telles que le bénévolat ou l’éducation des enfants à la maison.

Dans son anti-manuel d’économie (éditions Bréal), le regretté Bernard Maris, économiste, estime que « le PIB ne fournit que de pauvres indications sur le revenu. Il ne tient pas compte de la paix, de la justice sociale, de l’environnement (…) Il impose une vision consumériste et utilitariste du bonheur des nations. » Tous les gouvernants et les économistes savent que cet indicateur est insatisfaisant et qu’il en existe d’autres privilégiant une approche socio-économique, une approche de bien-être ou une approche environnementale. Comme par exemple le Bonheur national brut (BNB) mis en place au Bhoutan. Peu importe, le PIB demeure la seule référence dans la stratégie économique de nos gouvernements.

Reflets de notre société menacée d’effondrements écologiques, les mots de l’économie devraient être sérieusement revisités, à la faveur d’une nouvelle prise de conscience planétaire.

 

Jésus au Salon du livre de Genève

“Jésus revient…en Suisse”, récit philosophique,  au Salon du livre de Genève.

Vendredi 24 mars 2023, en présence de l’auteur, de 10h00 à 16h00.

Au plaisir de vous rencontrer au stand des Éditions Cabédita!

 

Résumé et quatrième de couverture

Ce 8 novembre 2024, personne ne l’attend. Pourtant il est revenu. Discrètement. Jésus a choisi la Suisse, à commencer par Lausanne, pour un retour sur notre planète, toujours plus chamboulée par des pandémies qui n’en finissent pas, un climat qui se détraque et une biodiversité qui s’effondre.

Coaché par trois sages de l’Agartha, mystérieux territoire sacré au cœur spirituel de la Terre, l’Envoyé a quelques petites semaines pour dénicher douze nouveaux disciples, de Genève au Jura, à qui il va faire vivre une «grande Expérience», le soir de Noël, sur la mythique prairie du Grütli. Riches de cette initiation, dotés de facultés nouvelles comme le furent les apôtres, ces douze femmes et hommes pourront témoigner qu’un autre monde est possible sur Terre.

Motivation de l’auteur et public ciblé

Inquiet comme beaucoup d’entre nous sur l’avenir des êtres humains, l’auteur fait advenir un Jésus contemporain, venu préparer l’aboutissement réussi de cette humanité perturbée. Jésus qui vient préparer le retour du Christ en gloire: une invitation souriante, inédite… à se renouveler?

Points clés

Un Jésus encore plus humoristique que dans la Bible… mais tout aussi crédible en 2024 – Des personnages et des thèmes en résonance avec les grands courants philosophiques ou religieux, mais avec leur mystère et leur parfum propres – Réalité rêvée – Visite d’un monde secret à faire venir au grand jour – Expérience d’une transformation.

L’auteur

Né à Casablanca en 1954, Philippe Le Bé, de nationalités française et suisse, est journaliste indépendant et chroniqueur à l’Écho Magazine, après avoir été collaborateur de l’ATS, Radio Suisse Internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS et l’Hebdo. Il est l’auteur de deux autres romans: Du vin d’ici à l’au-delà (L’Aire) et 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave (Édilivre). Publié en 2016, ce dernier roman mettait en scène une pandémie provoquée par un virus provenant de Chine dès 2020…

Éditions Cabédita

 

DUO DE PRÉSENTATION DU LIVRE SOUS LA FORME D’UN SKETCH AVEC MARIE-PASCALE LE BÉ

 

INTERVIEW DE PHILIPPE LE BÉ PAR RADIO CHABLAIS

https://www.radiochablais.ch/podcasts/podcast-detail?idPodcast=46317

 

INTERVIEW DE PHILIPPE LE BÉ DANS MÉDIALOGUES DE LA RTS

https://www.rts.ch/audio-podcast/2022/audio/jesus-revient-et-en-plus-il-revient-en-suisse-25816879.html

 

Une cathédrale intérieure

Le psychodrame qui se joue en France autour la réforme de la retraite, dont l’âge légal de départ devrait passer de 62 à 64 ans, nous interroge sur l’idée que nous nous faisons du travail. Certes, même les plus passionnés par leur métier aspirent, un jour ou l’autre, à lever le pied. Mais bon nombre d’opposants à la réforme battant le pavé des villes françaises voient la retraite comme une vraie délivrance, après des décennies de dur labeur. A les entendre, il s’agirait de vivre enfin, libres, jouissant d’une récompense tant attendue après des années de contrainte.

Comme le relève la philosophe et sociologue Dominique Méda dans son ouvrage «le travail, une valeur en voie de disparition?» (Flammarion,1995), loin d’être épanouissant, le travail est surtout subordonné à une logique capitaliste qui exige de lui le plus d’efficacité, de rentabilité, de productivité. Il ne serait qu’un instrument au service de l’économie. Nous sommes devenus, renchérit la politologue et philosophe Hannah Arendt, une société de travailleurs, ne sachant plus pourquoi nous travaillons, pourquoi nous développons cette activité avec un tel sentiment d’urgence.

C’est précisément contre cet état de fait que maints femmes et hommes aujourd’hui se rebellent. La perspective d’un temps de retraite qui s’éloigne,  d’une pension qui s’étiole, de devoir travailler encore plus pour gagner encore moins, leur devient insoutenable. Dominique Méda dénonce à juste titre la dimension aliénante et dégradante pour la dignité humaine d’un travail qui aurait pris le contrôle de nos vies. Même celles et ceux qui aiment leur activité, comme les infirmières et les aides-soignantes, ne supportent plus leurs conditions de vie trop souvent devenues inhumaines.

Au vrai, le travail n’a aucun sens s’il ne contribue pas à nous construire psychiquement et spirituellement. Au seuil de l’an 2000, journaliste à la RTS, j’avais invité à une émission matinale un charpentier, compagnon du devoir. Lui demandant ce que lui apportait son métier, il répondit : «Il aide à me construire une cathédrale intérieure». Toute profession, quelle qu’elle soit, devrait avoir comme but ultime d’ouvrir notre champ de conscience d’être humain en devenir. (Chronique publiée dans Écho Magazine du 15 février 2023)

 

L’économie symbiotique avec et non plus contre la nature

Déjà explorés dans divers endroits de la planète, les exemples d’une économie symbiotique radicalement différente de l’économie classique ouvrent une voie encourageante dans notre monde en profond bouleversement.

 

Avec un effondrement de la diversité aggravé par le réchauffement climatique, l’économie extractive qui consiste à exploiter massivement les ressources de la nature n’a plus sa place. Vient le temps d’une nouvelle économie qui est déjà en germe un peu partout dans le monde: l’économie symbiotique. Celle-ci permet de faire vivre en harmonie les êtres humains et les écosystèmes. Elle met en symbiose l’intelligence humaine avec la puissance des écosystèmes naturels.

Un juste équilibre entre ces deux éléments rend possible une production de biens et de services sans épuiser les ressources limitées de la planète mais au contraire en les régénérant.

Ingénieure agronome de formation, environnementaliste et coscénariste avec Yann Arthus-Bertrand, du film Home (2009), la française Isabelle Delannoy (ici à gauche) est à l’origine de cette approche qui fait une synthèse entre de nombreuses techniques et recherches, comme la permaculture, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité et du partage, l’économie sociale et solidaire, les monnaies complémentaires, etc.

 

Quatre grands principes

L’économie symbiotique s’articule principalement autour de quatre principes :

  • Le jeu avec la nature: comme le souligne Dominique Bourg, philosophe et professeur honoraire à l’Université de Lausanne, «il ne s’agit plus de s’opposer à la nature, de lui substituer systématiquement des artefacts, de la contrarier en tous points en rompant ses équilibres, mais de jouer avec elle, de l’amener, pour pasticher Aristote, à faire elle-même ce qu’elle ne ferait pas spontanément». Dominique Bourg est co-auteur avec Christian Arnsperger de l’ouvrage Écologie intégrale (PUF, 2017).
  • La coopération:  l’horizontalité et la gouvernance coopérative remplacent les organisations pyramidales et les mastodontes économiques à l’origine de nombreux maux sociaux et environnementaux.
  • L’économie de fonctionnalité: elle privilégie l’usage plutôt que la vente d’un produit. Il s’agit de développer des solutions intégrées de biens et services dans une perspective de développement durable. Ainsi, l’échange économique ne repose plus sur le transfert de propriété de biens, qui restent la propriété du producteur tout au long de son cycle de vie, mais sur le consentement des usagers à payer une valeur d’usage.
  • La réduction sensible des extractions: plutôt que d’extraire du sol énergies fossiles et métaux, mieux vaut tirer nos ressources du vivant en lui appliquant notre intelligence et en nous inspirant du fonctionnement non hiérarchique des écosystèmes.

Quelques illustrations

L’économie symbiotique est déjà mise en œuvre dans plusieurs régions de la planète. Quelques exemples:

  • En Autriche, la permaculture agricole n’utilise aucun intrant mais joue sur la complémentarité des plantes, régénère les sols et stocke du carbone. Dans la vallée de la Lungau, la plus froide et la plus difficile à cultiver du pays, le paysan Sepp Holzer a construit un écosystème agricole ultra-productif. Il met en coopération des espèces qui s’enrichissent mutuellement.
  • Au Pays-Bas, Eva Lanxmeer est un éco-quartier construit de 1994 à 2009 dans la ville de Culembourg. Celui-ci intègre une grande partie des principes de haute qualité environnementale. Son originalité est d’avoir promu et soutenu la participation constante des habitants. En effet, ce quartier a été conçu et réalisé avec des représentants des futurs résidents, sans avoir été imposé par des cadres ou une administration. On y voit des bureaux, des ateliers d’artisans et d’artistes, des établissements scolaires, une résidence de retraités, un centre des congrès et une ferme urbaine.
  • A Saint-Malo, l’ingénieur Rémy Lucas a inventé le premier bioplastique à base d’algues qui permet de remplacer 10% des plastiques actuels. Son activité économique entre en synergie avec la qualité des écosystèmes côtiers et les filières qui leur sont associées.
  • A New York, la croissance rapide de la population (8,2millions d’habitants) a conduit à l’édification d’aqueducs acheminant l’eau dans la ville depuis les montagnes Catskill situées à 150 km de celle-ci. Les aqueducs Catskill et Delaware, à l’est de l’Hudson, approvisionnent ainsi New York à hauteur de 90 % tandis que l’aqueduc Croton, alimente la ville à hauteur de 10 %. Les trois systèmes de réservoirs, d’une capacité globale de 2,2 milliards de mètres cube sont interconnectés, ce qui leur confère flexibilité́ et fiabilité́ afin de prélever une eau de la meilleure qualité́ possible. L’agglomération de New York a couplé la préservation de la qualité de l’eau potable à un programme actif de conservation des forêts et d’amélioration écologique des pratiques agricoles sur ses zones de captage.
  • En Suisse, la coopérative Mobility a pour but l’exploitation de véhicules de toute nature en ménageant l’énergie, les matières premières et l’environnement. Elle les met à disposition des usagers contre rémunération comme alternative écologique et économique à la propriété privée. C’est un exemple d’économie de fonctionnalité.
  • En Suisse toujours, il existe plus de 200 Repair Cafés qui permettent la réparation des objets endommagés grâce à l’aide de spécialistes. Ces services contribuent à lutter contre le gaspillage des ressources et la quantité croissante de déchets. Non seulement ils sont gratuits, mais ils sont l’occasion de rencontres chaleureuses autour d’un café ou d’une tranche de gâteau.

Civilisation radicalement nouvelle

Isabelle Delannoy voit dans l’économie symbiotique la marque d’un profond changement dans notre manière de produire, de consommer et de vivre: « Comme le papillon et les chenilles sont à la fois un seul et même individu, et des expressions différentes de ce qui le compose, cette nouvelle structure économique porte en elle la possibilité d’une civilisation radicalement nouvelle, issue de la métamorphose en son sein de l’actuelle ». Voilà de quoi voir l’évolution de notre avenir collectif sous un angle plus dynamique et plus motivant. 

 

Isabelle Delannoy, Régénérer la planète, l’économie et la société, éd. Actes Sud, 2017

 

 

 

 

Triptyque, le chant de trois solitudes sublimées

Judith et Holopherne, Écho et Narcisse et La Dame de la mer sont les trois volets de Triptyque, une création de François Debluë et René Falquet qui sera présentée le jeudi 9 février 2023 à Lausanne. Quand l’art lyrique, l’art dramatique et la musique font alliance de cette manière, le résultat est enchanteur. Une plongée dans l’univers bouleversé de trois femmes d’exception à ne pas manquer.

 

 Judith, Écho et Ellida, trois femmes qu’un tragique destin a plongées dans la solitude d’un amour impossible mais qui, au fil des épreuves, entrevoient un filet de lumière : celle de la résilience. Ainsi se déplie Triptyque, une magnifique et envoûtante création mise en verbe par François Debluë, écrivain, poète et enseignant, et mise en musique par René Falquet, compositeur, directeur de chœur et chef d’orchestre.

A genoux, silencieuse sur la scène dans sa longue robe verte en lin de style soufi, la chanteuse lyrique Hélène Pelourdeau (notre image d’introduction) ouvre le spectacle, dans la peau tourmentée de Judith, veuve inconsolable. Le piano de Virginie Falquet entame une marche funèbre. « Peur du froid, peur du bruit sourd des entrailles là où la terre a tremblé » chante la riche, belle et pieuse Judith, d’une voix tantôt puissante quand le piano se fait volcanique, tantôt tendre, mais toujours en profonde détresse. Authentique, le geste de la chanteuse-comédienne est convaincant.

 

Judith et Holopherne, une héroïne inconsolable

Selon le récit puisé dans l’Ancien Testament, Judith, dans la solitude de son veuvage, parvient à libérer les Israélites qui se sont réfugiés dans la ville de Bethulie. En effet celle-ci est assiégée par les troupes assyriennes commandées par Holopherne, général en chef des armées de Nabuchodonosor, roi de Ninive. Mais l’héroïne s’introduit dans le camp ennemi avec sa servante, séduit chastement Holopherne, l’enivre et profite de son sommeil pour le décapiter. De retour à Bethulie, elle fait suspendre la tête de son ennemi aux remparts de la ville. A cette vue, les Assyriens, démoralisés, prennent la fuite.

Mais ce n’est pas cette scène de décapitation, castration symbolique immortalisée par la célèbre peinture du Caravage, que François Debluë met en relief dans son récit poétique publié en 1989. C’est la souffrance solitaire d’une femme fidèle qui vient de perdre son mari. Qu’importe l’exploit héroïque !« Et pourtant ni l’allégresse de ton peuple, ni les jours ni les ans t’ont rendu celui que tu aimais tant, celui que ton cœur aime encore », nous dit Judith qui se parle à elle-même.

 

Une œuvre musicale durchkomponiert

 Dans les trois tableaux de Triptyque, ce sont les textes qui inspirent les couleurs musicales, les leitmotive, les différents thèmes qui s’enchaînent avec, toujours en toile de fond, cette marche funèbre autour de laquelle tout s’articule. « Ce n’est pas un soprano accompagné par un piano mais un piano concertant » souligne René Falquet dans un entretien qu’il nous a accordé avec François Debluë et Hélène Pelourdeau. Remarque qui vaut également pour les clarinettes (si bémol et basse) jouées par Jean-Samuel Racine dans les deuxième et troisième tableaux de Triptyque (Écho et Narcisse ainsi que la Dame de la mer). Il s’agit d’un chant durchkomponiert, c’est-à-dire d’une mélodie qui suit au plus près le déroulement du texte, comme dans les œuvres de Wagner. Cette approche permet de construire une musique sur mesure (sans jeu de mots !) en préservant la progression dramatique du texte poétique.

 

 

Écho et Narcisse, une femme amoureuse…sans écho

 Comme il l’a fait pour Judith et Holopherne, François Debluë revisite également les Métamorphoses d’Ovide dans le second tableau Écho et Narcisse, tout en respectant l’essentiel de l’œuvre originale. Dans cette dernière, sans cesse trompée par son époux Jupiter (Zeus), Junon (Hera) ne parvient pas à prendre celui-ci en faute. Plusieurs fois sur le point d’y parvenir, elle est systématiquement distraite par Écho qui l’entraîne dans d’interminables discussions. Devinant le stratagème de la nymphe trop bavarde, elle la condamne à ne pouvoir répéter que les derniers mots qu’elle vient d’entendre. Privée de parole, Écho tombe cependant follement amoureuse de Narcisse sans jamais pouvoir lui avouer son amour. Entre elle et le jeune homme se mirant dans les eaux dormantes et n’aimant que lui-même, c’est un amour impossible.

Dans son poème écrit l’été 2022 pour Triptyque, François Debluë (ici à gauche) donne la parole à Écho (Hélène Pelourdeau) qui chante sa douleur : « Seule me reste ma voix, ma faible voix, ma voix de jeune veuve qui n’eut pourtant ni mari ni amant ». Des tourments qui font écho à ceux de Judith et, nous le verrons, à ceux de La Dame de la mer. Loin d’être complètement éthérée, la nymphe revisitée est très sensuelle et charnelle ! Quant à Narcisse, il ne s’exprime pas en direct mais par la voix du récitant Matthias Geissbuehler. « Les mythes sont faits pour évoluer », sourit l’auteur.

 

 

L’ombre du Sacre du Printemps  

 René Falquet avoue avoir été quelque peu songeur avant de se lancer dans l’écriture musicale d’Écho et Narcisse. Il lui fallait créer une ambiance émanant non seulement des personnages mais aussi de la nature bien présente dans le mythe, avec ses forêts, ses étangs. « Fallait-il écrire du sous-Ravel ou du sous-Debussy ? », s’est demandé René Falquet. « Ou du sur-Falquet ! », réplique un brin malicieux François Debluë. Et c’est assurément ce qui a été choisi. Le compositeur s’est notamment inspiré de l’ambiance, du climat que nous offre Le Sacre du printemps (dans Les danses des adolescentes), célèbre ballet composé par Igor Stravinski, une œuvre qui lui est particulièrement chère.

Dès lors, pour exprimer tantôt la violence des forces telluriques qui chamboulent Écho, tantôt le reflet des eaux calmes qui hypnotisent Narcisse, rien de mieux que la clarinette basse « qui peut jouer très fort et très doux, très aigu ou très grave ». Jean-Samuel Racine alterne virtuosité et sons filés en symbiose avec le piano de Virginie Falquet, maître du tempo dans une œuvre où le risque est grand de perdre ses collègues en cours de route. « Le chant et la clarinette basse naviguent sur deux fréquences différentes, comme si nous ne nous comprenions pas, souligne Hélène Pelourdeau. Flou rythmique et improvisation ne doivent pas nous faire perdre le fil ! ».

 

 

La Dame de la mer, au commencement était la fin

 Dernier tableau, La Dame de mer a été le déclencheur de la création de Triptyque. En 2018, François Debluë  publiait un livre reprenant l’œuvre théâtrale de Henrik Ibsen sous une forme poétique, avec des séquences chantées et dialoguées, de nouvelles relations entre les personnages dont certains étaient écartés, tout en respectant l’esprit d’origine de la pièce créée en 1889. En novembre 2018, son texte mis en musique par son ami René Falquet (ici à gauche) faisait éclore un drame lyrique en cinq actes, présenté au théâtre de l’Oriental à Vevey. Hélène Pelourdeau tenait déjà le rôle d’Ellida, La Dame de la mer. Eu égard au grand succès de l’opéra, François Debluë s’est dit qu’il serait judicieux d’aller plus loin. D’où la naissance de Triptyque.

 Comme dans les deux tableaux précédents, nous retrouvons une femme éplorée, Ellida, tourmentée par son amour secret partagé avec un marin, l’Étranger, à qui elle a donné sa parole. « Exilée où je suis, étrangère où je vais, c’est un Étranger qui m’appelle », chante-t-elle, dans sa longue robe blanche qui la fait ressembler à Antigone. Son mari, le docteur Wangel, magnifiquement interprété par le baryton Matthias Geissbuehler, désarçonné par la passion mortifère de son épouse, finit par l’inviter à rejoindre son bien-aimé. Transcendée par cet amour qui la rend libre, Ellida laisse partir le marin et choisit de rester avec son mari.

 

Un trio de résilience

La volte-face d’Ellida qui lance à son marin « vous ne me faites pas peur ! Vous êtes désormais mort pour moi, un mort surgi de la mer et destiné à y retourner », c’est une forme de résilience. Tout comme celle vécue par Judith qui se dit à elle-même « ton cœur se réjouit qui sait sa peine accomplie ». Ou encore celle dont Écho fait l’expérience. En disparaissant corps et âme, la nymphe donne vie à la nature métamorphosée : « À chaque printemps désormais parmi les prairies et les secrètes clairières c’est un parfum d’improbables fiançailles âcre et têtu que les dieux en mémoire de Narcisse continuent de répandre ». Au-delà de la souffrance, même au-delà de la mort, il y a la Vie.

 

 Lausanne, Casino de Montbenon, salle Paderewski, jeudi 9 février 2023 (20 h.). Réservations : monbillet.ch / 024 543 00 74.

 Autres représentations : samedi 25 février 2023 (20h.) au domaine de la Doges, La Tour-de-Peilz et dimanche 26 novembre 2023 au Lieu (17h.) dans le cadre des Rencontres Culturelles de la Vallée de Joux

 

Une bonne année 2023?

Une bonne année 2023, malgré une biodiversité qui s’effondre, un réchauffement climatique qui s’aggrave, des conflits armés qui s’intensifient ?

Oui… car une bonne année, ce n’est pas…

… ne plus avoir de doutes, mais c’est être en quête d’une pleine conscience

… ne plus avoir de soucis, mais c’est être en quête d’espérance

… ne plus avoir de souffrance, mais c’est être en quête de résilience

Une bonne année, c’est surtout faire l’apprentissage de Sa joie

Au-delà des doutes, des soucis et de la souffrance

A travers les rencontres, l’amitié, le partage

A vous toutes et tous, je souhaite une bonne année 2023!

Réconciliation?

Combien de temps faudra-t-il pour que les Russes ne subissent plus l’opprobre d’une grande partie de l’humanité après l’odieuse agression de leur pays contre l’Ukraine? Certes, comme l’affirme dans une récente interview écrite le politicien d’opposition Vladimir Kara-Mourza emprisonné dans son pays depuis avril, l’idée d’une responsabilité collective serait fausse, surtout du point de vue de celles et ceux qui sont aujourd’hui en prison pour avoir pris publiquement position contre la guerre. Dans les jours qui ont suivi le 24 février 2022, plus de 16.400 personnes ont été arrêtées lors de manifestations anti-guerre. Mais il n’empêche que lorsque je vois le regard d’effroi de mon voisin ukrainien réfugié quand je prononce le mot «russe», je me dis qu’une telle plaie béante aura bien de la peine à cicatriser et qu’il sera difficile de ne pas considérer le peuple russe comme complice d’un régime exécrable.

Pourtant, le temps de la réconciliation finira bien par sonner. Encore faut-il que certaines conditions soient remplies. La première, c’est l’effondrement du régime et de ses suppôts dont Vladimir Poutine. Sans l’anéantissement du régime nazi et la disparition d’Adolphe Hitler, se réconcilier avec l’Allemagne aurait été impensable. Reste à savoir comment la société russe réussira à instaurer un nouveau gouvernement respectueux des droits humains sans effusion de sang. Ce n’est pas impossible : contre toute attente, le mur de Berlin est bel et bien tombé sans violence.

Deuxième condition, c’est la mise en œuvre d’une justice internationale pour juger les personnes coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, comme le fit le procès de Nuremberg à l’égard des nazis.

Troisième condition, c’est de sceller avec les nouveaux gouvernants russes à venir une étroite coopération, à l’image de l’amitié franco-allemande initiée par Konrad Adenauer et Charles de Gaulle en 1962 et dynamisée par Robert Schuman, l’un des pères fondateurs de l’intégration européenne. Trois conditions sine qua non. (Chronique publiée dans l’Écho Magazine du 21 décembre 2022)

 

 

Quand l’argent flirte avec nos angoisses

Mettez l’argent et le capitalisme sur le divan. Et voilà que se réveillent nos vieilles pulsions, révélées par le célèbre économiste John Maynard Keynes et le psychanalyste Sigmund Freud. Décapant.  

L’argent est au cœur de l’analyse freudienne du célèbre économiste britannique John Maynard Keynes. C’est ce que montrent dans deux ouvrages Gilles Dostaler, spécialiste de l’histoire de la pensée économique, ainsi que l’économiste et écrivain Bernard Maris, assassiné lors de l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015 à Paris: Capitalisme et pulsion de mort (Albin Michel, 2009) et Antimanuel de l’économie, les cigales (Editions Bréal, 2015). Deux livres relativement anciens qu’il est vivement conseillé de lire ou de relire en ces temps de grand chambardement planétaire.

Toute l’œuvre de Keynes est émaillée d’expressions freudiennes (complexe, libido, dépression) et s’appuie sur l’analyse freudienne de l’argent. Le maître de Cambridge distingue trois domaines économiques de prédilection:

  • Le caractère morbide du capitalisme et sa tendance autodestructrice.
  • L’attitude angoissée des hommes face au temps et à l’avenir.
  • Le fonctionnement essentiel de l’économie, qui se manifeste sous la forme de phénomènes de foule, comme il en existe typiquement sur les marchés boursiers.

Le désir morbide d’accumulation

La fable de La Poule aux œufs d’or de Jean de La Fontaine exprime le caractère morbide du désir effréné d’argent: cherchant à découvrir un trésor dans le ventre de sa poule, qui pondait paisiblement chaque jour un œuf d’or, un avare la tue, l’ouvre, n’y trouve rien et du même coup se ruine. Aux yeux de Keynes, l’amour de l’argent est «exécrable», ce qui ne l’empêcha pas d’en gagner beaucoup. Mais sa seule ambition était de le dépenser, de le transformer. Il explique la crise de 1929 par un désir morbide d’accumulation de valeur qui s’exprimait dans la demande d’actions et la hausse des valeurs boursières. L’impossibilité de surmonter la crise fut liée à la peur de la dépense, au refus de désépargner qui suivit le krach: les banques qui avaient favorisé la folie boursière favorisèrent ensuite la folie de l’épargne. A la fin de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, l’économiste réclame «l’euthanasie du rentier», qui est une autre image de l’avare. Il faut tuer ce «parasite» dont la seule raison de vivre est d’accumuler pour accumuler, non pas par son travail, son art et ses inventions mais par sa position de propriétaire.

Le taux d’intérêt: un indice de la peur

Contrairement à ce que pensent les économistes classiques, le taux d’intérêt n’est pas le prix de l’abstinence, de la renonciation au plaisir de consommer. Il n’est pas un prix à payer pour remettre à demain ce qui pourrait nous faire plaisir aujourd’hui. Il n’a rien à voir avec une souffrance qu’on s’imposerait et que l’épargne viendrait récompenser avec ce petit côté mortificateur, serrage de ceinture. Bernard Maris fait notamment référence aux plans d’austérité imposés aux démunis par le Fonds monétaire international (FMI). Souffrir leur ferait du bien, comme la saignée au malade.
Le taux d’intérêt est plutôt, selon la pensée freudo-keynésienne, le prix d’une angoisse ou d’une incertitude collective. La société accorde un prix à sa peur et à l’avenir. Le taux d’intérêt est donc un indice d’une peur à la fois individuelle et collective. Selon Keynes, «la possession de monnaie réelle apaise notre inquiétude; et la prime que nous requérons pour nous faire séparer de la monnaie est la mesure de notre degré d’inquiétude».

Le marché comme expression de la foule

La foule, concept profondément freudien, est l’une des clés de l’économie keynésienne. «La société est faite d’individus qui tous cherchent mutuellement à s’imiter», affirme Keynes. L’économie n’est faite que d’imitations: phénomènes mimétiques sur les marchés boursiers, panurgisme, modes, engouements, dépressions, névroses collectives, confiance. Il est dangereux d’avoir raison contre la foule, il vaut mieux avoir tort avec elle. Ce dernier pense aux marchés financiers où il vaut mieux suivre l’opinion moyenne, elle-même définie par les opinions individuelles qui se copient. Le spéculateur se raccroche à la liquidité, à la possession d’argent, qui est un moyen, tellement illusoire, de dominer le temps.

Aujourd’hui, certains associent la foule aux fonds de pension et aux institutions collectives de gestion de l’épargne et des retraites: les fonds de pension cherchent le profit à court terme et la haute rentabilité pour leurs retraités, sans se demander si, en vendant des actions au jour le jour, ils ne détruisent pas des pans entiers de l’économie.

Consommateur manipulé

La conception de la foule de Joseph Schumpeter est similaire à celle de Keynes. Le délire, la transe et l’irrationalité caractérisent le comportement des foules, les plus petites soient-elles. «Mettez douze généraux sexagénaires ensemble, écrit Schumpeter, et vous verrez surgir en eux des impulsions primitives, des infantilismes et des propensions criminelles» généralement réservées à la «canaille». Les méthodes de persuasion de la publicité relèvent, pour Schumpeter, du conditionnement des foules. La publicité fait appel aux «sombres instincts», au subconscient et favorise des «associations d’idées plaisantes et sexuelles».

Loin d’être rationnel, le consommateur est donc suiviste et mimétique. Et surtout frustré et aigri. Comme le citoyen, il est puéril, «régresse à un niveau inférieur de rendement mental». Bref, il est manipulé. Mais Schumpeter pense que la raison finit par triompher des phénomènes de foule. «A la longue, le peuple est plus sage que ne peut l’être n’importe quel individu», dit-il en citant Abraham Lincoln, ancien président des États-Unis. On ne peut pas le tromper éternellement. Les phénomènes de foule, en économie, s’atténuent d’eux-mêmes. Les bulles finissent par crever. A la bonne heure !

 

Un peu d’imagination, Yverdon!

La construction d’un parking souterrain sous la place d’Armes à Yverdon-les-Bains n’a pas fini de soulever des passions. Son redimensionnement (de 1000 places à 430) proposée par la Municipalité à majorité gauche-verte suscite l’ire du PLR. Lequel envisage de déposer une initiative populaire qui obligerait ladite Municipalité à augmenter la taille de ce parking, « un peu sur le modèle victorieusement utilisé dans le cadre de la route de contournement choisie par le peuple yverdonnois » écrit le quotidien La Région. Ainsi, après avoir décidé en 2012 la construction plus que laborieuse d’une telle route destinée à décharger le centre-ville du trafic, les Yverdonnois seraient invités à cautionner un immense parking destiné à aspirer un maximum d’automobiles vers le centre-ville. Gribouille n’aurait pas fait mieux !

S’inspirer d’exemples réussis

L’un des arguments du PLR est de redouter que l’attractivité voire la survie du centre-ville et de ses commerçants ne soit gravement menacée sans un méga parking. Sans revenir sur l’aberration écologique d’une telle réalisation qui en plus d’attirer un nombre croissant d’automobiles empêcherait tout développement de grands arbres devenus indispensables avec le réchauffement climatique, il serait peut-être judicieux que les Yverdonnois jettent un regard sur ce qui se passe ailleurs. Toujours plus nombreuses sont en effet les villes, moyennes ou grandes, qui dans le monde évacuent l’automobile de leur centre, pour le bien-être de tous leurs habitants, y compris des commerçants. Évidemment, il ne suffit pas de dire stop à la voiture sans prendre des mesures d’aménagement du territoire qui engagent les prochaines générations pour des décennies.

Ljubljana, ou l’histoire d’un pari fou réussi

Parmi les réalisations qui méritent notre attention, il y a l’exemple remarquable de Ljubljana, capitale de la Slovénie (notre image d’ouverture). Comme le révèle un récent reportage de France 2 dont s’inspire, dans un article, l’association Rue de l’Avenir active en Suisse romande, le centre-ville de Ljubljana a le même niveau sonore qu’une forêt. Plus aucune voiture n’y circule, pas même des taxis. Si au début les habitants ont manifesté leur mécontentement, ils se montrés enthousiastes un an plus tard, louant une ambiance paisible. Quant aux commerçants, ils se frottent les mains. En cinq ans, certains d’entre eux ont vu leur chiffre d’affaire augmenter de 30% !

En effet, en 2007, Ljubljana s’est lancée un pari fou : débarrasser progressivement son centre des voitures. Elles n’ont pas été interdites, mais tout a été aménagé en fonction d’un périphérique urbain. Avant d’entrer dans la ville, de grands parcs de stationnement sont là pour se garer. On peut monter gratuitement dans un bus pour aller dans le centre, et peut-être se diriger vers les nombreux râteliers à vélo.

 

De la ville amie des voitures à la ville amie des piétons

« Cinq ponts ont été construits pour raccourcir les temps de trajets des habitants, et les trottoirs ont été abaissés », explique la journaliste Diane Schlienger, de France 2. Des voiturettes électriques et gratuites emmènent touristes et habitants où ils veulent. La ville n’est ouverte aux véhicules qu’entre six et dix heures du matin, pour les livreurs. Chaque jour, à l’aube, c’est une course contre la montre. Les conséquences positives de la piétonisation sont spectaculaires et la fréquentation du centre-ville n’a fait qu’augmenter.

Ljubljana est également passée avec succès d’une ville amie des voitures à une ville amie des piétons, réduisant ainsi les niveaux de pollution et de bruit. La baisse du niveau du bruit routier est spectaculaire. Les surfaces piétonnes ont été augmentées de 620 % grâce à la fermeture du centre-ville (10 hectares) à tous les véhicules motorisés.

Un aménagement du territoire à redessiner

Certes, Yverdon-les-Bains n’est pas Ljubljana et comparaison n’est pas raison. Mais les Yverdonnois ne devraient-ils pas revoir sérieusement l’aménagement de leur territoire plutôt que de rafistoler un projet du siècle dernier ? Laisser les automobiles à l’extérieur de la ville (par exemple à Y-Parc) implique un réseau de transports publics infiniment plus élaborés et confortables que ceux que nous connaissons aujourd’hui, à l’image de ce qu’a réalisé Ljubjana. Par ailleurs, un effort substantiel devrait être entrepris pour dessiner de vraies pistes cyclables aujourd’hui inexistantes. Bref, il s’agit ni plus ni moins de (re)construire une ville du XXIème siècle.

 

 

Quand les arts font vibrer les menhirs à Yverdon-les-Bains

Samedi 29 et dimanche 30 octobre 2022 à l’Aula Magna d’Yverdon-les-Bains, un concert a rendu hommage aux menhirs de la cité lacustre. Un spectacle inoubliable d’images, de son et de poésie d’une haute intensité, sous l’égide de l’association des amis d’atempy

Mémoires de menhirs, c’est un florilège d’alliances qui font éclore un spectacle de sons et de couleurs d’une belle intensité: alliance d’un photographe, d’un vidéaste, d’une chanteuse lyrique, d’un pianiste d’un flûtiste et d’un conteur; alliance des mondes minéral, végétal et animal; et enfin alliance d’une cité, Yverdon-les-Bains, et de sa mémoire plusieurs fois millénaire.

D’emblée le spectateur est baigné dans l’atmosphère minérale des menhirs photographiés par Cédric Bregnard et mis en scène par le vidéaste Ruben Glauser. Quelques-uns des quarante-cinq statues-menhirs de Clendy, érigés il y a plus de 6000 ans au bord du lac de Neuchâtel, sont projetés par un beamer en fond de scène. En regard de ces lourdes pierres taillées en forme humaine et qui constituent le plus important site mégalithique de Suisse, la flûte très allègre et légère de Christian Delafontaine offre un contraste étonnant. Avec l’interprétation de Mandata, une pièce du compositeur et flûtiste espagnol Francisco López.

 

Le mariage de tous les arts…ou presque

Longtemps immergés puis progressivement découverts, les menhirs de Clendy ont été dans le passé plongés dans une forêt verdoyante. Une voix nous le rappelle, limpide, cristalline, se faisant aussi puissante que tendre. La voix soprano d’Elodie Favre nous ouvre les portes de la nature vivante si chère aux romantiques. Les deux poèmes de Ronsard «Rossignol, mon mignon» et «Ciel, air et vent», mis en mélodie avec flûte par Albert Roussel, sont illustrés, toujours en projection, par des dessins à l’encre de Chine qui se muent par des fondus-enchaînés en photographies de végétaux, puis d’animaux. Deux pièces de Gustav Mahler donnent à Élodie Favre l’occasion de subtilement ciseler deux poèmes lyriques de Friedrich Rückert. Avec les œuvres de Maurice Ravel (une Pavane pour une infante défunte magnifiquement interprétée par Bernardo Aroztegui), Mel Bonis, Franz Liszt, Richard Strauss et Camille Saint-Saëns, la chanteuse, le pianiste et le flûtiste nous offrent un répertoire d’une grande variété. Qui plus est, entre les pièces chantées et jouées, Sergio Belluz nous lit des textes choisis par Nathalie Vuillemin, professeur de littérature à l’Université de Neuchâtel, en relation avec les éléments du vivant. De Roger Caillois à Victor Hugo, en passant par Victor Segalen, Albert Camus et Marie-Hélène Lafon, ces cinq textes enrichissent encore plus un spectacle qui a vraiment pour vocation de marier différentes expressions artistiques. Il ne manque plus que l’art chorégraphique pour faire danser les menhirs!

 

La mémoire de l’histoire et des ancêtres

 A relever, une première, une création composée par le pianiste Bernardo Aroztegui, avec pour titre surprenant: Phényléthylamine. Ce nom insolite désigne un alcaloïde qui favorise l’humeur positive en libérant des neurotransmetteurs! L’auteur de ce texte mis en musique est Lucas Moreno, poète et nouvelliste suisse-uruguayen. Bernardo Aroztegui s’est inspiré de la structure mathématique du poème. «Cette structure conditionne les hauteurs, les rythmes. Tout est programmé, je n’avais qu’à analyser le poème» souligne modestement le compositeur-interprète. Le résultat est saisissant: Cordes pincées, jeu d’aimants sur la harpe du piano; glissando, chuchotements, éclats de la voix; jeu d’air de la flûte.  Voilà bien les ingrédients d’une étonnante musique enrichie de quatre plages d’improvisation!

Mais contrairement à ce que laisserait croire son titre, il y a de la violence et de la tristesse dans cette création. Et pour cause. «Lucas Moreno et moi, nous sommes nés sous un régime de dictature en Uruguay», relève Bernardo Aroztegui. Sans que cela ne soit explicite, l’œuvre semble en effet imprégnée des souffrances d’une dictature militaire qui, de 1973 à 1984, a entraîné le pays dans l’une des pires répressions au monde avec un prisonnier politique pour 450 habitants.

Imaginé durant les années sombres du Covid, «ce concert met en scène des menhirs qui sont aussi les témoins de ceux qui nous ont quittés, ils sont la mémoire du temps qui passe», souligne Élodie Favre.

 

Lente germination d’une fructueuse collaboration

 Au vrai, la collaboration avec Cédric Bregnard ne date pas d’hier. Il y a environ cinq ans, le photographe et Bernardo Aroztegui partageaient le même atelier dans le site de l’ancienne usine Leclanché où l’école de Musique atempy développe désormais ses activités d’enseignement et de création dans ses propres murs. Le pianiste s’exerçait à l’improvisation quand le photographe élaborait des projets artistiques en explorant l’univers du monde végétal avec l’encre de Chine. Cédric Bregnard est notamment l’initiateur du projet Racines du Ciel Performances qui a pour but d’organiser et de guider la réalisation des dessins collectifs monumentaux à l’encre de Chine, par des centaines de participants de tous âges. Ce sont notamment certaines de ces créations qui sont projetées dans le concert Mémoire des menhirs.

«Contacté par le Festival du Castrum qui m’a demandé de faire une œuvre sur un symbole fort touchant les Yverdonnois, je me suis alors intéressé aux menhirs après m’être plutôt tourné vers les arbres», relève Cédric Bregnard qui, ensuite, a fait appel au vidéaste Ruben Glauser. «Celui-ci nous a permis de synchroniser les images projetées avec la musique». Dès lors, «collaborer avec Cédric Bregnard et Ruben Glauser sur ce projet s’est imposé naturellement», souligne Élodie Favre.

 

Les arts au service du patrimoine de la région

Mettre en valeur le patrimoine de la région par des concerts, c’est l’un des objectifs de l’école de musique atempy dont Élodie Favre (chant) et Bernardo Aroztegui (piano) sont les animateurs avec Cristina Bellu (violoncelle). Ainsi ont notamment été visités musicalement le temple de Chêne-Pâquier, les rues d’Yverdon-les-Bains lors du festival de musique baroque Airs Libres, etc. En 2020, l’événement Yverdon au temps des compositeurs a pour la première fois été réalisé avec le concours du musée d’Yverdon et région. Samedi 29 octobre, c’est d’ailleurs Corinne Sandoz, conservatrice des collections de ce musée, qui a introduit le concert en rappelant l’histoire six fois millénaire des menhirs. Un lointain passé que seuls les arts peuvent rendre encore bien présents dans les esprits car ils touchent aussi bien la raison que le cœur.