Le grand oublié de la scène politique européenne

Vendredi, 17h00, visite du Conseil de l’Europe. Un professeur qui accompagne un groupe d’élèves demande soudain : « – Le déplacement du siège du Conseil de l’Europe de Strasbourg à Bruxelles est-il toujours d’actualité? – Ah ça Monsieur, cela ne concerne pas le Conseil, mais le Parlement européen.» Cet échange en apparence anodin démontre que s’il est un organe européen dont on ignore tout ou presque, c’est bien le Conseil de l’Europe. Souvent confondu avec le Conseil européen — la réunion périodique des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne —, le Conseil de l’UE — ancien Conseil des ministres — ou encore le Parlement, on oublie fréquemment qu’il ne fait pas partie des institutions de l’UE. Confusion d’autant plus facile qu’avant la construction du bâtiment qui abrite actuellement le Parlement à Strasbourg, les députés européens se réunissaient dans l’hémicycle du Conseil de l’Europe lors des sessions.

Strasbourg justement. C’est là que se situe le siège de cet organisme fondé en 1949 dont la tâche principale consiste à prévenir toute infraction d'un Etat membre aux droits de l’homme, à l’Etat de droit et à la démocratie. Ainsi, un grand nombre de conventions internationales y ont vu le jour au fil des ans, garantes d’une Europe pacifique. Enfin, contrairement à l’UE, l’entier des pays du continent font partie du Conseil de l’Europe, à l’exception de la Biélorussie, en raison de sa pratique de la peine de mort.

La Suisse est donc elle aussi membre de cette organisation, de longue date même, puisqu'elle y est entrée le 6 mai 1963. A l’époque, le gouvernement suisse «se félicitait particulièrement de ce qu'un lien nouveau soit sur le point de s'ajouter à ceux, déjà nombreux, qui unissent traditionnellement notre pays aux autres Etats de ce continent». Notre pays possède ainsi une délégation de 6 conseillers nationaux au sein de l’Assemblée parlementaires, d’un représentant au sein du Comité des ministres – le ministre des Affaires étrangères, actuellement Didier Burkhalter –  et d’un juge à la Cour européenne des droits de l’homme – actuellement Helen Keller. La Suisse, malgré sa taille modeste, est donc bien représentée et contribue pleinement aux réalisations du Conseil de l’Europe. A noter par ailleurs que les opposants à l’adhésion en 1963 brandissaient les mêmes peurs, faisaient les mêmes menaces d’atteinte à la neutralité que celles opposées à l’adhésion à l’UE aujourd’hui. Or, la neutralité hélvétique n’en a été nullement touchée.

L’attention du grand public s'est progressivement détournée du Conseil de l’Europe et de ses actions à la signature du traité de Rome en 1957 et la création de la Communauté Economique Européenne (CEE). Dès lors, les décisions d’ordre économique ont plutôt été réservées à l’UE tandis que le Conseil poursuivait la défense des droits fondamentaux, tombant progressivement dans l’oubli médiatique, bien que de nombreuses avancées dans le cadre de l’ouverture, de la tolérance et de la liberté au niveau des pays européens soient dues au Conseil – le droit de vote des femmes en Suisse par exemple ou encore, plus récemment, la loi sur le mariage pour tous adoptée en France. Le Conseil de l’Europe soutient également l’UE en ce qui concerne la question des migrants et dénonce la mise à mal des droits de l’homme dans le cadre de la crise actuelle. La situation politique en Pologne et ses nombreuses violations de l’Etat de droit sont également un thème central des débats du Conseil.

Au regard des points évoqués ci-dessus et de la situation de crise humanitaire en Europe, la question se pose de savoir s’il ne serait pas temps d’envisager une collaboration plus étroite entre le Conseil de l’Europe et l’UE. En effet, n’est-ce pas également l’objectif de l’UE que de préserver les droits fondamentaux et l’Etat de droit au sein d’une Europe pacifique? En tous les cas, il serait bon que les médias, l'enseignement et les chefs d'Etat européens évoquent davantage les actions de cette grande institution intergouvernementale européenne, évitant ainsi à l'avenir qu’un professeur ne soit pas en mesure de différencier le Parlement européen du Conseil de l’Europe.

Caroline Iberg

Caroline Iberg a travaillé entre 2013 et 2017 au Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes). Elle est désormais chargée de communication à Strasbourg.