La situation des migrants est-elle si différente de celle des Juifs durant la Seconde Guerre Mondiale?

«En 2015, 5350 personnes ont péri en essayant de traverser la Méditerranée et (…) plus de 10 000 enfants non accompagnés tout juste arrivés en Europe ont disparu ces deux dernières années, victimes de réseaux mafieux de traite d’êtres humains». Par ces chiffres effrayants, le journaliste Jean Quatremer a rappelé dans un éditorial publié le 7 février la triste réalité à laquelle font face les migrants qui se pressent aux portes de l’Europe. Il s’agit selon lui d’un «drame humanitaire sans précédent depuis la seconde guerre mondiale», un «calvaire que vivent ces réfugiés et ces migrants», épreuves auxquelles «aucun être humain, absolument aucun, ne devrait être confronté».

Par ailleurs, alors que certains feignent d’ignorer ces morts par dizaines, ces enfants disparus et ces vies brisées – et je ne me prétends pas meilleure que les autres à ce sujet –, d’autres ont voulu aller encore plus loin en proclamant une «journée anti-migrants» le 6 février dernier. Initiée par le mouvement islamophobe Pegida, cette manifestation a réuni des milliers de personnes à Dresde, Prague et ailleurs en Europe pour protester contre «l'immigration de masse et l'islamisation» sous le slogan «Forteresse Europe». Ainsi, ce terme utilisé durant la Seconde Guerre Mondiale et qui, depuis, sert souvent de critique envers la politique de l'UE, devient soudain le credo de ceux qui, par peur ou par vice, souhaitent empêcher les pays européens de poursuivre ou de mettre en place une politique d’accueil.

Au vu de cette inquiétante réalité, on est dès lors en droit de se demander si le «plus jamais» de l’après-guerre est encore d’actualité aujourd’hui. Des camps de migrants sous forme de bidonvilles qui se multiplient aux points «stratégiques», des réfugiés dépossédés de leurs biens notamment au Danemark, des épidémies de gale à Calais, des actes d’une rare violence perpétrés sur des migrants par la police en Bulgarie, sans parler du manque de nourriture et du froid. Est-on vraiment si loin de ce que les Juifs ont subi entre 1939 et 1945[1]? Fermeture des frontières, déchéance de nationalité, saisie des biens ou autant de mesures qui semblent nous ramener 75 ans en arrière – dans une moindre mesure certes, mais avec de nombreux points communs. 

Bien sûr qu’il n’existe pas de solution miracle, que cette migration sans précédent représente un défi de taille pour l’Union européenne et les pays membres de l'espace Schengen et que notre équilibre en est menacé. Mais ce n’est pas une raison pour oublier la tradition humanitaire de l'Europe et ne pas faire honneur à nos valeurs. Car il s’agit d’hommes, de femmes et d’enfants qui fuient leurs pays, leurs vies et leurs traditions dans la perspective d’un avenir meilleur. Alors espérons que lorsque François Hollande, Angela Merkel et Martin Schulz ont donné le premier coup de fourchette dimanche soir lors de leur dîner à Strasbourg, ils ont pensé à tous ceux qui sont en mer, aux portes de l’Europe ou enfermés dans un camp, ceux-là même ont placé tous leurs espoirs en eux…

 

 

 


[1] A ce sujet, deux internautes ont fait une expérience édifiante en prenant des textes de propagande nazie et en remplaçant le mot «juif» par «migrant»: http://www.slate.fr/story/105427/commentaires-propagande-nazie-juifs-migrants-daily-mail

 

Caroline Iberg

Caroline Iberg a travaillé entre 2013 et 2017 au Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes). Elle est désormais chargée de communication à Strasbourg.