Le nouveau défi de Bruxelles s’appelle PiS (mais sans Manneken)

S’il est un thème que les médias francophones ont peu abordé ces dernières semaines, c’est bien celui de la situation politique actuelle en Pologne. Membre de l’Union européenne (UE) depuis 2004, cette dernière a fortement bénéficié de son adhésion grâce à de nombreuses aides de l'UE. Ainsi, sur la période 2004-2014, ce sont près de 85,2 milliards d'euros qui lui ont été alloués, permettant le financement de nombreuses infrastructures telle que l'autoroute reliant Varsovie à Berlin pour ne citer que cet exemple. Par ailleurs, de tous les pays qui ont adhéré à l’UE en 2004 et 2007, la Pologne est celle qui a le plus profité des chances que l’intégration lui offrait, devenant l’une des économies les plus performantes d’Europe et ce même lors des années de crise.

Cependant, si l’économie polonaise se porte au mieux, ce n’est plus le cas de sa politique qui a connu un revers brutal avec l’élection du parti conservateur et nationaliste Droit et justice (PiS) lors des législatives du 25 octobre dernier, confirmant ainsi celle d'Andrzej Duda, président PiS depuis août 2015. Et les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir. Sitôt élu, le parti eurosceptique, nullement reconnaissant des apports certains de l’UE envers son pays, a mis en place toute une série de mesures allant à l’encontre à la fois des valeurs de l’Etat de droit, de l’Europe et de la démocratie. Ainsi, il a notamment remplacé de nombreux hauts fonctionnaires par des loyalistes, pris le contrôle direct des médias nationaux et fait passer des textes qui entravent les contre-pouvoirs.

L’Union européenne a donc désormais un nouveau problème de taille qui vient s’ajouter à la longue liste de ceux qu’elle avait déjà à régler. Conscient de cette réalité, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a mis la Pologne en tête de liste pour ce début d’année et a ouvert aujourd’hui une «procédure formelle de surveillance du respect de l'Etat de droit». A noter que cette procédure a été introduite il y a deux ans en prévention du défi que représente déjà Viktor Orbán en Hongrie, mais n'a encore jamais été utilisée.  Elle permet à la Commission d'entamer un dialogue avec l'Etat membre qui violerait les règles de l’Etat de droit et, en dernier recours, de mettre en place l'option dite nucléaire, qui consiste à suspendre les droits de vote et l'accès aux fonds européens.

L’année 2016 s’annonce par conséquent comme celle de tous les dangers pour l’UE: après la Hongrie en 2014, la Grande-Bretagne et la Grèce en 2015, la voici aux prises avec un nouvel Etat déviant. Dans ce contexte, il y a fort à parier que l’organisation sui generis se montrera de moins en moins tolérante envers les moins vertueux de ses membres. Quant à ceux qui ne feraient pas partie du cercle et qui chercheraient quand même à profiter du système – à l’instar de la Suisse pour ne pas la nommer – gageons que la patience de l’UE atteindra rapidement ses limites. Et s’il prenait l’envie au Conseil fédéral de mettre en place une clause de sauvegarde unilatérale et au peuple d’accepter l’initiative de mise en œuvre soumise au vote le 28 février prochain (qui met elle aussi à mal les valeurs de l’Etat de droit), ce ne sera plus un bisou, mais bien une claque que Monsieur Juncker adressera à la Suisse. Car l’UE a définitivement d’autres chats à fouetter…

Pourquoi n’avez-vous rien fait?

«Ce que je peux vous dire, c’est que la jeunesse se désespère, elle est profondément désespérée parce qu’elle n’a plus d’appui, elle ne croit plus en la politique française et je pense qu’elle a, en règle générale, en résumant un peu, bien raison. Ce que je peux vous dire, c’est que le désespoir est mobilisateur et quand il devient mobilisateur, il est dangereux et que ça entraîne le terrorisme (…). Et ça, il faut que les grandes personnes qui dirigent le monde soient prévenues que les jeunes vont finir par virer du mauvais côté parce qu’ils n’auront plus d’autres solutions». Ces mots, que l’on pourrait croire l’expression de la situation actuelle, ont été adressés par Daniel Balavoine le 19 mars 1980 sur Antenne 2 (actuelle France 2) à François Mitterrand qui se présentait alors à l’élection présidentielle française.[1]

En lisant cet extrait qui est, trente-six ans plus tard, encore d’une actualité déconcertante, on est en droit de se poser trois questions: la situation politique, économique et culturelle en France n’a-t-elle pas évolué depuis les années 1980? Peut-on ainsi déduire que personne n’a rien fait pour changer les choses?  Enfin, et c’est le plus important, que peut-on faire pour que cela ne dure pas trente-six ans de plus? 

En réponse à cette dernière question, deux mesures urgentes me semblent dorénavant fondamentales, et celles-ci concernent toute l’Europe, pas seulement la France. Tout d’abord, il est urgent que les partis politiques – y compris en Suisse – offrent davantage de perspectives aux jeunes que ce n’est le cas actuellement. Car quand un grand pourcentage des 18-30 ans vote pour un parti d’extrême-droite[2] en y voyant un espoir de «changement», comme ce fut le cas en Suisse lors des élections fédérales ou en France lors des élections régionales, c’est que notre société souffre. Seuls les bons résultats de Podemos en Espagne lors des élections législatives de décembre laissent entrevoir un avenir pour la jeunesse européenne.

De plus, il est nécessaire qu’un renouveau au sein des hautes sphères politiques françaises et européennes ait lieu et que des réformes soient faites. Les résultats d’un récent sondage réalisé pour le journal le Parisien[3] montrent que 88% des Français souhaitent un renouvellement politique dans leur pays et que ceux-ci en font la priorité pour 2016, ce qui est loin d’être étonnant. En effet, comment pourrait-on placer sa confiance en quelqu’un qui, à l’instar de Nicolas Sarkozy, apparaît dans une demi-douzaine d’affaires judiciaires? Et comment espérer un renouveau de la part de ceux qui occupent la scène politique française depuis des années – Laurent Fabius, François Bayrou, Jean-François Copé, Alain Juppé, etc? Quant à l’UE, comment croire en son principe alors que la plupart des décisions semblent dictées par les dirigeants de certains grands Etats de l’UE? Et que certains députés européens souhaitent que leur pays sorte de l’Union? La France et l’Europe manquent de figures charismatiques qui sauraient à la fois incarner la volonté et les valeurs du peuple, apaiser ses doutes et lui proposer des solutions réalisables et durables.

En résumé, après la terrible année 2015 que l’Europe a traversée, il est essentiel désormais que des mesures soient mises en place afin que, dans trente-six ans, nos enfants et petits-enfants ne soient pas aux prises avec une nouvelle guerre mondiale et ne nous demandent pas: «Mais puisque vous saviez, pourquoi n’avez-vous rien fait?».

 

 


[2] 27% de jeunes ont voté UDC en Suisse le 18 octobre dernier (source Le Matin) ; 35% des jeunes ont voté Front National en France lors du premier tour des élections régionales (source Le Monde).

 

Les réfugiés de Noël

En ce dernier dimanche de l’Avent, j’ai une pensée particulière pour les réfugiés qui fêteront Noël loin de chez eux, peut-être même dehors, avec parmi eux de nombreux enfants. Sous la forme d’un conte de Noël, j’ai imaginé ce que pourrait être, cette année, le Noël de l’un de ces enfants.

Il s'était toujours demandé pourquoi il était né cette année-là, à cet endroit et dans ces conditions. Pourquoi n'était-il pas comme ces enfants dans les rares films qu'il avait vus dans sa vie d’avant? Avant. Pour ne pas y penser, Tayssir s'obligea à se concentrer sur ses pas. Cela faisait déjà des jours que son père et lui avaient quitté leur petite maison d'Alep pour se rendre en Europe où il pourrait avoir «une vie comme les enfants des films» avait promis Papa. Pourtant, Tayssir restait sceptique: dans les films, personne ne devait abandonner sa mère et sa sœur. «Elles nous rejoindront bientôt», lui assurait son père, mais son regard embué disait le contraire.

Tayssir ne savait pas très bien où ils se trouvaient. D'après ce qu'il avait entendu, ils avaient rejoint la Turquie, puis la Grèce, la Macédoine, la Serbie et, enfin, en cette veille de Noël, la Hongrie. Hongrie qui serait, normalement, la dernière halte avant l'Allemagne, pays que l'on avait toujours décrit à Tayssir comme celui de toutes les libertés. «Cher Père-Noël, j'aimerais que tu m'emmènes à Munich avec mon Papa», avait été l'unique souhait de Tayssir. Pas de jeux vidéo, pas de camion de pompier, mais le rêve de devenir un petit garçon de dix ans «comme les autres».

Tayssir fit une courte pause. Il grelottait, ses habits n'étaient pas adaptés aux températures de décembre: «Prends le minimum», lui avait ordonné sa mère. «Vous serez rapidement en sécurité». Las, cela faisait près de deux mois qu'ils étaient en route et le froid était de plus en plus perçant. Il regarda autour de lui: la gare n'était plus très loin. Il voyait même le train qui les amènerait dans la capitale bavaroise.

Une heure plus tard, entassés dans un wagon, ils étaient des centaines à rêver d'une vie meilleure, tout en ressassant avec nostalgie les images du passé, les souvenirs d'un proche laissé au pays ou perdu en chemin. Écrasé entre bagages et provisions, l'avenir semblait désormais bien incertain. Au dehors, le brouillard flottait sur la campagne, comme autant de fantômes venant hanter ceux que l’on appelait «réfugiés». «Quel refuge?», s'interrogeait Tayssir qui n'avait pas dormi dans un vrai lit depuis des semaines.

Soudain, le train eut un brusque sursaut, avant de s'arrêter brutalement. «Quelqu'un a-t-il tiré le frein d’urgence?», se demanda Tayssir bien que les imprévus ne le surprennent plus. Isolés dans une obscurité totale, plusieurs passagers, bientôt imités par d'autres, sortirent des wagons pour savoir ce qu'il se passait.

Quand il fut tout à fait certain que le train ne repartirait pas avant le lendemain – une panne à l'appareil d'enclenchement avait dit le mécanicien – les voyageurs réunirent les victuailles amassées cahin-caha le long du parcours sinueux effectué jusque-là. En silence, on se passa le pain, les fruits secs et les gâteaux. Trois hommes firent un feu auquel le groupe ne tarda pas à venir se réchauffer. Et lorsque l'un d'eux cria: «Il est minuit, joyeux Noël!», chacun lui répondit, même ceux qui ne partageaient pas sa religion. Des chants de Noël furent entonnés, des embrassades échangées, de nouvelles amitiés nouées. En cette belle nuit étoilée, il semblait qu'il y avait de la place pour toutes les croyances, tous les espoirs et tous les rêves.

Plus tard, emballé dans les bras de son père, bercé par le crépitement du feu, Tayssir pensa: «Merci Père-Noël pour cette belle soirée». En s'endormant, il ne doutait plus que son prochain cadeau serait la liberté. Les yeux fermés, il ne vit pas l'étoile s'allumer au-dessus de sa tête: son avenir était assuré.   

Le moindre mal… vraiment?

Imaginons qu’en cette nuit des longs couteaux tous les partis se soient réunis à l’insu de l’UDC. Imaginons que ceux-ci aient décidé de se révolter contre le «tricket» proposé par le parti d’extrême droite et qu’ils aient décidé de lancer un quatrième candidat. Imaginons alors qu’en ce mercredi 9 décembre 2015, 11h45, ce soit un candidat du centre – comme Roger Nordmann l’a souhaité dans son discours en tant que président du groupe socialiste – qui ait été élu. Imaginons enfin que nos parlementaires aient osé casser l’image bien lisse et bien propre de la concordance helvétique et aller à l’encontre de la clause d’exclusion de l’UDC que chacun dénonce pourtant comme antidémocratique. Si tout cela s’était réalisé, alors nous aurions pu – peut-être – envisager une législature dans laquelle nos représentants auraient été en mesure de proposer des solutions novatrices et porteuses d’avenir dans les nombreux défis qui nous attendent ces quatre prochaines années.

Au lieu de cela, tout s’est déroulé exactement comme attendu et le fade Guy Parmelin, certes annoncé comme un moindre mal face à ses deux concurrents, a été élu pour remplacer la dynamique et efficace Eveline Widmer-Schlumpf. Malgré ce «moindre mal», nous sommes en droit de nous faire du souci en ce qui concerne les prochaines échéances du dossier européen avec l’élection du Vaudois.

En effet, en consultant son site internet[1], on constate vite que Guy Parmelin souhaite continuer à se «battre contre tout accord institutionnel avec l’UE qui mettrait à mal nos positions économiques et politiques» afin de rester «libre de toute tutelle extérieure». Par ailleurs, on lit également qu’il fait partie du Comité de l’initiative contre l’immigration de masse et qu’il a déjà dénoncé la «mauvaise volonté du Conseil fédéral»[2] sur la question de sa mise en œuvre à plusieurs reprises. Comment imaginer dans ces conditions qu’une solution solide et pérenne pour nos relations avec l’Union européenne sera trouvée dans le cadre de l’application de l’article 121a?

Enfin, l'autre danger qui guette l’avenir de la Suisse en tant qu’Etat de droit et pays ouvert au centre de l’Europe est celui de la votation du 28 février prochain sur l’initiative de mise en œuvre lancée, elle aussi, par l’UDC. Car sous un nom aux consonances anodines se cache en fait une violation de la Convention européenne des droits de l'homme, du droit international et de la libre circulation des personnes entre autres joyeusetés. Comment ne pas craindre désormais une acceptation populaire de l’initiative lancée par le premier parti de Suisse alors que deux de ses représentants siègent au gouvernement et 74 dans les deux Chambres?

Alors oui, on peut certes se féliciter que ce soit le candidat «le moins pire» qui ait été élu, que celui-ci ait déclaré se sentir «plus proche d’Alain Juppé que de Marine Le Pen»[3], mais ce que l’on doit surtout espérer, c’est que les autres partis s’unissent dans la lutte pour la sauvegarde de nos relations avec l’Union européenne, l’ouverture de la Suisse et le maintien de sa prospérité.

 

[1] Cf. http://www.guyparmelin.ch/ (consulté le 09.12.15)

[2] Cf. http://lesobservateurs.ch/2015/06/01/on-sent-une-mauvaise-volonte-du-conseil-federal/ (consulté le 09.12.15)

[3] Cf. http://www.letemps.ch/suisse/2015/12/08/udc-front-national-jeu-differences (consulté le 09.12.15)

Nous qui n’avons pas vécu la chute du mur

«Quelle est l’Europe que je me souhaite?» Tel était le thème du Café d’Europe organisé lundi 30 novembre dernier par la section bernoise du Nomes. A cette occasion, la parole était aux jeunes: Nicole Nickerson, vice-présidente de la young european swiss (yes), Moritz Bondeli, membre du Comité RASA et Larissa Stämpfli, jeune PLR. Ouverture, intégration et démocratie ont été les principaux vœux adressés à l’Europe et à l’UE. Tout en ayant conscience que le chemin était semé d’embûches ayant pour nom terrorisme, frontières ou encore nationalisme.

Depuis cette soirée, la question tourne dans ma tête: quelle est l’Europe que je me, que je nous souhaite? À nous qui avons vingt-cinq ans aujourd’hui, qui en aurons soixante en 2050 et qui n’étions pas nés à la chute du mur de Berlin? À nous qui avons entendu pour la première fois le mot «terrorisme» à 11 ans lorsque les deux tours se sont effondrées? À nous qui avons grandi avec pour avenir les mots « informatique» et «protection de l’environnement» et que l’on appelle la génération Y? 

Je nous souhaite une Europe de l’ouverture. Dans laquelle la crise des migrants aurait été résolue par la mise en place d’une politique migratoire commune. Dans laquelle le système Schengen n’aurait pas été aboli, mais réformé, afin d’unifier les législations sur le droit d’asile et d’instaurer une clé de répartition commune des migrants. Et, surtout, dans laquelle la libre circulation des personnes serait restée le principe fondamental.

Je nous souhaite une Europe de la démocratie. Dans laquelle le Parlement européen serait devenu un vrai pouvoir législatif, où siègeraient des représentants élus par listes transnationales pour qui l’intérêt européen passerait avant l’intérêt national. Dans laquelle la séparation des pouvoirs aurait été clairement marquée et l’influence du Conseil européen considérablement affaiblie. Et, surtout, dans laquelle chaque citoyenne et citoyen européen serait impliqué dans le processus électoral et décisionnel.

Je nous souhaite une Europe de l’unité et de la solidarité. Dans laquelle chaque pays reconnaîtrait l’apport de son appartenance à l’Union européenne non seulement pour son propre territoire, mais aussi pour l’ensemble du continent. Dans laquelle les Etats ne se replieraient pas sur leurs frontières à la moindre difficulté. Et, surtout, dans laquelle les Etats membres de l’UE s’uniraient pour sauver l’un des leurs qui se trouverait en détresse – économique, politique ou humanitaire – et ne le menaceraient pas d’exclusion et de représailles.

Je nous souhaite une Europe de la formation. De laquelle on expliquerait les valeurs aux enfants dès leurs premières années d’école. Dans laquelle les échanges linguistiques et culturels seraient encouragés et plébiscités. Dans laquelle les jeunes, quelles que soient leurs origines, puissent s’intégrer et croire en un avenir aux saveurs de réussite et non se tourner vers un idéal au goût de violence. Et, surtout, dans laquelle le mot liberté n’aurait pas été sacrifié sur l’autel de la sécurité.

Enfin, ce que je nous souhaite par-dessus tout, c’est une Europe de la paix au sein de laquelle la Suisse aurait assumé sa place par une adhésion pleine et entière à l’Union européenne. 

Le sauvetage de l’Europe passera par l’Europe

Que ce soit en Suisse, en France ou en Europe, la question des réfugiés ne cesse d’être actuelle. Placée au centre de la première session du nouveau parlement suisse qui débute ce lundi 30 novembre, elle l’a été aussi de la conférence de presse d’hier du premier ministre français Manuel Valls durant laquelle il a annoncé qu’il n’était «plus possible» pour l'UE d'accueillir autant de migrants et qu'elle devait «trouver des solutions» pour que ceux qui quittent la Syrie soient pris en charge par des pays voisins. Il a également exprimé sa crainte que les peuples disent «l’Europe, ça suffit». Alors ça y est? L’UE est-elle désormais en si grand danger qu’elle ne peut plus se permettre d’accueillir des réfugiés et se voit obligée de marcher sur ses valeurs? 

Il est clair que les attentats du 13 novembre dernier à Paris ont remis en question certaines mesures prises au sein de l’Union européenne sur la gestion des vagues de migrations. Ainsi, nombreux sont ceux qui se demandent désormais si l’accueil des réfugiés n’est pas également une porte ouverte aux terroristes de l’Etat islamique. Il semble également évident que la question de l’accueil des réfugiés ne peut plus être ajournée et qu’il est urgent de trouver des solutions. Cependant, il est aussi important d’éviter l’amalgame facile entre réfugiés et terroristes et de rappeler qu'il existe une forte convergence entre les intérêts sécuritaires européens et ceux des personnes qui cherchent protection en Europe. En effet, les deux ont besoin de voies d’accès sûres, légales et contrôlées. En outre, en refusant l’aide à ces populations, nous allons au-devant de graves violations des droits humains.[1]

Quant à ceux qui, pour les raisons évoquées ci-dessus, souhaiteraient fermer les frontières de notre pays et mettre ainsi un terme à la libre circulation des personnes, rappelons qu’il convient de différencier deux types d’immigration: l’immigration de ressortissants des pays membres de l’UE et celle de réfugiés. La première concerne l’émigration et l’immigration des habitants des pays membres de l’UE et se fonde sur les accords conclus entre la Suisse et l'UE (libre circulation des personnes dans le cadre des Accords bilatéraux I). En revanche, la question des réfugiés et de leur statut est réglée par la loi fédérale sur l’asile. L’afflux actuel de réfugiés venus du Proche-Orient et d’Afrique est un défi qui concerne l’ensemble de l’Europe et, de ce fait, la Suisse doit contribuer à trouver des solutions en collaboration avec ses voisins européens. Et ce non seulement en tant que membre de Schengen/Dublin, mais aussi en tant que pays situé au cœur de l’Europe et qui en partage les valeurs.

Enfin, n’oublions pas que l’immigration a toujours représenté une chance pour l’ensemble de l’Europe. Ainsi, les défis actuels devraient être réglés de manière commune à l’ensemble des pays de l'UE et de l’espace Schengen et non de manière nationale en fermant les frontières. Le sauvetage de l’Europe passera par l’Europe.

 


[1] Lire à ce propos l’intéressant interview de Denise Graf, coordinatrice pour les réfugiés chez Amnesty International: 

http://www.migrosmagazine.ch/societe/entretien/article/les-barrieres-ne-font-que-nourrir-les-organisations-mafieuses-et-les-passeurs

(consulté le 25.11.2015)

 

Vaincre le sentiment d’inutilité

Elle s’appelait Lola, elle avait 17 ans. Il s’appelait Yannick, il avait 34 ans. Elle s’appelait Maeva, elle avait 27 ans. Trois personnes parmi les 89 victimes décédées au Bataclan. Trois personnes parmi les 129 victimes décédées à Paris vendredi soir. Trois personnes parmi les 269 victimes des attentats d’Ankara, Beyrouth et Paris qui ont eu lieu entre le 10 octobre et le 13 novembre. Trois personnes comme vous et moi qui, heureuses d’avoir fini une longue semaine de travail, étaient venues se détendre dans un café, à un concert ou encore à un match de foot.

Passé le choc initial intense – n’est-on plus en sécurité nulle part? –, la peur et l’envie de vengeance, l’impression d’inutilité s’installe rapidement. Que peut-on faire, en tant que personne, pour sauver notre Europe pacifique? Qu’entreprendre pour que François Hollande puisse déclarer que ça y est, la guerre est finie, la paix est revenue?

Je crois sincèrement que ce que l’on peut faire, et qui a été admirablement fait depuis vendredi sur les réseaux sociaux – malgré certains commentaires malheureux mêlant amalgames et racisme – c’est de se montrer solidaires, partager son opinion et soutenir les valeurs de notre continent. Le faire également dans la vraie vie en allumant une bougie sur sa fenêtre, en jouant «Imagine» sur son piano[1] ou encore en participant à l'un des rassemblements organisés dans de nombreuses villes d’Europe. De petites gouttes de paix dans un océan de violence certes, mais un moyen de se montrer unis dans un monde de plus en plus incertain. Et, à terme, faire triompher la joie sur la peur, la vie sur la mort.

Quant à ceux qui se plaignent que les attentats de Beyrouth et d’Ankara ont été sacrifiés sur l’autel de ceux de Paris, je réponds que les Parisiens, en tant qu’Européens, sont nos compatriotes. Qui d’entre nous n’a jamais foulé ou rêvé de fouler les pavés parisiens, dorénavant théâtre d'un massacre? Ville d’ouverture, de démocratie et de liberté, une atteinte à Paris est une atteinte en plein cœur aussi sûrement que si elle avait été perpétrée dans notre propre ville car nous partageons leurs valeurs et leur identité. Nous n’oublions pas Ankara et Beyrouth; elles sont seulement trop lointaines géographiquement, historiquement et politiquement, pour nous qui sommes, avant tout, des Européens.

Enfin, ce que Charlie Hebdo avait montré le 7 janvier, le 13 novembre l’a confirmé: ce n’est qu’en restant ensemble que nous irons de l’avant. Paris doit rester la ville de l’amour, pas de la guerre.

 

[1] Voir la vidéo sur le lien: https://www.youtube.com/watch?v=l5k0SKwt1bw. Consulté le 15 novembre.

Nos ancêtres, ces “émigrants de masse”

A Berne se tenait ce soir la première conférence d’un cycle dédié à la question de la migration, organisé par la Nouvelle Société Helvétique.[1]  A cette occasion, la professeure de l’Université de Berne Kristina Schulz a rappelé quelques points essentiels de l’histoire de la migration en Suisse. L’un d’eux a spécialement attiré mon attention: la forte émigration de la population suisse au cours de l’histoire (notamment entre 1400 et 1800)[2], et particulièrement celle touchant les domaines de la formation et de la construction.

L’émigration résultant de la volonté d’acquérir un plus grand savoir est une sorte de tradition helvétique. Ainsi, à cause du manque de possibilités de formation en Suisse, mais également pour des raisons de prestige, nombreux sont les étudiants suisses qui, dès le XVe siècle, ont migré vers l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie ou encore la Russie.[3] Notons là qu’«il peut s'agir aussi bien de séjours de courte durée que de cycles complets, facilités dès la seconde moitié du XVe siècle par un système de bourses d'études. Les savoir-faire du négoce, de la finance et de la banque, en revanche, sont acquis dans les milieux d'affaires et les grands centres économiques, lors d'apprentissages ou de stages, parfois successifs. Et, par la suite, ces qualifications acquises formellement ou «sur le tas» dans le cadre d'une première migration sont souvent à l'origine d'une seconde migration, les nouvelles compétences ne trouvant pas à s'employer au pays.» Je reviendrai sur ce dernier point un peu plus bas.

Outre l’émigration des «cerveaux», celle concernant le domaine de la construction représente également une constante au fil des siècles et remonte, elle, au XIIe siècle lorsque les Tessinois se faisaient employer en Italie. Ils étaient ainsi des milliers à travailler sur les chantiers des grands centres urbains italiens, bénéficiant d’une conjoncture favorable.[5] Plus tard, «émigrés dans nombre d'autres villes européennes, ils y exercent, comme les ressortissants de certaines vallées grisonnes, toute une gamme de métiers.»[6]

Enfin, notons encore que «l'une des émigrations de peuplement les plus fortes a été celle du repeuplement agraire dans les zones ravagées par la guerre de Trente Ans et à laquelle les Suisses ont participé en masse. Pour les seules Alsace et Franche-Comté, les immigrants de Suisse sont estimés à environ 15’000-20’000 personnes entre 1660 et 1740, auxquelles il faut adjoindre les départs massifs vers les terres de l'Empire (Palatinat, Wurtemberg, Bavière, Brandebourg)».[7]

Mais quelles étaient au fond les raisons de ces vagues d'émigration? Elles sont très simples. Ce sont exactement les mêmes qui, aujourd’hui, poussent de nombreux Européens du Sud ou de l’Est à rejoindre l’Europe occidentale, dont notre pays. Le départ des Suisses était ainsi causé par le besoin, la croissance démographique et, comme déjà évoqué ci-dessus, le sous-emploi.[8] Certaines politiques en étaient également la cause, telle que «la fermeture des villes suisses à l'égard de leurs ressortissants de la campagne»[9] avant 1848.

En regard de ces différents faits – que je ne peux malheureusement pas évoquer en détail dans un si petit article –, il est évident que, dans la situation politique actuelle, les Suissesses et les Suisses se doivent, avant de façonner leur avenir, de jeter un œil sur leur passé. Que les Tessinois se rappellent qu’ils ont dû un jour, par manque d’emploi, fuir leur région pour s’engager sur les chantiers d’Italie. Que les universitaires se souviennent que la Suisse ne leur a pas toujours offert de bonnes conditions d’apprentissage. Que les agriculteurs pensent au départ de leurs aïeux pour l’Alsace et la Franche-Comté. Enfin, que chacun garde en mémoire, que, pour nos ancêtres, l’Europe représentait une terre d’accueil et non une ennemie et que celle-ci a contribué, par la formation de talents, au succès économique actuel de la Suisse.

 

 

[1] http://www.nhg.ch/fr/activites/manifestations.html (consulté le 10.11.2015)

[2] On estime à un million le nombre de Suisses qui ont quitté leur pays entre le XVe et le XVIIIe siècle (cf. Parini, Lorena. « La Suisse terre d'asile » : un mythe ébranlé par l'histoire.  Revue européenne des migrations internationales,1997, Volume 13,  Numéro 1,  p. 52.)

[3] Cf. Dictionnaire historique de la Suisse : http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F7988.php (consulté le 10.11.2015).

[4] op.cit.

[5] Cf. op.cit.

[6] op.cit.

[7] op.cit

[8] op.cit.

 

La Suisse est xénophobe, europhobe et raciste et cela ne choque personne

Au lendemain d’un dimanche noir pour les forces constructives de notre pays, tous évoquent le fameux «virage à droite de la Suisse». Pardon? Parlons-nous ici réellement d’un simple virage? Je dirais plutôt qu’on fonce droit dans le mur! Tandis que tous les journaux parlent déjà de «tactique pour le second tour aux Etats», de «bras de fer pour un siège gouvernemental» ou encore de «l’alliance PLR-UDC», personne ne semble réellement s’émouvoir du fait que la Suisse persiste et signe: le pays est du côté des populistes. Pire, la Suisse est nationaliste, europhobe et raciste. Certes, il est facile de cacher ces tendances xénophobes sous de fausses appellations; ainsi, il est plus politiquement correct de dire que l’UDC est un parti «bourgeois» et «agrarien». Nos voisins européens, eux, ne s’y laissent pas prendre, à l’instar du quotidien Le Monde qui titrait dimanche : «En Suisse la victoire attendue des populistes aux élections fédérales»[1]. De son côté, le journal Le Point reste perplexe: «Le plus étonnant dans cette élection, c'est qu'elle s'est jouée sur la question migratoire, alors que la Suisse, qui n'appartient pas à l'Union européenne, n'est guère concernée par l'arrivée massive de réfugiés, venant notamment de Syrie!»[2]. En résumé, nous n’avons ni immigration de masse, ni chômage, ni crise économique, mais nous nous barricadons tel un pays accablé de tous les maux.

Outre le manque d’émotion suscité dans la presse par les résultats de ce dimanche, ce qui me paraît le plus révoltant, c’est le manque de rébellion de la part de la population. Où sont les jeunes à qui le pays prépare un brillant avenir? Car c’est bien moins d’Europe, moins d’échanges et plus de chômage qui sont désormais les perspectives offertes à ma génération par la volonté de l’UDC d’obtenir «l’indépendance de la Suisse par rapport à l’UE» – c’est-à-dire par l’abandon des accords bilatéraux et l’isolement du pays. Et où sont les femmes à qui l’UDC promet un fabuleux destin derrière les fourneaux? Car c’est bien elles qu’Oskar Freysinger voudrait exclure en définissant son parti de «viril, plein de téstostérone» et que Marc Bonnant renvoyait «à leurs fonctions sacrales», c’est-à-dire les enfants et la cuisine, lors d’une rencontre de l’UDC en septembre dernier[3].

Au vu de ces différents constats, il est clair que nous allons au-devant de temps difficiles pour les jeunes, pour les femmes et pour les étrangers de notre pays. Mais il n’est pas trop tard pour s’engager, pour aller voter et pour exprimer nos opinions. Car ce ne sont pas les valeurs de l’isolement, de la peur et du mépris que je souhaite pour mon pays, mais celles de l’ouverture, de la solidarité et du partage, valeurs que nous partageons avec les Européens. Et ce n’est pas parce que nous ne serions pas d’accord avec la politique actuelle de l’UE, qu’il nous faut refuser aux Européens notre participation à la gestion des crises en veillant notamment à contingenter leur main-d’œuvre – souvent plus que qualifiée – qui franchit nos frontières!  Enfin, nous avons le devoir d’aider à trouver des solutions, de participer à la création d’une démocratie européenne plutôt que d’adopter la posture de l’observateur critique et détaché, qui est souvent celle du lâche. Car n’y a-t-il pas plus grande lâcheté que de vouloir quitter le navire qui coule quand on aurait les moyens de le maintenir à flot? Alors non, je ne renoncerai pas à m’engager pour nos valeurs et pour l’Europe et j’encourage chacune et chacun à lutter pour ses libertés – il n’est jamais trop tard pour cela.

 

 

Bilan d’une campagne aux élections fédérales intense mais peu novatrice

Si, comme moi, vous avez des amis très politisés, alors j’imagine que la seule perspective d’ouvrir Facebook vous donne envie de faire un bond dans le temps et d’atterrir directement le 19 octobre. Voire même le 25, histoire d’être sûr que tout est terminé. Vidéos, photos, slogans, invitations d’«amis» candidats, tout est fait pour se promouvoir en vue des élections fédérales du 18 octobre. Et ce de manière continue depuis la fin de la pause estivale. Des partis aux ONG et des candidats aux intéressés, tous se sont impliqués à fond dans la campagne. Mais pour quels résultats? Savons-nous vraiment pour qui nous avons voté et si ces gens-là sauront représenter nos idées au Parlement?

Ces questions sont d’autant plus légitimes que, à l’heure où la plupart des Suisses ont déjà posté leur enveloppe de vote, il est temps de tirer un bilan. Bilan d’une campagne intense certes, mais pas forcément porteuse d’idées très novatrices, tout particulièrement sur le thème qui me touche le plus, à savoir la politique européenne suisse. Bien sûr qu’on a parlé d’Europe – et le Nomes y a largement contribué en organisant une «tournée européenne» de débats dans neuf villes de Suisse et en lançant une plateforme internet – mais le débat est resté superficiel. Quel sera le programme en terme de politique européenne suisse des partis ces quatre prochaines années? Comment allons-nous résoudre la quadrature du cercle suite à la votation du 9 février ? Silence radio sur toutes les lignes (ou presque). Dans ce contexte, deux constats peuvent être faits.

Le premier constat est qu’il y a une énorme différence entre la position des partis et la position des candidats pris de manière individuelle sur la question de l’Europe. Ainsi, dans le canton de Vaud par exemple, alors qu’Axel Marion, co-président du PDC Vaud, affiche clairement sa position proeuropéenne, son parti reste lui (très) frileux sur la question. Même chose à Berne où Christa Markwalder semble marcher seule sur la voie européenne du PLR qui a fait de l'accord-cadre le but ultime à atteindre dans nos relations avec l'UE.

Le second constat est qu’il est difficile, voire impossible, pour les citoyens suisses de savoir quel sera leur destin et celui de leur pays dans les quatre années à venir sur la question des relations Suisse-UE. En effet, au détour des différents articles parus et des différents débats organisés, très peu sont les candidats qui ont pu définir un programme précis, donner des échéances ou encore proposer des solutions. De plus, seul le Nomes, par sa proposition d’amendement, a véritablement posé une alternative à l’initiative RASA.

A la lumière de ces deux constats, la conclusion à tirer est simple. Nous avons besoin – et ce le plus vite possible – que les partis suivent l’exemple de leurs candidats proeuropéens (voir liste complète ici) et prennent une position claire sur l’avenir de nos relations avec l’UE. Il est temps de rompre le monopole de l’UDC sur les questions qui ont trait à l’Europe, telles que la libre circulation, l’immigration ou encore les questions institutionnelles. Enfin, nous avons besoin que des solutions soient proposées, que les mythes véhiculés actuellement soient déconstruits et qu’un nouveau vote – inéluctable – soit préparé. Afin que, dans quatre ans, nous soyons encore une Suisse de l’intégration et non de l’isolement.