Les maux cachés des mots de l’économie

Miroirs d’un système économique qui détruit l’environnement et ne respecte pas vraiment les êtres humains, certains termes du langage économique ne devraient-ils pas être sérieusement remis en question ?

 Concurrence, économies d’échelle, coûts du travail, PIB : ces mots de l’économie, nous les lisons ou entendons quotidiennement dans les médias. Pour une majorité d’économistes, ils résonnent comme des vérités indiscutables souvent associées à une idée de « progrès ». Pourtant, ils reflètent une réalité bien différente de celle communément admise. Éclairage sur ces quatre maux de l’économie.

 

La concurrence, vraie ou fausse stimulation ?

La concurrence est présentée par grand nombre d’économistes comme un stimulant qui incite les entreprises à se dépasser, favorisant ainsi l’innovation, la diversité de l’offre et des prix attractifs pour les consommateurs. Elle favorise selon eux la croissance en générant des gains substantiels pour la collectivité. Mais quels gains, au juste, et pour qui ? Contrairement à la compétition sportive où l’échec d’une équipe n’entraîne pas sa destruction, une entreprise victime d’une concurrence acharnée court un grand risque de mise en faillite avec sa cohorte de licenciements.

Par ailleurs, le terme de libre-concurrence est trompeur car il est vain de trouver une quelconque liberté dans la concurrence. La Chine est là pour le démontrer : l’un des régimes les plus dictatoriaux et les plus destructeurs des écosystèmes entraîne le monde dans une concurrence impitoyable.

A une telle guerre économique attisée par la concurrence, ne serait-il pas plus sage de choisir la coopération tout aussi stimulante mais non ravageuse ? Nous en sommes encore fort loin mais les mentalités peuvent encore évoluer. Dans son livre Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ? (Albin Michel, 2001) l’écrivaine Christiane Singer raconte l’éclairante histoire d’un formateur américain, un sportif, qui débarque dans un village africain, bien décidé à inculquer l’esprit de compétition aux « petits Noirs ». Il organise une course, promettant une récompense au premier arrivé. Au final, tous les enfants se prennent par la main et arrivent ensemble, riant et chantant sous les yeux médusés du fabricant de compétition.

 

Les économies d’échelle, une chute de la biodiversité ?

 Les économies d’échelle sont réalisées quand une entreprise parvient à baisser le coût unitaire d’un produit en accroissant la quantité de sa production. Ladite entreprise est censée enclencher un phénomène de « cercle vertueux » : la baisse de prix liée aux économies d’échelle fait mécaniquement augmenter le pouvoir d’achat des acheteurs puisque ces derniers paient moins cher pour le même produit. Cela leur permet d’acheter en plus grande quantité si bien que l’entreprise peut décupler sa production. Revers de la médaille : une surconsommation attisée par la publicité contribue largement à produire des montagnes de déchets, à réchauffer le climat et à épuiser les sources d’eau potable, autant de graves atteintes à la biodiversité.

L’exemple de la gigantesque pollution engendrée par le plastique à usage unique est éloquent. Contacté récemment par la Radio Télévision Suisse (RTS), Dominic Charles, l’un des responsables de la fondation australienne Minderoo qui étudie la production de déchets plastiques dans le monde (139 millions de tonnes en 2021) , explique pourquoi peu d’entreprises se sont mises au recyclage : «C ’est commercialement plus intéressant de fabriquer des plastiques à partir de combustibles fossiles, du fait des économies d’échelle que les entreprises pétrochimiques peuvent réaliser que de collecter les déchets plastiques, les trier, les nettoyer et les recycler ». En ce qui concerne la protection de l’environnement, les économies d’échelle engendrent plutôt un phénomène de « cercle vicieux » !

 

Le travail, un frein ou un moteur ?

Les coûts du travail du travail, ou de la main-d’œuvre, correspondent aux charges supportées par les entreprises pour l’emploi du personnel salarié. Ce sont notamment les salaires et les cotisations sociales versées par les employeurs. Dans la comptabilité des entreprises, le salarié est ainsi assimilé à un pur coût. Nous finissons par oublier que c’est le travail qui est à l’origine de la production de la valeur ajoutée d’une entreprise. Même s’il y a des robots qu’il faut bien concevoir, fabriquer et entretenir.

Comme le souligne la philosophe et sociologue Dominique Méda dans un article de Philosophie magazine (mars 2016), le travail est exclusivement considéré comme un coût qu’il est nécessaire de réduire, pour délester les entreprises du « poids » qui les entrave dans la compétition internationale. Cette approche daterait des années 1980, « quand l’augmentation des salaires et des dépenses sociales a cessé d’être considérée comme bonne pour toute l’économie ».

 

Le PIB, pauvre indicateur de richesse ?

Pour bon nombre d’économistes, la croissance est considérée comme un indéniable facteur de progrès. Or son principal instrument de mesure, le Produit intérieur brut (PIB) mesure des richesses qui n’en sont vraiment pas. A l’exemple des accidents de la route : comme les garagistes et les médecins sollicités pour réparer dégâts matériels et dégâts humains s’enrichissent monétairement, ce pseudo enrichissement fait grimper le PIB. En revanche, ce dernier ne comptabilise pas des activités non monétisées telles que le bénévolat ou l’éducation des enfants à la maison.

Dans son anti-manuel d’économie (éditions Bréal), le regretté Bernard Maris, économiste, estime que « le PIB ne fournit que de pauvres indications sur le revenu. Il ne tient pas compte de la paix, de la justice sociale, de l’environnement (…) Il impose une vision consumériste et utilitariste du bonheur des nations. » Tous les gouvernants et les économistes savent que cet indicateur est insatisfaisant et qu’il en existe d’autres privilégiant une approche socio-économique, une approche de bien-être ou une approche environnementale. Comme par exemple le Bonheur national brut (BNB) mis en place au Bhoutan. Peu importe, le PIB demeure la seule référence dans la stratégie économique de nos gouvernements.

Reflets de notre société menacée d’effondrements écologiques, les mots de l’économie devraient être sérieusement revisités, à la faveur d’une nouvelle prise de conscience planétaire.

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)