Extrait de “HBO et le porno” : débats enflammés autour de la nudité quotidienne de “Girls”

HBO et le porno est une monographie universitaire de 422 pages dans laquelle je traite des représentations de nudité et de sexe dans les séries produites par HBO depuis 1997. Parmi celles-ci, il en est une qui a suscité des débats aussi vifs qu’incessants autour de l’exposition d’une nudité quotidienne et « ordinaire » dans le cadre d’une fiction sérielle : Girls. Voici un extrait (p. 281-282) qui revient sur les discussions auxquelles a pu donner lieu la franchise corporelle de Lena Dunham et (parfois) de sa bande de copines.

« Le refus de sanctuariser la nudité féminine (montrée au moment attendu, dans un contexte narratif qui s’y prête, selon des canons esthétiques dont se nourrit notre quotidien) est précisément le but que s’est fixé Girls. Ce que remet en question la série, c’est, par anticipation, la perception d’un observateur professionnel comme [Tim] Molloy [du site Internet TheWrap], qui, bien que critique spécialisé, ne conçoit pas que des artistes puissent aspirer à donner une autre image du corps relayé par les médias. [Imelda] Whehelan ajoute que les tenues vestimentaires d’Hannah s’appliquent également à bousculer et à renégocier les normes de représentation des corps sexualisés, ce qui prouve que la nudité de la jeune femme s’inscrit dans une réflexion plus globale sur le sex appeal (appeal induisant la notion d’appel, d’exhortation, d’effet d’attraction) et la dissimulation des imperfections corporelles. Habillée ou non, l’Hannah de Lena Dunham détonne et prouve qu’une autre vision du corps féminin est envisageable, l’écart vis-à-vis du canon permettant de produire un électrochoc et de pointer du doigt un conformisme auquel nous sommes peut-être trop habitués pour être encore en mesure de nous en émouvoir.

Un exemple en est donné par la scène au cours de laquelle Hannah retire inopinément sa combinaison de surf devant le moniteur et la participante au stage de surf (6.01). Juste avant, lorsqu’elle rejoint le groupe sur le point de débuter la séance, on peut voir Hannah alignée avec les autres surfeuses, encadrées par deux moniteurs vêtus d’un haut rouge moulant leurs biceps et leurs muscles dorsaux, dont la présence introduit instantanément un rapport de séduction et de convoitise envers de jeunes recrues désireuses d’être initiées et guidées. Si les stagiaires portent toutes un bikini seyant et ont toutes une planche de surf à la main, Hannah fait littéralement tache avec sa combinaison rose et noire dont elle n’est parvenue à enfiler qu’une seule manche (l’autre pendant de manière grotesque le long de son buste). Elle est également la seule à porter un bandeau, un chignon, et à ne pas être chaussée, ce qui la distingue encore un peu plus de ses camarades.

Produisant un saisissant contraste, la jeune femme située dans l’axe de la caméra possède une silhouette longiligne, exaltée par des sandales à talons compensés qui la font apparaître d’autant plus élancée. Hannah lui ayant subtilisé sa combinaison par mégarde, le teint mat de sa peau et le charme discret de ses formes sont mis en valeur par un bikini deux pièces laissant une majeure partie de son corps à découvert. De surcroît, elle se tient aussi droite qu’un mannequin sur un podium, à l’inverse d’Hannah qui a le buste en avant, les mains sur les hanches et un genou légèrement replié.

Quand cette dernière se voit pointée du doigt par ce véritable canon de beauté, prend plus que jamais forme la critique de Tim Molloy selon laquelle Hannah n’est pas à sa place et n’a rien à faire là. Son apparence balourde, mal fagotée, à contre-courant, permet à la série de mettre en abyme et d’ironiser sur une intolérance systémique à l’égard des corps « non conformes », même quand ils sont habillés. Elle fait entrer dans le cadre ce qui, d’ordinaire, en est exclu car ne correspondant pas aux attentes des spectateurs. De la sorte, elle introduit un grain de sable dans un engrenage qui se contente le plus souvent de rejouer le même, au simple prétexte que le public ne réclame rien d’autre. »

HBO et le porno. Raconter des histoires par le sexe. Presses universitaires François-Rabelais, coll. « Sérial ». 422 pages, 28 €. ISBN : 978-2-86906-872-8.

Benjamin Campion

Benjamin Campion est enseignant-chercheur en études cinématographiques et audiovisuelles. Il travaille sur l’histoire, l’économie et l’esthétique des séries télévisées, la censure cinématographique et télévisuelle, ainsi que les liens entre cinéma et nouvelles images.