L’UE vue du Luxembourg

Jean Asselborn, ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, était ce soir à l’Université de Berne pour présenter le point de vue des petits Etats de l’UE sur la situation politique actuelle au sein de celle-ci.

Du haut de ses 600'000 habitants, le Grand-Duché de Luxembourg est certes l’un des plus petits Etats de l’Union européenne et assez méconnu sous nos latitudes, il est non moins l’un des plus riches membres de l’UE et y occupe une place de choix. En effet, avec déjà douze présidences du Conseil de l’UE à son actif, une position de siège des institutions européennes et l’un de ses ressortissants à la tête de la Commission, le Luxembourg joue un rôle clé en Europe. Mais ce ne fut pas toujours le cas.

«C’est lors du Congrès de Vienne en 1815 que le Luxembourg est passé de duché à grand-duché», sourit le ministre devant une aula bernoise pleine à craquer. Et de raconter les grandes lignes de l’histoire moderne de son pays. Ainsi, 1815, c’est également la date à laquelle le Luxembourg est annexé à la Confédération germanique, confédération qui sera dissoute en 1866. Survient alors la crise du Luxembourg en 1867 suite à la volonté du roi grand-duc Guillaume III des Pays-Bas de vendre son grand-duché à Napoléon III. Effet collatéral de cette crise, cela permet au petit territoire de prendre son indépendance et d’obtenir un statut de pays neutre. Cette neutralité sera cependant vite violée, et ce à deux reprises. Durant la Première Guerre Mondiale d’abord, lorsque le Luxembourg est occupé une première fois par les Allemands puis libéré en 1918. Répit qui sera de courte durée puisque ces derniers réinstaureront l’occupation dès 1940. Le Luxembourg sera finalement libéré par les Alliés en 1944.

«Ces années d’occupation allemande ont marqué la fin de la volonté de neutralité des Luxembourgeois, explique Jean Asselborn. A quoi bon être neutre si on ne peut empêcher les invasions? Autant s’allier aux autres puissances». Et c’est ainsi que le Grand-Duché s’est lancé corps et âme dans le processus d’intégration européenne, devenant l’un des six premiers membres de ce qui deviendra l’Union européenne. Outre celle-ci, le Luxembourg a par la suite également intégré la zone euro, l'OTAN, l'OCDE, l'ONU et le Benelux. «Comme la neutralité ne nous apparaissait plus comme une bonne solution, nous avons misé sur l’engagement multilatéral, ce qui, en tant que petit Etat, nous a permis d’avoir notre mot à dire sur le continent et d’être plus concurrentiel sur le marché européen», souligne le ministre.

Et si Jean Asselborn admet que la situation actuelle de l’UE est difficile, il rappelle aussi que «l’Union est le produit de l’une des crises les plus dures de l’histoire de l’Europe» et que «l’UE est un projet de paix que les pères fondateurs ont voulu que nous perpétuions». Très sensible aux valeurs fondamentales de l’UE, le Luxembourgeois a également évoqué l’importance de la convergence entre les intérêts nationaux et européens pour poursuivre l’intégration européenne. Et de conclure: «personne ne doit oublier que la libre circulation des personnes est l’un des acquis fondamentaux de l’Union». 

Dette, Schuld, Guilty, Geld

Ce week-end se jouait à Tours (F) un festival de théâtre présentant des créations de jeunes comédiens professionnels. Parmi elles, la pièce intituée «Timon/Titus» s’interrogeait sur le concept de dette: «Qu’elle soit morale, financière, publique, la dette fait couler encre, sang et larmes. Comment s’en acquitter? A qui profite la dette?». Inspirée de deux oeuvres de Shakespeare traitant des notions de dette financière et de dette morale, ainsi que de l’ouvrage de l’anthropologue américain David Graeber Dette, 5000 ans d’histoire, la pièce mêle théâtre classique et débat politique, au sein duquel tous les avis sont représentés – du plus libéral au plus socialiste. Ainsi, Angela Merkel côtoie notamment David Graeber, Christine Lagarde ou encore Mario Draghi pour débattre sur scène de cette question particulièrement actuelle en Europe. 

«Dette se dit Schuld en allemand. Schuld veut dire aussi culpabilité. Culpabilité se dit guilt en anglais, ce qui ressemble à Geld en allemand qui signifie argent. Culpabilité et argent égalent dette.» C'est sur ce constat surprenant de vérité que s'ouvre une pièce en crescendo durant laquelle les acteurs n’auront de cesse de s’interroger, d’argumenter et de s’énerver sur la notion de dette et de la culpabilité qui en résulte souvent. Si tous commencent par s’accorder sur le fait qu’il est impératif de rembourser sa dette, les positions seront de moins en moins affirmées au fil des différents exemples. Et s’il existait des exceptions? A-t-on une dette envers nos parents qui nous ont donné la vie et se sont occupés de nous durant notre enfance? A la fin du spectacle, les discussions deviennent de plus en plus violentes et se cristallisent autour d'une question fondamentale: l’Homme est-il mauvais par nature?

Outre le thème, cette pièce de théâtre présente deux points particulièrement intéressants. Tout d’abord, l'aspect de l’engagement politique dans cette pièce contemporaine (certes inspirée de Shakespeare, mais celui-ci est fortement revisité) qui permet au public, de par la variété des points de vue exprimés, de se faire sa propre opinion sur un thème décrié lorsqu’il touche la sphère publique et tabou lorsqu’il s’agit d’une affaire privée. Ensuite, la pièce a été élaborée et mise en scène par de jeunes comédiens débordant de talent, d’énergie et d’idées nouvelles apportant un vent de fraîcheur sur le débat politique, loin de toute lourdeur élitiste. Les arguments fusent, se répondent et se contredisent dans un mélange dynamique, parfois loufoque, mais qui reste entièrement cohérent. Parions que le jeune public de ce vendredi 1er avril n’aura pas vu passer les 2h30 de spectacle, trop fasciné par le jeu des acteurs et l'incroyable mise en scène pour penser à s’ennuyer. Et qui sait, quelques vocations politiques auront peut-être vu le jour…

Elle pleure, elle saigne, mais elle ne rompt pas.

«Je crois que notre patrie (…) pleure, son sang coule, et chaque jour de plus ajoute une plaie à ses blessures».

Plus de 150 après, cette phrase écrite par Shakespeare dans Macbeth prend une résonnance toute particulière en ce 22 mars 2016.

Notre Europe pleure, elle saigne, elle plie.

Déjà touchée au cœur de sa liberté d’expression le 7 janvier 2015, puis au cœur de sa jeunesse le 13 novembre dernier, c’est désormais au cœur de sa capitale, de sa démocratie et de ses valeurs que l’Europe a été ébranlée.

Mais elle ne rompra pas.

Car malgré ces atrocités, malgré les victimes innocentes, nous nous rappellerons que c’est par l’ouverture, la solidarité et la démocratie que nous préserverons une Europe unie et pacifique.

Car nous nous rappellerons que le repli, la peur de l’Autre et la haine n’ont jamais conduit qu’à la guerre.

Enfin, nous nous rappellerons que pour les milliers de réfugiés qui fuient leur pays, le 22 mars c’est tous les jours qu'ils le vivent. 

Le grand oublié de la scène politique européenne

Vendredi, 17h00, visite du Conseil de l’Europe. Un professeur qui accompagne un groupe d’élèves demande soudain : « – Le déplacement du siège du Conseil de l’Europe de Strasbourg à Bruxelles est-il toujours d’actualité? – Ah ça Monsieur, cela ne concerne pas le Conseil, mais le Parlement européen.» Cet échange en apparence anodin démontre que s’il est un organe européen dont on ignore tout ou presque, c’est bien le Conseil de l’Europe. Souvent confondu avec le Conseil européen — la réunion périodique des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne —, le Conseil de l’UE — ancien Conseil des ministres — ou encore le Parlement, on oublie fréquemment qu’il ne fait pas partie des institutions de l’UE. Confusion d’autant plus facile qu’avant la construction du bâtiment qui abrite actuellement le Parlement à Strasbourg, les députés européens se réunissaient dans l’hémicycle du Conseil de l’Europe lors des sessions.

Strasbourg justement. C’est là que se situe le siège de cet organisme fondé en 1949 dont la tâche principale consiste à prévenir toute infraction d'un Etat membre aux droits de l’homme, à l’Etat de droit et à la démocratie. Ainsi, un grand nombre de conventions internationales y ont vu le jour au fil des ans, garantes d’une Europe pacifique. Enfin, contrairement à l’UE, l’entier des pays du continent font partie du Conseil de l’Europe, à l’exception de la Biélorussie, en raison de sa pratique de la peine de mort.

La Suisse est donc elle aussi membre de cette organisation, de longue date même, puisqu'elle y est entrée le 6 mai 1963. A l’époque, le gouvernement suisse «se félicitait particulièrement de ce qu'un lien nouveau soit sur le point de s'ajouter à ceux, déjà nombreux, qui unissent traditionnellement notre pays aux autres Etats de ce continent». Notre pays possède ainsi une délégation de 6 conseillers nationaux au sein de l’Assemblée parlementaires, d’un représentant au sein du Comité des ministres – le ministre des Affaires étrangères, actuellement Didier Burkhalter –  et d’un juge à la Cour européenne des droits de l’homme – actuellement Helen Keller. La Suisse, malgré sa taille modeste, est donc bien représentée et contribue pleinement aux réalisations du Conseil de l’Europe. A noter par ailleurs que les opposants à l’adhésion en 1963 brandissaient les mêmes peurs, faisaient les mêmes menaces d’atteinte à la neutralité que celles opposées à l’adhésion à l’UE aujourd’hui. Or, la neutralité hélvétique n’en a été nullement touchée.

L’attention du grand public s'est progressivement détournée du Conseil de l’Europe et de ses actions à la signature du traité de Rome en 1957 et la création de la Communauté Economique Européenne (CEE). Dès lors, les décisions d’ordre économique ont plutôt été réservées à l’UE tandis que le Conseil poursuivait la défense des droits fondamentaux, tombant progressivement dans l’oubli médiatique, bien que de nombreuses avancées dans le cadre de l’ouverture, de la tolérance et de la liberté au niveau des pays européens soient dues au Conseil – le droit de vote des femmes en Suisse par exemple ou encore, plus récemment, la loi sur le mariage pour tous adoptée en France. Le Conseil de l’Europe soutient également l’UE en ce qui concerne la question des migrants et dénonce la mise à mal des droits de l’homme dans le cadre de la crise actuelle. La situation politique en Pologne et ses nombreuses violations de l’Etat de droit sont également un thème central des débats du Conseil.

Au regard des points évoqués ci-dessus et de la situation de crise humanitaire en Europe, la question se pose de savoir s’il ne serait pas temps d’envisager une collaboration plus étroite entre le Conseil de l’Europe et l’UE. En effet, n’est-ce pas également l’objectif de l’UE que de préserver les droits fondamentaux et l’Etat de droit au sein d’une Europe pacifique? En tous les cas, il serait bon que les médias, l'enseignement et les chefs d'Etat européens évoquent davantage les actions de cette grande institution intergouvernementale européenne, évitant ainsi à l'avenir qu’un professeur ne soit pas en mesure de différencier le Parlement européen du Conseil de l’Europe.

Continuer à soutenir l’idée européenne

Nombreux sont ceux qui s’interrogent actuellement sur le futur de l’UE  et notamment en ce qui concerne la question de la politique d’immigration  et sur les raisons de continuer à soutenir l'idée européenne. 

La politique européenne actuelle concernant les migrants a été beaucoup critiquée ces derniers mois. En point de mire: l’Allemagne et sa politique d’accueil soupçonnée d’avoir créé l’anarchie au sein de l’UE. Cependant, l’Allemagne est l’une des seules qui, avec la Suède et la Slovénie notamment, respecte les valeurs d’hospitalité de l’UE. Ce n'est donc pas d’Angela Merkel, qui a compris que le sauvetage de l’UE passera par l’ouverture et non par le repli[1], que vient le problème, mais plutôt du fait qu’aucune politique commune ambitieuse en matière d’immigration n’a pu être mise sur pied au sein de l’UE ces derniers mois. Pire encore, les décisions unilatérales des pays membres de l’UE se succèdent, sans aucune solidarité entre les Etats. Ainsi, l'Autriche a accusé la Grèce de ne pas vouloir endiguer le flot de réfugiés et a organisé l’isolement de la Grèce à travers une réunion des pays de la «route des Balkans» sans la Grèce ni l’Allemagne, ce qui a poussé Athènes à rappeler son ambassadeur à Vienne. Parallèlement, la Belgique a instauré des contrôles aux frontières avec la France après le démantèlement d’une partie du camp de Calais et les frontières de la Pologne et de la Hongrie restent imperméables. Bref, c'est bien la politique de fermeture et le manque de solidarité de certains Etats-membres qui encourage l'anarchie et non la politique d'accueil d'Angela Merkel.[2]

Pourtant, faire preuve de solidarité est d’autant plus important que la Turquie, la Grèce ou encore l’Italie, on l’a vu, ne peuvent plus faire face à un tel afflux de migrants. Il est donc logique que certains d’entre eux soient «relocalisés» dans le reste de l’UE, même si une telle mesure va à l’encontre des principes du règlement Dublin III qui prévoit que les demandeurs d’asile formulent leur requête dans leur pays d’arrivée, pays qui n’est bien entendu le plus souvent ni l’Allemagne ni la Suède. Ainsi, pour mettre en place cette relocalisation, il faut maintenant que les Etats fassent preuve de bonne volonté et ne laissent pas les pays d'entrée vers l'Union seuls face à ces défis. Un pas dans ce sens a été effectué mercredi 2 mars puisque la Commission européenne a confirmé l’octroi en urgence de 700 millions d’euros sur trois ans aux pays de l’UE en crise humanitaire, mesure qui aurait cependant pu être évitée si certains gouvernements n’avaient pas pris les décisions unilatérales qui ont mené à la fermeture de leur territoire aux migrants.

Enfin, ce sont les frontières extérieures de l’UE qu’il s’agit désormais de renforcer et non celles se trouvant entre les pays membres. Il est également nécessaire d’accélérer la création de «hot-spots», ces centres qui servent à trier les migrants pouvant bénéficier de l’asile au sein de l’UE de ceux qui viennent pour des raisons économiques ne pouvant bénéficier du statut de réfugiés[3]. Car l’UE ne sera fragilisée que si les Etats membres prennent des décisions unilatérales et ne respectent pas le principe de solidarité. En revanche, si chacun des pays y met du sien et collabore pour élaborer une politique commune en matière d’immigration, alors l’UE sortira grandie de cette crise.

 

 


[1] Voir à ce sujet le blog du Prof. Gilbert Casasus «Pourquoi il faut soutenir Merkel» (09.11.2015)

[2] A noter cependant que Merkel avait certes annoncé unilatéralement l’ouverture de ses frontières, mais les a ensuite refermées avant de demander un effort de solidarité aux autres Etats européens.

[3] Statut réglé par la Convention de Genève (1951): http://www.unhcr.fr/4b14f4a62.html.

 

Le peuple suisse défend les valeurs européennes

Quel soulagement, la population a choisi de rejeter nettement l’initiative de mise en œuvre qui menaçait les valeurs européennes et les droits de l’homme dans notre pays. Le peuple suisse a ainsi décidé de ne pas sacrifier ses principes fondamentaux sur l’autel de peurs irraisonnées, s’opposant ainsi à la montée du populisme dans notre pays. Saluons aussi la campagne d’une extraordinaire intensité durant laquelle les voix en faveur du non ont défendu becs et ongles les valeurs d’une Suisse qui leur tiennent à cœur. Les moutons noirs, gris ou blancs pourront continuer à cohabiter ensemble dans un pré ouvert et solidaire.

Cependant, en dépit de ce bon résultat, le risque d’une Suisse isolée au sein de l’Union européenne n’est pas écarté, le délai fixé à 2017 pour la mise en œuvre de l’initiative «contre l’immigration de masse» étant presque écoulé. Le Conseil fédéral a certes prévu de présenter la semaine prochaine son rapport sur l’application du texte, mais il envisage la mise en place une clause de sauvegarde unilatérale, c’est-à-dire sans l’accord de l’UE. Cette dernière s’est en effet opposée à l’instauration d’une telle mesure de restriction de l’immigration, car elle n’est pas compatible avec l’accord sur la libre circulation des personnes. Le rapport du Conseil fédéral n’apportera donc aucune solution politique pertinente et aggravera encore davantage les problèmes existants.

Après Ecopop en novembre 2014, le peuple suisse s’est positionné aujourd’hui clairement contre l’isolement pour la deuxième fois depuis le vote du 9 février. Pour nous forces proeuropéennes de ce pays, il est essentiel que le Parlement tienne compte de cette position dans le traitement du projet du Conseil fédéral et propose des solutions constructives soutenant l’intégration européenne de la Suisse et les valeurs fondamentales de notre pays.
 

 

L’étrange similarité des positions de Trump et de Blocher

Aux Etats-Unis, la campagne électorale bat son plein. Donald Trump et son inoubliable moumoute ne cessent d’affoler les sondages. Plus fou encore, une victoire aux primaires républicaines serait même envisageable. Cependant, plus j’entends Trump développer ses «arguments» de campagne, plus il me fait penser à un autre milliardaire, suisse celui-là, à savoir Christoph Blocher. Le journaliste alémanique Matthias Zehnder le relevait dans un article publié le 5 février dernier [1]: «Donald Trump et Christoph Blocher versent sur leur pays moquerie et méchanceté. Cela leur apporte certes une importante visibilité médiatique (…), mais cela fait aussi de gros dégâts dans leur pays». Ainsi, les deux tribuns ne cessent de remettre en question le système politique en place, leurs concurrents et les institutions, «minant ainsi les structures qui rendent nos pays si prospères», analyse le journaliste.

 

Si ce point commun est certes préoccupant, ce n’est pas le pire d’entre eux. En effet, la position de Blocher et Trump concernant les étrangers se rejoint dans une xénophobie à peine voilée. Le premier estime ainsi qu’il est urgent de poursuivre le «combat pour le renvoi des criminels étrangers» tandis que le second préconise le renvoi des Mexicains – qu’il considère comme des «criminels» et des «violeurs» – ainsi que tous les «criminels étrangers». En outre, tous deux soutiennent l’introduction d’une préférence nationale pour «protéger les emplois des travailleurs indigènes», afin que les immigrés ne leur «volent» plus leur travail.

 

Sur la question des frontières, les deux milliardaires sont également au diapason. Quand Christoph Blocher incite à la protection des frontières car «[celles-ci] n’ont un sens que si on les protège» et que «sans frontière, il n’y a plus d’Etat», Donald Trump déclare qu’«une nation sans frontières n’est pas une nation».

 

Enfin, citons encore leurs fréquentes réparties contre les Musulmans, contre les journalistes et, comme évoqué plus haut, contre les autres partis et les institutions de leur pays. Pourtant, malgré ces similarités confondantes, une différence de taille demeure – inexplicable. Alors que les propos de Trump choquent tant aux Etats-Unis qu’en Europe, les propos de Blocher semblent acceptés pour ne pas dire banalisés par une majorité de la population suisse. Et alors que Trump est fustigé pour vouloir renvoyer les criminels étrangers, l’initiative de mise en œuvre lancée par le parti de Blocher pourrait être acceptée lors de la votation du 28 février prochain. On pense ainsi souvent qu’il n’y a qu’aux Etats-Unis qu’on peut voir des fous du calibre de Trump débarquer sur la scène politique. On a juste oublié de regarder dans notre propre pays…

 

 

[1] http://www.matthiaszehnder.ch/wochenkommentar/gurkensalat/ (consulté le 19.02.2016)

La situation des migrants est-elle si différente de celle des Juifs durant la Seconde Guerre Mondiale?

«En 2015, 5350 personnes ont péri en essayant de traverser la Méditerranée et (…) plus de 10 000 enfants non accompagnés tout juste arrivés en Europe ont disparu ces deux dernières années, victimes de réseaux mafieux de traite d’êtres humains». Par ces chiffres effrayants, le journaliste Jean Quatremer a rappelé dans un éditorial publié le 7 février la triste réalité à laquelle font face les migrants qui se pressent aux portes de l’Europe. Il s’agit selon lui d’un «drame humanitaire sans précédent depuis la seconde guerre mondiale», un «calvaire que vivent ces réfugiés et ces migrants», épreuves auxquelles «aucun être humain, absolument aucun, ne devrait être confronté».

Par ailleurs, alors que certains feignent d’ignorer ces morts par dizaines, ces enfants disparus et ces vies brisées – et je ne me prétends pas meilleure que les autres à ce sujet –, d’autres ont voulu aller encore plus loin en proclamant une «journée anti-migrants» le 6 février dernier. Initiée par le mouvement islamophobe Pegida, cette manifestation a réuni des milliers de personnes à Dresde, Prague et ailleurs en Europe pour protester contre «l'immigration de masse et l'islamisation» sous le slogan «Forteresse Europe». Ainsi, ce terme utilisé durant la Seconde Guerre Mondiale et qui, depuis, sert souvent de critique envers la politique de l'UE, devient soudain le credo de ceux qui, par peur ou par vice, souhaitent empêcher les pays européens de poursuivre ou de mettre en place une politique d’accueil.

Au vu de cette inquiétante réalité, on est dès lors en droit de se demander si le «plus jamais» de l’après-guerre est encore d’actualité aujourd’hui. Des camps de migrants sous forme de bidonvilles qui se multiplient aux points «stratégiques», des réfugiés dépossédés de leurs biens notamment au Danemark, des épidémies de gale à Calais, des actes d’une rare violence perpétrés sur des migrants par la police en Bulgarie, sans parler du manque de nourriture et du froid. Est-on vraiment si loin de ce que les Juifs ont subi entre 1939 et 1945[1]? Fermeture des frontières, déchéance de nationalité, saisie des biens ou autant de mesures qui semblent nous ramener 75 ans en arrière – dans une moindre mesure certes, mais avec de nombreux points communs. 

Bien sûr qu’il n’existe pas de solution miracle, que cette migration sans précédent représente un défi de taille pour l’Union européenne et les pays membres de l'espace Schengen et que notre équilibre en est menacé. Mais ce n’est pas une raison pour oublier la tradition humanitaire de l'Europe et ne pas faire honneur à nos valeurs. Car il s’agit d’hommes, de femmes et d’enfants qui fuient leurs pays, leurs vies et leurs traditions dans la perspective d’un avenir meilleur. Alors espérons que lorsque François Hollande, Angela Merkel et Martin Schulz ont donné le premier coup de fourchette dimanche soir lors de leur dîner à Strasbourg, ils ont pensé à tous ceux qui sont en mer, aux portes de l’Europe ou enfermés dans un camp, ceux-là même ont placé tous leurs espoirs en eux…

 

 

 


[1] A ce sujet, deux internautes ont fait une expérience édifiante en prenant des textes de propagande nazie et en remplaçant le mot «juif» par «migrant»: http://www.slate.fr/story/105427/commentaires-propagande-nazie-juifs-migrants-daily-mail

 

Non à la clause de sauvegarde unilatérale

Deux ans après l’acceptation de l’initiative «contre l’immigration de masse», le Conseil fédéral est sur le point de publier un rapport sur la situation concernant sa mise en œuvre dans lequel il invoquera probablement la mise en place d’une clause de sauvegarde.

Cette idée se base sur l’article 14.2 de l’accord de libre circulation des personnes (ALCP) qui prévoit qu’«en cas de difficultés sérieuses d'ordre économique ou social, le Comité mixte se réunit, à la demande d'une des parties contractantes, afin d'examiner les mesures appropriées pour remédier à la situation.»  A noter que cet article prévoit un examen et en aucun cas une mise en place directe de la clause, et ce encore moins sans l’accord de l’UE. En effet, la décision doit être prise au sein d’un Comité mixte composé de membres des deux parties. En outre, la Suisse doit se trouver dans une situation de difficultés sérieuses, ce qui, en comparaison aux Etats membres de l’Union, est bien difficile à justifier.

Toutefois, si aucun accord avec l’UE ne devait être trouvé sur cette question d’ici à fin février et que celle-ci venait à considérer les conditions insuffisantes à la mise en place d’une telle mesure – ce qui sera a priori le cas –, le Conseil fédéral a d’ores et déjà annoncé qu’il pourrait se passer de son approbation en activant une clause de sauvegarde unilatérale. Si une telle décision n’est pas une violation de l’ALCP en soi, elle en est cependant la menace explicite. Dans un tel contexte, les négociations en cours dans les autres dossiers européens seraient alors rendues encore plus difficiles, notamment en ce qui concerne les questions institutionnelles.

Outre les discussions en cours, les programmes Horizon2020, Media et Erasmus+ seraient également compromis par une telle mesure. En effet, si notre pays ne signe pas le protocole d'extension de la libre circulation des personnes à la Croatie, il sera à nouveau considéré comme un Etat tiers au sein de ces programmes.[1] La Suisse agit cependant comme si elle pouvait à la fois envisager de signer le protocole et menacer de rompre les accords bilatéraux, ce qui n'est évidemment pas envisageable. Ainsi, en cas de rupture de ces accords, il est fort peu probable que l’UE accepte de reprendre la Suisse au sein des programmes susmentionnés. Notons encore que, selon les spécialistes, une sortie d’Horizon2020 représenterait un retour en arrière d’une décennie pour la recherche suisse.

Au vu des éléments ci-dessus, il apparaît que le Conseil fédéral, en annonçant une clause de sauvegarde unilatérale, se mettrait lui-même sous pression et ce doublement. Il se verrait en effet obligé de l’introduire si aucun accord ne pouvait être trouvé avec l'UE. A l’inverse, si un accord – certes très peu vraisemblable – avec l’UE était trouvé, le risque serait que les partisans de mesures plus fortes demandent quand même la mise en place d'une clause de sauvegarde unilatérale. Il ne s’agit ainsi en aucun cas d’une stratégie efficace, mais d’une tentative de gagner du temps de la part du gouvernement. Et ce d’autant plus que la Commission européenne a déjà annoncé explicitement en décembre qu’elle refusait d’entrer en matière concernant l’introduction unilatérale d’une telle mesure. Par conséquent, que l’on soit en faveur du statu quo, de l'extension de la voie bilatérale ou de toute autre forme d’intégration européenne de la Suisse, la clause de sauvegarde unilatérale ne peut en aucun cas représenter une solution car elle réduirait à néant les acquis passés, présents et futurs de notre relation avec l’UE. 

 

 

 


[1] Une solution temporaire qui a permis de lever la suspension de sa participation opérée par l’UE après le 9 février avait certes été trouvée, mais celle-ci sera échue à la fin de l'année

 

De Strasbourg à Paris en passant par Berlin

Envol pour Berlin en passant par Strasbourg, retour à Berne via Paris: c’est peu dire que ces derniers jours ont été européens pour moi. Européens par la situation géographique bien sûr, mais aussi par la façon d’être et d'agir de ces villes. Cependant, malgré leurs similitudes, ces dernières ont toutes une manière différente de s’appréhender et de se définir en tant que cités européennes.

Strasbourg tout d’abord. De taille humaine et cosmopolite, la bourgade traversée par l’Ill semble parfois s’excuser d’occuper une place si importante au niveau européen, oubliant ainsi que son statut historique, géographique et politique en fait l’une des cités les plus européennes de l’Union. Constamment sous les feux de la critique de ceux qui souhaitent ardemment que le siège du Parlement soit installé à Bruxelles, elle craint sans cesse de voir son statut dévalorisé au profit de la capitale belge. Toutefois, comme le rappelait l’ancienne députée européenne strasbourgeoise Catherine Trautmann dans le magazine Le Taurillon, «la question du siège du Parlement européen est une question politique qui mérite une stratégie offensive. Strasbourg doit être le centre politique de l’Union européenne et Bruxelles son espace technocratique. (…) Depuis plusieurs mois, le Parlement européen s’exprime a minima, qu’il s’agisse de la crise grecque, de la crise des réfugiés et donc de la politique de migration ou de la réforme structurelle proposée par la Commission Junker. Cette situation deviendra plus grave et permanente si le Parlement devait avoir Bruxelles pour siège unique. Il se créerait alors en pratique une sorte de «tube législatif» opaque et bureaucratique excluant encore davantage le citoyen.»[1] Il est donc crucial que Strasbourg se batte pour ses droits. Les parlementaires souhaitent ne siéger que dans un seul lieu? Qu’ils le fassent. Mais à Strasbourg.

750 kilomètres plus au nord, Berlin m’a plongée dans une toute autre atmosphère. En effet, là où Strasbourg semble avoir fait la paix avec son passé, c’est comme si chaque bâtiment, chaque pavé, chaque panneau de Berlin soutenait le poids d’une histoire trop lourde à porter, et ce particulièrement à l’est. Si cela a son charme en été, il est vrai que l’hiver couvre la capitale allemande d’un voile de tristesse qui, lorsqu’il est accompagné d’un brouillard persistant, ajoute à l’ambivalence de la ville. Cette ambiguïté semble également s’appliquer en ce qui concerne l'opinion de ses habitants sur l’Europe et les défis actuels. Comment réagir face à la politique d’accueil des migrants d’Angela Merkel et aux récents événements choquants de Cologne et Hambourg? Car on sent chez les Berlinois une grande peur de ne pas se montrer assez ouverts envers les étrangers et de voir ainsi se reproduire l’histoire récente du pays. Dans ce cadre, une prise de position objective est rendue très difficile. Quant à l’ambiance générale, bien que chaleureuse, elle paraît confinée en de petits groupes, l’extérieur étant si incertain qu’il faille resserrer les liens vers l’intérieur.

Moins de deux heures d'avion séparent Berlin de Paris et pourtant la transition est brutale. D’une capitale plongée au cœur d’un hiver froid et craintif, on passe à une ville bouillonnante et joyeuse, dont on peine à croire qu’elle a vécu l’horreur quelques semaines auparavant. Ainsi, en plein mois de janvier – certes doux pour la saison – les terrasses sont pleines, les verres aussi et les conversations animées. Présente à Paris pour assister à un concert, il m’a été donné de constater que la peur n’a absolument pas pris le pas sur la raison. Ni dans le public, ni parmi les organisateurs. En effet, l’attente pour accéder à la salle de Paris-Bercy s’est déroulée dans une ambiance bon enfant, que les deux contrôles de sécurité (brève fouille corporelle, ainsi que des sacs) n’ont pas entamée. La devise de Paris «Fluctuat nec mergitur» (le bateau est battu par les flots mais ne sombre pas) est donc bel et bien, comme souligné au lendemain des attentats, un adage qui s’applique parfaitement à la métropole tricolore.

Après Paris, retour à la case départ: Berne. En comparaison aux autres villes mentionnées ci-dessus, la capitale suisse paraît voguer sur une mer d’insouciance et de tranquillité que, contrairement à son homologue française, peu de houle ne vient secouer, si ce n'est celle causée par ses propres matelots. Bien que ce soit au sein de son palais que sont prises les décisions façonnant l’avenir européen de la Confédération, Berne n’est pas la plus européenne des villes helvétiques. Loin du cosmopolitisme de Zurich ou de Lausanne et du rôle international de Genève ou de Bâle, elle semble repliée sur sa neutralité et sa sobriété. Des plus agréables à vivre au quotidien, il lui manque cependant ce petit quelque chose qui ferait d’elle une véritable capitale à l’échelon européen. Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre de la bouche des touristes de passage à Berne que «c’est une très jolie ville, mais elle ne ressemble pas à une capitale».

La conclusion de ce périple? Le peuple européen possède de multiples facettes qui lui permettront de faire face aux défis actuels. A condition bien sûr de résister aux sirènes du repli et de ne pas cesser d'espérer.

 

 

 


[1]Le Taurillon, magazine eurocitoyen: http://www.taurillon.org/trautmann-sans-concession-sur-le-siege-du-parlement-a-strasbourg (consulté le 25.01.16)