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Notre-Dame-des-Landes : un crash politique ?

En arrivant au pouvoir, le gouvernement d’Édouard Philippe avait hérité d’un avion en détresse, volant depuis des décennies en pleine tempête et tiré dans des directions opposées par deux moteurs de puissance similaire. Mais en attendant huit mois pour agir, et en prenant une décision contraire à tous les engagements pris jusqu’alors, il a fait le choix du crash aérien plutôt que de tenter de rentrer à bon port. Et les conséquences de cette décision ne s’arrêteront certainement pas à la région de Nantes.

Peu après midi, la joie a éclaté chez les «zadistes», ces militants parfois extrêmes qui s’étaient mis en tête d’empêcher la construction d’un nouvel aéroport dans la région de Nantes. Face à leur succès, ce sont bien l’État de droit et la démocratie qui s’effritèrent.

CC Blandine Le Cain

Trois présidents différents se seront cassés les dents sur ce projet : Nicolas Sarkozy a été incapable de le faire avancer, François Hollande a même tenté, sans succès, d’évacuer la zone avant de meubler le reste de son quinquennat par des tergiversations et des reculades, et Emmanuel Macron, a finalement accepté d’enterrer le projet huit mois après son arrivée à l’Élysée.

Pourtant, lors de la campagne présidentielle de 2017, celui qui n’était à l’époque que l’ex-ministre de l’économie avait promis de mener le projet à son terme. L’argument qui prévalait dans la bouche du candidat était le résultat du référendum local de 2016, où la population de Loire-Atlantique avait majoritairement soutenu le transfert de l’aéroport en direction de Notre-Dame-des-Landes. La démocratie avait parlé, selon Emmanuel Macron ; il fallait désormais qu’elle s’applique.

CC Blandine Le Cain

Le revirement d’hier n’affaiblit donc pas seulement la parole du président jupitérien, mais, surtout, il torpille l’argument démocratique précédemment évoqué, dans un pays qui en aurait pourtant bien besoin, préférant céder à des militants qui avaient fait le choix de l’occupation et du rapport de force. Et cela, en soi, est probablement la conséquence la plus inquiétante de cette décision…

Mais le plus révélateur de cette journée était sans doute cette longue attente du discours du Premier ministre, alors que la décision avait fuite dans toute la presse. Les chaînes de télévision en continu interrogeaient tour-à-tour les opposants (euphoriques) et les partisans (dépités), tout en diffusant les images d’un podium vide dans la salle de presse de l’Élysée. L’avion s’était non seulement écrasé, mais on avait surtout l’impression qu’il était sans pilote…

© Number 10

No, No, No, Mrs May !

À 18h, Emmanuel Macron s’entretiendra à Paris avec Theresa May. Leur principale préoccupation sera certainement l’avenir du continent. Mais c’est plutôt vers le passé qu’ils devraient jeter un regard…

Nul doute que le locataire de l’Élysée accueillera poliment celle du 10 Downing Street. Par gentillesse, il s’abstiendra sans doute de parler d’élections législatives. Alors que la France semble avoir décidé de donner une large majorité parlementaire au parti du Président, le Royaume-Uni a refusé de faire la même faveur à la Première ministre. Deux résultats, il est vrai, influencés par un système électoral d’un autre temps, qui biaise les résultats au hasard du découpage territorial.

Theresa May vient avec un objectif simple : trouver, sinon un allié, du moins un partenaire avec qui négocier une sortie ordonnée de l’Union Européenne. Au centre des discussions, l’avenir des milliers de citoyens européens en Grande-Bretagne et des milliers de Britanniques expatriés dans le reste de l’UE et l’avenir des relations commerciales entre les deux économies. Sur ces deux points, la position du Royaume-Uni semble s’être assouplie après le scrutin de jeudi.

Mais un autre point crucial devrait également être évoqué : celui de la facture que l’UE souhaite présenter à son futur-ex-membre : potentiellement plus de 100 milliards d’euros. 38 ans après Margaret Thatcher, c’est à l’Europe de réclamer «I want my money back».

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Le souvenir de Margaret Thatcher sera certainement présent dans l’esprit de Theresa May. L’actuelle Première ministre est contestée dans son propre parti depuis son échec aux élections législatives, tout comme l’était la Dame de Fer en 1990, après la prise de mesures impopulaires. Et c’est bien au beau milieu d’un voyage à Paris, pour se rendre au sommet de Fontainebleau, que Margaret Thatcher a été débarquée de la tête du parti conservateur. En arrivant à l’Élysée, Theresa May espérera sans doute que l’histoire ne se répètera pas…

Mais les espoirs de la Première ministre ressemblent à des illusions. De l’avis de plusieurs négociateurs européens, «ce n’est pas comme si elle vivant sur la planète Mars, mais plutôt dans une autre galaxie bien éloignée». Vouloir concilier les promesses faites lors de la campagne du Brexit, profiter des avantages de l’UE et s’affranchir de ses conditions semble, en effet, bien irréaliste. Et là, c’est Emmanuel Macron qui endossera les habits de la Dame de Fer pour lui répéter simplement «Non. Non. Non.».

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Emmanuel Macron à l’Élysée : la valeur n’attend point le nombre des années ?

Lors de la passation de pouvoir de dimanche, c’est l’expression qui revenait sans cesse dans la bouche des différents commentateurs : à 39 ans à peine, Emmanuel Macron est le plus jeune Président de l’histoire française, et l’un des plus jeunes chefs d’État au monde. Si le fait est exact, il n’est pas tout à fait motif de réjouissance.

Lors de la campagne électorale, l’âge d’Emmanuel Macron était un argument généralement réservé à ses opposants. On lui reprochait ainsi son inexpérience, et, plus subtilement, une sorte de manque de maturité – l’âge étant, pour ces critiques, la marque ultime de la sagesse. Le candidat d’En Marche préférait présenter sa carrière déjà fort remplie – tant dans le secteur privé qu’à certaines des plus hautes responsabilités de l’État – pour tenter d’atténuer le reproche.
En effet, on peut penser qu’Emmanuel Macron n’a pas été élu du fait de son jeune âge, mais bien malgré son jeune âge.

© Lorie Shaull
Affiches de campagne – © Lorie Shaull

Face aux soupçons et aux affaires qui ont jeté le trouble sur les politiciens, de gauche comme de droite, au cours des dernières années, l’expérience politique est devenue suspecte. Dans l’imaginaire collectif, le temps passé au pouvoir est forcément rempli de tentations fautives ; plus longue est l’exposition, plus grand est donc le risque d’y avoir cédé. Ainsi, alors que les présidents précédents avaient assis leur élection sur leur expérience, les citoyens semblent désormais choisir l’inexpérience : elle offre une sorte de gage d’honnêteté par défaut d’opportunité.

La jeunesse du nouveau président est, en réalité, le symbole d’une classe politique en déliquescence. L’élection d’Emmanuel Macron – cela a été largement rappelé – démontre surtout la faillite des partis politiques traditionnels, écartés dès le premier tour. Il a su incarner – certes, avec habileté – le seul renouveau face à une extrême-droite renforcée. Si la chance n’est pas à exclure, c’est bien le rejet des autres qui a permis au candidat d’En Marche de conquérir l’Élysée…

© Franz Johann Morgenbesser
Sebastian Kurz – © Franz Johann Morgenbesser

Quelques heures à peine après l’investiture d’Emmanuel Macron, le parti autrichien ÖVP – le parti historique de droite depuis 1945 – a désigné son nouveau président : Sebastian Kurz, à peine 30 ans, et déjà ministre des Affaires étrangères depuis plus de 3 ans.
Le rapprochement est plus qu’anecdotique. En 2016, lors des élections présidentielles, les Autrichiens avaient également écarté les deux principaux partis dès le premier tour. Le SPÖ (socio-démocrate) avait fini 4ème ; l’ÖVP 5ème – tous deux avec environ 11% des suffrages. Au deuxième tour, les électeurs ont donc dû départager un indépendant de 73 ans, Alexander Van der Bellen (ancien membre des Verts) et le leader de l’extrême-droite, Norbert Hofer.

Il semble désormais, en Autriche comme en France, que le critère de l’âge s’efface en regard des autres problèmes que traverse la classe politique. Mais ne nous leurrons pas : il s’agit bel et bien d’un choix par défaut, qui ne devrait apporter nul optimisme sur la santé de la démocratie…